Ébranlé par sa défaite, mais déterminé à déloger les conservateurs, sir Wilfrid Laurier, désormais chef de l’opposition officielle, conçoit une stratégie de reprise du pouvoir :
Au lieu de quitter la politique [..., Laurier] décida plutôt de rester, et se fixa un objectif : remplir pleinement ses rôles de chef de parti et de chef de l’opposition, à la limite de ses ressources, pour chasser au plus vite les conservateurs prêts, avec leur programme aux tendances progressistes et impérialistes, à saccager son œuvre. Sans tarder, à la surprise de plusieurs, il mit superbement les bouchées doubles. Il redonna rapidement vie à son parti.
Laurier réorganise le Parti libéral, notamment en exploitant les talents d’orateurs et d’organisateurs de ses députés. Parmi eux figurent Frank Broadstreet Carvell et William Pugsley, dont voici un extrait de la biographie :
Dans l’opposition, Pugsley fit équipe avec son collègue néo-brunswickois Frank Broadstreet Carvell afin de tourmenter le gouvernement de Robert Laird Borden*. Alors que « Frank le batailleur » Carvell fulminait, lançait des attaques au vitriol et assenait des coups de sabre, la méthode de Pugsley consistait en des coups de sonde d’une précision chirurgicale. Rompu aux règles du prétoire, il était toujours calme, courtois et rationnel, mais sa tactique était brillante et assassine. C’est lui qui, en 1913, fut le cerveau de l’offensive menée sans interruption durant 72 heures au cours du débat sur le projet de loi d’aide à la marine.
Laurier et les libéraux portent donc de durs coups au gouvernement conservateur :
Malgré quelques ratés, Laurier vit croître sa popularité et celle de son parti. À nouveau, se profilaient les marches dorées du pouvoir.
Espérant de plus en plus reprendre le pouvoir à court terme, Laurier et les libéraux maintiennent la pression sur le gouvernement conservateur. Toutefois, la Grande Guerre, qui éclate en Europe à l’été de 1914, modifie la donne politique, comme le souligne le biographe de Laurier :
La Grande Guerre broya vite ces beaux espoirs et brisa les deux plus importants fondements de la carrière de Laurier : l’unité nationale et l’unité du Parti libéral. Entre 1914 et 1918, Laurier vécut les pires épreuves de sa vie. Au début de cette terrible guerre, cependant, rien ne laissait présager un tel dénouement. Au pays, les Canadiens, francophones comme anglophones, impressionnés et très émus, s’entendirent sur presque tout : sur la participation volontaire des soldats, sur l’aide matérielle à accorder à la mère patrie engagée dans ce combat. Laurier, en communion avec ses compatriotes, renonça à la partisanerie, proposa même une trêve des partis, seconda sincèrement Borden aux Communes et participa à une série d’assemblées de recrutement pour stimuler l’effort de guerre. La Grande Guerre rassemblait donc le peuple autour de ses chefs dont l’un, Laurier, 72 ans, n’en finissait pas d’étonner par son sens du devoir et son inconsumable énergie.
Ce sens du devoir est cependant rudement mis à l’épreuve. Toujours soucieux de préserver l’unité nationale, Laurier appréhende les effets négatifs du maintien, en pleine guerre, du Règlement 17 (qui restreint l’emploi de la langue française, comme moyen d’enseignement et de communication, aux deux premières années de l’enseignement élémentaire en Ontario) et ceux de la volonté du gouvernement canadien d’instaurer la conscription militaire. L’extrait suivant de la biographie du nationaliste canadien Henri Bourassa résume le problème :
Champion de la minorité franco-ontarienne, [Bourassa] en fait le combat de l'Amérique du Nord française avant même celui de l'Europe. Son ascendant se fait sentir chez les francophones, qui, soumis aussi à d'autres influences, ne s'enrôlent pratiquement plus. Quand Borden propose la conscription en mai 1917, la province de Québec est prête à la violence [… Bourassa] pourrait d'un coup s'emparer de la province, comme le craignent Laurier et Borden.
Le Règlement 17 et la conscription créent des scissions dans la classe politique canadienne, notamment parmi les députés libéraux. À la demande de Laurier, l’un d’eux, Ernest Lapointe, présente aux Communes une motion relative aux écoles franco-ontariennes :
Pendant la Première Guerre mondiale, Lapointe consolida sa position au parti. Laurier le choisit pour présenter au Parlement, en mai 1916, une motion importante afin de demander au gouvernement de l'Ontario de reconsidérer son Règlement 17 […] [V. sir James Pliny Whitney*]. Non seulement les minorités francophones se préoccupaient des questions linguistiques, mais elles craignaient aussi que le règlement limite l'accès à une éducation catholique. La motion divisa les principaux partis politiques : 11 libéraux de l'Ouest votèrent contre, tandis que 5 conservateurs de la province de Québec l'appuyèrent.
Parallèlement à la situation politique explosive au Québec, Laurier voit ses députés se déchirer au sujet de la conscription. Des libéraux jadis indéfectiblement fidèles lâchent leur chef ; c’est le cas de Carvell, un des plus fervents partisans de la conscription :
Il y avait aussi la conscription et, en cette matière, Carvell se dissocia tout à fait de son chef et de son parti. « Je considère de notre devoir d’envoyer autant d’hommes que nous le pouvons afin de faire de cette guerre le succès que tout le monde civilisé prie qu’elle soit. » Il écartait complètement l’idée de tenir un référendum avant d’appliquer la conscription, comme le Parti libéral le proposait. « Il n’y a pas au Canada de plus grand démocrate que moi ; il n’y a pas un homme qui, en temps normal, croit plus au peuple que moi. Mais je suis obligé de conclure que nous sommes en guerre, et ce n’est pas une question politique comme une autre ; il y va de la vie ou de la mort de la civilisation. »
D’autres députés libéraux, tel William Stevens Fielding, dont voici un extrait de la biographie, abandonnent leur chef à cause de la conscription :
Fielding aurait pu aisément se conformer aux généreux critères selon lesquels, de l'avis de Laurier, les individus pouvaient demeurer membres du groupe parlementaire : ou bien s'opposer à la conscription et au gouvernement d'union, ou bien soutenir la conscription mais s'opposer au gouvernement d'union, ou encore se présenter comme des libéraux indépendants. Or, il choisit de suivre le courant majoritaire de son parti, peut-être dans l'espoir de jouer le rôle de pacificateur et d'éminence grise une fois la guerre terminée. Quel que soit le degré de popularité que sa stratégie hésitante lui ait apporté dans le reste du Canada, elle ne plut ni dans sa province natale ni dans celle du Québec [...] En outre, ni les libéraux néo-écossais ni leurs collègues québécois ne pardonneraient à Fielding d'avoir tourné le dos au vieux chef.
Pour de plus amples informations sur la carrière politique de Laurier à titre de chef de l’opposition officielle après 1911, nous vous invitons à explorer les listes de biographies suivantes.