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LEMIEUX, RODOLPHE (baptisé Rodolphe-Toussaint), journaliste, avocat, professeur et homme politique, né le 1er novembre 1866 à Montréal, fils d’Hormisdas-Alphonse Lemieux, commis dans un bureau de poste, et de Philomène Bisaillon ; le 15 mai 1894, il épousa au même endroit, dans la paroisse de Saint-Jacques, Berthe Jetté, et ils eurent quatre enfants ; décédé le 28 septembre 1937 à Montréal et inhumé le 1er octobre suivant dans cette ville au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

Les ancêtres de la famille Lemieux étaient probablement originaires de Rouen, en France. Le premier Lemieux né en Nouvelle-France, Guillaume, a vu le jour à Québec en 1648 et y a épousé Élisabeth Langlois en 1669.

En 1874, le père de Rodolphe Lemieux obtient un emploi d’inspecteur d’entrepôts aux douanes. Ce poste oblige la famille, habituellement installée à Montréal, à déménager à l’occasion selon les affectations d’Hormisdas-Alphonse. Pour cette raison, le jeune Rodolphe fréquente un bon nombre d’écoles ; sa mère, institutrice de formation, peut au besoin combler les lacunes occasionnées par ces changements fréquents d’établissements. Entre 1874 et 1878, Rodolphe étudie successivement chez les Frères de la doctrine chrétienne à Montréal, au petit séminaire de Sainte-Thérèse et au séminaire de Saint-Joseph des Trois-Rivières. De 1878 à 1881, il fréquente le séminaire de Nicolet, où il fait une partie de ses études classiques (de la classe de syntaxe jusqu’à celle de versification). Selon ses propres dires, il n’est pas un élève modèle.

Rodolphe découvre le monde de la politique en suivant son père. Membre de l’Institut canadien de Montréal, ce dernier assiste à des assemblées libérales et participe notamment, en 1878, à l’organisation des élections fédérales dans la région de Trois-Rivières ; Ernest Pacaud* et Wilfrid Laurier*, qui se retrouveront un jour sur la route du jeune Rodolphe et qui influenceront ses choix politiques, font partie des connaissances d’Hormisdas-Alphonse.

En 1882, Rodolphe entreprend des études de droit au collège d’Ottawa, ville où la famille Lemieux vient de s’établir. Comme il fait l’école buissonnière pour assister aux travaux parlementaires et entendre les grands orateurs de l’époque, dont sir John Alexander Macdonald*, Joseph-Adolphe Chapleau*, Edward Blake* et Wilfrid Laurier, il quitte l’université sans obtenir de diplôme.

Rodolphe revient à Montréal en 1884. Il n’abandonne pas l’idée d’étudier le droit, mais son père n’est pas en mesure de payer ses frais. Il décide de chercher un emploi dans le journalisme. C’est ainsi qu’en 1884, il entre au Times, journal anglophone de Montréal. Il passe par la suite au Monde (1884), à la Presse (vers 1885), puis à la Patrie (1886), où son horaire lui permet de concilier son travail et les études en droit qu’il vient de commencer à la McGill University. Il fréquente les clubs politiques libéraux, où il rencontre des personnes qui marqueront sa vie, notamment Lomer Gouin* et Honoré Mercier*. Remarqué pour son éloquence, il est vite sollicité pour prononcer des discours. Il participe à sa première assemblée publique le 18 juillet 1886 pour appuyer la candidature de Raymond Préfontaine* à l’élection fédérale partielle de Chambly. Comme militant du Parti libéral, Lemieux doit, en 1888, choisir entre les libéraux radicaux et les libéraux modérés. Il opte pour le second camp, celui de Mercier et de Laurier, qui le prendront sous leur protection. L’influence paternelle l’a vraisemblablement conduit vers ceux qui pratiquent la conciliation. Ce choix politique se confirme dans ses activités professionnelles. Il quitte en effet la Patrie, que dirige le radical Honoré Beaugrand*, et passe à l’Électeur de Québec, journal officiel de Laurier et de Mercier, dont le directeur est l’organisateur libéral Ernest Pacaud.

Entre 1888 et 1896, Lemieux poursuit sa formation tant juridique que politique. Il est reçu au barreau en 1891, après avoir terminé son baccalauréat en droit à la McGill University. Il entreprend, à l’université Laval à Montréal, un doctorat qu’il finira en 1896, l’année même où il y acceptera un poste de professeur d’histoire du droit. Tandis que Mercier le fait participer aux assemblées publiques et l’envoie même porter la parole libérale aux Canadiens français émigrés aux États-Unis, Laurier garde un œil sur le fils de son ami et lui prodigue conseils et encouragements.

Lorsque Mercier doit faire face au scandale qui lui coûtera finalement, en décembre 1891, le poste de premier ministre de la province de Québec, un des principaux traits de caractère de Lemieux se manifeste : la fidélité au chef. Tandis que les appuis à Mercier s’effritent, Lemieux et quelques rares autres personnes, dont Lomer Gouin, gendre de Mercier, soutiennent publiquement ce dernier, notamment pendant la campagne électorale qui précède les élections provinciales du 8 mars 1892. Gouin et Lemieux, désormais liés par une amitié inébranlable, fondent le bureau d’avocats Mercier, Gouin et Lemieux en avril. Les deux jeunes associés font marcher la firme et peuvent ainsi aider financièrement Mercier.

L’une des activités publiques déterminantes de Lemieux a lieu le 28 novembre 1892 au parc Sohmer de Montréal, où se déroule une assemblée conjointe des principaux clubs politiques de Montréal. Sur le sujet imposé des options politiques pour le Canada, Lemieux y défend avec brio celle de l’indépendance. À la fin de l’assemblée, il remporte le vote avec une forte majorité. Dans une lettre datée du 18 décembre, Laurier lui écrit cependant pour calmer ses ardeurs : « S’il n’y avait dans la confédération que les Canadiens-Français, je n’hésiterais pas un instant, mais l’idée n’est pas encore assez mure pour la population anglaise. » Ainsi, Lemieux apprend que la politique est souvent l’art du compromis.

Le 15 mai 1894, Lemieux épouse Berthe Jetté, fille du juge Louis-Amable Jetté*, alors doyen de la faculté de droit de l’université Laval à Montréal et membre de l’aile modérée du Parti libéral ; aux élections générales fédérales de 1872, ce dernier représentait le Parti national et a fait mordre la poussière à sir George-Étienne Cartier*. Au fait de la vie mondaine et politique, Berthe, femme cultivée, aidera beaucoup son mari tout au long de sa carrière. Mercier meurt à l’automne de la même année. Lemieux manifeste peu d’enthousiasme face au successeur de Mercier, Félix-Gabriel Marchand*, mais reste tout de même foncièrement attaché au parti. C’est au cours de ses études de doctorat que l’occasion d’entrer en politique active se présente : en 1894, des électeurs libéraux de Gaspé viennent à la rencontre de Lemieux, à la sortie du tribunal, pour lui offrir l’investiture dans cette circonscription. Après s’être laissé prier, notamment par Laurier, Lemieux accepte de se porter candidat dans cette région farouchement conservatrice depuis la Confédération. Il fait finalement sa première campagne pour les élections générales fédérales de 1896, pendant laquelle il parle abondamment de l’enjeu principal, soit la question des écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway*]. Il visite toute la circonscription ; il devient même le premier candidat à se rendre aux îles de la Madeleine. Élu le 23 juin avec une majorité de 42 voix, il est le premier député libéral de Gaspé. Il fait son entrée au Parlement fédéral en même temps qu’un autre jeune libéral voué à un grand avenir : Henri Bourassa*. C’est cependant à Lemieux que le nouveau premier ministre, Wilfrid Laurier, demande d’appuyer l’adresse en réponse au discours d’ouverture, honneur qui échoit traditionnellement à une recrue jugée prometteuse par son chef.

Au cours de ses premières années comme député, Lemieux travaille à se bâtir une réputation auprès de ses électeurs et des dirigeants du parti. La circonscription de Gaspé, où toutes les communications doivent se faire par la mer, est l’une des plus isolées de la province de Québec. Lemieux multiplie donc les demandes de ponts, brise-lames, quais, bouts de route et chemins de fer. Il entre même en conflit à ce sujet avec le ministre des Travaux publics, Joseph-Israël Tarte*, qui ne semble pas vouloir dépenser les sommes votées pour Gaspé. Lemieux se fait également l’un des porte-parole d’une cause chère à Mercier en demandant aux Communes une hausse des subsides aux provinces. En cela comme en d’autres choses, il est la voix de la province au fédéral. Ce rôle s’accentuera considérablement à partir de 1905, année où son ami Lomer Gouin deviendra premier ministre de la province de Québec ; Lemieux sera alors l’intermédiaire direct entre Gouin et Laurier. En 1899, même s’il n’est encore que député, il fait partie de ceux que sir Wilfrid Laurier invite afin de les « consulter » sur la possibilité d’envoyer des troupes en Afrique du Sud. Le premier ministre ayant en fait déjà pris sa décision, Lemieux la commente avec une boutade que rapportera le Devoir du 11 novembre 1943 : « Puisque le vin est tiré, il faut le Boer. » Bourassa a exprimé son désaccord en claquant la porte. Peu après, Lemieux tente en vain de le ramener auprès de Laurier.

Lemieux entre peu à peu dans le giron du Parti libéral ; ses chefs ne manquent pas de constater ses forces et ses qualités et envisagent de lui conférer des fonctions importantes. Le 29 janvier 1904, Lemieux est nommé solliciteur général du Canada, poste qui lui permettra de se faire remarquer davantage. En plus du fait qu’il va plaider à Londres les causes du gouvernement canadien auprès du Conseil privé, il est devenu un représentant officiel du gouvernement, ce qui lui assure une place de choix dans les assemblées. Aux élections générales de novembre, il est élu par acclamation dans Gaspé – où son adversaire s’est retiré à la dernière minute – et remporte également la bataille dans Nicolet. Il sera député des deux circonscriptions jusqu’à la fin de 1906 à cause de la contestation de l’élection dans Nicolet, contestation au terme de laquelle il choisira Gaspé. Le 4 juin 1906, Lemieux entre au cabinet fédéral : il devient maître général des Postes, ainsi que responsable du ministère du Travail. Comme le ministère des Travaux publics, les Postes sont un des lieux par excellence du favoritisme politique et de la partisanerie. Aux Postes, Lemieux poursuit le travail de ses prédécesseurs en diminuant les tarifs postaux au pays et en les abolissant dans certaines régions ; il les abaisse également pour les échanges avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Au Travail, il est en 1907 le parrain de la Loi des enquêtes en matière de différends industriels [V. William Lyon Mackenzie King* ; Frank Henry Sherman*]. Cette loi, surnommée loi Lemieux, est en fait l’œuvre du sous-ministre du Travail, William Lyon Mackenzie King, avec qui Lemieux entretient de bonnes relations personnelles.

Lemieux consacre cependant beaucoup plus d’attention et de temps à son travail partisan qu’à sa tâche de ministre. Il organise les élections, choisit parfois les candidats, écrit la documentation électorale. Lorsque Laurier ne peut se déplacer, Lemieux, souvent, le remplace. En 1907, à la suite d’émeutes anti-asiatiques à Vancouver, Lemieux négocie une entente entre les gouvernements canadiens et japonais en vertu de laquelle le Japon accepte de réduire le nombre de ses émigrants vers le Canada. L’accord diplomatique, qui donne l’occasion à Lemieux de rencontrer l’empereur, Mutsuhito, est la première entente importante négociée par le Canada sans l’intervention de la Grande-Bretagne ; dans sa quête de souveraineté en matière de diplomatie, le Canada trouve ainsi une grande victoire. Lemieux représente également son pays à l’inauguration du Parlement d’Afrique du Sud en 1910, où il prononce un brillant discours. En offrant l’exemple du Canada, il montre qu’un pays formé de deux peuples autrefois ennemis peut se développer dans l’Empire britannique. Il termine ce voyage à Rome, où il rencontre le cardinal Rafael Merry del Val, ami de Laurier et des libéraux canadiens, afin d’exposer les plaintes du Parti libéral et du gouvernement du Canada contre l’ingérence de certains évêques catholiques canadiens. Il y fait aussi la connaissance de Pie X. De nombreuses autres missions diplomatiques et partisanes attendent Lemieux. Il rencontrera ainsi Édouard VII et George V, rois de Grande-Bretagne et d’Irlande, Émile Loubet et Armand Fallières, présidents français, et au moins un autre pape, Pie XI.

Lemieux compte désormais parmi les chefs du parti et c’est aussi à ce titre qu’il rend les services les plus utiles à Laurier. Il continue son travail d’organisateur électoral. Plus particulièrement à partir de 1907, année où Bourassa coupe tous les ponts avec Laurier et quitte Ottawa, il a la tâche d’attaquer les nationalistes. Ce mouvement politique, dont le mentor est Bourassa, est issu principalement du Parti libéral et réclame entre autres l’indépendance canadienne par rapport à la Grande-Bretagne. Pendant la campagne électorale de 1911, Lemieux est surtout sans cesse obligé d’affronter un Bourassa très agressif – lié aux conservateurs québécois dirigés par Frederick Debartzch Monk* – qui lui impose le sujet de la marine, dont le Parlement fédéral a accepté la création par une loi sanctionnée en 1910. C’est ainsi que, à titre de nouveau ministre de la Marine et des Pêcheries, il doit faire accepter cette marine de guerre canadienne à la province de Québec. La lutte entre les deux hommes, jadis alliés et amis, qui se poursuit dans les journaux et dans les assemblées publiques, atteint son apogée le 13 août à Saint-Hyacinthe devant une foule évaluée à 30 000 personnes.

Pour les libéraux, la défaite de septembre 1911 est amère. Lemieux, battu dans Gaspé, circonscription où les élections ont eu lieu quatre jours après le scrutin national, est cependant élu dans Rouville. Pour faire face à la baisse de revenus qu’entraîne son passage à l’opposition, Lemieux reprend l’enseignement et la pratique du droit. Mais le fidèle lieutenant reste principalement aux côtés de Laurier en Chambre. Il s’occupe des dossiers d’actualité et d’intérêt national, ainsi que des attaques virulentes contre les nationalistes et les conservateurs.

La Première Guerre mondiale amène d’abord Lemieux à s’activer en faveur du recrutement volontaire tout en se montrant farouchement opposé à la conscription et au gouvernement d’union contre lequel, en juin 1917, il mettra Laurier en garde. Il craint que la conscription desserve les intérêts des Canadiens français et signifie la fin de la carrière de Laurier au Québec. Il combat ardemment auprès de son chef l’influence des partisans libéraux de l’union. Parallèlement, il travaille à la libération d’Henri Béland. Médecin et député de la circonscription de Beauce, ce dernier est détenu en Allemagne de juin 1915 à mai 1918. Lemieux ne peut se réjouir longtemps de la libération de Béland ; son seul fils vivant, Rodolphe, surnommé Roddie, meurt en France, sur le champ de bataille, en août 1918. En février 1919, Laurier disparaît à son tour. Tant de pertes amènent Lemieux à s’interroger sur son avenir en politique.

Le décès de Laurier donne lieu à la convocation d’un congrès national dans le but d’élire le nouveau chef libéral. Sir Robert Laird Borden, premier ministre canadien, veut profiter des dissensions entre les libéraux pour attirer Lemieux et Gouin (il tente également sa chance avec Ernest Lapointe*) dans son cabinet unioniste. Ses démarches restent vaines. À la convention d’août 1919, Lemieux et Gouin donnent leur appui à William Stevens Fielding*, au détriment de William Lyon Mackenzie King. Lemieux agit ainsi principalement parce que, selon lui, Fielding représente à la fois la vieille garde et, puisqu’il en était l’artisan, la politique économique de Laurier.

Le questionnement de Lemieux trouve sa conclusion en décembre 1921, moment où les libéraux remportent les élections. Contre l’avis d’Ernest Lapointe, alors devenu un de ses principaux conseillers, King lui offre de revenir à la tête du ministère de la Marine et des Pêcheries. Lemieux décline l’invitation. En affirmant que les décès de son fils et de Laurier sont venus à bout de son ardeur partisane, il demande plutôt une nomination comme président de la Chambre. Il se rend peut-être compte que, avec le nouveau chef et ses alliances personnelles, sa place n’est plus la même et qu’il vaut mieux se retirer avant de se faire montrer la sortie. Lemieux donne ainsi au premier ministre la possibilité de prendre le contrôle du parti sans y créer de remous internes. Fidèle à ses convictions, il fait passer les intérêts des libéraux avant les siens. Il devient président des Communes en mars 1922 et le restera sans interruption jusqu’en 1930, malgré la tradition de rotation et les pressions des députés libéraux du Canada anglais.

Les nouvelles fonctions de Lemieux le mettent quelque peu en retrait de la partisanerie. Il en profite pour renouer avec Bourassa, qui s’est lui-même réconcilié avec la famille libérale, pour voyager et pour obtenir certaines reconnaissances pour son pays et son parti. C’est ainsi que, en 1922, le gouvernement français consent une parcelle de terre pour installer ce qui deviendra le Mémorial canadien de Vimy, à la mémoire des soldats morts pendant la Grande Guerre, et que, en 1928, année où il donne des cours d’histoire canadienne à la Sorbonne, Lemieux convainc la mairie de Paris de baptiser une rue du nom de Wilfrid Laurier. Pendant les campagnes électorales, il continue de mettre sa verve et sa plume au service du parti. Régulièrement sollicité par King soit pour réintégrer le cabinet, soit pour occuper le poste de lieutenant-gouverneur de la province de Québec, Lemieux refuse toutes les offres jusqu’à la veille des élections de 1930. King, qui voit venir la défaite, veut alors nommer Lemieux sénateur. Ce dernier accepte, mais sait bien que c’est pour lui la fin. Sa santé se détériore à un point tel qu’il ne se présente plus au Parlement à partir de 1935. Il meurt de problèmes rénaux le 28 septembre 1937.

Au cours de sa vie, Lemieux a reçu un très grand nombre d’honneurs. Il a notamment été admis à la Société royale du Canada (1908, président en 1918–1919) et obtenu des doctorats honoris causa (du collège d’Ottawa en 1907, du Bishop’s College en 1928 et de la University of Glasgow en 1936). La France l’a fait chevalier (1906), officier (1910), puis commandeur (1925) de la Légion d’honneur, tandis que Rome l’a fait commandeur (1924), puis grand-croix (1930) de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. À Paris, il a été élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques (1927), de l’Académie diplomatique internationale (1929) et de l’Académie des sciences coloniales (1929). En 1917, un canton de la Gaspésie a été nommé en son honneur, de même que, en 1922, une municipalité de la circonscription de Nicolet.

Lemieux a certes vécu pour la politique et le Parti libéral, mais certainement aussi pour ses concitoyens. Ce Montréalais qui n’a jamais mis les pieds en Gaspésie avant de vouloir s’y faire élire (et qui n’y a jamais habité) a entretenu une véritable histoire d’amour avec sa circonscription. Malgré sa défaite dans Gaspé en 1911, il a insisté pour s’y représenter en 1917, alors que la circonscription de Rouville lui était assurée. En aidant à faire élire deux de ses frères comme députés provinciaux de Gaspé, Louis-Joseph et Gustave, il a constitué un clan qui a amené le chemin de fer dans cette région, qui a bâti des quais et des brise-lames. Sur une enveloppe qui contenait un discours prononcé à Montréal en 1924 et qui vantait les charmes de l’Afrique du Sud, il a écrit en anglais : « En beauté et en splendeur, rien n’égalera jamais la péninsule du Cap saufsauf la péninsule gaspésienne ! »

Rodolphe Lemieux a été une des figures politiques nationales les plus importantes de son époque. À l’apogée de sa carrière, il avait certes des égaux parmi les libéraux canadiens-français, mais un seul, Wilfrid Laurier, lui était supérieur. Grâce à ses liens privilégiés avec Laurier et Gouin, Lemieux a orienté la vie politique québécoise pendant de longues années. Tout au long de sa carrière, il a fait preuve d’une fidélité exemplaire envers ses chefs – Mercier puis Laurier – et également envers son parti ; la façon dont il a laissé le champ libre à King, en décembre 1921, et ainsi évité les querelles le confirme. Lemieux est entré en politique active au moment où Laurier mettait en place un système selon lequel la position du parti a préséance sur les idées personnelles. En suivant cette voie, par conviction idéologique et par fidélité à son chef, il est devenu le prototype même de l’homme de parti, celui dont l’objectif est l’avancement du groupe, parfois même au détriment du sien.

René Castonguay

On a écrit peu de chose sur Rodolphe Lemieux, son importance ayant sans doute été éclipsée par celle de sir Wilfrid Laurier. La seule étude existante sur ce personnage est la nôtre, Rodolphe Lemieux et le Parti libéral, 1866–1937 : le chevalier du roi (Sainte-Foy [Québec], 2000), que nous avons publiée pour faire suite à notre thèse de doctorat, soutenue en 1997. Un mémoire de maîtrise, sur le voyage de Lemieux au Japon, mérite d’être mentionné : Honorius Lacombe, « la Mission Lemieux au Japon, 1907–1908 » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1951). Lemieux figure dans les principaux ouvrages à caractère biographique parus sur son époque.

Les archives de Lemieux conservées à BAC, R5812-0-6, sont relativement décevantes puisqu’elles contiennent peu d’information sur l’homme ; par contre, elles sont une source importante pour qui s’intéresse aux discours et autres documents officiels (il s’y trouve par exemple beaucoup de documentation sur sa mission au Japon). Les premiers chapitres de ce qui ressemble à des mémoires sont déposés à cet endroit : il s’agit de textes dactylographiés, quelquefois annotés à la main, écrits par Lemieux à la première personne du singulier, structurés de façon chronologique, qui relatent l’enfance, la jeunesse, la vie familiale et les débuts de la vie publique. Un récit porte sur le voyage au Japon en 1907, un autre, sur celui en Afrique du Sud en 1910. Il y a également un fonds sir Rodolphe Lemieux (VII-022) aux Arch. des ursulines de Trois-Rivières, Québec, et un dossier sur sa fille Clothilde qui y était religieuse (III-C-2.13-725) ; les deux sources contiennent de la correspondance entre Lemieux et sa fille. Au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Ottawa) se trouvent une partie des spicilèges constitués par sa femme Berthe, de même que quelques photographies (P127). À BAC, la correspondance de Lemieux est principalement conservée dans les fonds sir Wilfrid Laurier (R10811-0-X), William Lyon Mackenzie King (R10383-0-6), sir Robert Borden (R6113-0-X), Henri Bourassa (R8069-0-5) et la Coll. Dandurand-Marchand (R8219-0-2).

En 1910 et 1911, Lemieux a écrit des articles dans certains journaux libéraux sous les pseudonymes Ajax et Saint-Denis. Il est également l’auteur de discours et autres publications, dont : Wilfrid Laurier : conférence devant le Club national de Montréal (Montréal, 1897) ; « The intellectual preference », Univ. Magazine (Montréal), 6 (1907) : 356–370 ; le Service des Postes ; quelques statistiques : discours de l’hon. M. Lemieux à Niagara Falls, Ont. (s.l., 1908) ; Speeches, by Hon. Rodolphe Lemieux, postmaster general of Canada, delivered at the Champlain Tercentenary, 1909 (s.l., [1909]) ; Speech delivered by the Honourable Rodolphe Lemieux, k.c., postmaster general of Canada, on the occasion of the inauguration of the South African union (s.l., [1910]) ; Une industrie, une région, un homme (Montréal, [1915 ?]) ; le Monument du souvenir canadien (Montréal, 1931) ; Alexandre Taschereau (Montréal, [1935 ?]).

Lemieux a de plus signé deux ouvrages de droit : De la contrainte par corps : thèse pour le doctorat présentée et soutenue le 1er mai 1896 (Montréal, 1896) et les Origines du droit franco-canadien [...] (Montréal, 1900).

BAnQ-CAM, CE601-S1, 15 mai 1894 ; CE601-S51, 3 nov. 1866 ; CE604-S4, 31 janv. 1859.— Le Devoir, 29 sept., 1er oct. 1937.— Le Droit (Ottawa), 8 mars 1945.

Bibliographie générale

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René Castonguay, « LEMIEUX, RODOLPHE (baptisé Rodolphe-Toussaint) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lemieux_rodolphe_16F.html.

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Auteur de l'article:    René Castonguay
Titre de l'article:    LEMIEUX, RODOLPHE (baptisé Rodolphe-Toussaint)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2013
Année de la révision:    2013
Date de consultation:    19 mars 2024