BOUCHETTE, ROBERT-ERROL, avocat, journaliste, fonctionnaire et auteur, né le 2 juin 1862 à Québec, fils aîné de Robert-Shore-Milnes Bouchette*, commissaire des douanes, et de Clara Lindsay ; petit-fils de Joseph Bouchette* et frère de Marie-Caroline-Alexandra* ; le 27 avril 1891, il épousa à Saint-Christophe-d’Arthabaska (Arthabaska, Québec) Alice Pacaud, fille d’Édouard-Louis Pacaud*, et ils eurent six enfants ; décédé le 13 août 1912 à Ottawa.

En 1865, les Bouchette, à l’instar d’autres familles de fonctionnaires de la ville de Québec, prennent la route d’Ottawa, nouvelle capitale de la province du Canada. Le jeune Robert-Errol y fréquente un jardin d’enfance où il apprend l’anglais et où il fait la rencontre de celui qui deviendra son ami et plus proche collaborateur, Léon Gérin*. La famille revient à Québec en 1875 et sans tarder l’adolescent entre au petit séminaire comme pensionnaire, puis devient externe à la mort de son père en 1879. Élève moyen, ses résultats sont toutefois excellents en anglais, mais sa conduite en classe et sa constance au travail laissent généralement à désirer. Le jeune homme s’inscrit à la faculté de droit de l’université Laval à l’automne de 1882. Il étudie auprès de Joseph-Guillaume Bossé avant d’être admis au barreau le 14 janvier 1885.

Comme plusieurs diplômés en droit de son époque, Bouchette troque aussitôt la toge pour la plume. Les charmes du journalisme vont le séduire pendant les huit années à venir. De 1885 à 1893, il profite de son nouveau métier pour parfaire sa formation et ses connaissances, se tisser un riche réseau de relations et commencer à exposer ses idées sur la situation du Canada français, dont il suit de près l’évolution.

À l’été de 1885, Bouchette fait ses débuts comme chroniqueur à la Revue canadienne de Montréal. Certains auteurs le font ensuite passer à la Minerve (Montréal), mais rien n’est moins certain. Sa collaboration à l’Étendard, par contre, ne fait aucun doute. D’août 1886 à mai 1888, le jeune journaliste y signe près d’une trentaine d’articles sous le pseudonyme d’Onondaga. Il revient ensuite dans sa ville natale pour se joindre à l’influent organe libéral dirigé par Ernest Pacaud*, l’Électeur. Bouchette y occupera diverses fonctions comme celles d’assistant-rédacteur, de correspondant parlementaire à Québec et à Ottawa, de reporter, qui feront de lui un journaliste accompli. Il quitte l’Électeur dans le contexte du scandale de la baie des Chaleurs, qui éclabousse la direction et provoque la chute du gouvernement d’Honoré Mercier* à la fin de l’année 1891. Quelques mois plus tard, en mai 1892, Bouchette est nommé correspondant local du Montreal Herald. Il effectue bientôt le même travail auprès du Globe de Toronto. Sa carrière journalistique prend fin dans les premiers mois de l’année suivante, au moment où il décide de retourner à Montréal pour exercer sa profession d’avocat.

La pratique du journalisme aura été pour Bouchette une véritable école qui lui aura permis de côtoyer l’élite de son époque et d’être un témoin privilégié des débats qui secouent la nation canadienne-française. Ainsi, au gré des rencontres, il a été amené à fréquenter diverses personnalités politiques et intellectuelles francophones, dont des figures déjà connues du Parti libéral comme Wilfrid Laurier, Honoré Mercier, les frères François et Charles Langelier, et celles qui montent, notamment Simon-Napoléon Parent, Lomer Gouin* et Rodolphe Lemieux*. Son poste de secrétaire particulier du ministre des Travaux publics, Pierre Garneau*, en 1890 et 1891, contribue à resserrer davantage les liens l’unissant au monde politique. Bouchette a aussi l’occasion de fréquenter des hommes qui, tels Ulric Barthe, Jules Helbronner*, Jules-Paul Tardivel*, Arthur Buies*, Louis Fréchette* et bien d’autres, marqueront le monde du journalisme et la vie intellectuelle. Son adhésion à l’Institut canadien de Québec en février 1891 affermit en outre ses liens avec l’élite de cette ville.

Entré dans le métier de journaliste pendant la tourmente de l’affaire Riel [V. Louis Riel*] et au moment où le journalisme d’opinion est à son apogée, Bouchette se fait l’écho des préoccupations des Canadiens français et des libéraux de l’époque. Dans ses articles, il défend essentiellement deux principes : l’autonomie des provinces et les droits des catholiques. Son héros, c’est Mercier, et ses boucs émissaires, le trio conservateur formé des John Alexander Macdonald*, William Ralph Meredith* et Joseph-Adolphe Chapleau*. Sous les traits du journaliste partisan, on distingue encore bien peu le Bouchette d’après 1900 obsédé par la question économique, qu’il liera à la question nationale. Pour l’instant, il se contente de commenter l’actualité économique sans exposer les idées qui le feront connaître de ses contemporains et reconnaître par les générations subséquentes.

Bouchette quitte définitivement Québec pour Montréal à l’automne de 1893. Installé l’année suivante à Saint-Lambert, il exerce toutefois sa profession dans la métropole. On connaît bien peu de chose concernant cette période de sa vie sinon qu’il collabore en une occasion à la Revue légale (Montréal et Sorel) et qu’il effectue quelques traductions. Il semble que ce soit sans trop de regrets qu’il mette un terme à sa carrière d’avocat lorsqu’un poste dans la fonction publique fédérale lui est offert au début de l’année 1898. Avec son arrivée à Ottawa, à l’âge de 35 ans, Bouchette effectue le dernier virage de sa courte existence. S’ouvre alors pour lui la période la plus intense et la plus productive de sa vie. Il va mettre à profit l’expérience acquise au cours des années précédentes et donner la pleine mesure de son talent.

Nommé commis au département des Travaux publics le 13 avril 1898, Bouchette cumule cette tâche, à partir du 1er novembre suivant, avec celle de secrétaire privé du ministre du Revenu de l’intérieur, sir Henri-Gustave Joly* de Lotbinière, auquel succédera le 22 juin 1900 Michel-Esdras Bernier. En janvier 1901, il redevient simple commis dans ce dernier département. Moins de trois années plus tard, le 12 décembre 1903, il est nommé commis à la bibliothèque du Parlement. Il conservera ce poste jusqu’à sa mort. Son entrée dans la fonction publique lui permet de renouer avec un monde qu’il connaît bien, celui de la politique. C’est surtout l’occasion de profiter enfin d’un emploi sûr, et même intéressant, qui lui procure un revenu stable et lui laisse du temps libre pour penser et écrire. Bouchette profitera de ces avantages, ce qui se traduira par une intensification de son engagement dans la vie intellectuelle et dans les débats qui agitent le Canada français.

Dès son arrivée dans la capitale nationale, Bouchette cherche à s’inscrire au cœur de la vie intellectuelle canadienne-française en pénétrant les institutions culturelles les plus légitimes. Ainsi, il adhère en 1898 à l’Institut canadien-français d’Ottawa et y restera actif sa vie durant. Il est élu membre de la Société royale du Canada en 1905. Il occupera dès l’année suivante et jusqu’à son décès le poste de secrétaire de la section I. On le compte également parmi les membres d’un club littéraire, le Cercle des Dix, et de l’Historic Landmarks Association. Toujours en quête de lieux propices au progrès intellectuel, Bouchette a lui-même fondé en mai 1905 un cercle d’études économiques et sociales. Le cercle, formé de quelques fonctionnaires et hommes politiques, a bénéficié des enseignements de Léon Gérin, mais ne semble pas avoir été actif plus de trois ou quatre années.

L’engagement intellectuel de Bouchette se traduit par sa volonté de voir les Canadiens français s’intéresser aux sciences économiques et aux sciences sociales. Il ne cesse de lutter en ce sens durant toutes ces années. Son action au sein de la Société royale du Canada est particulièrement significative à cet égard. En 1908, en effet, il devient le principal instigateur d’un mouvement en faveur de la création d’une nouvelle section qui s’intéresserait aux sciences sociales et économiques. Les efforts du comité constitué en 1909 aboutissent en 1912 à un compromis : la sociologie et l’économie politique sont ajoutées aux sections I et II comme sujets officiels d’études.

Intimement lié à la vie intellectuelle, Bouchette s’est engagé avec autant sinon plus d’ardeur dans les débats qui secouent la société canadienne-française au début du siècle. Cette fois, sa participation sera plus personnelle, plus originale. Le journaliste a cédé le pas au penseur, l’esprit partisan, à la réflexion. Même s’il milite au sein de diverses associations d’intérêt national, comme l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario, ou est membre de la Ligue de l’enseignement à Montréal et du comité du monument Champlain à Ottawa, son engagement passe d’abord et avant tout par ses écrits.

Compte tenu de la courte période pendant laquelle Bouchette a écrit, son œuvre s’avère importante et variée. Elle comprend des livres dont l’Indépendance économique du Canada français et son roman Robert Lozé, des brochures comme Emparons-nous de l’industrie, plusieurs articles et quelques conférences. Une bonne partie de ses écrits ont d’ailleurs fait l’objet de reproductions. Ils ont été publiés dans les Mémoires de la Société royale du Canada et dans certaines des revues les plus importantes du début du xxe siècle comme, à Montréal, la Revue canadienne et la Revue franco-américaine. Bouchette a également collaboré aux hebdomadaires montréalais le Journal de Françoise et le Bulletin, et vu certains de ses textes publiés dans le Nationaliste, le Canada et la Patrie, de Montréal, ou le Temps et la Justice, d’Ottawa. Quelques auteurs ont laissé entendre que Bouchette avait également collaboré à des revues françaises et belges mais sans plus de détails.

L’œuvre de Bouchette est dominée par sa volonté de voir les Canadiens français participer pleinement à la vague de prospérité sans précédent qui touche le Canada à la fin du xixe siècle. Il considère la situation des plus urgentes, vu l’état d’infériorité économique et sociale de ses compatriotes et la présence envahissante des monopoles étrangers. Cette constatation l’amène à proposer l’intervention de l’État québécois, seul levier véritablement efficace dont disposent les Canadiens français. Ainsi, il conçoit trois mesures principales dont la mise en œuvre revient au gouvernement provincial : l’intensification de l’instruction primaire et la mise sur pied d’un réseau complet d’instruction technique et professionnelle ; la protection accrue des ressources naturelles ; l’organisation d’un système de prêts industriels accessibles aux colons et aux hommes d’affaires canadiens-français. Bouchette justifie son programme, de tendance libérale réformiste, à la lumière des enseignements de l’économie politique et de l’histoire du développement des pays industrialisés. Il verra le gouvernement de Lomer Gouin légiférer dans le sens de ses deux premières propositions. Seule la dernière sera mise au rancart par les hommes politiques. En effet, l’idée que l’État puisse intervenir en vue d’aider spécifiquement les Canadiens français à se tailler une meilleure place dans l’économie de leur province heurte de front leur attachement profond à la théorie du laissez-faire. Ainsi, inspiré d’une part par ses connaissances et son nationalisme, et pressé d’autre part par la conjoncture, Bouchette en est venu à exprimer une conception novatrice du rôle de l’État dans l’économie, laquelle sera adoptée un demi-siècle plus tard par la classe politique québécoise.

De ces écrits se détache un homme cultivé, friand des enseignements de l’économie politique et des sciences sociales. Les contemporains de Bouchette ont d’ailleurs tracé un portrait flatteur de sa personne et reconnu son importance, comme en témoigne son insertion dans Canadian who’s who (1910) et dans Canadian men and women of the time (1912) de son ami Henry James Morgan. On le dit fin causeur, homme de bonnes manières et conférencier de talent. On lui attribue également une connaissance approfondie des littératures française et anglo-saxonne en plus de lui reconnaître les compétences d’un « économiste » et parfois même d’un « sociologue ». À sa mort, survenue à Ottawa le 13 août 1912 des suites de la fièvre typhoïde, on déplore sa perte un peu partout au Canada et même aux États-Unis.

Si les contemporains de Robert-Errol Bouchette ont reconnu sa valeur comme intellectuel, ils ont apprécié tout autant son œuvre et les idées qu’il véhiculait. Contrairement à ce qu’une longue tradition historiographique a laissé entendre, Bouchette n’a pas fait figure de prophète dans le désert, pas plus qu’il n’a été frappé d’ostracisme.

Alain Lacombe

Pour rédiger la biographie qui précède, nous avons largement puisé dans notre thèse intitulée « Errol Bouchette (1862–1912), un intellectuel » (thèse de ph.d., univ. du Québec à Montréal, 1994), dans laquelle le lecteur trouvera une liste exhaustive des publications de Bouchette, et des sources, des ouvrages et des articles qui le concernent. Il faut aussi préciser qu’il n’existe pas de collection de ses papiers personnels ; on retrouve une quinzaine de ses lettres conservées aux Arch. de la Compagnie de Jésus, prov. du Canada français (Saint-Jérôme, Québec), Fonds Léon-Gérin, 5442-1-16.

Parmi les principaux écrits de Bouchette, il faut mentionner son ouvrage intitulé l’indépendance économique du Canada français, qui est une réédition de son volume intitulé Études sociales et économiques sur le Canada (Montréal, 1905) et constitué de plusieurs articles d’abord publiés dans la Rev. canadienne (Montréal), de janvier à octobre 1905 ; cette première réédition a paru à Arthabaska, Québec, en 1906, et la dernière, qui comprend une longue introduction de Rodrigue Tremblay, à Montréal en 1977. Il faut ajouter sa brochure intitulée Emparons-nous de l’industrie (Ottawa, 1901) et son roman Robert Lozé (Montréal, 1903).  [a. l.]

ANQ-MBF, CE2-2, 27 avril 1891.— ANQ-Q, CE1-11, 3 juin 1862.— Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Ottawa), C 36/32/3.— L’Électeur (Québec), 7 avril 1888–28 févr. 1894.— L’Étendard (Montréal), 1er juin. 1886–17 mai 1888.— Gazette (Montréal), 24 août 1912 : 15.— Le Temps (Ottawa), 1904–1910.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Canadian who’s who (1910).— Clorinde De Serres, « Biobibliographie de Errol Bouchette » (mémoire, école de bibliothécaires, univ. de Montréal, 1944).— DOLQ, 2.— Édouard Fabre Surveyer, « The Bouchette family », SRC, Mémoires, 3e sér., 35 (1941), sect. ii : 135–146.— Léon Gérin, « Errol Bouchette », SRC, Mémoires, 3e sér., 7 (1913), proc. : v–x (photo en regard de la p. vi) ; « la Vulgarisation de la science sociale chez les Canadiens français », SRC, Mémoires, 2e sér., 11 (1905), sect. : 82.— Paul Perreault, « Errol Bouchette : sa pensée, son œuvre » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Trois-Rivières, 1976).— SRC, Mémoires. 2e sér., 11, proc. : xvii.— Univ. Laval, Annuaire, 1882–1883 : 28s.

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Alain Lacombe, « BOUCHETTE, ROBERT-ERROL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bouchette_robert_errol_14F.html.

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Auteur de l'article:    Alain Lacombe
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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