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SHERMAN, FRANK HENRY, mineur, syndicaliste et activiste politique, né le 10 mai 1869 dans le Gloucestershire, Angleterre ; en 1891, il épousa Annie Beaven, et ils eurent huit enfants ; décédé le 11 octobre 1909 à Fernie, Colombie-Britannique.
Frank Sherman était très jeune lorsque sa famille quitta le sud-ouest de l’Angleterre pour la Galles du Sud, et il passa ses années de formation dans la vallée de la Rhondda, centre cosmopolite d’une industrie charbonnière en pleine croissance. C’est là qu’il fit son apprentissage et travailla dans les mines jusqu’à la grande grève de 1898, après laquelle il se rendit compte qu’il était devenu un homme marqué. Comme d’autres de ses compagnons ouvriers, il choisit d’émigrer.
On a dit de l’expérience des mineurs de la Galles du Sud qu’elle avait été faite « de compromis aussi bien que de défi, d’une série de défaites et de quelques rares victoires, d’une culture aussi mouvante que la population était fluide ». Dans la région houillère du Canada où Sherman vint s’établir, la situation était sensiblement la même. Entre 1897 et 1909, plusieurs mines s’ouvriraient dans la passe du Nid-du-Corbeau, âpre région pionnière à cheval sur la frontière de la Colombie-Britannique et de l’Alberta. Le nom du bassin houiller du Nid-du-Corbeau devint synonyme d’exploitation de la main-d’œuvre étrangère, de conditions de travail dures et dangereuses, de relations industrielles sauvages. Assez naturellement, les ouvriers recoururent tôt à l’action collective. Les mineurs gallois contribuèrent à former l’avant-garde de ce mouvement et, tout comme en 1898 la South Wales Miners’ Federation s’était constituée en Grande-Bretagne sous un leadership méthodiste modéré, la Gladstone Miners’ Union prit naissance en 1899 à Fernie, lieu d’exploitation de la gigantesque Crow’s Nest Pass Coal Company.
En 1902, Sherman était contrôleur de la pesée à la mine de charbon de Morrissey : il surveillait l’estimation que la compagnie faisait de la quantité de charbon extraite par chaque mineur. Comme tant d’autres familles de « gueules noires » les Sherman étaient presque toujours sans le sou. Cette insécurité économique contribua à l’intensification de la diaspora galloise au xxe siècle. La tradition non conformiste et évangélique des Gallois fusionna, au moins dans une certaine mesure, avec la critique radicale du capitalisme industriel. Sherman, qui avait déjà été prédicateur au temple, allait joindre les rangs du Parti socialiste du Canada, organisation marxiste doctrinaire fondée en 1904, mais ne s’y sentirait jamais vraiment à l’aise.
Au début des années 1900, les conditions étaient telles dans les charbonnages du Nid-du-Corbeau que le réformisme perdit du terrain chez les ouvriers au profit d’un syndicalisme militant à tendance socialiste. D’abord, la Gladstone Miners’ Union s’affilia pour un bref moment à un syndicat américain, la Western Federation of Miners. Puis, en 1903, eut lieu la formation du district n° 18 de la United Mine Workers of America, dont Sherman était président fondateur. De 1904 à 1906, le mouvement de syndicalisation s’étendit vers l’est et gagna les houillères des environs de Lethbridge, en Alberta – et ce, en grande partie grâce à Sherman. D’après lui cependant, le syndicalisme n’était pas le seul, ni même le meilleur moyen d’améliorer le sort des ouvriers. Il avait la conviction que la vraie solution consistait à conquérir le contrôle de l’État par l’action politique démocratique. Aussi se présenta-t-il en 1905 aux élections de la première législature albertaine, dans la circonscription de Pincher Creek, comme candidat du United Mine Workers-Labour. Son programme, qui dénonçait « les trusts » et « la corruption politique », et soutenait les industries nationales et les services publics, n’avait pas de quoi alarmer un libéral ni un conservateur progressistes. Il subit la défaite, mais recueillit tout de même un tiers des voix. Au cours d’une élection complémentaire tenue dans Lethbridge l’année suivante, il perdit par 80 voix seulement.
Entre-temps, en mars 1906, les ouvriers de la plus grande mine de l’Alberta, propriété de l’Alberta Railway and Irrigation Company d’Elliott Torrance Galt*, s’étaient mis en grève, notamment pour être reconnus comme une section locale du district n° 18. En novembre, ils n’étaient toujours pas rentrés au travail, et les habitants de la Saskatchewan, dont une bonne partie des provisions de chauffage venaient de la mine, craignaient une grave pénurie de combustible à l’approche de l’hiver. Le ministre responsable du département fédéral du Travail, Rodolphe Lemieux*, confia la médiation à son sous-ministre, le jeune William Lyon Mackenzie King*. Le règlement qui en résulta prévoyait une augmentation des salaires et établissait une procédure de règlement des griefs, mais ne reconnaissait pas officiellement le syndicat.
À titre de président du district n° 18, Sherman avait néanmoins joué un rôle important dans les négociations. Son charisme attira l’attention de King, et des sources laissent croire que les libéraux firent de leur mieux pour se le rallier. Sherman n’avait pas de plus chère ambition que de représenter les mineurs sur la scène politique, mais il refusait de sacrifier son indépendance comme le député fédéral Ralph Smith* l’avait fait en se joignant au caucus libéral. Quand Sherman se présenta aux élections fédérales de 1908 dans la vaste circonscription de Calgary, ce fut sous la bannière du Parti socialiste du Canada. Le Lethbridge Daily Herald, journal libéral, nota que même ses « ennemis les plus féroces » lui reconnaissaient une « personnalité et [un] esprit impressionnants ».
Tout en faisant de l’action politique, Sherman continuait de mener l’existence extrêmement dure de militant du mouvement ouvrier à temps plein et ce, avant l’avènement des bureaucraties syndicales. Chef d’un district de 6 000 membres, il était personnellement responsable d’une grande partie des négociations. Il devait traiter avec plus d’une vingtaine d’employeurs réunis au sein d’un organisme peu structuré, la Western Canada Coal Operators’ Association. À compter de 1907, les négociations des sections locales et du district suivirent la procédure pointilleuse et complexe que définissait la Loi des enquêtes en matière de différends industriels. Cette loi interdisait toute grève ou lock-out dans une mine de charbon jusqu’à ce que le différend ait été porté devant un conseil représentant les ouvriers, la partie patronale et la population. Sherman avait d’abord vu d’un bon œil ce que l’on appelait la loi Lemieux, mais il ne tarda pas à être convaincu de son préjugé anti-ouvrier. Aux assemblées du Congrès des métiers et du travail du Canada qui se tinrent à Winnipeg et à Halifax en 1907 et en 1908, il tenta de rallier la plus grande organisation syndicale canadienne derrière la campagne que les mineurs menaient pour l’abrogation de la loi. Refusant de se laisser abattre par la tiédeur des syndicats de métiers de l’est du pays, il dénonça leurs chefs en les traitant de « fossiles » et jura de poursuivre la campagne « jusqu’au pied du trône ». (Finalement, en 1925, le comité judiciaire du Conseil privé allait recommander de frapper la loi de nullité.)
Pendant que Sherman combattait la loi Lemieux, les relations entre le district n° 18 et le siège social de la United Mine Workers of America à Indianapolis, dans l’Indiana, ne cessaient de se dégrader. Féroce tenant de l’autonomie des districts et, de façon générale, partisan de l’impuissante aile gauche de ce syndicat international, Sherman s’orientait dès 1909 vers la proclamation de l’indépendance du district n° 18, geste qu’il considérait comme un premier pas vers la création d’une fédération ouvrière canadienne distincte et progressiste. L’enthousiasme de Sherman sur cette question était en partie attribuable aux idées de son aide de camp et secrétaire particulier, Honoré Joseph Jaxon [William Henry Jackson*], qui avait été autrefois secrétaire de Louis Riel*.
L’isolement de Sherman prit des proportions dramatiques au cours de la grève albertaine du charbon de 1909, affrontement peu connu qui marqua la fin d’une ère de compromis dans les relations industrielles du secteur houiller. Un contrat entre le district n° 18 et l’association des exploitants, signé sous les auspices du département du Travail après une courte grève en 1907, arrivait à échéance le 31 mars 1909. Le marché du charbon languissait, et les propriétaires des mines albertaines éprouvaient des difficultés particulières dues au fait que le chemin de fer canadien du Pacifique représentait leur principal débouché. Les exploitants se présentèrent donc à la table en exigeant des concessions. Au début, le comité de négociation du syndicat accepta un certain nombre de propositions, mais Sherman, gravement malade, quitta son lit pour les dénoncer. Le syndicat et les exploitants de la Colombie-Britannique conclurent une paix séparée, néanmoins, presque tous les exploitants albertains, encouragés par la compagnie du chemin de fer, s’en tinrent fermement à leurs positions. Le 1er avril, à l’encontre de la loi Lemieux et des directives du syndicat international, la plupart des syndiqués de l’Alberta se mirent en grève. Comme il n’y avait pas risque de pénurie de charbon, le gouvernement ne se pressa pas pour intervenir. King, qui était sur le point de devenir ministre du Travail, opposa une fin de non-recevoir à ceux qui le suppliaient d’agir comme médiateur. « Je préférerais de beaucoup ne pas ajouter à mes problèmes en me laissant entraîner dans les vôtres », écrivit-il à Sherman le 28 avril. Entre-temps, le 16 avril, Sherman avait été expulsé du Parti socialiste du Canada pour avoir flirté avec le libéralisme.
La grève dura encore trois mois avant que le département du Travail n’use de ses « bons offices » pour en arriver à un compromis, si insatisfaisant qu’il ne fut qu’un prélude à la grève violente de 1911. Finalement, les mineurs syndiqués acquirent la conviction que la nationalisation « sous contrôle ouvrier » représentait la seule solution aux difficultés du district. On allait citer les propos de Sherman sur toute une variété de sujets pour appuyer le programme radical du One Big Union pendant la Première guerre mondiale.
Sherman n’assista pas aux tumultueux événements de cette décennie, dont il avait plus que tout autre pavé la voie. La grève de 1909 tirait à sa fin lorsqu’il remit sa démission au comité de direction du district : « Les six années que je viens de passer à votre service ont été les plus épuisantes de ma vie. Les nombreux appels que l’on a faits à mes services et les fardeaux que l’on s’est attendu que je porte, en plus de mes voyages excessifs et constants, m’ont brisé. » II était dans les phases terminales du mal de Bright, dégénérescence rénale souvent associée à une exposition à des matières toxiques et maladie courante chez les mineurs de fond. Certaines sections locales tentèrent d’amasser assez d’argent pour qu’il puisse aller se faire soigner dans une clinique de l’Est, mais il mourut à l’hôpital de Fernie en octobre 1909. Ironie du sort, l’odieuse Crow’s Nest Pass Coal Company lui avait offert, dans ses derniers jours, un emploi hors de la mine, soit l’équivalent de la retraite au début du xxe siècle. Le syndicat ne versa jamais à la famille éprouvée les fonds de subsistance promis.
Mineur de charbon, syndicaliste et activiste politique, Frank Sherman est un représentant typique des leaders ouvriers projetés dans l’ouest du Canada à la fin du xixe siècle par l’immigration de masse et la rapidité de la croissance économique. Le District Ledger de Fernie, dont il avait été rédacteur en chef, lui rendit hommage en le rangeant parmi ceux qui, « par leur seule force de caractère et leur seule volonté, se hissent au-dessus des rangs des travailleurs, malgré de terribles obstacles, pour s’attaquer aux problèmes [...] de leur classe ». La syndicalisation permanente des bassins houillers de la passe du Nid-du-Corbeau et de l’Alberta fut la grande œuvre de sa trop brève carrière. Annie, sa fille aînée, devint une figure importante du Parti communiste et de la Blackball Miners’ Union en Nouvelle-Zélande. Son fils William fut organisateur de la United Mine Workers of America et mourut assassiné en 1933 dans le bassin houiller de Pennsylvanie.
L’auteur aimerait remercier les membres de la famille Sherman qui vivent à Surrey, C.-B., pour l’aide qu’ils lui ont apportée dans la préparation de la biographie. [a. s.]
Univ. of B.C. Library, Arch. and Special Coll. Div. (Vancouver), Sherman papers, particulièrement King à Sherman, 28 avril 1909 ; Sherman au District Board, 17 juin 1909.— District Ledger (Fernie, C.-B.), 16 oct. 1909.— Frank Paper (Frank, Alberta), 15 oct. 1909.— Voice (Winnipeg), 16 avril 1909.— D. J. Bercuson, Fools and wise men : the rise and fall of the One Big Union (Toronto, 1978).— W. J. C. Cherwinski, « Honoré J. Jaxon, agitator, disturber, producer of plans to make men think, and chronic objector [...] », CHR, 46 (1965) : 122–133.— Paul Craven, « An impartial umpire » : industrial relations and the Canadian state, 1900–1911 (Toronto, 1980).— Alan Derickson, Workers’ health, workers’ democracy ; the western miners’ struggle, 1891–1925 (Ithaca, N.Y., 1988), 54.— Hywel Francis et David Smith, The Fed : a history of the south Wales miners in the twentieth century (Londres, 1980), 2.— McCormack, Reformers, rebels, and revolutionaries.— Len Richardson, « Class, community and conflict : the Blackball Miners’ Union, 1920–1931 », Provincial perspectives : essays in honour of W. J. Gardner, Len Richardson et W. D. McIntyre, édit. (Christchurch, Nouvelle-Zélande, 1980).
Allen Seager, « SHERMAN, FRANK HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sherman_frank_henry_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/sherman_frank_henry_13F.html |
Auteur de l'article: | Allen Seager |
Titre de l'article: | SHERMAN, FRANK HENRY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |