PARTRIDGE, EDWARD ALEXANDER, instituteur, fermier, agrarien radical, homme d’affaires et auteur, né le 5 novembre 1861 près de Crown Hill, Haut-Canada, troisième fils de John Thomas Partridge et de Martha Chappell, cultivateurs ; en 1886, il épousa à Balcarres (Saskatchewan) Mary Elizabeth Stephens, et ils eurent trois filles et deux fils ; décédé le 3 août 1931 à Victoria.

Comme il existe peu de documentation substantielle sur Edward Alexander Partridge, il est difficile de dresser un portrait détaillé de cet homme irascible et idéaliste. Cependant, son cheminement au fil des grands développements économiques, sociaux et politiques survenus dans l’Ouest canadien, entre les années 1880 et le quasi-effondrement du capitalisme pendant la crise des années 1930, permet une certaine compréhension de sa vie.

Arrivés en 1819 dans le Haut-Canada en provenance de l'ouest de l'État de New York, les grands-parents paternels de Partridge s'établirent en bordure de la route de Penetanguishene, au nord-est de Barrie, avec d'autres membres de la parenté. Parmi leurs proches voisins se trouvait la famille de Charles Alfred Drury*, dont le fils Ernest Charles*, représentant politique des Fermiers unis, épouserait une Partridge. Orphelin de mère dès sa plus tendre enfance, Edward Alexander vécut quelque temps chez ses grands-parents méthodistes, vers 1871, pendant qu'il fréquentait l'école publique. Il termina ses études secondaires à Barrie, obtint un brevet d'enseignement et se fit instituteur. C'était un jeune homme cultivé, mais agité également, et qui connut un épisode d'athéisme, comme il le raconterait plus tard.

Partridge et son frère aîné, Henry Oscar*, partirent pour l'Ouest afin de pratiquer l'agriculture. Ils arrivèrent dans le district d'Assiniboia en décembre 1883, un an après que le chemin de fer canadien du Pacifique eut atteint Regina, et obtinrent une concession statutaire, près de la station ferroviaire au nord du hameau de Sintaluta (Saskatchewan). Comme il n'avait pas assez d'argent pour acheter l'équipement et les fournitures nécessaires à l'exploitation d'une ferme, Edward Alexander se remit à l'enseignement, d'abord près de Broadview, puis à Saltcoats et à Maple Green, près de Lemberg. D'avril à juin 1885, au cours de la rébellion du Nord-Ouest [V. Louis Riel*], il prit congé et servit dans la milice de Yorkton. Pendant qu'il enseignait, il fit la connaissance d'une jeune femme de la région de Balcarres, Mary Elizabeth Stephens. Ils se marièrent en 1886 et, ensemble, commencèrent à bâtir une ferme appelée Bluffs. D'après une photographie de l'époque, Partridge avait belle allure : il avait une moustache, le crâne bien garni et une lueur enjouée dans le regard.

Pour comprendre les idéaux que défendrait Partridge, il faut voir que son arrivée se situait dans le processus historique qui fit naître une population agricole dans l’Ouest. Les fermiers de cette région étaient des producteurs indépendants qui, selon les leaders du monde des affaires et de la politique, joueraient un rôle déterminant dans le développement économique du Canada. Ces fermiers entretiendraient des rapports directs avec des segments du groupe économiquement dominant des industriels, des sociétés de transport et des marchands céréaliers. Dans ces rapports, les fermiers étaient exploités, dirait Partridge. Ce qui le distinguait des autres personnes du même avis, c’était son interprétation très radicale de ce système, interprétation à partir de laquelle il édifierait une critique extrême de toute la société canadienne.

Le mouvement de protestation qui allait changer Partridge, et qu’il contribua à structurer, fit son apparition dans une période faste. À l’automne de 1901, l’Ouest connut une récolte de blé exceptionnelle. La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique et les entreprises d’élévateurs à grain n’étaient pas préparées à manutentionner un tel volume de céréales, surtout dans l’Assiniboia. Par conséquent, une bonne partie de la récolte se perdit. Un député fédéral de la région, James Moffat Douglas*, avait déjà tenté de réformer le réseau et, dans les années 1890, Henry Oscar Partridge avait pris des initiatives en vue d’organiser la manutention du grain sur une base coopérative. À la fin de 1901, Edward Alexander Partridge et quelques-uns de ses voisins discutèrent de la nécessité de relancer l’action. La communauté agricole, conclurent-ils, avait besoin d’une organisation qui parlerait, en son nom, de questions essentielles comme le commerce céréalier et les chemins de fer. En décembre, les premiers ministres du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest (Rodmond Palen Roblin et Frederick William Gordon Haultain*) se réunirent à Indian Head (Saskatchewan), pour discuter des relations futures de leurs régions. Partridge et d’autres fermiers du secteur y virent l’occasion d’exposer publiquement leurs problèmes. À la suite d’une assemblée à Indian Head, la Territorial Grain Growers’ Association fut officiellement formée en janvier 1902, et Partridge y jouerait un rôle très actif. Puis se fit un travail intensif pour former des sections locales en prévision du premier congrès en février.

Afin de faciliter la construction d’entrepôts à grain et de plates-formes de chargement, le Parlement fédéral modifia en toute hâte le Manitoba Grain Act au printemps de 1902. À l’automne, la récolte fut de nouveau très abondante, et les fermiers connurent encore des problèmes de transport. Ils s’adressèrent au bureau du district de Winnipeg de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, où on les assura que les clauses du Manitoba Grain Act seraient respectées. Après leur retour chez eux, rien ne changea. La Territorial Grain Growers’ Association intenta donc des poursuites contre le représentant de la compagnie à Sintaluta, le village de Partridge. L’association obtint gain de cause devant le magistrat, en l’occurrence le frère de Partridge, Henry Oscar. La compagnie interjeta appel et, en 1903, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest maintint le jugement.

Continuer à intenter des poursuites contre la société ferroviaire pour ses constantes infractions à la loi sur le commerce céréalier : telle était la demande dont Edward Alexander Partridge fut le principal défenseur au congrès annuel de la Territorial Grain Growers’ Association en 1903. L’attitude du gouvernement envers ce problème l’inquiétait, dit-il dans un discours. Par voie de résolution, le congrès demanda que la loi soit encore modifiée pour établir un mécanisme équitable d’allocation des wagons de marchandises. Les points principaux de ce changement seraient intégrés à la loi dans le courant de l’année. La société ferroviaire persista dans ses infractions, mais les fermiers furent encouragés, par leurs victoires judiciaires et par les modifications législatives obtenues, à élargir leurs revendications, ce qui annonçait un mouvement social beaucoup plus important. Comme ce serait souvent le cas dans les années qui suivraient, Partridge fit preuve de zèle : il souleva de nouvelles questions, suggéra des solutions inédites et exigea à chaque fois que l’on étudie de nouvelles possibilités.

En 1904, Partridge présenta, à l’assemblée générale de la Territorial Grain Growers’ Association, une communication sur les moyens d’accroître l’utilité de cet organisme et d’assurer sa permanence. La vente en coopérative, solution jadis prônée par son frère Henry Oscar, était l’une des manières d’augmenter les revenus des membres. En prenant l’exemple d’une coopérative du Minnesota, Edward Alexander Partridge commença à faire campagne pour la création dans les territoires d’une société commerciale coopérative dont les agriculteurs seraient propriétaires. Il proposa également une action politique plus directe et un journal « pour que [les] sections locales restent en contact les unes avec les autres et avec le comité directeur ». En outre, il pressa les fermiers de bien faire connaître leurs besoins législatifs aux gouvernements. Ces recommandations montrent que Partridge croyait aux structures politiques existantes et à leur utilisation plus efficace par les fermiers, ce qui contraste avec ses plaidoyers ultérieurs.

Malgré quelques gains législatifs, les agriculteurs restaient insatisfaits de la conduite du commerce céréalier. Un groupe de Sintaluta, ayant conclu qu’il fallait des renseignements de première main, envoya Partridge à la Winnipeg Grain and Produce Exchange pour enquêter. Il arriva le 7 janvier 1905 dans la capitale manitobaine où, selon le journaliste Hopkins Moorhouse, les négociants en grain, condescendants, repoussèrent « ce type Partridge » (l’expression allait rester). Un mois plus tard, il quitta les lieux, amer et convaincu que la bourse ne servait pas les intérêts des vrais producteurs de richesse - les fermiers - et que, plus que jamais, ceux de l’Ouest devaient former leur propre coopérative. Sur le chemin du retour, il s’arrêta à Brandon afin de prendre la parole à l’assemblée annuelle de la Manitoba Grain Growers’ Association. C’est là qu’il lança l’idée d’une coopérative de manutention du grain dont les fermiers seraient propriétaires.

De retour à Sintaluta, Partridge continua de militer. Il composa une lettre ouverte qui serait lue à des assemblées extraordinaires des associations de fermiers céréaliers du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest. Intitulé « Shall we co-operate to secure legitimate values for our wheat », ce document est important, car il rend compte de ses positions sur plusieurs questions primordiales et décrit pour la première fois de manière systématique la compagnie qu’il proposait. Son explication est écrite dans un langage résolument millénariste. Pour faire contrepoids au pouvoir des « requins de la finance » qui utilisaient la coopération « dans des limites étroites en vue de leur propre enrichissement », il fallait inculquer des principes coopératifs à d’autres composantes de la société afin de « faire advenir un âge d’or industriel ». Dès 1926, il conclurait que la coopération ne suffisait pas à contrer un système fondé sur une concurrence ruineuse et l’accumulation individuelle de la richesse. Cependant, en 1905, il poursuivait deux objectifs : instruire la population sur les conditions sociales et proposer une solution pratique - une compagnie par actions regroupant 1 000 fermiers qui vendraient leur blé collectivement. Des garanties, dont un nombre défini d’actions réservées aux agriculteurs, empêcheraient la compagnie de devenir la « proie des capitalistes ».

En octobre 1905, Partridge et d’autres fermiers de la région de Sintaluta se réunirent dans une quincaillerie locale en vue de former une coopérative. La Grain Growers’ Grain Company Limited prit naissance en janvier 1906. En avril, à Winnipeg, des représentants du Manitoba et de la nouvelle province de Saskatchewan organisèrent une campagne de vente d’actions. Dès l’été, malgré les obstacles, la compagnie, sous la présidence de Partridge, avait assez d’appuis pour justifier l’acquisition d’un siège à la bourse des céréales de Winnipeg. Sans tarder, les négociants établis tentèrent d’écraser la compagnie en suspendant ses droits de négoce. Leur manœuvre faillit réussir, mais, avec l’aide d’une coopérative écossaise de vente en gros, la compagnie vendit une certaine quantité de grain et survécut. Elle deviendrait la United Grain Growers en 1917.

L’offensive des négociants ne resta pas sans riposte. À l’initiative de Partridge, semble-t-il, la Manitoba Grain Growers’ Association poursuivit en 1906-1907 trois membres de la bourse pour complot en vue de restreindre la liberté du commerce. Il y eut non-lieu en mai 1907, mais hors cour, et sous la pression de la province, les droits de négoce de la Grain Growers’ Grain Company Limited avaient été restaurés en avril.

Dans leur vie personnelle, Edward Alexander et Mary Elizabeth Partridge connurent une série de malheurs. Le premier survint à l’automne de 1907. Victime d’un accident de lieuse pendant les moissons, Edward Alexander perdit son pied gauche ; cette blessure nécessiterait plusieurs visites médicales aux États-Unis. Son handicap n’entama pas sa détermination à améliorer le sort des agriculteurs. Après que, en avril, la Grain Growers’ Grain Company Limited se fut réorganisée en adoptant une formule moins explicitement coopérative et que lui-même eut dû quitter la présidence, sa lutte prit d’autres formes. Depuis longtemps, Partridge - et il n’était pas le seul - se disait préoccupé de la manière dont la presse rapportait les revendications des fermiers. En 1904, il avait réclamé sans succès que la Territorial Grain Growers’ Association se dote d’un organe officiel. En 1908, la Grain Growers’ Grain Company Limited et la Manitoba Grain Growers’ Association convinrent de produire un mensuel à Winnipeg, le Grain Growers’ Guide. Partridge en fut nommé rédacteur en chef. À cause d’un conflit - il souhaitait que le périodique soit le porte-parole à la fois des agriculteurs et du mouvement syndical, auquel, désormais, il s’intéressait aussi - et à cause de problèmes plus importants, il dirigea seulement le premier numéro, paru en juin. Toutefois, il continuerait d’y faire valoir ses positions sur les questions agricoles et sociales.

Quelques mois après le lancement de ce mensuel, Partridge y fit paraître sa proposition la plus radicale et contentieuse : étatiser les élévateurs à grain. C’était le « plan Partridge », qui consistait en une restructuration nationale du commerce de manutention du grain. Le gouvernement fédéral exploiterait les gigantesques élévateurs terminaux, et les provinces prendraient en charge les élévateurs de l’intérieur. En fait, la Saskatchewan Grain Growers’ Association avait accepté un tel programme à son congrès de février 1908. Même si, peu de temps auparavant, une commission fédérale sur le grain avait exprimé l’avis que l’étatisation n’était pas nécessaire, l’idée regagna du terrain parce que Partridge l’avait relancée dans le Grain Growers’ Guide. À l’automne, les trois premiers ministres des Prairies l’adoptèrent. Le Manitoba entreprendrait une étatisation partielle ; la Saskatchewan et l’Alberta opteraient pour la solution des coopératives. En 1909, Partridge, bien déterminé, se rendit à Ottawa en tant que membre d’une délégation de cultivateurs de céréales pour réclamer que le gouvernement fédéral devienne propriétaire des élévateurs terminaux.

Parmi d’autres projets, Partridge prit également part à la création d’une fraternité nationale des agriculteurs et au fameux « siège d’Ottawa ». Il était l’un des leaders de l’Ouest qui se rendirent à Toronto en 1909 pour l’assemblée annuelle de la Grange fédérale, dont le président était Ernest Charles Drury. La Grange, les associations de céréaliers de l’Ouest et la Farmers’ Association of Ontario [V. Caleb Alvord Mallory*] formèrent le Canadian Council of Agriculture au cours de cette assemblée. L’idée d’organiser une grande marche sur Ottawa avait été évoquée dans le Grain Growers’ Guide dès août 1908. Dans les mois suivants, la question fut discutée à diverses réunions, un important exposé de principe, que le périodique appelait la charte des droits des fermiers, fut rédigé, et le Canadian Council of Agriculture appuya de tout son poids le projet d’envoyer un groupe à Ottawa pour faire pression sur le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier* afin que soit réglée une longue liste de questions agricoles [V. James Speakman*]. Une délégation fut formée à la fin de 1910. De 850 à 1 000 personnes, parmi lesquelles de 500 à 600 représentants de l’Ouest, convergèrent vers Ottawa et, le 16 décembre, manifestèrent devant le Parlement. Dans un acte singulier, le gouvernement leur permit d’entrer à la Chambre des communes pour faire entendre leurs revendications. Les fermiers présentèrent le premier exposé explicite des griefs de leur mouvement, qui portait notamment sur les chemins de fer, les élévateurs terminaux, les banques, les coopératives et les tarifs commerciaux. Ce document deviendrait la plateforme des agriculteurs. Partridge, qui faisait partie de la délégation, mais dont le rôle semble avoir été discret, eut l’occasion de plaider pour le remplacement du tarif par un impôt foncier. Pendant le voyage, il trouva aussi le temps de parler des problèmes des agriculteurs au Canadian Club de Toronto et à celui d’Ottawa.

En 1912, Partridge se querella avec la Grain Growers’ Grain Company parce qu’un membre du comité directeur avait fait un achat spéculatif d’avoine. Estimant que le président de la compagnie, Thomas Alexander Crerar*, devait aussi être congédié, il claqua la porte et tenta de former sa propre compagnie de grain. Cependant, la gestion n’était pas son fort et, faute d’appuis, son entreprise fit faillite. En 1916, les membres du conseil d’administration de la Grain Growers’ Grain Company, par égard pour leur ancien collègue, commenceraient à envoyer de l’argent à Partridge.

Après le début de la Première Guerre mondiale, en août 1914, les agriculteurs et autres groupes mirent une sourdine à leurs revendications. La période des hostilités apporta à Mary Elizabeth et Edward Alexander Partridge un lot inimaginable de chagrins. Déjà, le 14 juin, leur fille May Virginia s’était noyée en se baignant près de la ferme. Quant à leurs deux fils, ils se laissèrent gagner par la ferveur patriotique. Harold Edward s’enrôla dans la Royal Air Force et Charles Grover, dans la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry. Comme cela semble toujours être le cas dans la guerre, une des calamités du conflit européen fut la destruction de la jeunesse. À peine deux ans après le décès de May Virginia, Charles Grover fut porté disparu ; sa mort survint, apparemment le 15 septembre 1916. La nouvelle que Harold Edward avait été tué au cours d’un vol d’entraînement en Angleterre arriva en 1918.

Pendant un certain temps, on le comprendra, Partridge s’absenta des réunions et délaissa l’action politique. Il refit surface en 1919 et réussit à empêcher William Richard Motherwell* - l’ancien président de la Territorial Grain Growers’ Association qui s’était opposé au plan Partridge - de porter la bannière libérale à l’élection partielle fédérale dans Assiniboia. Le candidat des Fermiers unis, Oliver Robert Gould, remporta ce scrutin par une forte majorité. Partridge prit également part à la campagne en vue des élections générales de 1921. Même s’il en était venu à dédaigner la politique parlementaire, des voisins le persuadèrent de se présenter à l’assemblée de mise en candidature du nouveau Parti progressiste - coalition d’agriculteurs des Prairies et de libéraux dissidents [V. John Douglas Fraser Drummond*] - dans la circonscription de Qu’Appelle. Il profita de l’occasion pour dénoncer le caractère antidémocratique du processus, mais, assez curieusement, le titre de candidat lui échappa par six voix seulement, au profit d’un fermier d’Indian Head, John Millar.

En matière d’économie, dans les années 1920, Partridge appuya le rétablissement de la Commission canadienne du blé, supprimée en 1920 malgré la stabilité qu’elle avait apportée aux agriculteurs. Ses efforts n’aboutirent pas au résultat visé, mais, avec la tendance vers la mise en commun du blé, ils contribuèrent à la formation des United Farmers of Canada (section de la Saskatchewan) en 1926. Cette section, qui représentait les agriculteurs plus progressistes, adopta à son premier congrès, en mars 1927, une résolution exprimant son admiration et son respect envers Partridge, puis créa pour lui le poste de président honoraire.

Tout au long de son cheminement intellectuel, qui aboutirait en 1925 à la publication de son ouvrage le plus frappant, Partridge prôna le changement social. Dès 1905, en se disant préoccupé par la répartition inégale de la richesse dans la société, il était allé plus loin que la Saskatchewan Grain Growers’ Association, alors réformiste libérale. Deux ans plus tard, dans un opuscule sur la Grain Growers’ Grain Company, il affirmait que les « classes capitalistes » s’étaient liguées pour dominer la presse, le système d’éducation et le processus législatif. L’étatisation des élévateurs réclamée dans le plan Partridge s’inscrivait dans la lutte « contre le commercialisme et l’industrialisme brutaux ». En 1913, après que les délégués de la Saskatchewan Grain Growers’ Association eurent rejeté une proposition en faveur de l’entrée de leur organisme en politique, il fonda la No-Party League of Western Canada. Écrit par lui-même et publié, le manifeste de ce groupe éphémère avançait une foule d’idées sociales-démocrates ; par exemple, il dénonçait l’« inégalité et [le] manque de fraternité » et préconisait la conclusion d’une alliance entre agriculteurs et travailleurs urbains. Comme l’explique l’historien Richard Allen, les contributions de Partridge au Grain Growers’ Guide de 1909 à 1919 montrent qu’il était animé par « un christianisme éthique et pratique mêlé de socialisme ruskinien ». Selon Partridge, il fallait appliquer le christianisme en politique et dans une société où la richesse et la concurrence ne faisaient que retarder l’avènement du royaume de Dieu. Une telle ardeur à propager le Social Gospel se retrouvait chez d’autres leaders du mouvement agricole de l’Ouest, parmi lesquels Percival Baker* et Henry Wise Wood*. Dans le cas de Partridge, elle pourrait s’expliquer en partie par l’expérience religieuse de ses jeunes années ontariennes.

Peut-être en raison de son handicap physique, peut-être par désir de rester auprès de sa chère femme, Partridge, semble-t-il, voyagea peu dans les années 1920. Au lieu de cela, il s’inspira de ses lectures nombreuses et variées, notamment des œuvres du démocrate allemand Walther Rathenau, du philosophe Bertrand Russell et de la députée fédérale canadienne Agnes Campbell Macphail*, pour écrire A war on poverty : the one war that can end war. Ce livre de 225 pages fut publié à compte d’auteur à Winnipeg, probablement en 1925. Virulente dénonciation des capitalistes, de la grande industrie et de la pauvreté, appel à l’action adressé aux travailleurs sous-payés et aux démunis victimes d’exploitation, l’ouvrage expose les panacées de Partridge. Vers le milieu des années 1920, il exprimait des opinions plus radicales que jamais. Cet ouvrage ne se distingue ni par sa valeur littéraire ni par une argumentation serrée ; Partridge lui-même disait, à juste titre, que c’était un « pot-pourri » de faits, de fiction et d’incitations. Cependant, il donne un aperçu de certaines qualités fondamentales de l’auteur : son humanitarisme constant, son optimisme infatigable, son pacifisme engagé, et sa fierté inébranlable d’être utopiste.

Le livre comporte peu d’aspects biographiques, mais aide à retracer comment évoluèrent les idées de Partridge sur l’existence et la religion. Les références à l’Être suprême sont nombreuses. Partridge ne pouvait accepter un Dieu qui montrait « plus de domination que de componction, plus d’orgueil que de pitié, plus d’arrogance royale que d’affection paternelle ». De cette attitude était née la crise qui l’avait conduit, dans sa jeunesse, à se définir temporairement comme un athée. Puis, inspiré par les enseignements de Jésus, il avait changé : « J’ai cherché le réconfort dans les très estimées paroles de son Évangile de “paix sur la terre aux hommes de bonne volonté” - si seulement l’humanité avait accepté cette parole avant la dernière guerre - tout comme dans son Abrégé de science sociale, qui tient en une seule phrase, “Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux”. » À n’en pas douter, sa conception de la présence manifeste de la divinité sur terre se situait dans la tradition du Social Gospel. Dans son texte d’introduction, intitulé « Call to conference » - qui, semble-t-il, avait déjà paru sous forme d’opuscule -, il interpellait les chrétiens. À propos du Notre Père, il écrivait : « Prier chaque matin pour l’avènement du règne de Dieu et ne pas l’attendre et, plus encore, ne pas y travailler, voilà qui semble inepte. Pour œuvrer en vue d’un état ou d’une condition, il faut en avoir une quelconque représentation mentale. Le royaume des cieux évoque pour moi une communauté coopérative. Je n’ai nul désir de le conquérir par la violence, étant satisfait de contribuer à son avènement en répandant parmi mes semblables, au moyen de l’écrit, la conviction qu’il est désirable et réalisable. » Une des conditions préalables de la communauté coopérative était la formation d’un État indépendant et idyllique dans l’Ouest canadien, un État appelé Coalsamao (amalgame de lettres provenant du nom des provinces concernées, dont une partie de l’Ontario). C’est dans cet État exemplaire, décrit en détail par Partridge, que son programme social pourrait se réaliser.

A war on poverty permet de mieux comprendre son auteur, mais n’eut aucun effet durable. En théorie, la colonie utopique fondée par William Charles Paynter près de Spy Hill, en Saskatchewan, se rapprochait des utopies exposées dans le livre de Partridge et dans un roman de Robert James Campbell Stead* paru à Toronto en 1920, Dennison Grant […], mais elle fut éphémère. On peut établir un parallèle entre les espérances millénaristes de Partridge et la pensée d’adeptes du Social Gospel, tels Albert Edward Smith* et William Ivens*. L’idée d’une communauté coopérative est peut-être liée au marxisme, mais elle l’est plus directement, au Canada, avec les opinions de George Keen* et James Shaver Woodsworth*, disciples du mouvement coopératif. Néanmoins, en tant qu’authentique exposé utopiste, A war on poverty n’a pas son pareil parmi les pamphlets sociaux publiés au Canada dans les années 1920. Malgré son caractère décousu, la sincérité de la pensée sociale de Partridge apparaît clairement dans cet ouvrage.

Après avoir terminé ce livre, Partridge connut une autre tragédie familiale ; cette fois, il ne s’en remettrait pas. En 1925, pendant qu’il jardinait avec sa femme, elle succomba à une crise cardiaque. Un an plus tard, alors dans la soixantaine, il quitta définitivement les Bluffs et s’installa à Victoria pour être près de la plus jeune de ses filles, Enid Mary. Il continua par la suite de s’intéresser à la politique. Sa critique du capitalisme se radicalisa encore plus. Il croyait de moins en moins en la coopération et jugeait nécessaire de transformer les structures économiques du capitalisme. Il correspondait avec des militants des United Farmers of Canada et d’un groupe communiste créé à Saskatoon en 1930, la Farmers’ Unity League. Une de ses dernières communications écrites qui subsistent est une lettre adressée à l’assemblée annuelle des Fermiers unis en 1931. Il y prônait une restructuration socialiste radicale dont l’un des aspects était la formation d’un « gouvernement des travailleurs » qui serait populaire autant auprès des « fermiers sans le sou, sans marché » que des « salariés sans emploi, sans propriété ». Une telle restructuration représenterait l’accomplissement de l’une des prophéties d’Ésaïe (chap. LXV, 21-22).

Au début des années 1930, tandis que s’amorçait la grande dépression, si dévastatrice pour la Saskatchewan, Edward Alexander Partridge allait prendre une décision ultime. Le régime capitaliste qu’il en était venu à exécrer semblait s’écrouler. Des mouvements politiques radicaux voyaient le jour ; la Fédération du Commonwealth coopératif serait fondée à Calgary en 1932 par Woodsworth, entre autres. Mais, en 1931, Partridge était malade : l’arthrite et sa jambe le faisaient souffrir. Sa femme était morte, son seul revenu était une mensualité de 75 $ versée par la United Grain Growers Limited, et même s’il pouvait encore écrire des lettres, il savait très bien qu’il ne jouerait sans doute plus un rôle clé dans les événements qui, il l’espérait, allaient survenir. Alors, le 3 août 1931, dans la chambre de la pension où il logeait à Victoria, il ouvrit le gaz et s’asphyxia.

K. Murray Knuttila

Edward Alexander Partridge est l’auteur de Manifesto of the No-Party League of Western Canada (Winnipeg, 1913), de National wheat marketing (s.l., [1921 ?]) et de A war on poverty : the one war that can end war (Winnipeg, [1925]).

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K. Murray Knuttila, « PARTRIDGE, EDWARD ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/partridge_edward_alexander_16F.html.

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Auteur de l'article:    K. Murray Knuttila
Titre de l'article:    PARTRIDGE, EDWARD ALEXANDER
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2011
Année de la révision:    2011
Date de consultation:    20 nov. 2024