Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2894990
WOLFE, JAMES, officier, commandant de l’expédition britannique qui s’empara de Québec en 1759, né à Westerham, Angleterre, le 2 janvier 1727 (nouveau style), décédé le 13 septembre 1759 à la suite des blessures reçues lors de la bataille des plaines d’Abraham. Il était le fils du lieutenant général Edward Wolfe, respectable officier dont la carrière ne fut pas particulièrement distinguée, et de Henrietta Thompson.
James Wolfe fréquenta différentes écoles à Westerham puis à Greenwich où sa famille alla se fixer en 1738 ; en 1740, la maladie l’empêcha de prendre part, à titre de volontaire, à l’expédition contre Carthagène (Colombie), dans laquelle son père était officier d’état-major ; en 1741 il reçut sa première affectation, sous-lieutenant dans le 1er régiment d’infanterie de marine dont Edward Wolfe était le colonel. Toutefois, il ne servit jamais activement dans l’infanterie de marine, et en 1742 il passa au 12e régiment d’infanterie avec le grade d’enseigne et traversa en Belgique. L’année suivante – il avait alors 16 ans – il reçut le baptême du feu en Bavière, à la bataille de Dettingen, et fut par la suite promu lieutenant. En 1744 il était nommé capitaine dans le 4e régiment d’infanterie et en 1745 il retournait en Angleterre avec l’armée rapatriée pour faire obstacle à l’invasion du prince Charles Édouard, dit le Jeune Prétendant. En janvier 1746 il était à Falkirk, Écosse, avec l’armée anglaise, lorsque celle-ci fut défaite. Peu après il devint aide de camp du lieutenant général Henry Hawley. C’est à ce titre qu’il prit part à la bataille de Culloden (16 avril 1746) ; à cette occasion peut-être eut-il à obéir à un ordre donné par William Augustus, duc de Cumberland, de faire feu sur un highlander blessé. En janvier 1747, il retourna sur le continent où servait le 4e régiment d’infanterie et le 2 juillet il fut blessé au cours de la bataille de Laffeldt. Après un congé passé en Angleterre, il fut de nouveau envoyé aux Pays-Bas avec le grade de major de brigade. À la fin de la guerre de la Succession d’Autriche, en 1748, il fut nommé major dans le 20e régiment d’infanterie alors cantonné en Écosse. Il devint lieutenant-colonel suppléant et, en pratique, commandant du régiment, après la nomination d’Edward Cornwallis* au poste de gouverneur de la Nouvelle-Écosse. Pendant qu’il était à Glasgow, Wolfe étudia le latin et les mathématiques. Il passa les quelques années qui suivirent presque entièrement en Écosse où son régiment fut employé, une partie du temps, à la construction de routes. Il fut confirmé dans son grade de lieutenant-colonel en 1750. En 1752 il visita l’Irlande et ce même automne il se rendit à Paris où il séjourna pendant six mois. Par la suite il rejoignit le 20e régiment d’infanterie en Écosse et avec lui se rendit dans le sud de l’Angleterre.
La première fois que Wolfe prit part activement à la guerre de Sept Ans, lors de l’expédition de 1757 contre Rochefort, sur la côte française de Gascogne, il occupait le poste de quartier-maître général. L’entreprise se solda par un échec car rien d’efficace ne fut vraiment tenté. La participation personnelle de Wolfe à l’affaire n’est pas aussi claire que ses biographes le disent ; toutefois, il semble avoir effectué une reconnaissance et suggéré un plan d’attaque. Lors de l’enquête qui eut lieu par la suite sur la conduite de son ami, sir John Mordaunt, le commandant militaire, sa déposition, il va de soi, fut faite en termes mesurés ; mais dans sa correspondance privée, il eut des mots cinglants à l’égard de son ami pour son défaut d’attaquer. Sa réputation personnelle, loin d’en avoir souffert, semble plutôt y avoir trouvé son profit ; immédiatement après cet échec, le 2e bataillon du 20e régiment d’infanterie fut converti en un nouveau régiment, le 67e, et Wolfe en devint le colonel. C’est le plus haut grade effectif qu’il atteindra au cours de sa carrière.
En janvier 1758 il devenait de plus en plus évident qu’on voyait en Wolfe un militaire particulièrement remarquable. Un autre officier relativement jeune dans la carrière, le colonel Jeffery Amherst*, fut promu major général et placé à la tête d’une expédition contre Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton). On donna à Wolfe le grade temporaire de « général de brigade en Amérique » et on lui confia le commandement d’une des trois brigades, les deux autres commandants étant Charles Lawrence, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, et Edward Whitmore, qui se trouvait déjà sur le théâtre des opérations en Amérique. Wolfe s’embarqua en février sur le vaisseau amiral de l’amiral Edward Boscawen, le Princess Amelia, qui atteignit Halifax seulement le 9 mai. Amherst lui-même n’était pas encore arrivé. En l’attendant, la troupe fut soumise à l’entraînement tandis que Boscawen et les généraux de brigade élaboraient les plans du débarquement à Louisbourg. Le 28 mai, l’expédition quitta Halifax sans son commandant militaire mais, heureusement, elle le rencontra juste à la sortie du port. La flotte et les transport de troupe jetèrent l’ancre dans la baie de Gabarus, près de Louisbourg, les 2 et 3 juin. Dans la soirée du 2 juin, Amherst, en compagnie d, Lawrence et Wolfe, alla « reconnaître le rivags d’aussi près que possible ». Amherst se montra en désaccord avec la stratégie établie avant son arrivée et qui prévoyait un débarquement à l’est de Louisbourg ; il décida plutôt de mettre pied à terre à l’ouest de la ville. D’après l’auteur anonyme du « Journal of the expedition against Louisbourg » qui se trouve parmi les papiers de Robert Monckton* (ce dernier était toutefois absent), Wolfe « s’éleva contre cette attaque au Conseil » ; il n’en joua pas moins un rôle de premier plan lors de sa mise à exécution.
Le mauvais temps retarda le débarquement jusqu’au 8 juin. Wolfe, à la tête des compagnies de grenadiers de l’armée, du bataillon improvisé d’infanterie légère sous le commandement du major George Scott, des compagnies de rangers, des highlanders de Fraser, devait attaquer réellement par la gauche dans l’anse de la Cormorandière (Kennington Cove) tandis que la brigade de Lawrence exécuterait une feinte plus à l’est, à Pointe Platte (Simon Point) ; Whitmore tenterait également une diversion, plus près encore de la ville, à Pointe Blanche (White Point). De fait les Français s’étaient retranchés au-dessus de la grève choisie pour l’assaut, et aussitôt que les embarcations anglaises s’approchèrent ils ouvrirent le feu nourri des mousquets et de l’artillerie. Il est dit que Wolfe donna aux bateaux le signal de se tenir à distance. Quelques-uns d’entre eux, affectés au transport de l’infanterie légère, réussirent toutefois à gagner le rivage et débarquèrent les hommes dans un endroit rocheux à l’est de la plage ; ils reçurent rapidement du renfort, Wolfe donnant hardiment l’exemple, et ce, en dépit des rochers et des brisants qui firent couler ou endommagèrent bon nombre d’embarcations. Pris de panique, les Français, commandés par Jean Mascle de Saint-Julhien, abandonnèrent leur position, et les brigades de Whitmore et de Lawrence, s’élançant à la suite de Wolfe, débarquèrent à leur tour. Ainsi les forces anglaises réussirent à établir une tête de pont sur l’île avec des pertes relativement légères et elles étaient prêtes à entreprendre les opérations du siège, même si celles-ci furent retardées par le mauvais temps persistant qui empêchait le débarquement des canons et des munitions.
Au cours des semaines que dura le siège, Wolfe ne commanda pas une brigade de formation régulière. Les hommes sous son commandement constituaient un rassemblement ad hoc de troupes d’élite, qui groupait en particulier des fantassins et des grenadiers ; Amherst commença par envoyer ces troupes en mission spéciale, pendant que Whitmore et Lawrence (qui sont rarement mentionnés dans le journal d’Amherst ou dans les comptes rendus de l’époque) restaient avec l’ensemble des troupes. Le 12 juin, Amherst s’aperçut que les Français avaient évacué et détruit la Grande Batterie ou batterie Royale, du côté nord du hâvre et la batterie de la Lanterne du côté est de l’entrée. Il donna alors à Wolfe l’ordre de prendre la tête de 1 200 hommes de troupe, quatre compagnies de grenadiers, trois compagnies de rangers et des fantassins (selon une version), puis de se déplacer autour du port jusqu’à la pointe où était située la tour de la Lanterne, en vue d’y établir des batteries pour réduire au silence la batterie de l’Îlot, à l’entrée du port, et détruire les vaisseaux ennemis dans le port ; les canons nécessaires à l’opération furent acheminés par mer. L’artillerie de Wolfe ouvrit le feu sur la batterie de l’Îlot et sur les vaisseaux dans la nuit du 19 juin, et au soir du 25 juin la batterie investie se taisait. Amherst donna alors instruction à Wolfe de revenir avec son artillerie en contournant le port tandis que des canons de bord les remplaceraient à la batterie de la Lanterne, puis de « tenter de détruire la flotte et d’avancer en direction de la porte de l’ouest ». Dès ce moment, on peut dire que Wolfe commanda l’attaque sur la gauche, c’est-à-dire l’attaque la plus au nord de la forteresse. Dans une version du journal d’Amherst parue à l’époque, la mention de Wolfe à la date du 3 juillet comme « faisant une poussée en avant à droite » a induit en erreur plusieurs auteurs ; la version personnelle d’Amherst, publiée par J. C. Webster*, indique que c’est en réalité le major du génié, Patrick Mackellar* qui se livra à cette manœuvre. À cette date les nouvelles batteries de Wolfe canonnaient les vaisseaux sans relâche et, le 6 juillet, la frégate commandée par Jean Vauquelin*, l’Aréthuse, qui avait grandement gêné l’avance des assiégeants par son tir soutenu, fut contrainte d’abandonner sa position près de l’anse du Barachois. Wolfe continua de faire avancer ses batteries toujours plus près des défenses de la ville qui subissaient, tout comme les vaisseaux, des dégâts de plus en plus sérieux. Le 21 juillet un coup porté par l’artillerie de Wolfe mit le feu à un vaisseau ; l’incendie se propagea à deux autres vaisseaux et tous trois furent détruits. À l’aube du 26 juillet, un détachement de la marine pénétra dans le port et s’empara des deux vaisseaux français qui s’y trouvaient encore. Les plans élaborés pour faire pénétrer les vaisseaux anglais dans le port et livrer une attaque concertée de l’armée et de la marine furent abandonnés lorsque, ce même jour, Boschenry de Drucour, le gouverneur, capitula. Tout au long du siège, Wolfe, il n’y a pas à en douter, s’était révélé un officier efficace et actif, et ses mérites furent forcément portés à l’attention du gouvernement anglais et de la population par suite de la prompte parution du journal d’Amherst et d’autres comptes rendus.
L’amiral Boscawen décida, probablement avec sagesse, que la saison était trop avancée pour pousser jusqu’à Québec et poursuivre la campagne entreprise. Wolfe s’était montré partisan de cette action audacieuse et, le 8 août, dans une lettre à Amherst qui frisait l’insolence, il suggéra avec insistance qu’à la place ils pourraient « lancer l’offensive et la guerre de destruction dans la baie de Fundy et dans le golfe du Saint-Laurent. Je vous prie d’excuser cette liberté que je prends, ajoutait-il, mais je ne puis observer de sang-froid les incursions sanglantes de cette meute infernale que sont les Canadiens ; et si rien de plus ne doit s’accomplir, je dois souhaiter obtenir la permission de quitter l’armée » C’est peut-être à la suite de cette suggestion que Monckton (demeuré à Halifax pendant le siège de Louisbourg) reçut l’ordre d’aller détruire les établissements français de la vallée de la Saint-Jean ; le lieutenant-colonel lord Rollo fut chargé d’aller prendre possession de l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) ; et Wolfe, à la tête de trois bataillons convoyés par une escadre de neuf navires de guerre sous le commandement de sir Charles Hardy, eut la mission de détruire les établissements et les pêcheries du golfe du Saint-Laurent. L’escadre quitta Louisbourg le 29 août et jeta l’ancre devant Grande-Grève, dans la baie de Gaspé, le 4 septembre. L’expédition est rapportée en détail dans le journal du capitaine Thomas Bell qui, manifestement, agissait déjà en qualité d’aide de camp de Wolfe et qui conservera cette fonction l’année suivante au cours de la campagne de Québec. La plus grande partie de la population s’était enfuie dans les bois, mais un certain nombre furent faits prisonniers et on tenta de les utiliser pour négocier avec les fugitifs. Un détachement monté dans des embarcations reçut instruction d’aller détruire les établissements le long du golfe, vers le sud-ouest et la baie des Chaleurs. Un autre groupe s’engagea dans une pénible marche le long du Saint-Laurent pour se livrer aux mêmes ravages à Mont-Louis. D’autres hommes sous le commandement du colonel James Murray* allèrent dévaster les agglomérations situées sur les bords de la rivière Miramichi. Bell prétend qu’on infligea beaucoup de souffrances inutiles à la population de ces villages éloignés en raison de la hâte extrême qu’avait la marine de quitter ces eaux le plus tôt possible et aussi à cause de « la rage traditionnelle qu’a le marin de piller ». Mais même à Gaspé, où Wolfe lui-même était présent, « le général donna des ordres pour que tout soit brûlé » ce qui fut fait les 10 et 11 septembre. Dans la région de la Miramichi, Murray « détruisit toutes les maisons etc. et une bonne église de pierre ». Un grand nombre de « chaloupes » et de grandes quantités de provisions de toutes sortes furent incendiées. Les troupes de Wolfe retournèrent à bord les 25 et 26 septembre et atteignirent Louisbourg le 30. Ce jour-là, Wolfe fit rapport à Amherst qu’il avait accompli sa mission et il l’écrivit dans des mots qui portent à croire qu’il avait oublié que lui-même avait proposé l’expédition : « Nous avons fait beaucoup de dommages, répandu la terreur des armes de sa majesté par tout le golfe, mais nous n’avons rien fait pour en grandir la renommée. »
Bell note que Wolfe, « aussitôt qu’il eut découvert quel petit rôle il avait à jouer, avait voulu que sir C. Hardy décide de se rendre à Québec ou, à tout le moins, fasse une partie de la route afin de détruire leurs établissements ». Mais Hardy avait fait des difficultés. À ce qu’il avait précédemment écrit, Bell ajouta plus tard le commentaire suivant : « Si sir Charles Hardy s’était rangé à la suggestion de Wolfe, Québec serait certainement tombé. » En réalité, le plan de Wolfe semblait extrêmement téméraire et il est plus que douteux qu’avec les effectifs restreints dont il disposait il eût pu s’emparer de Québec.
Wolfe retourna immédiatement en Angleterre car il avait compris que c’était là l’intention du commandant en chef de l’armée britannique, John Ligonier ; de plus, par suite de son mauvais état de santé « et d’autres circonstances » il était désireux d’obéir. En arrivant à Londres, toutefois, il apprit que des instructions avaient été données pour qu’il demeure en Amérique. Dans une lettre à William Pitt, en date du 22 novembre 1758, il présenta des excuses et poursuivit en ces termes : « Je prends la liberté de vous informer que je n’ai aucune objection à servir en Amérique, et en particulier sur le fleuve Saint-Laurent, si des opérations y sont menées. » Il y a incertitude quant à savoir s’il avait mentionné le Saint-Laurent de son propre chef ou si certaines suggestions dans ce sens avaient déjà été faites. Dans une lettre à Amherst (maintenant nommé commandant en chef en Amérique), en date du 29 décembre, il décrit sans beaucoup de précision, le déroulement des événements qui décidèrent de sa propre participation à la campagne de l’année suivante. Lors de sa première entrevue avec Ligonier, à une date indéterminée, il apprit que le projet était d’attaquer par deux voies : par le lac Saint-Sacrement (lac George) et aussi par le Saint-Laurent avec Québec comme destination. Wolfe déclara : « J’ai exprimé le désir de remonter le fleuve mais en étant dispensé de prendre la direction principale d’une aussi lourde entreprise. » Il se rendit ensuite à Bath mais « environ une semaine » plus tard il était rappelé à Londres pour prendre part à une réunion « de quelques-uns des principaux officiers de l’État ». Pendant son absence, « M. Pitt, dit-il, [l’]avait désigné au roi pour le commandement sur le fleuve ». Il semble assez vraisemblable que c’est Ligonier qui l’avait recommandé. Une commission portant la date du 12 janvier 1759 nommait Wolfe major général et commandant des forces de terre de l’expédition contre Québec. Les instructions secrètes du roi portant la date du 5 février, lui ordonnaient, à la fin de la campagne, de s’attribuer la fonction de « général de brigade en Amérique du Nord » sous le commandement d’Amherst.
Wolfe écrivit à son oncle, le major Walter Wolfe : « J’aurai à jouer dans cette affaire un rôle plus grand que je ne l’eus souhaité ou désiré. Le peu d’empressement de certains des plus anciens officiers a, jusqu’à un certain point, contraint le gouvernement à choisir beaucoup plus bas. » Le service en Amérique ne jouissait pas d’une bien grande popularité. Puisqu’il fallait confier le commandement à un officier plus jeune dans le métier des armes, la brillante réputation dont s’était paré Wolfe à Louisbourg en faisait le choix tout indiqué. En le nommant, toutefois, Pitt prenait un risque considérable car le jeune général n’avait jamais eu à faire les plans d’une campagne indépendante ni à les mener à bien. Même si à Québec il devait techniquement servir sous les ordres d’Amherst, effectivement il commanderait seul et Amherst ne pourrait ni l’aider ni le conseiller. On lui donna une excellente armée dont le noyau était constitué de dix bataillons d’infanterie de l’armée régulière anglaise déjà en service en Amérique. Néanmoins l’effectif était incomplet car l’armée ne comptait en tout que 8 500 hommes au lieu des 12 000 que Pitt souhaitait y affecter, mais la qualité était hors pair. De plus, Wolfe jouissait apparemment d’une grande liberté dans le choix de ses officiers, point sur lequel il avait cherché à mettre l’accent lors de ses pourparlers avec Ligonier. De Louisbourg il avait écrit : « Si sa majesté avait jugé bon de laisser Carleton venir avec nous en qualité d’ingénieur de même que Delaune et deux ou trois autres dans l’infanterie légère, cela aurait simplifié de beaucoup les choses. » En 1759, George II se laissa convaincre d’autoriser Guy Carleton* à accompagner Wolfe comme quartier-maître général suppléant ; le capitaine William DeLaune du 67e régiment d’infanterie de Wolfe fut aussi intégré à l’armée. Toutefois Wolfe ne gagna pas son point sur une autre très importante assignation. L’intention première avait été de confier les trois postes de général de brigade à Monckton, Murray et Ralph Burton, un choix qui semblait convenir parfaitement à Wolfe. À la dernière minute, toutefois, Burton, un ami intime de Wolfe, fut mis de côté en faveur de l’honorable George Townshend*, fils aîné du 3e vicomte Townshend. Les circonstances de l’affaire n’ont jamais été éclaircies mais la nomination portait en elle le germe de difficultés à venir. Le vice-amiral Charles Saunders*, officier compétent et modeste, assumait le commandement naval et il était secondé par le contre-amiral Philip Durell. (que Wolfe semble avoir appris à détester à Louisbourg) ; le troisième officier supérieur était le contre-amiral Charles Holmes. Les forces navales comptaient 49 voiles, dont 22 étaient armées de 50 canons ou plus.
La santé de Wolfe était peu florissante au moment où il commença les préparatifs de cette énorme entreprise. Il avait écrit, en décembre 1758 : « Je suis en bien mauvaise santé, souffrant à la fois de gravelle et de rhumatisme, mais j’aimerais mieux mourir plutôt que de refuser toute occasion de service qui pourrait se présenter. » Ces deux affections réunies, qui étaient plus que certainement de nature à rendre une personne irritable et peu commode, ont sans nul doute contribué à la détérioration des rapports entre Wolfe et ses subordonnés, à mesure que progressait la campagne. Son état de santé n’empêcha toutefois pas Wolfe de faire la cour à Katherine, fille de Robert Lowther, et plus tard duchesse de Bolton. La correspondance qu’ils échangèrent n’a pas été conservée et on n’est pas sûr s’ils se fiancèrent officiellement ; toutefois la mention du nom de Katherine Lowther dans le testament de Wolfe et aussi une lettre que celle-ci écrivit après la mort de Wolfe portent à croire qu’ils comptaient s’épouser.
Wolfe quitta Portsmouth à la mi-février 1759 sur le vaisseau amiral de Saunders, le Neptune. La traversée fut longue, et lorsqu’ils arrivèrent en vue de Louisbourg, où ils comptaient ancrer, les glaces empêchèrent la flotte d’approcher. Ils poursuivirent leur route jusqu’à Halifax où ils arrivèrent le 30 avril. À cet endroit, ils constatèrent, à la profonde indignation de Wolfe, que l’escadre de Durell y était toujours à l’ancre malgré les ordres qu’il avait reçus de pénétrer dans le Saint-Laurent le plus tôt possible pour faire en sorte que les ravitaillements et les renforts français ne puissent atteindre Québec. Les glaces l’avaient empêché d’obtempérer mais n’avaient pas pour autant empêché 20 vaisseaux venus de France, presque tous des vaisseaux d’approvisionnement, de remonter le Saint-Laurent. Sans ces ravitaillements, les Français n’auraient vraisemblablement pas pu tenir pendant tout l’été. Durell quitta finalement Halifax le 5 mai. L’armée qui était concentrée à Louisbourg prit, elle aussi, la route de Québec le 4 juin. L’escadre de Durell remonta rapidement le Saint-Laurent et, pas plus que le gros des forces qui venaient par derrière, elle ne fut sérieusement retardée par les difficultés du chenal, ce qu’on n’était pas généralement sans redouter sérieusement. Wolfe lui-même, avec une hâte fébrile, avançait aussi vite que la flotte le permettait et, le 27 juin, il débarqua du côté sud de l’île d’Orléans avec le gros de son armée ; il se mit alors en devoir de reconnaître les positions françaises, depuis la pointe ouest de l’île.
Même si rien ne prouve que Wolfe avait fait une étude de la campagne de sir William Phips* en 1690, son intention était de suivre sensiblement le même plan que lui, soit, opérer le débarquement et camper sur la rive nord du Saint-Laurent près de Beauport, à l’est de Québec, traverser la rivière Saint-Charles et attaquer la ville par son côté le plus faible. Il se proposait également d’établir des postes sur la rive sud du Saint-Laurent, en face de Québec, et il suggéra de plus qu’il serait peut-être possible « de faire monter un détachement subrepticement », de le cantonner à quelques milles en amont de la ville où il se retrancherait. Dès la première reconnaissance qu’il effectua il se rendit compte que l’idée de débarquer sur les battures de Beauport était impraticable ; l’ennemi l’y attendait. Montcalm, commandant des forces françaises, y était installé et avait érigé des défenses derrière lesquelles campait le gros de l’armée française. Ainsi s’imposa à Wolfe la première de plusieurs révisions de stratégie.
Au commencement, l’armée de Montcalm comptait près de deux fois plus d’hommes que celle de Wolfe mais elle était fort inférieure en qualité car elle était pour une bonne part composée de miliciens sans entraînement. L’objectif obstiné que visait Wolfe était d’amener les Français à combattre ouvertement et, si jamais il y arrivait, il n’avait aucun doute quant au résultat final. La victoire remportée sur les hauteurs d’Abraham est la preuve de la logique de ses calculs. La nature de son problème de stratégie n’est nulle part mieux analysée que dans la dernière lettre que Wolfe écrivit à sa mère, le 31 août 1759 : « Mon adversaire s’est prudemment enfermé derrière des retranchements inaccessibles, de sorte que je ne puis l’atteindre sans répandre des flots de sang et, cela, pour obtenir peu de résultats peut-être. Le marquis de Montcalm est à la tête d’un grand nombre de mauvais soldats et j’ai sous mes ordres un plus petit nombre d’excellents militaires qui ne demandent pas mieux que de lui faire la lutte – mais le vieux renard est prudent, et il esquive l’action, incertain qu’il est quant à la conduite de son armée. Il faut être du métier pour comprendre les inconvénients et les difficultés au milieu desquels nous travaillons, étant donné l’exceptionnelle rudesse naturelle du pays. » Pour réussir, Montcalm n’avait qu’à tenir ses positions pendant toute la durée de la brève saison d’opération jusqu’à ce que l’approche de l’hiver chasse la flotte anglaise du fleuve. La sagesse de ces tactiques circonspectes est attestée par le sentiment de frustration qu’elles éveillaient chez Wolfe. Néanmoins cet état de chose recelait un élément de faiblesse chez les Français qui devait en dernier ressort se révéler fatal. Les ordres émanés de Versailles avaient mis l’accent sur l’importance de conserver au moins une partie de la colonie même si Québec devait tomber. Cela signifiait qu’il fallait garder l’armée en bonne condition, chose impossible sans nourriture. Aussi avait-il été décidé de ne pas entreposer les vivres disponibles dans la ville. Les vaisseaux d’approvisionnement venus de France avaient remonté le Saint-Laurent jusqu’à Batiscan d’où partaient régulièrement des convois d’embarcations et de fourgons pour ravitailler la ville et l’armée. Wolfe n’avait qu’à couper cette voie de communication vitale en amont de Québec afin de forcer Montcalm à abandonner la défensive et engager la lutte pour rouvrir cette route. Ce n’est pas à la louange du général anglais qu’il ait été si lent à prendre conscience de la situation et à l’exploiter à son avantage.
Pendant deux mois, Wolfe se débattit avec le problème d’amener les Français à se battre, et l’été fuyait ; il était tenaillé par la maladie (« pénible attaque de dysenterie », note-t-il dans son journal le 4 juillet) et ses rapports avec les officiers supérieurs de son armée ne faisaient que s’envenimer. Au cours de juillet, la tension monta entre Wolfe et Townshend ; durant la campagne, Murray conçut à l’endroit de Wolfe une haine qu’il continua de nourrir longtemps après la mort de ce dernier. On est moins renseigné au sujet de Monckton, le commandant en second. En août Wolfe lui écrivit un mot pour s’excuser de ce que Monckton considérait visiblement comme un affront. Les lettres de Monckton à Wolfe semblent avoir été détruites. Toutefois il est intéressant de noter que Monckton est le seul des trois généraux de brigade qui consentît à figurer sur la peinture célèbre – quoique par ailleurs grandement inexacte – de Benjamin West, The death of Wolfe (1771) ; de plus, la famille Monckton passa à l’artiste la commande d’une copie du tableau. Ces anecdotes laissent à penser que Monckton était moins hostile à Wolfe que les deux autres officiers supérieurs. Des difficultés s’élevèrent également avec Guy Carleton, celui pour qui Wolfe avait eu une considération particulière ; le 31 juillet, Bell, l’aide de camp du général, parle dans son journal de « la conduite abominable du colonel Carleton à l’endroit du général ». Quelle avait été cette conduite ? Nul ne le sait.
On ne peut décrire en détail l’évolution de la stratégie de Wolfe. Ce qui semble évident c’est qu’il eut grand-peine à se décider et qu’il changea souvent d’idée. Le 29 et le 30 juin il occupa Pointe-Lévy (Lauzon) et le 2 juillet il ordonna l’érection de batteries en face de Québec. Par la suite, il envisagea la possibilité d’effectuer le débarquement d’un détachement en amont de la ville tout en conduisant une brigade par terre, juste à l’est de la rivière Montmorency, près du flanc gauche de la position fortifiée des Français, afin d’attirer l’attention de l’ennemi de ce côté. Il abandonna bientôt ce stratagème et le 10 juillet les troupes qu’il destinait au débarquement en haut de Québec rallièrent la brigade à Montmorency, où se trouvait maintenant réuni le gros de l’armée. Dans la nuit du 12 juillet, les canons de la rive sud ouvrirent le feu sur Québec. Au milieu du mois, Wolfe en était à étudier sérieusement le déclenchement d’une attaque sur le front de Beauport ; mais la nuit du 18, plusieurs vaisseaux anglais doublèrent le cap de la ville et remontèrent le fleuve ; Wolfe tourna son attention de ce côté. Le 20 fut une journée de grande activité ; Wolfe considérait la possibilité d’une attaque dans la région de Saint-Michel près de Sillery. Il contremanda l’opération dans l’après-midi, probablement à cause des réactions évidentes des Français devant le mouvement des vaisseaux. Peu de jours plus tard, il projetait de nouveau une action du côté de Beauport. Pour la première fois, le 31 juillet, il tenta une attaque importante, à l’ouest de Montmorency. Son plan, qui semble avoir déplu à tous les généraux de brigade, était de prendre d’assaut une petite redoute près du rivage tout en escomptant que Montcalm quitte ses retranchements et attaque à découvert pour reprendre la redoute. Il devint manifeste dès le début de l’opération que la redoute était plus rapprochée des défenses que Wolfe ne l’avait cru et qu’il serait impossible de tenir sous la fusillade. Il changea ses plans sur-le-champ et ordonna d’attaquer de front les retranchements sur les hauteurs. L’assaut croula et se changea en un revers sanglant, soit peut-être que les grenadiers qui menaient l’attaque fussent devenus hors de contrôle, soit en raison d’un orage d’une extrême violence qui éclata au moment décisif, ou encore du fait que Wolfe avait attaqué les Français dans les seules circonstances où la milice canadienne était de première force. Il jugea plus sage de contremander l’affaire après avoir perdu 200 de ses hommes. Trait caractéristique chez lui, il s’exposa imprudemment au tir des Français et il se tenait avec l’arrière-garde des brigades de Murray et de Townshend lorsque s’effectua la retraite vers le campement à l’est de la Montmorency, juste avant que la marée montante ne rende celle-ci impraticable.
La défaite du 31 juillet mit une trêve à la fébrile élaboration de plans par Wolfe. Il envoya Murray en amont du fleuve avec un détachement pour tenter d’atteindre les vaisseaux français et établir la communication avec Amherst ; Murray ne put atteindre aucun des deux objectifs mais il causa certains dommages et obligea Montcalm à détacher des hommes sous les ordres de Bougainville* pour surveiller le haut du fleuve. Wolfe commença à appliquer un régime de terreur contre les paroisses environnantes, un peu, semble-t-il, en guise de représailles contre les attaques dont avaient été l’objet certains détachements anglais, et aussi dans le but d’exercer une pression sur Montcalm et l’amener à « tenter l’épreuve du combat pour empêcher les ravages ». Au début de septembre, un groupe important qui comprenait les six compagnies de rangers américains de l’armée, sous les ordres du major George Scott (qui avait exercé un commandement analogue à Louisbourg), fut envoyé pour semer la dévastation sur la rive sud, de Kamouraska à Pointe-Lévy. Scott racontera plus tard qu’il avait incendié 998 « bons bâtiments ». Avant que ne se termine la campagne, les agglomérations situées sur les deux rives du fleuve, en bas de Québec, et du côté sud sur une certaine distance en amont de la ville, étaient en grande partie détruites ; seules les églises furent épargnées. Dans la ville de Québec même, les bombardements depuis les hauteurs de Lévis avaient semé la ruine et la destruction. Ce parti pris de dévastation était depuis longtemps dans l’esprit de Wolfe. Il avait écrit à Amherst au cours de son voyage à bord du Neptune : « Si [...] nous nous apercevons que Québec ne semble pas devoir tomber entre nos mains (tout en persévérant jusqu’au dernier moment), je propose de mettre la ville à feu avec nos obus, de détruire les moissons, les maisons et le bétail tant en haut qu’en bas [de Québec], d’expédier le plus de Canadiens possible en Europe et de ne laisser derrière moi que famine et désolation ; belle resolution, et tres chrétienne ! [en français dans le texte] mais nous devons montrer à ces scélérats à faire la guerre comme des gentilshommes. » Si on prend cette lettre dans son sens littéral, Wolfe envisageait en septembre l’éventualité de ne pouvoir s’emparer de Québec.
Vers le 19 août, Wolfe devint si malade qu’il dut garder le lit à son quartier de Montmorency. Le mois touchait à sa fin lorsqu’il fut de nouveau en état de reprendre ses activités. Aux environs du 27 août (le document n’est pas daté), il écrivit une lettre demeurée célèbre aux trois généraux de brigade, leur demandant, étant donné son indisposition, de « se consulter » et « d’étudier la meilleure méthode d’attaquer l’ennemi ». Il attira l’attention sur l’absence de vivres à Québec mais ne parla pas de l’avantage qu’il y aurait de couper la route aux approvisionnements. Il était d’avis que c’était l’armée plutôt que la ville qu’il fallait attaquer et il suggéra trois plans possibles. Tous trois étaient des variantes de l’attaque des défenses de Beauport qui avait échoué une première fois. L’un de ces plans combinait l’attaque de front avec un mouvement circulaire en remontant la Montmorency, dans le but de frapper les retranchements de Beauport par derrière ; un capitaine des rangers et un déserteur français avaient procédé à une reconnaissance de la route. Les admirateurs de Wolfe ont élaboré sur ces plans une interprétation quelque peu tirée par les cheveux, allant jusqu’à suggérer que le général ne parlait pas sérieusement ; mais il n’y a rien qui prouve que ces plans n’étaient pas les meilleurs que Wolfe (il faut se rappeler que c’était un homme malade à l’époque) était en mesure d’élaborer. Les trois officiers supérieurs lui firent parvenir une réponse marquée au coin de la compétence et de la courtoisie. Ils étaient d’opinion que les chances de réussite d’une attaque du côté de Beauport étaient minces et ils firent remarquer que même si l’opération était couronnée de succès, Montcalm pourrait toujours battre en retraite de l’autre côté de la rivière Saint-Charles et ravitailler Québec au moyen des vaisseaux et des magasins qui se trouvaient en haut de la ville. « Nous sommes, par conséquent, d’opinion que la stratégie la plus susceptible de porter un coup décisif, serait d’amener les troupes [de Montmorency] sur la rive sud et de porter les opérations en amont de la ville ; lorsque nous serons établis sur la rive nord, nous imposerons au général français nos propres conditions de combat ; nous nous placerons entre lui et ses approvisionnements, entre lui et l’armée qui fait face au général Amherst. » Ce document était appuyé par un plan détaillé des mouvements prévus. Il est reconnu que les généraux de brigade eurent des consultations prolongées avec l’amiral Saunders pendant qu’ils préparaient ce mémoire.
Pour la première fois, semble-t-il, des éléments stratégiques de base étaient couchés sur le papier. Le raisonnement des généraux de brigade était sans faille et Wolfe l’accepta. L’ordre d’évacuer le camp de Montmorency fut émis. À l’exception d’un détachement peu important qui resta cantonné à l’île d’Orléans, on concentra l’armée anglaise sur la rive sud et, les 5 et 6 septembre, le corps principal prit place sur les vaisseaux anglais ancrés en amont de la ville. Les troupes, semble-t-il, devaient mettre pied à terre le 9 septembre dans le secteur qu’avaient choisi les généraux de brigade, sur la rive nord, entre Saint-Augustin (aujourd’hui Saint-Augustin-de-Québec) et Pointe-aux-Trembles (Neuville). Cependant le mauvais temps se mit de la partie et des pluies diluviennes obligèrent les autorités à annuler l’opération. Le 8 ou le 9 septembre, peut-être les deux, Wolfe « alla en reconnaissance en aval du fleuve ». Pour des raisons qui demeurent obscures, il prit la décision (décision peut-être fondée sur ses simples observations) d’abandonner le plan prévu de débarquement dans la région de Pointe-aux-Trembles. Ce plan comportait de nombreux avantages ; parmi ces avantages il y avait la distance le séparant du gros des forces françaises et l’accessibilité de la grève. Il arrêta sa décision sur un plan infiniment plus risqué : le débarquement dans un endroit beaucoup plus rapproché de la ville, à l’anse au Foulon, d’où partait un sentier qui permettait d’escalader la falaise. À maintes reprises, on a prétendu que l’existence de ce sentier avait été indiquée par un traître mais aucune preuve n’a jamais été avancée. Le 10, Wolfe amena avec lui Monckton et Townshend pour une nouvelle reconnaissance mais il est évident qu’il ne les mit pas entièrement au courant de son projet, et le 12 il y eut un échange de notes assez cassantes entre lui et ses trois officiers supérieurs, dans lesquelles ces derniers se plaignaient d’être insuffisamment renseignés. Il est consigné qu’après une entrevue avec Monckton, ce jour-là, « M. Wolfe déclara aux siens [son état-major personnel] que les généraux de brigade l’avaient conduit en amont du fleuve et que maintenant ils reculaient ; il n’hésita pas à déclarer que deux d’entre eux étaient des lâches et l’autre un scélérat. »
Cette nuit-là l’opération décisive était déclenchée ; les embarcations qui transportaient le premier contingent de troupes anglaises s’éloignèrent des vaisseaux ancrés en face de Cap-Rouge et se laissèrent descendre avec la marée. Tout le succès de l’opération reposait sur l’effet de surprise car une opposition sérieuse aurait rendu le débarquement à l’anse au Foulon impossible. Or la surprise fut complète. L’attention de Montcalm était rivée sur la côte de Beauport où les embarcations des vaisseaux anglais en rade dans le bassin de Québec se livraient à une feinte réussie. Bougainville, responsable de la région en haut de Québec, se trouvait à Cap-Rouge et il se rendit compte apparemment trop tard de ce qui se passait. Les Français attendaient un convoi de ravitaillements (de fait il avait été annulé) et lorsqu’ils aperçurent la flottille anglaise, ils se convainquirent aisément qu’il s’agissait là de leurs propres embarcations. L’intention de Wolfe avait été, apparemment, de confier à un détachement d’élite, sous les ordres du capitaine DeLaune, la tâche d’escalader en toute hâte le sentier de la falaise, mais la marée fit dériver les bateaux au-delà du point prévu pour le débarquement et le lieutenant-colonel William Howe, qui commandait le bataillon provisoire d’infanterie légère, mena plusieurs compagnies de son unité directement en haut de la falaise, action qui semble avoir été improvisée. Ils délogèrent Louis Du Pont* Duchambon de Vergor et ses hommes qui gardaient le sentier et ceux-ci n’offrirent qu’une faible résistance. Il était environ quatre heures, à l’aube du 13 septembre. Wolfe qui, ces derniers jours, avait expédié plusieurs dépêches et lettres empreintes d’un sombre pessimisme, semble avoir eu peine à croire à sa chance ; il y a lieu de croire qu’il dépêcha son adjudant-général, le major Isaac Barré, afin d’empêcher le débarquement de la deuxième vague de troupes jusqu’à ce qu’il y ait certitude que les Français n’étaient pas là en force. Barré, se rendant compte que les troupes étaient sur le point de toucher terre, ne transmit pas les ordres. La coopération entre l’armée et la marine fut admirable tout au long de cette opération qu’on peut considérer à juste titre comme une opération amphibie selon les règles de l’art.
Dès l’instant du débarquement, Wolfe ne commit plus d’erreurs. Il choisit son terrain, forma ses lignes de combat et attendit, plein de confiance, l’attaque française qui ne pouvait manquer de venir. Les erreurs commises sur les plaines d’Abraham le furent par Montcalm. Le général français devait attaquer pour ouvrir sa ligne de communications mais il aurait dû attendre Bougainville qui s’acheminait, quoique un peu tard, vers le théâtre des opérations. Au lieu de cela, vers dix heures du matin, Montcalm lança ses forces composées de Canadiens et de Français contre la solide ligne des troupes régulières de Wolfe. L’officier supérieur en charge de l’artillerie, le capitaine Fiacre-François Potot* de Montbeilard rapporte que Montcalm aurait déclaré : « Si nous lui [l’ennemi] laissons le temps de s’installer, jamais nous ne serons capables de l’attaquer avec le genre de troupes dont nous disposons. » Les Anglais laissèrent approcher les Français puis ouvrirent un feu de salve qui sema la mort et la déroute. Montcalm lui-même fut mortellement blessé.
De nouveau Wolfe s’était exposé, semblant réellement défier la mort. Il reçut d’abord une blessure à la main ou au poignet dont il ne tint pas compte, puis lorsque les lignes anglaises se lancèrent à la poursuite des Français, le général qui menait l’aile droite reçut, disent plusieurs comptes rendus, deux balles en pleine poitrine. La blessure était mortelle et il ne survécut que peu de temps. Le journal de bord du Lowestoft rapporte que sa dépouille fut amenée à bord à 11 heures. L’armée française était en déroute mais non anéantie. Si Wolfe avait été là, la victoire eût pu être plus complète. Vu les circonstances, il y eut une période d’incertitude avant que Townshend ne prenne le commandement de l’opération (Monckton étant lui-même blessé), et la plus grande partie des forces françaises s’étaient enfuies en franchissant la rivière Saint-Charles jusqu’au campement de Beauport. Ce soir-là l’armée française contourna l’armée anglaise et se dirigea vers Montréal abandonnant Québec qui capitula le 18 septembre. La conquête définitive du Canada exigera encore une année de lutte. La dépouille de Wolfe fut ramenée en Angleterre ; les capitaines Bell et DeLaune l’accompagnèrent. Il fut inhumé à Greenwich dans le caveau familial où reposait son père, décédé en mars 1759.
James Wolfe était un excellent officier régimentaire, un soldat d’une étonnante bravoure au combat et, dans la mesure où il est possible de porter un jugement après une si brève carrière, un commandant efficace sur le champ de bataille. Il s’est fait de nombreux admirateurs et l’histoire lui a fait une réputation enviable. Cette renommée n’est toutefois pas étayée par sa façon d’agir pendant les semaines qui marquèrent le siège de Québec, la seule fois où il mena une campagne en qualité de commandant en chef. C’était un stratège peu efficace, hésistant et indécis ; la campagne ne fut qu’une série de plans élaborés pour être ensuite écartés. Il ne pouvait s’entendre avec les officiers de son état-major et le fait que son journal abonde en remarques insultantes pour la marine donne à penser qu’il ne savait pas collaborer. Son malencontreux parti pris de terreur et de dévastation n’a que peu contribué au progrès de la campagne. La seule attaque menée sur l’initiative personnelle de Wolfe (celle du 31 juillet à Montmorency) fut un coûteux échec. Le plan qui réussit finalement était fondamentalement celui des généraux de brigade ; l’apport de Wolfe, le choix de l’endroit du débarquement, ne firent qu’ajouter un inutile élément de risque au projet et plaça toute l’opération sous le signe du hasard. De la façon dont se déroulèrent les choses, sa chance fut extraordinaire et, alliée à l’efficacité de l’armée et de la marine anglaises et à l’impéritie marquée des Français, elle donna une victoire fameuse à laquelle est intimement lié le nom de Wolfe.
Il est permis de dire, sans exagération, que les événements survenus à Québec en 1759 sont plus insolites que la fiction. L’épisode décisif – la descente du fleuve à la nuit noire, l’ascension de la falaise, la mort des deux commandants ennemis – exerça un ascendant irrésistible sur l’imagination populaire, avec le résultat que, dès le début, la campagne fut relatée en termes romanesques, en particulier en ce qui a trait aux deux figures dominantes, toutes deux dépeintes sous les traits de personnages plus grands que nature. Wolfe et Montcalm, qui n’étaient ni l’un ni l’autre guère mieux que des commandants de deuxième ordre, prirent figure de héros légendaires. Il existe un bon nombre de biographies de Wolfe, et toutes, à divers degrés, sont des œuvres de louanges sans réserve. Elles ne sont pas toutes citées ici. La plus ancienne biographie complète est celle de Robert Wright, The life of Major-General James Wolfe [...] (Londres, 1864). Elle est encore utile et elle a été d’un grand secours pour les biographes qui écrivirent par la suite. La plus valable est celle de Beckles Willson, The life and letters of James Wolfe [...] (Londres, 1909), surtout pour les documents qu’elle contient même si on ne peut toujours se fier à leur contenu. Parmi les livres publiés à l’occasion du deuxième centenaire de la mort de Wolfe, en 1959, il y a The rest to fortune : the life of Major-General James Wolfe (Londres, 1960) de Robin Reilly, pour lequel l’auteur a puisé à des sources plus vastes que beaucoup d’autres, par exemple, les lettres de Wolfe à Monckton qu’on avait longtemps négligées, mais leur interprétation suit la ligne traditionnelle. Wolfe : portraiture & genealogy (Westerham, Angl., 1959) contient : The likeness of Wolfe, de J. F. Kerslake, The genealogy of James Wolfe, de A. R. Wagner, et James Wolfe : a chronology, de W. W. Shaw-Zambra.
D’une façon plus critique que celle des biographes de Wolfe, J. W. Fortescue écrit dans son livre History of the British army (13 vol., Londres, New York, 1899–1930), II : « Une brillante réussite, même si elle est le fruit de la chance, est considérée à bon droit comme couvrant toutes les erreurs. » L’important et remarquable article de E. R. Adair, The military reputation of Major-General James Wolfe, CHA Report, 1936, 7–31, est quelque peu excessif mais préjudiciable à Wolfe. Son interprétation des faits contraste curieusement avec celle de son ancien collègue de l’université McGill, aujourd’hui décédé, W. T. Waugh, James Wolfe, man and soldier (Montréal, 1928). Les écrits de W. C. H. Wood, soldat amateur et historien amateur, ont exercé une plus grande influence qu’ils n’en méritaient ; à lire particulièrement, The fight for Canada ([édition définitive], Londres, 1905). Montcalm and Wolfe de Parkman reste toujours valable bien que l’auteur prenne des libertés avec les documents et se montre parfois d’un romanesque exagéré. Quebec, 1759 de Stacey se veut une version sans préjugés, fondée sur les documents de l’époque ; à lire du même auteur, Generals and generalship before Quebec, 1759–1760, CHA Report, 1959, 1–15. The assault landing at Louisbourg, 1758, CHR, XXXV (1954) : 314–330, de J. M. Hitsman et C. C. J. Bond, est très utile. Siege of Quebec de Doughty et Parmelee est une contribution canadienne d’envergure ; c’est une collection mi-historique, mi-documentaire, et ce dernier aspect est beaucoup plus important que l’aspect historique, bien qu’un certain nombre de documents soient incomplets. Correspondence of William Pitt (Kimball) contient plusieurs documents fondamentaux dont les textes sont fidèles ; les pièces qui accompagnaient les lettres, souvent plus importantes que les lettres elle-mêmes, ne sont pas reproduites. L’édition de Doughty du Historical journal de Knox est précieuse, tout comme une autre publication de la Champlain Society, Logs of the conquest (Wood).
Les sources imprimées importantes sur le siège de Louisbourg sont : Journal of the expedition against Louisburg, Northcliffe coll. ; The journal of Jeffery Amherst (Webster) ; et les versions du journal d’Amherst publiées à l’époque, notamment dans le Gentleman’s Magazine, 1758, 384–389. Le plan du siège dressé à l’époque par Samuel Holland* et reproduit dans Journal of William Amherst in America, 1758–1760, J. C. Webster, édit. (Frome et Londres, Angl., 1927) apporte de la lumière sur la question.
Une partie seulement des sources manuscrites est énumérée ici. Le journal personnel de Wolfe sur la campagne de Québec n’a été rendu accessible qu’en 1910. On en connaît trois exemplaires : ils sont aux APC soit dans l’état original, soit sous forme de photocopies. L’un de ces exemplaires est une transcription faite par le capitaine Thomas Bell et elle est comprise dans sa série de journaux personnels (APC, MG 18, M 3, 24). Malheureusement, Wolfe a détruit son journal de la période postérieure au 16 août 1759. Le journal de Bell est une des pièces inestimables de la collection Northcliffe (APC, MG 18, M). Cette collection contient de nombreux papiers de Townshend et de Monckton ; parmi les papiers de ce dernier il y a bon nombre de lettres de Wolfe qui ne se trouvent pas dans l’ouvrage de Willson, supra. La collection renferme également une quantité importante de documents divers, y compris les instructions de George II à Wolfe sur l’expédition de Québec. Les PRO conservent des lettres signées par Wolfe (WO 34/46b, pt. ii), les dépêches de Wolfe expédiées de Québec (CO 5/51) et divers documents importants (PRO, 30/8, en particulier les liasses 33, 49, 50 et 98, vol. 7).
Un important récit anonyme des événements de Québec, dont l’analyse du contenu donne à penser qu’il a pu être rédigé par un des aides de camp de Wolfe, est conservé au Public Record Office de l’Irlande du Nord (Belfast), D. 162/77 (V. : C. P. Stacey, Quebec, 1759 : some new documents, CHR, XLVII (1966) : 344–355, dans lequel il est aussi question d’autres documents sur la campagne découverts dans les dernières années). Une source de grande valeur pour l’ensemble de la campagne de Québec est la grande carte signée par le major Patrick Mackellar, Plan of the town of Quebec the capital of Canada [...] showing the principal encampments and works of the British army commanded by Major General Wolfe and those of the French army commanded by Lieut. General the Marquis of Montcalm [...], APC, Collection nationale de cartes et plans. De façon générale, on peut dire que tous les documents importants connus touchant les campagnes canadiennes de Wolfe sont conservés aux APC, soit dans leur forme originale ou sous forme de copies.
Afin d’éviter la répétition, les sources en français sont omises de ces notes bibliographiques : on en trouvera la liste dans le présent volume à la suite de la biographie du marquis de Montcalm.
On a beaucoup écrit sur les portraits qui ont été faits de Wolfe. On consultera particulièrement : Kerslake, supra ; J. C. Webster, Wolfe and the artists [...] (Toronto, 1930) ; A. E. Wolfe-Aylward, The pictorial life of Wolfe (Plymouth, Angl., s.d.). Ces auteurs accordent beaucoup d’attention aux tableaux posthumes et à ceux, peu nombreux, qui auraient pu être ou ne pas être peints d’après nature, y compris celui qui est attribué à Joseph Highmore et dont les APC ont fait l’acquisition en 1932. Il est étonnant qu’on se soit si peu occupé du plus remarquable et du plus authentique portrait connu à l’heure actuelle, l’aquarelle signée par George Townshend, laquelle fut probablement peinte au cours de la campagne de 1759 bien qu’elle ne porte malheureusement pas de date. Elle est conservée au McCord Museum (Montréal) et on l’a souvent reproduite. Pour ce qui est du plus célèbre des tableaux sur Wolfe, le lecteur consultera C. P. Stacey, Benjamin West and « The death of Wolfe », The National Gallery of Canada Bull. (Ottawa), IV (1966) : I–5. Des statues de Wolfe ont été érigées en Angleterre à Westerham et dans le parc de Greenwich. [c. p .s.]
C. P. Stacey, « WOLFE, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/wolfe_james_3F.html.
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Auteur de l'article: | C. P. Stacey |
Titre de l'article: | WOLFE, JAMES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |