BAILLIF, CLAUDE, l’entrepreneur de bâtiments le mieux connu et le plus prolifique du xviiie siècle en Nouvelle-France, né vers 1635, décédé en mer alors qu’il rentrait en France à bord d’un navire qui quitta le Canada en 1698.

On a peu de détails précis sur la vie privée de Baillif. Il serait né et aurait grandi en Basse-Normandie (où le nom de « Baillif » est très répandu) et aurait rencontré Mgr de Laval* lors de la première visite du prélat à Paris en 1671 ; celui-ci aurait alors retenu ses services pour enseigner, à l’école des arts et métiers du séminaire, fondée en 1668, « la charpenterie, la sculpture, la peinture, la dorure comme décoration d’églises, le maçonnage et l’ébénisterie. » Quoi qu’il en soit, le livre de comptes du séminaire de Québec dit, dans la mention de son arrivée à Québec le 22 septembre 1675, qu’il est « maçon » et qu’il est « engagé [à l’école] pour trois ans. » Son nom figure dans les archives de Québec à propos de divers procès, mais ces indications sont sans importance ; Tanguay dit que le registre de Beauport fait mention, à la date du 9 octobre 1688, de son mariage avec Catherine Sainctar ; une mention postérieure indique qu’il s’est noyé en mer. À part ces quelques détails, nous ne connaissons Baillif que par des contrats et autres documents relatifs à sa participation à la construction des cinq bâtiments suivants :

(1) En 1683, Baillif s’engageait par contrat à construire une maison pour Louis Jolliet dans la basse ville. Comme il était alors le meilleur (sinon le seul) entrepreneur qualifié à Québec, nous pouvons supposer que Baillif construisit d’autres maisons particulières que celle de Jolliet. Mais, autant que l’on sache, il ne subsiste de nos jours aucune construction de cette catégorie dont il soit l’auteur.

(2) En 1684, Baillif dirigeait des travaux d’agrandissement de la cathédrale de Québec, travaux entrepris par Mgr de Laval grâce à des octrois spéciaux accordés par Louis XIV pour un montant total de plus de 10 000#. Il s’agissait de l’édifice conçu en 1645 et achevé en 1647 (grâce aux ressources et à l’initiative des Jésuites) pour servir d’église paroissiale de Québec sous l’appellation de Notre-Dame de Québec et succédant dans ce rôle aux églises suivantes : la première église paroissiale, construite par les Récollets en 1615 et détruite par David Kirke en 1629 ; l’église votive de Notre-Dame-de-la-Recouvrance, construite sous Champlain en 1633 et brûlée en 1640 ; et la chapelle temporaire installée dans la maison des Cent-Associés et utilisée de 1640 à 1647. L’église paroissiale était devenue la cathédrale de Mgr de Laval en 1674. Le programme d’agrandissement prévoyait le prolongement des murs de pierre de la nef sur une distance de 50 pieds et (probablement aussi) une nouvelle façade, avec, de chaque côté, des tours de pierre qui devaient donner accès aux nouvelles allées latérales. Seule la tour sud, supportant un clocher de bois recouvert de tôle, fut achevée sous la direction de Baillif ; elle a subsisté jusqu’à nos jours. Si les travaux avancèrent lentement et par à-coups, ce fut sans doute en partie parce que la santé de Mgr de Laval était devenue chancelante et qu’il dut, pour cette raison, abandonner l’évêché de Québec ; quoi qu’il en soit, à peine consacré, en janvier 1688, son successeur, Mgr de Saint-Vallier [La Croix*], écrivait aux autorités de Québec (le 22 février) qu’il leur envoyait « un entrepreneur en bâtiment compétent et habile du nom de Larivière, accompagné de six maçons et de trois menuisiers, pour travailler à notre cathédrale et à notre église succursale ». Il demandait qu’ils se missent au travail sans retard. Hilaire Bernard*, dit Larivière, et ses hommes achevèrent apparemment les travaux d’agrandissement de la nef, mais le résultat définitif ne fut guère heureux : « La cathédrale, écrit Charlevoix* dans son Journal de 1720, ne ferait pas une belle Paroisse dans un des plus petits Bourgs de France [...]. Ce qu’elle a de plus passable est une Tour fort haute, solidement bâtie, et qui de loin a quelque apparence. » Le dessin bien connu qui existe dans les archives de la cathédrale et porte la signature de Chaussegros* de Léry confirme l’impression de Charlevoix ; on y voit la façade de l’édifice telle qu’elle était lorsqu’il commença à l’embellir en 1744 (il suffit de comparer ce dessin à la gravure de la cathédrale exécutée par Short* en 1759, une fois les travaux de de Léry achevés) ; les réparations de 1684 en faisaient « tout-à-fait l’Église de Campagne » simple et nue, seuls le clocher et la tour y ajoutant un brin d’élégance. Apparemment, il faut en blâmer les circonstances, et non Baillif. Ce ne serait pas la dernière fois qu’un célèbre constructeur québécois verrait ses projets de réfection de cette façade contrecarrés par les retards, les compromis et les économies ; un siècle et demi plus tard, le dessin du portail, qui devait être le chef-d’œuvre de Thomas Baillairgé*, aboutit à un fiasco analogue, comme en témoigne la façade actuelle.

(3) L’« église succursale » dont Mgr de Saint-Vallier faisait mention dans sa lettre de février 1688 fut apparemment mise en chantier au printemps de cette année-là, sous la direction de Baillif ; elle devait desservir les habitants de la basse ville. D’abord consacrée à l’Enfant Jésus, on la rebaptisa Notre-Dame-de-la-Victoire pendant sa construction, en l’honneur de ce que l’on considérait comme une intervention miraculeuse de la Sainte Vierge, qui aurait aidé les habitants à repousser l’attaque de Phips contre Québec. Lorsque, en 1711, la tentative de Sir Hovenden Walker* subit le même sort, on donna à l’église le nom de Notre-Dame-des-Victoires qu’elle porte de nos jours. Tout ce que nous pouvons dire avec certitude au sujet de la collaboration de Baillif à la construction de cette église, c’est qu’on n’en retrouve aujourd’hui que très peu de traces, si tant est qu’il en reste. L’artillerie de Wolfe* détruisit complètement l’église primitive (comme le montre bien le croquis exécuté par Short en 1759) et, bien qu’elle soit présentée aux touristes comme « la plus vieille église » de Québec, Notre-Dame-des-Victoires a été reconstruite en 1765 et fortement, sinon complètement, modifiée en diverses occasions entre 1830 et 1860, probablement par André Paquet*, dit Lavallée. On a des raisons de croire que Baillif avait peut-être prévu des allées latérales semblables à celles de la cathédrale, ainsi qu’un petit clocher au-dessus de l’allée transversale.

(4) En janvier 1693, Baillif passait un contrat avec Mgr de Saint-Vallier pour la direction des travaux de construction du palais épiscopal, travaux qui étaient d’ailleurs commencés. Le devis prévoyait, entre autres prescriptions, une façade de 24 pieds et demi de hauteur surmontée d’une corniche, d’une frise et d’une architrave toscane. Baillif se mit à l’œuvre et, lorsque l’évêque rentra d’un voyage en France, en 1697, son palais était à peu près achevé. C’était probablement l’édifice le plus important de toute la Nouvelle-France du xviie siècle. Dans son Histoire, La Potherie [Le Roy*] le décrit avec enthousiasme en ces termes : « C’est un grand bâtiment de pierre de taille, dont le principal corps de logis, avec la chapelle qui doit faire le milieu, regarde le Canal [Saint-Laurent]. Il est accompagné d’une aile de soixante-douze pieds de longueur, avec un Pavillon au bout [...]. La Chapelle est de soixante pieds de longueur, son Portail est de l’ordre composite, bâti de belles pierres de taille, qui est une espèce de marbre brute. Ses dedans seront magnifiques par son Retable d’Autel, dont les ornements sont un raccourci de celui du Val-de-Grâce. Il y aurait peu de Palais Episcopaux en France qui pussent l’égaler en beauté s’il était fini » (cette dernière remarque faisait sans doute allusion à la seconde aile, restée inachevée.) Sur la planche qui accompagne le texte de La Potherie, le corps de la chapelle fait un angle droit avec le palais proprement dit, la façade étant en avant-corps. On connaît mieux la planche qui figure parmi les croquis de Short ; la façade y est représentée selon le type « Jésuite » du xviiie siècle, soit deux étages réunis par des ailerons renversés et articulés au moyen de pilastres et de corniches. On répara le palais après la cession, et il fut habité jusque vers 1840 (il figure dans de nombreuses vues de la ville de Québec datant de la première moitié du xixe siècle) ; des matériaux provenant de ses murs ont servi à construire le palais actuel, lequel a été conçu par Thomas Baillairgé et inauguré en 1844.

(5) Selon le livre de comptes de l’église de Sainte-Anne de Beaupré, Claude Baillif avait la direction des travaux de réfection au cours des années 1689–1695 ; on y mentionne en particulier le clocher élevé en 1696 « d’après les plans de Claude Baillif » par les charpentiers R. Leclaire et Jean Marchand. Il s’agissait d’une rénovation complète de l’église qui avait été construite sur cet emplacement vers 1676 ; lorsqu’on la démolit en 1878 pour la remplacer par la quatrième église (laquelle subsista jusqu’en 1922, l’église actuelle remontant à 1923), on se servit des mêmes matériaux pour ériger une chapelle commémorative, où l’on retrouve ce clocher encore aujourd’hui. S’il en est fait ici mention, c’est pour donner une idée du rôle joué par Baillif dans le domaine du bâtiment et afin de rattacher son nom au type d’église paroissiale établi par Mgr de Laval.

On ne sait pas au juste quel rôle a joué Baillif comme constructeur. Il était, semble-t-il, plus qu’un artisan ; non seulement les archives indiquent qu’il travaillait à la construction de trois édifices en même temps, mais il y est aussi question de ses « plans ». Par ailleurs, il semble aussi que Laval et Saint-Vallier ne se bornaient pas à jouer le rôle de patrons désintéressés de la conception des églises et des édifices publics de leur diocèse ; de fait, tous les plans devaient recevoir l’approbation et de l’évêque et de l’intendant avant de pouvoir être mis à exécution. On peut donc supposer, en bonne logique, que les « plans » de Baillif étaient les ébauches de projets conçus conjointement par lui et par l’évêque. Laval et Saint-Vallier étaient des gentilshommes, tout à fait au courant des idées avancées de la cour de Louis XIV sur l’architecture. Mais Baillif et les autres artisans chargés de mettre leurs idées à exécution étaient habitués aux modes et aux moyens d’exécution traditionnels ; ils étaient particulièrement attachés aux traditions du Moyen Âge, d’autant plus que l’orthodoxie religieuse la plus rigoureuse était une des conditions premières de l’émigration en Nouvelle-France. Il naquit de cette collaboration un mélange de traditions médiévales et baroques qui aboutit aux premières manifestations architecturales nettement canadiennes. Les premiers exemples – et les meilleurs – sont les six églises de pierre érigées entre 1669 et 1680 dans les paroisses fondées par Mgr de Laval : Sainte-Anne du Petit-Cap (Sainte-Anne de Beaupré), 1676 ; Sainte-Famille, 1669 ; Notre-Dame de Beauport, 1672 ; Saint-Joseph de la Pointe-Lévy, Lauzon, 1675 ; L’Ange-Gardien, 1675 ; Notre-Dame de Château-Richer, vers 1680, et celles qui suivirent immédiatement, telles que l’église de Sainte-Anne de Beaupré, reconstruite en 1688–1689, et celle de Saint-Laurent, dans l’île d’Orléans, construite en 1695, où l’on trouve un mélange distinctif d’éléments d’inspiration classique (arches arrondies dans les arcades de clocher, voussoirs, formes intérieures) avec les murs de pierres des champs et les proportions verticales accentuées de la tradition du Moyen Âge. C’est par ce qu’il a apporté à celle-ci que Baillif se range parmi les principaux fondateurs de la tradition architecturale québécoise.

Alan Gowans

ASQ, MSS, C, II (1674–86) [Livres de comptes, II], 225.— Archives de la Basilique de Sainte-Anne, Recettes et comptes, I (1659–1729).— P.-F.-X. de Charlevoix, Journal of a voyage ta North America, ed. L. P. Kellogg (2 vol., Chicago, 1923), 1 : 107.— La Potherie, Histoire (1722), I : 233s.— Richard Short, A view of the cathedral, Jesuits college, and Recollect friars church, taken from the gate of the governor’s house (London, 1761) ; une des gravures exécutées par un officier anglais à Québec en 1759–60.— Alan Gowans, Church architecture in New France (Toronto, 1955), 46ss., 61, 90, 120, 122s., 126, 129.— Gérard Morisset, L’Architecture en Nouvelle-France (Québec, 1949), 127s.— P.-G. Roy, La Ville de Québec, II : 179s. ; Les Vieilles Églises de la province de Québec, 1647–1800 (Québec ; 1925), 1s.— Tanguay, Dictionnaire. [On peut trouver des renseignements supplémentaires dans les archives du dbc.]

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Alan Gowans, « BAILLIF, CLAUDE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/baillif_claude_1F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/baillif_claude_1F.html
Auteur de l'article:    Alan Gowans
Titre de l'article:    BAILLIF, CLAUDE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    1986
Date de consultation:    2 déc. 2024