LE ROY DE LA POTHERIE, dit Bacqueville de La Potherie, CLAUDE-CHARLES, historien, né à Paris le 15 mai 1663, fils de Charles-Auguste Le Roy de La Potherie de Bacqueville et de Françoise Du Sicquet d’Esmainville, décédé à la Guadeloupe le 18 avril 1736.
Nous savons très peu de chose au sujet de la jeunesse de La Potherie, si ce n’est qu’il dut faire de très bonnes études, car il cite couramment les auteurs classiques, surtout Virgile et Horace. Le premier poste qu’il occupe est celui d’écrivain principal de la Marine à Brest en 1691. Il le devait peut-être à l’influence familiale puisque les La Potherie étaient alliés par leurs femmes aux Phélypeaux, parmi lesquels Louis était ministre de la Marine à cette époque. Claude-Charles occupera ce poste d’écrivain jusqu’en 1697. Il est alors nommé commissaire de la Marine à bord de l’escadre qui, sous la conduite de Pierre Le Moyne d’Iberville, devait déloger les Anglais de la baie d’Hudson. Après l’éclatante victoire d’Iberville, dont il nous a laissé un récit circonstancié et enthousiaste, La Potherie rentre en France. Le 1er mai 1698, il est nommé contrôleur de la marine et des fortifications au Canada et arrive à Québec le 28 novembre, juste à temps pour assister aux funérailles de Frontenac [Buade*]. La Potherie ne cessera pas de considérer ce dernier comme le gouverneur idéal, le père de la patrie. Ayant une haute, peut-être trop haute, conception de son rôle, il est dépité de n’être pas consulté à l’occasion des pourparlers de paix, qui se déroulent en 1699–1700, avec les nations indiennes. Il s’en plaint au ministre Jérôme Phélypeaux, dans une lettre dont les passages trop confidentiels sont omis dans son Histoire ; Joseph-Edmond Roy les a cependant publiés.
Le 11 mars 1700, La Potherie et Élisabeth de Saint-Ours signent leur contrat de mariage devant le notaire Antoine Adhémar. De ce mariage naîtront au moins trois fils : Charles-Auguste, Pierre-Denis et Marc-René-Augustin ; nous savons peu de chose à leur sujet. Le 5 juillet suivant, il acquiert une terre et une habitation dans la seigneurie de Saint-Ours, avec l’intention de s’établir au pays, mais il quitte la Nouvelle-France en 1701. L’historien Claude de Bonnault prétend que son rappel est dû à des démêlés avec certaines autorités de la colonie, et Robert Le Blant affirme que sa nomination à la lieutenance d’une compagnie aux « Îles », le 31 mai 1701, est « une promotion qui ne constituait guère un avancement ».
La Potherie vivra désormais à la Guadeloupe tout en faisant quelques voyages en France. En 1705, il cherche à être nommé major de la Guadeloupe et n’obtient que le poste d’aide-major, il sollicite de nouveau de l’avancement, mais le ministre trouve ses demandes insensées. De nombreux mémoires qu’il adressa, par ailleurs, à la cour au sujet des magistrats, des expéditions militaires, de ses démêlés avec d’autres personnalités des « Îles » et de l’établissement d’une paroisse à Gros-Morne n’eurent pas plus de résultats. Il mourut à la Guadeloupe le 18 avril 1736, sans être jamais revenu en Nouvelle-France, 17 ans après sa femme qu’il avait perdue le 4 octobre 1719. C’est par son Histoire de l’Amérique septentrionale que La Potherie a passé à l’Histoire. La lecture de cette œuvre laisse l’impression d’un homme sincère, instruit, cultivé, doué d’une grande sensibilité et très attaché à la France et à ses institutions.
C’est à l’occasion d’un voyage à Paris, en 1702, que La Potherie soumit son manuscrit au censeur royal qui l’accueillit favorablement. Mais Jérôme Phélypeaux, ministre de la Marine, dans une lettre à Michel Bégon père, s’opposa à ce que La Potherie lui dédie le manuscrit et encore plus à ce qu’il le fasse imprimer. La guerre de Succession d’Espagne (1701–1713) en fut, semble-t-il, la cause : la France ne tenait pas à donner des renseignements sur un pays que les Anglais convoitaient. L’auteur dut attendre 14 ans le permis d’imprimer. Certains ont émis l’hypothèse que La Potherie avait laissé deux ouvrages : Nouveau Voyage du Canada, ou de la Nouvelle-France et les Guerres des Français avec les Anglais et les originaires du pays et l’Histoire de l’Amérique septentrionale. Le premier ouvrage serait de 1716, selon Fevret de Fontette, mais nous n’en connaissons aucun exemplaire. Il s’agit peut-être d’une première édition inachevée de l’Histoire de l’Amérique septentrionale. Quoi qu’il en soit, l’existence d’un manuscrit est attestée par Fontenelle [Le Bovier], en 1702, et elle est en quelque sorte confirmée par le privilège du roi accordant à Ambroise Firmin-Didot, en 1721, la permission de « continuer à faire imprimer » un ouvrage qui a pour titre Histoire de l’Amérique septentrionale. Cet ouvrage, que nous connaissons, est de 1722 et il en existe une autre édition datée de 1753. Joseph-Edmond Roy a comparé ces deux éditions : même nombre de pages, mêmes caractères, mêmes coupures, mêmes fautes de casse. La page de titre de 1753 offre une variante dans la couleur de l’encre ; une estampe annoncée en 1722 ne s’y trouve pas ; une autre qui n’a pas été annoncée s’y trouve en 1753. Après cette comparaison, Roy se demande si l’édition de 1753 n’est pas tout simplement un truc de libraire.
Des quatre volumes de l’Histoire, dont les volumes I, III et IV sont rédigés sous forme de lettres, le premier est le mieux écrit et le plus digne de foi. La Potherie est ici un témoin oculaire et un excellent observateur. Ses lettres sur les gouvernements de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal offrent un tableau assez complet du Canada. Les descriptions des lieux et du mode de vie des habitants, les notes sur les personnages, les statistiques sur la population et sur les sources de revenus attestent que rien n’échappe à l’attention de La Potherie et qu’il est désireux de bien renseigner son lecteur. Il note, mais sans insister, la rivalité entre Québec et Montréal. S’il raconte, il ne s’abstient pas de juger. La France, affirme-t-il, n’a pas intérêt à garder la baie d’Hudson : le commerce du Canada en souffrirait. Il regrette qu’on n’ait pas fait de Montréal la capitale du pays.
Le portrait qu’il trace du Canadien de l’époque est modéré et juste : « Le Canadien a d’assez bonnes qualitéz ; il aime la guerre plus que toute autre chose, il est brave de sa personne, il a de la disposition pour les Arts, et pour peu qu’il soit instruit, il apprend aisément ce qu’on lui apprend ; mais il est un peu vain et présomptueux ; il aime le bien et le dépense assez mal à propos ».
Le volume II, divisé en chapitres et d’un style moins soigné, a pour but de faire connaître les principales nations indiennes ainsi que leurs relations avec la colonie française. La Potherie s’était proposé d’aller étudier sur place les problèmes qu’il aborde ici. Son état de santé ne le lui permettant pas, il s’est contenté de se renseigner auprès de témoins dignes de foi : Louis Jolliet*, les missionnaires jésuites et surtout Nicolas Perrot. D’après le père Jules Tailhan, jésuite, éditeur du Mémoire de Perrot, ce dernier aurait non seulement fourni à La Potherie des renseignements oraux mais il lui aurait même communiqué des mémoires devenus aujourd’hui introuvables. Son jugement mérite d’être cité : « ] La Potherie connut Perrot au Canada, et [...] il en reçut les informations les plus exactes ] son second volume n’a pu, dans sa presque totalité, être écrit que sur des renseignements fournis par Perrot, dont les voyages, les aventures et même les nombreuses harangues aux Sauvages y sont rapportées au long [...] sauf un très petit nombre de pages, le style, dans ce même volume diffère sensiblement de celui des trois autres, et, par sa contexture lâche, incorrecte et embarrassée, rappelle, le plus souvent à s’y méprendre, le style de Perrot ; ce qui ne s’expliquerait point dans l’hypothèse de communications purement verbales faites par ce dernier à La Potherie ».
Les volumes III et IV sont consacrés surtout au récit des guerres iroquoises et des pourparlers de paix qui aboutirent au traité général de 1701. Pour les événements antérieurs à 1698, date de son arrivée au Canada, il dépend de ses informateurs, sûrs en ce qu’ils affirment, mais pas toujours complets. De 1698 à 1701, bien qu’il n’ait pris aucune part officielle aux pourparlers de paix, il les suit de près. Il est à Montréal et à Sault-Saint-Louis au cours de l’été de 1701. Il a eu également accès à des documents qu’il se plaît à citer. Il résume les discours de M. de Callière et des chefs des diverses nations. Il raconte la maladie, la mort et les funérailles du chef huron Kondiaronk (Le Rat) : « Je ne saurais vous exprimer, Monsieur, l’accablement où était sa Nation de la perte d’un homme si rempli de bonnes qualitez. Il était difficile d’avoir plus de pénétration d’esprit qu’il en avait et s’il fut né Français, il était d’un caractère à gouverner les affaires les plus épineuses d’un état florissant ».
Pour bien évaluer cette œuvre, il convient d’abord de remarquer qu’il manque à La Potherie une des qualités essentielles au véritable historien : le souci de dater avec précision les événements qu’il raconte. Desrosiers écrit avec raison : « L’absence de dates dans l’Histoire de l’Amérique septentrionale est quelque chose de fabuleux. Le lecteur ne sait jamais, sauf exceptions très rares, en quelle année il se trouve [...]. Avec lui, on peut passer de 1665 à 1695, sans recevoir aucun avertissement ». De plus, le titre général de l’ouvrage est inexact. Il faudrait beaucoup de bonne volonté pour y voir une histoire de l’Amérique du Nord. Pour les faits antérieurs à son séjour au Canada, l’auteur se contente de les résumer d’après ce qu’on en savait à l’époque. Le titre du volume II est également trompeur. On s’attendrait à y trouver une histoire assez développée des nations abénaquises, alors que la part du lion va aux Indiens de l’Ouest, champ particulier d’action de Nicolas Perrot.
L’Histoire de La Potherie est antérieure de 20 ans à celle de Charlevoix*. Celui-ci l’a ainsi jugée : « Cet Ouvrage [...] renferme des Mémoires assez peu digérés [...] sur une bonne partie de l’Histoire du Canada. On peut compter sur ce que l’Auteur dit comme témoin oculaire ; il paroît sincere & sans passion, mais il n’a pas toujours été bien instruit sur le reste. » L’appréciation de la Bibliothèque des Voyages est plus généreuse : « Bacqueville a écrit le premier d’une manière exacte l’établissement des Français à Québec, à Montréal et aux Trois-Rivières ; il a fait connaître surtout dans un grand détail, et en jetant dans sa narration beaucoup d’intérêt, les mœurs, les usages, les maximes, la forme de gouvernement, la manière de faire la guerre et de contracter des alliances de la nation iroquoise, si célèbre dans cette contrée de l’Amérique Septentrionale. Ces observations se sont encore étendues à quelques autres peuplades, telles que la nation des Abénaquis ». De son côté, Robert Le Blant écrit : « L’Histoire de l’Amérique septentrionale a été mésestimée par les auteurs modernes. La sincérité des exposés qui la composent est confirmée par la correspondance officielle [le volume IX des NYCD fait état des pièces citées par La Potherie]. Elle [l’Histoire...] constitue en grande partie une source originale devant être mise en œuvre pour la rédaction d’une histoire aussi exacte que possible de la Nouvelle-France. » Nous faisons nôtre ce jugement de Le Blant. Si, au lieu de chercher dans l’œuvre de La Potherie une méthode historique telle que nous la définissons aujourd’hui, on la considère comme une source sérieuse sur l’époque, elle réservera d’agréables surprises aux chercheurs. Emma Helen Blair l’a bien compris lorsqu’elle annota les récits publiés dans The Indian Tribes [...] ; ses explications reposent pour une très large part sur les écrits de Nicolas Perrot et de La Potherie.
La Potherie avait rêvé un jour d’écrire l’histoire de son propre pays. Il ne l’a pas fait. « Il reste devant la postérité, écrit Joseph-Edmond Roy, avec ses quatre volumes de l’Histoire de l’Amérique septentrionale. »
AJM, Greffe d’Antoine Adhémar, 11 mars 1700.— AN, Col., C11A, 18, pp.98–129 (copies des APC).— The Indian Tribes (Blair).— La Potherie, Histoire (1722).— Robert Le Blant, Histoire de la Nouvelle-France : les sources narratives du début du XVIIIe siècle et le Recueil de Gédéon de Catalogne (1 vol. paru, Dax, [1948]).— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX : passim.— Nicolas Perrot, Mémoire sur les mœurs, coustumes et relligion des sauvages de l’Amérique septentrionale [...], Jules Tailhan, édit. (Leipzig et Paris, 1864).— Taillemite, Inventaire analytique, série B, I : passim.— DBF, IV : 1 131s.— L.-P. Desrosiers, La Potherie, dans Centenaire de l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau (Montréal, 1945), 291–308.— J.-E. Roy, Claude-Charles de la Potherie, MSRC, 2e sér., III (1897), sect. i : 3–44.
Léon Pouliot, s.j., « LE ROY DE LA POTHERIE, dit Bacqueville de La Potherie, CLAUDE-CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_roy_de_la_potherie_claude_charles_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/le_roy_de_la_potherie_claude_charles_2F.html |
Auteur de l'article: | Léon Pouliot, s.j. |
Titre de l'article: | LE ROY DE LA POTHERIE, dit Bacqueville de La Potherie, CLAUDE-CHARLES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |