LEBLOND DE LATOUR, JACQUES, peintre et sculpteur qui enseigna à l’école des Arts et Métiers de Saint-Joachim, prêtre et curé de Baie-Saint-Paul, né à Bordeaux le 14 janvier 1671, décédé à Baie-Saint-Paul le 29 juillet 1715.

Son père, Antoine Leblond de Latour (né vers 1630 et décédé le 9 décembre 1706), joua un rôle très important dans la vie artistique de Bordeaux : peintre de l’hôtel de ville de Bordeaux en 1665, membre de l’Académie royale de peinture de Paris en 1682, membre-fondateur de l’Académie de peinture et de sculpture de Bordeaux (la seule hors de Paris) et premier professeur à cette académie en 1691, il fut aussi écrivain puisqu’il publia en 1699 une Lettre du sieur Leblond de Latour à un de ses amis, contenant quelques instructions touchant la peinture. Son frère aîné, Marc-Antoine (1668–1744), succéda à son père comme peintre de l’hôtel de ville de Bordeaux de 1690 à 1742. Son frère cadet, Pierre (né en 1673), passa en Amérique au début du xviiie siècle à titre d’ingénieur ordinaire du roi ; on le retrouve en Louisiane en 1720.

Jacques Leblond de Latour serait arrivé en Nouvelle-France le 24 mai 1690, à l’âge de 19 ans. Aucun document ne permet de savoir quelle formation artistique il avait alors, mais on peut facilement supposer qu’il fit l’apprentissage de la peinture avec son père. La sculpture devait aussi lui être familière, puisqu’il y avait à Bordeaux de nombreux menuisiers-sculpteurs. Son départ peut avoir été motivé par la nomination de son frère Marc-Antoine au poste de son père : le nombre de maîtrises était limité à cette époque et il était de tradition que le fils aîné succède au père.

Il est difficile d’établir avec certitude la date de la fondation de l’école des Arts et Métiers de Saint-Joachim. Cette œuvre de l’intendant Jean Talon* et de Mgr de Laval est rattachée à la fondation du petit séminaire de Québec en 1668. À cette école, située près de l’emplacement de la première église de Saint-Joachim (à plus de 25 milles de Québec), on enseigne « la menuiserie, la sculpture, la peinture, la dorure, pour l’ornement des églises, la maçonne et la charpente. Il y a de plus tailleurs, cordonniers, taillandiers, serruriers, couvreurs qui apprennent ces métiers aux enfants du pays ». Ce document, cité par Amédée Gosselin, date de 1685, mais dès 1675 arrivaient au pays divers artisans dont « Michel Fauchois, apprenti sculpteur loué pour 4 ans » et « Samuel Genner, sculpteur engagé pour trois ans ». Ils venaient manifestement prêter main-forte à l’école qui s’organisait, puisqu’ils étaient engagés par le séminaire de Québec. Mgr de Saint-Vallier [La Croix], qui visita les lieux en 1685, écrivait : « Mon principal soin dans le Cap-Tourmente fut d’examiner l’un après l’autre 31 enfants que deux ecclésiastiques du Séminaire élevaient, et dont il y en avait 19 que l’on appliquait à l’étude, et le reste à des métiers ».

C’est après l’arrivée de Leblond de Latour, en 1690, que l’école connut ses années les plus prospères, au cours desquelles fut construite la chapelle du séminaire de Québec. Il ne reste rien de cette chapelle, incendiée en 1701. Cependant, la description qu’en fait Le Roy de La Potherie donne une idée de ce qu’elle était : « La sculpture, que l’on estime 10 000 écus, en est très belle ; elle a été faite par les Séminaristes qui n’ont rien épargné pour mettre l’ouvrage dans sa perfection. Le maître-autel est un ouvrage d’architecture à la corinthienne ; les murailles sont revêtues de lambris et de sculptures dans lesquels sont plusieurs grands tableaux. Les ornements qui les accompagnent se vont terminer sous la corniche de la voûte qui est à pans, sous lesquels sont des compartiments en losanges, accompagnés d’ornements en sculpture peints et dorés ».

Il n’est pas possible d’évaluer la participation exacte de Leblond de Latour à l’ornementation de la chapelle du séminaire, des retables de Château-Richer, de Sainte-Anne de Beaupré et de l’Ange-Gardien. On ne peut lui attribuer avec certitude aucune sculpture. Devant ce qui reste aujourd’hui des ouvrages de l’Ange-Gardien et de Sainte-Anne de Beaupré, il faut songer qu’il s’agit d’entreprises auxquelles participèrent les élèves de l’école et des sculpteurs comme Denis Mallet, Charles Vézina* et Pierre-Gabriel Le Prévost*.

Le retable de Sainte-Anne de Beaupré fut exécuté vers 1700 par les sculpteurs de l’école de Saint-Joachim. La chapelle commémorative actuelle en conserve les restes dont quatre colonnes, un tabernacle et deux statues en bois représentant sainte Madeleine et saint Jean. Une photo de Livernois prise en 1877 montre la disposition originale du retable avant la démolition de l’église en 1878 : il faut s’y reporter pour avoir une idée de l’ensemble dont l’aspect architectural était très soigné. Les colonnes, qui sont ornées à la base de guirlandes de fleurs, permettent d’associer ce travail à celui de l’Ange-Gardien où l’on retrouve des colonnes semblables. Les sculptures de sainte Madeleine et de saint Jean sont de la rnême main que les deux petits anges annonciateurs qui ornent le tabernacle. Ce dernier constitue la pièce de résistance de l’ensemble : s’il comporte peu de motifs décoratifs en relief, son architecture se veut très savante. On y retrouve différents types de colonnes, corniches, frontons, coupoles, balustres, etc. Tout se passe comme si l’on eût voulu donner un exemple de tous les éléments architecturaux qui peuvent composer un tabernacle.

Le retable de l’Ange-Gardien était beaucoup plus orné que celui de Sainte-Anne de Beaupré : on y retrouve cependant les mêmes motifs. Exécuté lui aussi vers 1700, ce retable fut plusieurs fois remanié jusqu’à l’incendie de l’église en 1931 ; les paroissiens en sauvèrent alors la plus grande partie et tout fut replacé dans l’église nouvelle où il resta jusqu’en 1963. Le maître-autel demeure l’une des œuvres majeures de la sculpture au Canada français ; plus fouillé que celui de Sainte-Anne, il est aussi d’un esprit plus raffiné. Deux grandes sculptures ornaient le retable : celles de saint Michel et de l’Ange Gardien. D’une exécution différente des sculptures de Sainte-Anne, elles semblent avoir été travaillées par un sculpteur de métier possédant une formation européenne. Par contre, la statuette qui occupait la niche centrale du maître-autel, une Vierge à l’enfant, est certainement l’œuvre d’un sculpteur formé à Saint-Joachim ; sa raideur et sa naïveté en font une des sculptures les plus intéressantes de cette époque.

Jacques Leblond de Latour prit l’habit ecclésiastique en 1696. Il ne fut ordonné prêtre qu’en 1706, et fut nommé curé de Baie-Saint-Paul. Il est peu probable qu’il ait par la suite exercé son métier de sculpteur. Mais il n’était pas que sculpteur : ses antécédents familiaux le destinaient à être peintre. M. Gérard Morisset lui attribue plusieurs œuvres, dont un portrait de Mgr de Laval conservé à l’archevêché de Québec et un portrait de Mgr de Saint-Vallier, à l’Hôpital Général de Québec.

Jean Trudel

Archives municipales de Bordeaux, Registre des baptêmes de la cathédrale Saint-André.— ASQ, Transcripta.— IOA, Dossier Jacques Leblond.— Marius Barbeau, Au cœur de Québec (Montréal, 1934).— Amédée Gosselin, Linstruction au Canada sous le régime français (1635–1760) (Québec, 1911), 361–363.— Jean Palardy, Les meubles anciens du Canada français (Paris, 1963), 369–371.— Harper, La Peinture au Canada.— Morisset, La peinture traditionnelle au Can. fr., 28s.— Charles Braquehaye, Les peintres de l’hôtel de ville de Bordeaux, Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des Départements, XXII (1898) : 902–954, XXIII (l 899) : 595–639.— Gérard Morisset, Généalogie et petite histoire, un maître-maçon d’autrefois, Claude Baillif, MSGCF, XVI (1965) : 131–137 ; L’école des Arts et Métiers de Saint-Joachim, MSGCF, XVI (1965) : 67–73.

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Jean Trudel, « LEBLOND DE LATOUR, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/leblond_de_latour_jacques_2F.html.

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Auteur de l'article:    Jean Trudel
Titre de l'article:    LEBLOND DE LATOUR, JACQUES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    22 déc. 2024