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HART, AARON, homme d’affaires, né vers 1724, peut-être en Bavière (République fédérale d’Allemagne), plus probablement en Angleterre, mort à Trois-Rivières le 28 décembre 1800.

On ne connaît rien des origines d’Aaron Hart. La tradition familiale a longtemps entretenu la légende d’un régiment dénommé le Hart New York Rangers qui aurait joint les troupes d’Amherst au moment de la conquête du Canada. Des historiens juifs ont fait d’Aaron Hart un officier des troupes britanniques, membre de l’état-major d’Amherst. Plus réaliste, le savant historien J. R. Marcus en fait plutôt un pourvoyeur, un vivandier qui aurait suivi les troupes. À l’époque, l’intendance des armées européennes accueillait en effet de nombreux Juifs. Un certificat maçonnique daté de New York, le 10 juin 1760, constitue le plus ancien document connu relatif à Aaron Hart. Résolu de suivre les troupes d’Amherst et de Haldimand vers le nord, Hart avait sans doute jugé prudent de se munir d’une sorte de lettre d’introduction. Toutefois les papiers militaires ne font jamais allusion à sa présence, et il faut attendre un reçu daté du 28 mars 1761 pour retrouver sa trace. Ce document atteste qu’Eleazar Levy et Aaron Hart ont fourni des marchandises à Samuel Jacobs. Le 21 octobre 1761, ce dernier écrit à Hart et, à partir de ce moment, une correspondance régulière confirme la présence d’Aaron Hart à Trois-Rivières.

En mai 1762, Haldimand assure l’intérim à la tête du gouvernement de Trois-Rivières durant l’absence de Ralph Burton*. Il se fera le protecteur de Hart, déjà pourvoyeur des troupes qui y sont cantonnées. Le 4 juillet 1762, un incendie éclate dans la ville. Selon Haldimand, « le Marchand Hart, Juif anglais, qui a le plus souffert peut avoir perdu [£] 4 ou 500 ». Trois jours plus tard, le notaire Paul Dielle enregistre un bail entre Théodore Panneton, fils, et Aaron Hart. Le 23 août 1763, les autorités ouvrent un bureau de poste à Trois-Rivières, « en la maison du Sr Hart, Marchand » ; il y restera jusqu’en 1770. À l’été de 1764, Haldimand, devenu gouverneur en titre, écrit à Gage que le « corps des British Marchands des 3 Rivières » est « composé d’un Juif et d’un Sergent et Soldat Irlandais réformés ». Rapidement, Hart s’intéresse au commerce des fourrures. Il prend à son service les plus réputés voyageurs de la région, dont Joseph Chevalier, Louis Pillard, fils, et Joseph Blondin. Les résultats sont bons. Hart ne cessera de développer cette activité lucrative.

Dès le 7 février 1764, Aaron Hart achète une première terre de 48 arpents, de la succession des Fafard de La Framboise. Il paie comptant la jolie somme de £350. Sept mois plus tard, il jette son dévolu sur une partie importante de la seigneurie de Bécancour. En mai 1765, une partie du fief de Bruyères passe entre ses mains. Il acquitte en six mois les £500 exigées par Simon Darouet. Son ardeur à acquérir de nouvelles terres ne se relâchera jamais. Aaron Hart entrevoit les possibilités extraordinaires qu’offre ce pays fraîchement conquis par les Britanniques. Il croit en son progrès, en son développement. Pourquoi ne pas y fixer une solide dynastie ? Méthodiquement Aaron Hart en pose les assises. En 1767, convaincu des promesses d’avenir de sa nouvelle patrie, il se rend à Londres pour y prendre femme. Le 2 février 1768, il épouse Dorothée Judah. Ce mariage le place au cœur d’un important réseau familial. Lui-même a déjà un frère, Moses, qui tente sa chance à ses côtés, un autre, Henry, s’est fixé à Albany, New York, tandis qu’un troisième, Lemon, lance à Londres la distillerie London Red Heart Rum. Dorothée Judah a été précédée au pays par au moins deux de ses frères, Uriah et Samuel. Leur correspondance nous apprend que « maman Judah » vit à New York vers 1795. Ces mêmes lettres nous renseignent sur les liens étroits qui unissent le couple à la grande famille juive de New York, dont les principaux membres sont les Gomez, Myers, Levy, Cohen, Manuel.

À son retour de Londres, au printemps de 1768, Aaron retrouve son frère Moses qui a veillé avec succès à ses affaires. Il rêve d’une famille nombreuse et ne rate pas une terre à vendre ou un propriétaire à court d’argent. Il prête facilement et attend volontiers. Il laisse grossir la dette, puis demande des garanties, suggère des hypothèques. Les vieux seigneurs, vaincus de 1760, deviennent ses clients les plus assidus ; Hart manifeste à leur endroit une certaine sympathie. Il se fait en quelque sorte le complice du chevalier Joseph-Claude Boucher* de Niverville, du chevalier Charles-Antoine Godefroy de Tonnancour, de Jean-Baptiste Poulin de Courval Cressé, de Jean Drouet de Richerville. Par des prêts généreux et discrets, il leur rend presque doux les lendemains de Conquête. Ne sera-t-il pas toujours temps de brandir ses créances au nez des héritiers aussi surpris que désemparés ! L’avenir appartient aux nouveaux habitants, Anglais, Écossais ou Juifs. Aaron Hart comprend le sens véritable des événements qui lui ont ouvert, à lui et aux siens, les portes de la vallée du Saint-Laurent : le petit nombre d’anglophones établis dans la province incite le conquérant à compter avec les marchands juifs. Ceux-ci se sentent Britanniques à part entière. Ils joignent leurs noms aux nombreuses pétitions des anciens sujets de Sa Majesté. Ils s’installent un peu partout dans la nouvelle colonie britannique : à Québec, Eleazar Levy, Elias Salomon, Levy Simons, Hyam Myers, Abraham Franks et quelques autres ; à Sorel, Moses Hart, frère d’Aaron ; à Verchères, Uriah Judah ; à Sainte-Anne-d’Yamachiche (Yamachiche), Emmanuel Manuel ; à Saint-Antoine-de-la-Rivière-du-Loup (Louiseville), Pines Heineman ; à Berthier-en-Haut (Berthierville), Joseph Judah et Barnett Lyons ; à Saint-Denis, sur le Richelieu, Samuel Jacobs ; à Montréal, Chapman Abraham, Gershom, Simon et Isaac Levy, Benjamin Lyon (Lyons), Ezékiel et Levy Solomons, Lazarus David, John et David Salisbury Franks, Samuel et Isaac Judah, Andrew Hays et bien d’autres. Établie principalement à partir des papiers d’affaires d’Aaron Hart et de Samuel Jacobs, cette liste est loin d’être complète. La plupart de ces Juifs sont arrivés dans la province de Québec au moment de la Conquête, ou peu après. Les uns ont d’abord fait la traite dans la région des Grands Lacs puis ont gagné Québec et Montréal vers 1763 ; d’autres sont venus directement avec les troupes. C’est le cas de Samuel Jacobs qu’on retrouve dès 1758 au fort Cumberland (près de Sackville, Nouveau-Brunswick), puis dans le sillage du 43e régiment et des troupes de Wolfe*. Il est à Québec, à l’automne de 1759.

En fait, Samuel Jacobs pourrait donc facilement disputer à Aaron Hart le mérite d’avoir été le premier Juif canadien. L’un comme l’autre ont brassé d’importantes affaires et en ont laissé de précieuses traces capables de rapaître toute une cohorte d’historiens. Aux yeux de ses coreligionnaires, Aaron Hart a cependant l’avantage d’avoir fait un mariage juif et d’avoir pu élever ses enfants, ses garçons du moins, dans la tradition juive. Mort à un âge respectable, il eut en outre l’occasion de les initier lui-même aux affaires. À partir de 1792, il les associe étroitement à ses entreprises. Tandis que Moses* tente sa chance à Nicolet puis à Sorel, il abandonne son magasin de la rue du Platon à Aaron Hart and Son et confie des responsabilités précises à Ezekiel*. Au retour de Moses, il transforme la compagnie et en profite pour y associer également le jeune Benjamin*. C’est avec ses fils qu’Aaron réalisera un vieux projet en ouvrant une brasserie en face du monastère des ursulines, près du fleuve. En destinant à ses fils, surtout aux deux plus vieux, d’importants biens fonciers, il les force ni plus ni moins à s’installer à Trois-Rivières, berceau désigné de la dynastie des Hart.

Au printemps de 1800, Aaron tombe malade. Il lutte jusqu’à la mi-décembre alors qu’il se résout à dicter son testament, considérant qu’il n’y a rien de si certain que la mort et de si incertain que son heure ». L’aîné de ses fils, Moses, recevra en héritage la seigneurie de Sainte-Marguerite et le marquisat du Sablé ; Ezekiel, la seigneurie de Bécancour ; Benjamin, le magasin principal ; et Alexandre, deux terrains situés dans la ville. À chacune de ses quatre filles, Catherine, Charlotte, Élisabeth et Sarah, il laissait la somme de £1000, assortie cependant de toutes sortes de conditions liées en particulier à leur mariage et à leur éventuelle progéniture. Constamment, des clauses ramènent les biens aux porteurs du nom de Hart. L’inventaire soigneusement dressé par les notaires Joseph Badeaux* et Étienne Ranvoyzé* révèle non seulement la fortune, mais aussi les habitudes et les ruses du marchand. Plusieurs sacs contiennent d’importantes réserves de piastres d’Espagne. L’entrée des créances, pour sa part, couvre 11 pages du grand livre des notaires. Pas une paroisse à moins de 50 milles à la ronde ne peut se vanter de ne pas avoir au moins un de ses habitants en dette avec Hart. De ces innombrables créances, une seule rappelle un mauvais souvenir. En 1775, au moment de l’invasion américaine, le marchand trifluvien a fourni les deux parties. Les Américains l’avaient payé d’un papier non encore honoré un quart de siècle plus tard. Pour le reste, les héritiers auront la partie belle. Au moment de l’abolition du régime seigneurial, les relevés préparés vers 1857 par un descendant des Judah révéleront que le clan Hart possède en totalité ou en partie quatre fiefs (Boucher, Vieux-Pont, Hertel et Dutort) et sept seigneuries (Godefroy, Roquetaillade, Sainte-Marguerite, Bruyères, Bécancour, Bélair et Courval). Le total des cens et rentes, de même que des lods et ventes, s’éleva alors à $86 293,05.

Gravement dépossédés, les Trifluviens n’avaient pourtant pas dit leur dernier mot. En 1807, ils élisaient Ezekiel Hart député à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Sans trop s’en rendre compte, ce dernier devenait un peu l’un des leurs. Les Hart de la troisième et de la quatrième génération allaient vivre encore davantage le sens réel de la tenace et profonde résistance des « anciens Canadiens ». Progressivement, les descendants d’Aaron Hart vont se fondre parmi la population trifluvienne francophone et catholique qui survit tant bien que mal au drame de 1760. Certains se rallient temporairement aux anglo-protestants. Rivés à leurs importants biens fonciers, des centaines de descendants d’Aaron Hart refusent toutefois de tout perdre en quittant cette région qui demeure résolument francophone et catholique. Ils choisissent d’y demeurer, menacés cependant par une lente mais inexorable assimilation à la majorité locale. Aujourd’hui, certains conservent jalousement le secret de leurs origines et de leur relative prospérité, tandis que plusieurs autres l’ignorent tout à fait. Aaron Hart ne pouvait prévoir ce curieux retour de l’histoire qui amena le vaincu de 1760 à se faire progressivement assimilateur. Les Hart de la région de Trois-Rivières subiront le sort des Burns, des Johnson, des Ryan. Mêlés aux « anciens Canadiens », ils deviendront eux aussi les ancêtres des Québécois d’aujourd’hui.

Denis Vaugeois

Les papiers de la famille Hart sont conservés aux Archives du séminaire de Trois-Rivières, dans le fonds Hart que Marcel Trudel a évalué à « environ 100 000 pièces groupées dans 3 000 chemises ». Hervé Biron, qui a travaillé à la classification de ce fonds, a dressé un intéressant inventaire de 98 pages intitulé : « Index du fonds Hart ». Il s’agit là de la plus riche collection de documents permettant de retracer l’histoire des Juifs au Canada de 1760 à 1850. La famille Hart se rattache en effet à la plupart des familles juives du Canada et des États-Unis de cette période dominée par les Juifs de rite séphardique. Les papiers Jacobs conservés aux APC (MG 19, A2, sér. 3) et classés avec le fonds de la famille Ermatinger comptent plus de 300 volumes. Ils couvrent une période beaucoup plus courte qui va de 1758 à 1786. Jusqu’à ce jour, un seul historien juif a consulté de façon sérieuse ces deux importantes sources, J. R. Marcus, directeur des American Jewish Archives de Cincinnati, Ohio, et auteur de Early American Jewry (2 vol., Philadelphie, 1951–1953). Un historien juif canadien, B. G. Sack, a publié, sous les auspices du Canadian Jewish Congress, un ouvrage intitulé History of the Jews in Canada, Ralph Novek, trad., et Maynard Gertler, édit. ([2e éd.], Montréal, 1965) ; survol rapide d’une valeur historique très inégale. À partir du fonds Hart, Raymond Douville a publié une intéressante biographie d’Aaron Hart intitulée Aaron Hart; récit historique (Trois-Rivières, 1938). Dans les Juifs et la Nouvelle-France (Trois-Rivières, 1968), Denis Vaugeois retrace avec précision l’histoire des premiers Juifs canadiens. Il peut être intéressant de noter également que L.-P. Desrosiers s’est inspiré de l’histoire d’Aaron Hart et de Nicolas Montour pour son roman les Engagés du Grand-Portage (Paris, 1938). Enfin, on trouve quelques documents relatifs à Aaron Hart aux AUM, P 58, et au Musée McCord (Montréal).  [d. v.]

Chronological list of important events in Canadian Jewish history, Louis Rosenberg, compil. ([Montréal], 1959).— Printed Jewish Canadiana, 1685–1900 [...], R. A. Davies, compil. (Montréal, 1955).— A selected bibliography of Jewish Canadiana, David Rome, compil. (Montréal, 1959).— A. D. Hart, The Jew in Canada (Toronto, 1926).

Bibliographie générale

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Denis Vaugeois, « HART, AARON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hart_aaron_4F.html.

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Auteur de l'article:    Denis Vaugeois
Titre de l'article:    HART, AARON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    19 mars 2024