BOUCHER DE NIVERVILLE, JOSEPH (appelé parfois Joseph-Claude ; il signait chevalier Niverville), officier dans l’armée et dans la milice, seigneur, surintendant des Affaires indiennes et fonctionnaire, né le 22 septembre 1715 à Chambly (Québec), fils de Jean-Baptiste Boucher* de Niverville et de Marguerite-Thérèse Hertel de La Fresnière ; le 5 octobre 1757, il épousa à Trois-Rivières (Québec) Marie-Josephte Châtelin, et ils eurent 11 enfants ; décédé le 30 août 1804 à Trois-Rivières.

Joseph Boucher de Niverville commença sa carrière militaire dans les troupes de la Marine en 1734 en prenant part, comme cadet, à l’expédition contre les Renards, dirigée par Nicolas-Joseph de Noyelles* de Fleurimont. Pendant les deux années suivantes, il profita de son séjour dans la région de Detroit pour participer à la traite des fourrures, grâce aux marchandises que lui fournissait le négociant montréalais Pierre Guy*. En 1737, Niverville passa sous les ordres de Gaspard Adhémar* de Lantagnac, commandant au fort Chambly. Deux ans plus tard, il accompagna en Louisiane le détachement commandé par Charles Le Moyne* de Longueuil pour mater la tribu des Chicachas. En 1742, il obtint une expectative d’enseigne en second, et le 1er mai 1743 le roi lui accorda son brevet.

La guerre de la Succession d’Autriche, qui s’étendit à l’Amérique l’année suivante, allait fournir à Niverville l’occasion de se signaler. En 1745, il combattit en Acadie où il fit sept prisonniers et parvint à s’emparer d’un bâtiment britannique de huit pièces d’artillerie, en le prenant à l’abordage avec l’aide de quatre Amérindiens. Entre la mi-mars et la mi-mai de l’année suivante, à la tête d’un parti de guerriers abénaquis, il se rendit à une trentaine de lieues de Boston d’où il ramena deux prisonniers britanniques dont un qu’il avait lui-même capturé. Au début de juin, il quitta Québec à destination de l’Acadie au sein du détachement commandé par Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay* qui avait pour mission de rejoindre l’escadre française du duc d’Anville [La Rochefoucauld*] ; son frère cadet, François Boucher de Niverville (Nebourvele) Grandpré, faisait partie de la même expédition. Durant cette campagne d’environ six mois, Niverville prit part notamment au raid conduit par Joseph-Michel Legardeur* de Croisille et de Montesson contre un détachement britannique à Port-La-Joie (Fort Amherst, Île-du-Prince-Édouard).

Au cours de l’année 1747, Niverville accomplit une demi-douzaine de missions, tantôt en Nouvelle-Angleterre, tantôt dans le gouvernement de Montréal. Au printemps, à la tête d’une dizaine de Canadiens et d’une soixantaine d’Abénaquis, il effectua un raid à travers la région qui s’étend du sud du lac Champlain jusqu’au Massachusetts. Son parti ne put ramener de prisonniers, mais il détruisit cinq forts ainsi qu’une centaine d’habitations, et tua de 600 à 700 bêtes à cornes, moutons et porcs. Cette expédition permit en outre aux autorités de la colonie d’apprendre que les ennemis semblaient préparer une attaque contre le fort Saint-Frédéric (près de Crown Point, New York). Peu après, au cours d’une autre mission, Niverville captura deux Agniers et, à la fin du mois de juin, il fit partie du détachement de Louis de La Corne* qui intercepta un groupe de guerriers indiens, britanniques et hollandais aux Cascades (près de l’île des Cascades, Québec). Nommé enseigne en pied le 15 février 1748, Niverville assuma, durant cette année-là, le commandement de divers corps de milice dans le gouvernement de Montréal. Il dirigea aussi deux partis de guerre en Nouvelle-Angleterre, dont un qui attaqua le fort Massachusetts (North Adams, Massachusetts) en août, mais sans réussir à le faire capituler.

L’année 1749 fut une période de transition dans la carrière de Niverville. Avec ses deux jeunes frères, Niverville Grandpré et Pierre-Louis Boucher de Niverville Montizambert, il parcourut la vallée de l’Ohio au sein du détachement commandé par Pierre-Joseph Céloron* de Blainville. Au cours de cette campagne, il échappa de justesse à la mort lorsqu’il fut capturé par quelques Chaouanons à Sonioto (Portsmouth, Ohio) en même temps que son compagnon d’armes Philippe-Thomas Chabert* de Joncaire. Peu après son retour à Montréal, le gouverneur Jacques-Pierre de Taffanel* de La Jonquière lui ordonna de se joindre à une expédition mandatée pour découvrir la mer de l’Ouest sous les ordres de Jacques Legardeur* de Saint-Pierre. Ayant quitté Montréal au début de juin 1750, le groupe atteignit le fort La Reine (Portage-la-Prairie, Manitoba) à l’automne. Niverville en repartit presque aussitôt pour aller fonder un nouvel établissement à l’ouest du fort Paskoya (Le Pas, Manitoba), qui servirait de base pour lancer une expédition en direction des Rocheuses. Le 29 mai 1751, Niverville fit partir du fort Paskoya deux canots montés par dix hommes, mais il ne put aller les rejoindre comme il l’avait projeté, une grave maladie l’en empêchant. Ses hommes érigèrent tout de même le fort La Jonquière (situé probablement dans la région de Nipawin, Saskatchewan), et lorsqu’ils revinrent au fort Paskoya, leur chef reposait toujours dans un état critique. C’est seulement au printemps de 1753 que Niverville fut en état de quitter le fort ; il parvint à rejoindre le groupe de Legardeur peu avant d’atteindre le lac Supérieur, et l’expédition regagna Montréal vers la fin de l’été sans avoir découvert la mer de l’Ouest.

Le 25 janvier 1754, Niverville acheta de ses frères et sœurs la moitié indivise de la seigneurie de Chambly dont ils avaient hérité conjointement deux ans plus tôt, l’autre moitié étant allée à leur frère aîné Jean-Baptiste. Confiné au repos à la suite de la maladie qu’il avait contractée dans l’Ouest, Niverville ne reprit le service qu’en mai 1755 pour assumer un commandement dans la région de Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan). Il fut cependant rappelé dès le mois d’août suivant pour prendre la tête des Abénaquis au sein du corps d’armée commandé par Jean-Armand Dieskau*. Promu lieutenant le 17 mars 1756, il dirigea de nouveau les Abénaquis lors de la prise du fort William Henry (appelé aussi fort George ; aujourd’hui Lake George, New York) l’année suivante. En 1758, Niverville consacra la majeure partie de son temps à recruter des guerriers indiens, en plus de prendre part à la bataille de Carillon (près de Ticonderoga, New York) en juillet. À la fin de mai 1759, il fut envoyé à Baie-Saint-Paul (Québec) à la tête d’un détachement d’Abénaquis et de miliciens canadiens dans le but d’y empêcher toute tentative de débarquement de la part des ennemis. Ces derniers étant passés outre, Niverville revint à Québec et participa à sa défense, puis il accompagna l’armée française lors de son repli vers Montréal. Entre-temps, le 20 août, sa jeune femme ainsi que sa belle-mère avaient été légèrement blessées par leur esclave indienne Marie*. Cet incident donna lieu, semble-t-il, à la dernière condamnation à la peine capitale sous le Régime français.

Le 28 avril 1760, Niverville participa à la bataille de Sainte-Foy. À l’automne de l’année suivante, il s’embarqua pour la France en même temps que son frère Niverville Grandpré, qui avait été le dernier officier canadien à se rendre aux Britanniques en Acadie, plusieurs mois après la capitulation de Montréal.

Bien qu’il eût reçu la croix de Saint-Louis le 17 juillet 1763, Niverville fut déçu du sort réservé aux officiers canadiens en France, et en novembre il était de retour à Trois-Rivières. Le 21 février 1766, il assista à la réunion des seigneurs de la région de Montréal, qu’avait convoquée le gouverneur Murray*. Au début de l’année suivante, il devint propriétaire de la quasi-totalité des terrains ayant appartenu à son défunt beau-père : le marquisat du Sablé, la seigneurie de Sainte-Marguerite, le fief de La Poterie et un autre fief sans nom. Ces nouvelles propriétés, toutes situées à Trois-Rivières ou à proximité, augmentèrent d’autant ses revenus qui, depuis son retour, dépendaient essentiellement de ses droits sur la moitié de la seigneurie de Chambly. Toujours en 1767, Niverville fit partie du jury d’accusation lors du procès intenté par Thomas Walker* contre le capitaine Daniel Disney. À cette occasion, il prêta le serment d’allégeance à la couronne britannique tout comme trois autres chevaliers de Saint-Louis, membres du même jury : François-Marie Picoté* de Belestre, Pierre-Roch de Saint-Ours Deschaillons et Claude-Pierre Pécaudy* de Contrecœur. Ce geste lui valut, en 1769, d’être parmi les 12 seigneurs canadiens proposés par le gouverneur Guy Carleton pour faire partie d’un éventuel conseil législatif, mais son nom ne fut pas retenu.

Malgré ses 60 ans, Niverville prit une part active à la défense de la province de Québec lors de l’invasion américaine de 1775–1776. C’est vraisemblablement à cette occasion qu’on lui confia le poste de surintendant des Affaires indiennes du district de Trois-Rivières, qu’il conserva jusqu’en 1796. En septembre 1775, sur l’ordre de Carleton, il partit de Montréal à la tête d’une petite troupe d’Amérindiens et de Canadiens pour aller secourir la garnison du fort Saint-Jean, sur le Richelieu, alors assiégé par Richard Montgomery*. Il rencontra cependant un détachement d’Américains à Laprairie (La Prairie) et se replia sur Montréal sans engager le combat. Le 11 novembre, après la capitulation du fort Saint-Jean, Carleton abandonna Montréal avec les troupes régulières pour se rendre à Québec. Retenu à Lavaltrie pendant quelques jours par des vents contraires, Carleton apprit que les Américains avaient déjà dressé des batteries à Sorel. Dans la nuit du 16, grâce à un stratagème conçu par Jean-Baptiste Bouchette, le gouverneur, son aide de camp, Charles-Louis Tarieu de Lanaudière, et Niverville passèrent devant Sorel et atteignirent Trois-Rivières où ce dernier se sépara du groupe. Durant l’hiver, les envahisseurs, qui occupaient Trois-Rivières, ne molestèrent par les royalistes comme Niverville, se contentant de confisquer leurs armes. Au printemps de 1776, après l’arrivée d’une escadre britannique devant Québec, les Américains battirent en retraite jusqu’à Sorel, puis ils lancèrent une contre-offensive en envoyant le général de brigade William Thompson attaquer Trois-Rivières par surprise. Le matin du 8 juin, l’avant-garde des troupes de Thompson fut elle-même surprise et faite prisonnière par une patrouille aux ordres de Niverville, sans avoir pu donner l’alarme. Lorsque l’armée américaine se présenta à son tour, elle dut essuyer le feu nourri de défenseurs qui l’attendaient de pied ferme [V. François Guillot*, dit Larose]. Cette participation de Niverville à la défense de la province lui valut une retraite avec la demi-solde de lieutenant.

Nommé juge de paix en 1780 sinon un peu avant, Niverville exerça cette charge au moins jusqu’à ce qu’on l’en dispensât en avril 1798, à cause de son âge avancé. Dans le cadre de cette fonction, Niverville fut mêlé à quelques événements marquants de la vie trifluvienne, telles l’enquête menée en 1787 au sujet du suicide de Dolly Manuel, servante de la famille Hart, l’élaboration des règlements pour le marché de la ville en 1791, ou encore la réforme de la Société du feu de Trois-Rivières en 1796.

Le 4 mars 1790, Niverville fut nommé colonel du bataillon de milice de la ville de Trois-Rivières et partie du Nord. Le 12 août suivant, il fit emprisonner Jonathan et Joseph Sills ainsi que Malcolm Fraser fils, qui avaient refusé de se présenter à un exercice de la milice. Ce geste lui valut d’être décrié dans un pamphlet clandestin, probablement l’œuvre de Jonathan Sills, intitulé la Bastille septentrionale ou les Trois Sujets britanniques opprimés [...], et publié à Montréal et à Trois-Rivières en 1791. Il se vit même intenter un procès par ses « victimes » ; il fut défendu par l’avocat Arthur Davidson. Niverville conserva cependant l’entier appui de l’état-major dans cette affaire, et il ne semble pas avoir été inquiété sérieusement. En 1800, on lui adjoignit un enseigne aide-major pour l’aider dans sa tâche et on lui octroya 1 200 arpents de terre. Il ne fut mis à la retraite qu’en juin 1803, et à sa mort, survenue l’année suivante, il était le dernier chevalier de Saint-Louis au Canada.

La carrière militaire de Joseph Boucher de Niverville fut sans aucun doute une des plus longues qu’ait connue un officier canadien au xviiie siècle. Il prit part à plusieurs expéditions marquantes et fut amené à se rendre aux confins du vaste territoire de la Nouvelle-France, à l’est, au sud, comme à l’ouest. Après la Conquête, il gagna rapidement la confiance des nouvelles autorités et se mérita quelques faveurs, dont Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier* de Lotbinière exagéra toutefois l’importance lorsqu’il écrivit à un ami, en septembre 1802 : « [Le chevalier Niverville vit] des bienfaits du gouvernement lequel est très généreux et sous lequel les Canadiens sont très heureux en général. » La décision de Niverville de s’établir dans une agglomération secondaire comme Trois-Rivières, jointe à son peu d’intérêt pour la politique – il se contenta de signer la pétition des seigneurs canadiens contre la création d’une chambre d’assemblée en 1788 et d’assumer la présidence du comité local de l’Association fondée en 1794 pour appuyer le gouvernement britannique -, explique en partie pourquoi il ne joua pas un rôle aussi important que d’autres membres de la noblesse canadienne après la Conquête.

Pierre Dufour

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Pierre Dufour, « BOUCHER DE NIVERVILLE, JOSEPH (Joseph-Claude) (chevalier Niverville) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/boucher_de_niverville_joseph_5F.html.

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Auteur de l'article:    Pierre Dufour
Titre de l'article:    BOUCHER DE NIVERVILLE, JOSEPH (Joseph-Claude) (chevalier Niverville)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    22 déc. 2024