MILLS, JOSEPH LANGLEY, ministre de l’Église d’Angleterre, éducateur et fonctionnaire, baptisé le 28 mars 1788 à Deddington, Angleterre, fils de Moses Mills et d’une prénommée Sarah ; le 3 mars 1817, il épousa à Québec Anna Cecilia Craigie, fille de John Craigie*, et ils eurent au moins six enfants ; décédé le 13 août 1832 au même endroit.
Joseph Langley Mills fit ses études au Magdalen College de l’University of Oxford où il obtint une licence ès arts en 1809 et une maîtrise ès arts trois ans après ; de 1810 à 1817, il fut fellow du collège. Engagé dans l’armée comme aumônier le 12 octobre 1812, il servit au Portugal pendant la guerre d’Espagne. Il arriva dans le Bas-Canada en août 1814 à titre d’aumônier de l’état-major. Plus tard dans l’année, après un bref séjour au fort Chambly, il fut envoyé à Québec pour remplacer le révérend Salter Jehosaphat Mountain comme aumônier de la garnison. Il semble que, pour accroître leurs revenus et aider le clergé local, les aumôniers assumaient souvent des fonctions ecclésiastiques supplémentaires ; ainsi, en 1814, Mills succéda à George Jehoshaphat Mountain* comme prédicateur du soir à la cathédrale Holy Trinity, poste qui, faute d’un salaire suffisant, ne pouvait constituer un travail à plein temps pour un ministre qualifié. Le 30 octobre 1821, après la mort du révérend George Jenkins, Mills fut nommé aumônier principal des troupes au Canada. L’année suivante, un baccalauréat et un doctorat en théologie lui furent décernés par décret.
Comme beaucoup de religieux de son époque, Mills joua dans son milieu un rôle important dans la création d’œuvres de charité et d’organismes voués au progrès social. En 1816, il semble avoir été trésorier d’un fonds de secours destiné aux soldats blessés pendant la guerre de 1812 ainsi qu’aux veuves et aux enfants de ceux qui y avaient trouvé la mort. En juillet 1819, Mills, Jonathan Sewell*, George Jehoshaphat Mountain, Daniel Wilkie* et le marchand Benjamin Tremain constituaient à eux seuls le comité chargé de trouver des moyens de venir en aide aux immigrants démunis. Le 26, il fut élu au conseil d’administration de la Société de Québec des émigrés, fondée à l’issue des travaux du comité. L’année suivante, il participa à la fondation de la division québécoise de la Royal Humane Society of London for the Recovery of the Apparently Drowned or Dead. Le but de cet organisme était d’enseigner à la population comment différencier la mort de la simple inconscience chez une personne et de faire connaître des méthodes de réanimation ; jusque-là, nombreux étaient ceux qui étaient décédés parce qu’on les avait tenus pour morts et laissés sans traitement. Aux environs de 1828, Mills prit part à une collecte pour l’érection d’un monument (qui existe toujours) à la mémoire de James Wolfe* et de Louis-Joseph de Montcalm* ; de plus, c’est lui qui composa l’une des inscriptions.
En qualité d’aumônier de la garnison, Mills devait s’occuper d’instruire les enfants des soldats ; cette tâche l’amena à se dévouer sa vie durant à la cause de l’éducation. En janvier 1816, il prononça à la cathédrale un sermon qui permit de recueillir environ £170 pour une école de filles à Québec. En mars 1818, il fut nommé secrétaire du comité diocésain de Québec de la Society for Promoting Christian Knowledge et, à ce titre, il participa à la tenue des écoles du dimanche et à la fondation de l’École nationale, organisée selon le système d’enseignement Bell ou système de Madras [V. John Baird*]. Le 13 décembre 1819, peu après avoir accepté la présidence de l’Institution royale pour l’avancement des sciences, l’évêque Jacob Mountain nomma Mills secrétaire de cet organisme.
L’Institution royale, première organisation vouée à l’instruction publique dans le Bas-Canada, avait été créée au mois d’avril 1801 en vertu d’une loi du Parlement provincial. Le gouverneur avait le pouvoir d’en nommer le président, les administrateurs et les autres membres ; l’Institution royale devait administrer toutes les écoles de la colonie, à l’exception des écoles privées, restriction peut-être introduite dans la loi devant l’insistance de Mgr Joseph-Octave Plessis, coadjuteur de l’évêque de Québec. Aucune école parrainée par l’Institution royale ne pouvait être construite dans une paroisse ou un canton sans que la majorité des habitants l’ait demandé ; le coût de la construction était ensuite réparti entre tous les résidents. À compter de 1801, on proposa plusieurs modes de financement pour l’Institution royale, par exemple lui affecter les biens des sulpiciens ou des sommes provenant des biens des jésuites, mais aucun ne fut adopté. En fait, ce n’est qu’en 1818 que fut nommé le premier conseil d’administration. Avant cette date, seulement 35 écoles environ avaient reçu des fonds gouvernementaux en vertu de la loi de 1801 et aucune supervision n’avait été exercée sur elles. Dès sa nomination, le conseil émit des règlements et des directives, et Mills, à titre de secrétaire, entreprit une enquête sur l’état des écoles existantes.
En fait, Mills devint pour ainsi dire l’Institution royale. Il tenait les procès-verbaux et les dossiers du conseil, interprétait et appliquait ses décisions. Comme le conseil ne se réunissait pas souvent, Mills avait beaucoup d’autonomie dans l’administration courante. Il entretenait une correspondance suivie avec les commissaires de l’Institution royale, représentants locaux qui veillaient à l’établissement des écoles, et avec les inspecteurs, ainsi qu’avec les instituteurs, les parents et d’autres membres du clergé. Il recevait les rapports semestriels des inspecteurs et en transmettait le contenu au conseil. De plus, après consultation avec les gens en place dans chaque localité, il veillait à l’engagement des commissaires, des inspecteurs et des instituteurs et s’occupait de rémunérer ces derniers. Il approuvait le choix des lieux de construction, les travaux eux-mêmes et l’entretien des écoles. De concert avec les inspecteurs, il exemptait du paiement des frais de scolarité les élèves dans le besoin. Dans presque tous les aspects des activités de l’organisme, on faisait appel à lui pour résoudre les problèmes, apaiser les différends et dénouer les crises. Il exerçait ses multiples fonctions avec sagesse et était respecté de tous ceux qui avaient affaire à lui.
En dépit des efforts de Mills, l’Institution royale ne connut qu’un succès mitigé. La population britannique et protestante, surtout celle qui était installée dans de nouveaux villages, acceptait ses écoles de bon gré, même si les méthodistes des Cantons-de-l’Est n’approuvaient pas toujours son orientation et qu’il leur arrivait de ne pas observer ses directives. Par contre, le clergé catholique s’opposait vigoureusement à l’Institution royale. Dès le début, Plessis, qui devint évêque de Québec en 1806, parvint à freiner l’ouverture des écoles dans les milieux catholiques. Le conseil d’administration nommé en 1819, parce qu’il était largement britannique et dominé par les ministres anglicans Mountain et Mills, n’avait ni une composition ni une structure susceptibles de rassurer Plessis ; en fait, bien qu’invité, il avait refusé d’y siéger sous la présidence de l’évêque anglican.
Dans ce climat hostile, Mills fit preuve de justice et d’humanité. Il évita les controverses religieuses et ethniques et, avec un discernement et une souplesse remarquables, il tenta d’établir un système aussi acceptable pour les Canadiens des seigneuries que pour les protestants britanniques des cantons. La loi de 1801 ne prévoyait pas l’établissement d’écoles distinctes selon l’appartenance ethnique ou religieuse des élèves, mais la politique du conseil, sur laquelle Mills avait beaucoup d’influence, était assez souple et large pour permettre aux Canadiens de demander des écoles à l’Institution royale sans craindre d’entrer dans un système exclusivement anglo-protestant. On avait pris les dispositions nécessaires pour que les élèves soient séparés pendant les offices religieux ; des inspecteurs locaux faisaient régulièrement des visites et même si, dans les paroisses canadiennes, les curés refusaient ces postes sur l’ordre de Plessis, ils finirent par être occupés par des résidents canadiens ; dans les régions peuplées de Canadiens, seuls des instituteurs francophones et catholiques étaient embauchés, et ce uniquement avec le consentement des autorités locales ; enfin, il y avait une liste de manuels distincts pour les élèves canadiens. La surveillance locale était donc suffisante pour que, dans les régions où habitaient des Canadiens, les écoles reflètent le caractère de la population desservie. En grande partie grâce à la persévérance de Mills, l’Institution royale prit peu à peu de l’ampleur. Entre 1818 et 1825, le nombre de ses écoles passa de 35 à 55 ; en 1829, il atteignait son maximum, 84 écoles. Cependant, l’opposition du clergé catholique portait ses fruits : de 1801 à 1829, environ 23 écoles seulement ayant un nombre substantiel d’élèves francophones furent établies par l’Institution royale ou placées sous sa compétence.
La tâche de Mills, faire du système de l’Institution royale le véritable système public d’instruction, aurait été très difficile dans n’importe quel contexte, mais les tensions politiques, de plus en plus grandes, la rendirent quasi impossible. L’antagonisme de Plessis (poursuivi par son successeur, Bernard-Claude Panet) produisit son effet sur les députés canadiens de la chambre d’Assemblée. Beaucoup d’entre eux en vinrent à s’opposer à un système d’éducation régi par le gouverneur. Depuis 1814 au moins, l’Assemblée, dominée par le parti canadien, tentait d’arracher au gouverneur et aux conseils de la province une nouvelle loi qui créerait un système d’éducation plus acceptable pour la majorité de la population. En 1824, elle tint sur l’état de l’instruction une enquête au cours de laquelle témoignèrent Mills et d’autres grands éducateurs bas-canadiens. Mills déclara que l’instruction progressait parmi les protestants grâce à l’Institution royale, mais qu’elle stagnait parmi les catholiques, en grande partie à cause de l’opposition de Plessis. La même année, l’Assemblée obtint la sanction royale à ce qui devint connu sous le nom de loi sur les écoles de fabrique : cette loi autorisait les catholiques à financer, à même les fonds des fabriques, la construction d’écoles qui seraient administrées par ces organismes. Par conséquent, bien qu’il n’ait pas été financé par l’État, un nouveau système semi-public venait menacer l’hégémonie de l’Institution royale dans le secteur éducatif.
Mills avait prévu cette éventualité et tenté de l’empêcher. En 1824, devant le comité d’enquête de l’Assemblée, il avait avancé comme solution possible au problème de l’éducation catholique un projet auquel le gouverneur, lord Dalhousie [Ramsay*], avait travaillé avec Plessis et à propos duquel lui-même avait été consulté. Ce projet prévoyait la création d’un équivalent catholique à l’Institution royale. Cependant, Mills avait déploré qu’en définitive pareille décision séparerait encore davantage les protestants et les catholiques. En décembre, le secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, rejeta le projet faute de fonds ; la querelle des subsides battait son plein et l’Assemblée disposait de la plus grande partie des revenus de la province, tandis que les autorités coloniales avaient peu de ressources. Mills soutint avec plus d’enthousiasme un autre projet, élaboré d’une part par Dalhousie et d’autre part par Plessis et Panet, selon lequel des comités protestants et catholiques autonomes auraient administré des écoles confessionnelles sous l’égide d’une seule institution royale. Ce système aurait ressemblé à celui que la province de Québec allait adopter en 1869 et dans lequel un comité catholique et un comité protestant coexisteraient au sein du conseil de l’Instruction publique [V. Louis Giard*]. Toutefois, au moment où l’on s’apprêtait à donner suite au nouveau projet en 1829, Mills constata que certaines dispositions de la loi de 1801 empêchaient de procéder aux rajustements administratifs nécessaires. Il aurait fallu que l’Assemblée modifie la loi, mais elle ne le fit pas. La loi de 1824 s’étant révélée très peu efficace, l’Assemblée adopta en 1829 la loi sur les écoles de syndics pour empêcher que l’éducation des Canadiens ne tombe sous l’autorité du gouverneur par l’entremise de l’Institution royale. La générosité financière de cette nouvelle loi empêcha à tout jamais le système de l’Institution royale de devenir le système d’instruction publique du Bas-Canada.
Par ailleurs, Mills dut porter le poids de la longue bataille juridique qui, à compter de 1820, opposa l’Institution royale aux héritiers de James McGill* au sujet du domaine et des fonds que McGill avait légués à l’organisme pour qu’il fonde un collège portant son nom [V. François Desrivières]. En fait, Mills fut nommé professeur de philosophie morale du collège, mais cette nomination ne fut faite que pour respecter une clause du testament de McGill, dans l’espoir de régler le litige, de sorte que Mills n’exerça jamais cette fonction. Malgré les efforts qu’il déploya dans cette affaire et ceux qu’il fit en d’autres occasions au nom de l’Institution royale, il ne reçut jamais son plein traitement de secrétaire. L’exécutif de la colonie, luttant avec l’Assemblée pour acquérir son autonomie financière, ne pouvait payer à Mills son salaire annuel de £100, tandis que l’Assemblée, qui avait fini par s’opposer à l’Institution royale qu’elle avait elle-même créée, n’était pas disposée à en rémunérer le secrétaire. En 1829, cependant, elle lui versa £300 dans l’espoir de fermer le dossier. Mills réclama £720 de plus et, la même année, il se rendit en Angleterre pour les obtenir. En même temps, le successeur de Jacob Mountain comme évêque anglican, Charles James Stewart*, l’autorisa à promouvoir la division du diocèse de Québec auprès des milieux gouvernementaux.
Joseph Langley Mills revint à Québec vers le mois de mai 1832, sans être parvenu à se faire payer ses arrérages de salaire. Il mourut cet été-là, à l’âge de 44 ans, laissant sa femme et ses enfants totalement dépourvus ; une demande d’aide adressée au gouvernement britannique ne fut acceptée que deux ans plus tard. C’était une triste fin pour un ministre et un éducateur aussi dévoué. Au lieu d’être reconnu comme l’un des pionniers et des moteurs du progrès de l’instruction publique dans le Bas-Canada, Mills est considéré injustement comme un personnage mineur, l’administrateur d’un système impopulaire et controversé qui ne fonctionna réellement que pendant une dizaine d’années. Or, c’est en partie le travail accompli par Mills au nom de l’Institution royale qui en poussa d’autres à jeter les bases d’un système d’éducation destiné aux Canadiens.
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Réal G. Boulianne, « MILLS, JOSEPH LANGLEY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mills_joseph_langley_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mills_joseph_langley_6F.html |
Auteur de l'article: | Réal G. Boulianne |
Titre de l'article: | MILLS, JOSEPH LANGLEY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 22 nov. 2024 |