Titre original :  William Berczy, Daniel Sutherland, v. 1804-1808

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SUTHERLAND, DANIEL, homme d’affaires, fonctionnaire, officier de milice et juge de paix, né vers 1756 dans l’Ayrshire, Écosse ; décédé le 19 août 1832 à Québec.

Daniel Sutherland, qui avait reçu une formation commerciale à Glasgow, en Écosse, immigra dans la province de Québec en 1776 et se lança bientôt en affaires à Montréal. Dès 1778, il participait à la traite des fourrures et, l’année suivante, il était associé à la Porteous, Sutherland and Company, qui fut dissoute en octobre. De 1781 à 1786, lui-même et James Grant* envoyèrent à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan) et dans la région du Témiscamingue des expéditions pourvues de marchandises dont la valeur estimée se situait entre £2 000 et £6 000 ; en 1789, toutefois, leurs biens étaient entre les mains de syndics. En outre, Sutherland se porta garant pour d’autres marchands. Son mariage à Margaret Robertson, célébré à Montréal le 1er septembre 1781, fit de lui le gendre de l’officier britannique Daniel Robertson*, qui, pendant qu’il était commandant de Michillimakinac, soit de 1782 à 1787, promut les intérêts commerciaux de Sutherland. En 1785, ce dernier investit dans la traite des fourrures une somme exceptionnelle, évaluée à £20 500, ce qui représentait presque autant que les investissements consentis cette année-là par les principaux marchands de ce secteur, James McGill* et Joseph Frobisher*. En décembre, il acheta une maison en pierre et un magasin rue Saint-Paul, dans le quartier commercial de Montréal.

En 1790, apparemment grâce à des liens d’amitié avec Simon McTavish*, Sutherland reçut une des 20 actions de la North West Company et fut envoyé à Grand Portage (près de Grand Portage, Minnesota) à titre de représentant des associés montréalais à l’assemblée annuelle que ceux-ci tenaient avec les associés hivernants. Quand la compagnie se réorganisa pour accueillir des concurrents potentiels, en 1792 [V. Isaac Todd*], Sutherland obtint 2 des 46 actions émises en vertu de la nouvelle entente. L’année suivante, on le soupçonna de s’intéresser au projet de fondation d’une société qui rivaliserait avec la North West Company et, en 1794, à Grand Portage, il s’opposa aux délégués de la McTavish, Frobisher and Company et se fit le porte-parole des sociétés qui avaient été intégrées à la North West Company en 1792. Forcé de rassembler rapidement du numéraire en raison des pertes subies dans la traite des fourrures et de l’achat de la maison de Frobisher à Montréal, et convaincu que Frobisher et McTavish étaient responsables de sa mauvaise situation, Sutherland vendit en octobre 1795 ses actions de la North West Company à la McTavish, Frobisher and Company. Trois ans plus tard, il signa la convention qui créait la New North West Company (appelée parfois la XY Company), société qui devait concurrencer la North West Company [V. John Richardson] et dont il fut par la suite le représentant à Montréal. En mai 1806, après l’union des compagnies rivales et la signature d’un règlement qui réduisait ses pertes, Sutherland se retira.

Comme bon nombre de ses collègues dans les affaires, Sutherland avait des activités diverses. Il fut administrateur de biens ou exécuteur testamentaire et acquit des propriétés foncières. En 1793, il avait acheté une autre maison en pierre rue Saint-Paul ; trois ans plus tard, en compagnie de Robert Griffin, il louait dans l’arrière-fief Nazareth, à Montréal, des terres appartenant à Thomas McCord. Dès 1800, il possédait dans le canton de Chatham des terres originellement concédées en partie à Robertson. La même année, il s’était associé à John Gray et à trois autres personnes pour former la Compagnie des propriétaires des eaux de Montréal, constituée juridiquement en 1801.

Sans doute pour se prémunir contre les hauts et les bas d’une carrière commerciale, Sutherland se fit nommer en octobre 1807 maître de poste de Montréal, charge où l’avait précédé Edward Edwards*. Au début de la guerre de 1812, il fut nommé maître de poste militaire « en considération du fait que le maître de poste de Montréal [devait] en plus acheminer les lettres destinées aux soldats » ; toutefois, estimant cette charge trop lourde pour le salaire qui y était attaché, il l’abandonna en 1814. Il exerça ses fonctions de maître de poste de Montréal avec sérieux ; en 1815, le maître général des Postes adjoint du Haut et du Bas-Canada, George Heriot*, disait que personne, « parmi les maîtres de poste du département, ne [produisait] des comptes plus nets que les siens ». La communauté marchande appréciait aussi son travail, et un groupe d’hommes d’affaires londoniens qui négociaient avec le Canada le recommanda avec succès, en 1816, comme successeur d’Heriot ; la nomination eut lieu en avril, et Sutherland s’installa à Québec.

Tant qu’il fut maître général des Postes adjoint, Sutherland se trouva coincé entre les colons, impatients de voir s’étendre ce qui constituait à leurs yeux un service impérial, et le gouvernement britannique, décidé à réduire le coût de ce qui lui apparaissait comme un instrument de taxation. De 1816 à 1827, Sutherland fit passer de 10 à 49 le nombre de bureaux de poste du Bas-Canada et de 9 à 65 celui du Haut-Canada. Néanmoins, la chambre d’Assemblée du Haut-Canada, surtout, se plaignait de ce que les bureaux de poste étaient insuffisants et mal répartis. Elle accusait aussi Sutherland d’imposer un tarif supérieur à celui qu’avait fixé une loi impériale en 1765. Insatisfaites du service postal, les deux Assemblées canadiennes contestèrent le fait que les recettes postales des colonies étaient versées dans la Trésorerie britannique et firent pression pour que le service des Postes devienne de compétence provinciale. Sutherland, qui avait plus de tact dans ses relations personnelles avec les gouverneurs que Heriot n’en avait eu et qui les appuyait dans leurs luttes contre les Assemblées provinciales, obtint qu’ils soutiennent ses propres positions et celles du service des Postes contre les députés. En sa qualité de marchand, Sutherland souscrivait aux récriminations formulées par les milieux d’affaires au sujet du service postal vers la Grande-Bretagne et les États-Unis et faillit perdre sa place, en 1819–1820, pour avoir fait publiquement état de son appui. Les marchands bas-canadiens se plaignaient amèrement de ce que le système britannique les obligeait à affranchir le courrier qu’ils expédiaient, tandis que le système américain les forçait à payer l’acheminement du courrier qu’ils recevaient de ce pays. Comme Sutherland prenait une commission de 20 % sur toutes les recettes postales qu’il prélevait à l’intention du service des Postes américain (pratique dont le département des Postes britannique contestait fermement la légalité), il préférait le système américain. Après avoir vainement tenté de persuader le département des Postes britannique d’adopter ce système, il laissa les marchands bas-canadiens recourir illégalement à des messageries privées qui allaient poster le courrier à destination des États-Unis dans la ville américaine la plus proche, ce qui leur évitait l’affranchissement et privait le département des Postes britannique d’une part de ses revenus. Moins tolérant à l’égard d’une pratique officieuse selon laquelle le courrier qui ne sortait pas des colonies britanniques était confié à des capitaines de navires à vapeur plutôt qu’aux transporteurs officiels, Sutherland, qui était en Angleterre en 1819, réclama le pouvoir de pénaliser ceux qui s’y livraient. Mais le secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, et le gouverneur en chef, lord Dalhousie [Ramsay*], mirent un frein à l’ardeur de Sutherland, car ils craignaient que des sanctions ne provoquent encore d’autres récriminations de la part des Assemblées coloniales à l’endroit du gouvernement impérial.

Avec son salaire de £500, ses commissions et ses honoraires, Sutherland était l’un des fonctionnaires les mieux rémunérés de la colonie. Cependant, il était responsable des comptes de ses adjoints et il subit personnellement des pertes totalisant £3 000 quand, à deux reprises, des adjoints ne purent balancer leurs comptes. En fait, ses difficultés financières étaient telles qu’il dut se rendre en Angleterre, probablement en 1826, pour plaider sa cause devant le département des Postes. Il découvrit toutefois qu’après 35 ans d’absence il n’avait plus dans le pays « ni amis ni connaissances » pour l’aider et, le 19 novembre 1827, il démissionna de son poste en faveur de son gendre Thomas Allen Stayner* ; apparemment, il ne fut libéré de ses obligations financières qu’en 1828.

Ce fut peut-être en raison de sa réputation dans le milieu des affaires que Sutherland fut nommé, le 28 novembre 1817, représentant à Québec de la nouvelle Banque de Montréal, dont deux de ses anciens associés, John Gray et Robert Griffin, s’occupaient activement. On s’attendait sans aucun doute à ce qu’il utilise ses relations cordiales avec les autorités coloniales pour que le gouvernement y dépose ses fonds. La Banque de Montréal ouvrit ses portes le 3 novembre 1817 et, six semaines plus tard, Sutherland inaugura son agence à Québec. À titre de commission, et pour le défrayer de ses dépenses, on lui allouait 2/8 de 1 % sur toutes les transactions, qui ne tardèrent pas à se multiplier. Étant donné la demande de services bancaires à Québec, et probablement pour prévenir qu’une banque s’y installe, l’agence de Québec fut transformée en 1818 en une succursale, appelée bureau d’escompte et de dépôt, qui en vint à offrir presque les mêmes services que l’administration centrale de Montréal. Afin d’inciter les hommes d’affaires de Québec à participer à sa gestion, la Banque de Montréal leur offrit 300 de ses actions, mais seulement 184 trouvèrent preneur parce qu’il était alors question de créer une banque indépendante dans la ville. Le 20 juillet 1818, Sutherland, qui avait obtenu le titre de caissier (directeur général) et un salaire de £300, ouvrit néanmoins rue Saint-Pierre, au cœur du quartier des affaires de Québec, une succursale dotée d’un conseil d’administration, d’un personnel de trois employés et d’un fonds d’exploitation de £50 000. Dès le début des années 1820, la Banque de Québec, fondée par des hommes d’affaires québécois en 1818, contestait la présence d’une succursale de la Banque de Montréal dans la capitale, et ce avec d’autant plus de force que Sutherland avait réussi à inscrire le gouvernement au nombre de ses clients. Enfin, en 1823–1824, Sutherland dut défendre son établissement devant un comité de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada chargé d’enquêter sur l’état des services bancaires. L’enquête ne donna aucun résultat, mais Sutherland démissionna de son poste le 17 juin 1824.

Par ailleurs, Sutherland fit en 1823 des transactions immobilières dans le canton de Stoneham, près de Québec, et vendit des propriétés dans la ville. Outre ses activités commerciales et son travail de fonctionnaire, il assuma des charges publiques non rémunérées. Capitaine dans le 1er bataillon de milice de la ville de Montréal dès 1807, il fut promu major en avril 1812 et lieutenant-colonel trois ans plus tard. Une fois installé à Québec, il se mêla à la vie mondaine de la capitale. En décembre 1818, il écrivait à William Bent Berczy*, qui avec son frère Charles Albert* était devenu le protégé de Sutherland après la mort de leur père, William Berczy*, grand ami de l’homme d’affaires : « Nos réjouissances d’hiver sont commencées, notre première rencontre a eu lieu hier soir et elle réunissait une belle assistance. Sa Grâce [Charles Lennox*, 4e duc de Richmond et Lennox] et lady Mary étaient du nombre – elles visitent aussi, régulièrement notre théâtre d’amateurs [...] nous voilà donc, comme vous le voyez, en bonne voie de tromper un morne hiver, à moins que la nouvelle de la mort de la vieille reine n’arrive et ne mette un terme à notre gaieté. » Bienfaiteur des caisses de secours aux immigrants sans ressources et membre de la Société du feu, de la Société de Québec des émigrés (dont il était l’un des collecteurs de fonds) et de la Société d’agriculture, Sutherland fut nommé juge de paix en juin 1821 et administrateur de l’Institution royale pour l’avancement des sciences [V. Joseph Langley Mills] deux ans plus tard. En 1831, inspiré par l’exemple de son ami William Dummer Powell, Sutherland fit frapper une médaille d’or pour célébrer ses 50 ans de mariage heureux avec Margaret Robertson, avec qui il avait eu trois enfants. Il présenta la médaille l’année suivante (l’idée lui en étant venue un peu tard) ; des reproductions en argent furent remises aux membres de la famille et des reproductions en bronze aux invités qui avaient assisté à un gala d’anniversaire.

Daniel Sutherland mourut à peine quelques mois plus tard au cours d’une épidémie de choléra. Il était l’un des derniers membres de la première génération de marchands britanniques établis dans la colonie. Tout en recherchant leur profit personnel, ceux-ci avaient reculé les frontières de l’Amérique du Nord britannique et plusieurs, dont Sutherland, avaient contribué à établir et à développer l’infrastructure économique, administrative et sociale de la colonie.

Myron Momryk

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Myron Momryk, « SUTHERLAND, DANIEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sutherland_daniel_6F.html.

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Auteur de l'article:    Myron Momryk
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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