DUNN, THOMAS, homme d’affaires, seigneur, fonctionnaire, homme politique, juge et administrateur colonial, né en 1729 à Durham, Angleterre ; le 27 novembre 1783, il épousa à Québec Henriette Guichaud, veuve de Pierre Fargues, et ils eurent trois enfants ; décédé le 15 avril 1818 au même endroit.
Les antécédents de Thomas Dunn avant sa venue au Canada sont malheureusement inconnus. C’est assurément avec l’ambition de profiter des différentes possibilités d’exploitation économique qu’offrait ce vaste territoire nouvellement conquis qu’il vient s’établir dans la ville de Québec peu de temps après la capitulation générale de septembre 1760. Ses premières initiatives sont celles d’un homme d’entreprise aux objectifs déjà bien orientés. Au début de la trentaine, il fait figure d’un véritable bourgeois conquérant en pleine possession de ses moyens d’action pour parvenir à ses fins. Disposant des atouts indispensables pour se tailler une place de premier choix dans cette future colonie britannique, il les mettra à profit sur tous les plans (politique, judiciaire, législatif, économique, familial, voire militaire) et mènera une carrière exemplaire dans le cadre d’un système impérial régi par la politique mercantiliste des autorités métropolitaines. Peut-être mieux que chez tout autre contemporain, les intérêts personnels, les intérêts familiaux et les intérêts de l’État feront chez lui un mariage fructueux, les uns épaulant les autres.
La réussite de Dunn fut d’autant plus remarquable qu’il sut agir avec habileté, prudence et discrétion aussi bien dans la conduite de ses propres affaires que dans l’administration des affaires publiques. Il ne se laissa jamais entraîner dans des brigues ou des cabales, contrairement à plusieurs de ses compatriotes britanniques, et il demeura toujours en dehors des querelles et des rivalités de partis. De tempérament réfléchi et pondéré, il avait l’esprit trop calculateur pour se laisser manœuvrer et pour ne pas exploiter au maximum toute situation pouvant lui être favorable. C’est ainsi que pendant un demi-siècle de vie politique, il parvint à maintenir son influence auprès du pouvoir colonial et à profiter pleinement du « patronage » gouvernemental. Il le fit avec un art si consommé qu’il passa aux yeux de l’historien Donald Grant Creighton* pour n’avoir été qu’un « octogénaire ordinaire de la colonie » ; toutefois, à l’inverse de tant d’autres bourgeois plus « distingués », il laissa une fortune considérable après sa mort. Suivant l’exemple de Creighton, l’historien Fernand Ouellet ne mentionne qu’une seule fois le nom de Thomas Dunn, à titre d’administrateur du Bas-Canada. En fait, tout comme tant d’entrepreneurs du Régime français et du nouveau régime, Dunn incarne le type du colon qui profite du système impérial (« patronage », réseaux d’amitiés et d’informations, emplois lucratifs et pouvoir politique) pour accéder non seulement à la fortune, mais au plus haut poste auquel pouvait aspirer un résident de la colonie, celui d’administrateur du Bas-Canada.
Déjà, avant la cession définitive du Canada à la Grande-Bretagne par le traité de Paris de février 1763, Dunn songeait à se constituer un petit empire commercial en obtenant avec son associé John Gray, également établi à Québec, le bail à ferme des postes du roi, qui leur garantirait le monopole de la traite des fourrures et de l’exploitation de la pêche dans tout le vaste domaine de la couronne qui s’étendait des limites est de la seigneurie de La Malbaie jusqu’à Sept-Îles et qui englobait le royaume du Saguenay avec les postes de Tadoussac et de Chicoutimi. C’est Murray* lui-même qui, à titre de « gouverneur de Québec et de ses dépendances », permit cet affermage au nom de Sa Majesté britannique. L’accord, signé le 20 septembre 1762, prévoyait le renouvellement du bail à compter du 1er octobre 1763, pour une durée de 14 ans, moyennant un loyer annuel de £400 – somme relativement minime pour un rendement net évalué à plus du quintuple, soit £2 500.
Une fois posé ce premier jalon, Dunn voulut consolider son emprise monopoliste par l’achat de la seigneurie de Mille-Vaches qui formait une enclave de 12 lieues carrées dans le domaine de la couronne, en aval de Tadoussac. Originellement concédée à Robert Giffard* de Moncel, cette seigneurie était passée à François Aubert* de La Chesnaye, et c’est du fils de ce dernier, Ignace-François, que Dunn en fit l’acquisition le 23 février 1764. Avec un tel pied-à-terre, cet ambitieux bourgeois se trouvait en bonne position pour étendre son empire commercial à toute la basse côte nord du Saint-Laurent. La même année, Dunn acheta au coût de £2 550 un terrain et une maison de pierre, rue Saint-Louis, à Québec, pour y prendre demeure, et il y ajouta un terrain adjacent en 1769. Il se fit concéder un lot du gouvernement, dans la basse ville, afin d’y ériger un quai en vue de son commerce. De 1767 à 1783, il loua également la seigneurie de Saint-Étienne avec quelques associés.
L’occasion d’élargir un champ d’activité déjà considérable vint à Dunn quand, le 11 septembre 1770, son ami et associé William Grant (1744–1805) épousa publiquement Marie-Anne-Catherine Fleury Deschambault, baronne douairière de Longueuil. Cette alliance matrimoniale avec l’arrière-petite-fille de Louis Jolliet* introduisait Grant dans la grande famille des descendants et héritiers du célèbre explorateur et premier seigneur de l’île d’Anticosti qui avait participé activement à l’exploitation de la pêche dans les îles et îlets de Mingan qu’on lui avait concédés. De tels liens matrimoniaux permettaient aussi de rejoindre les descendants et héritiers du premier concessionnaire de la terre ferme de Mingan, François Byssot* de La Rivière, dont les enfants étaient associés aux Jolliet pour mettre en valeur les pêcheries de la côte nord. En homme d’affaires avisé, Dunn ne tarda pas à tirer parti de l’avantageux mariage de Grant pour élargir son monopole. C’est ainsi que le 18 octobre 1771 se trouvèrent réunis, en présence des notaires Pierre Panet et Jean-Antoine Saillant*, une dizaine de représentants et de fondés de pouvoir de la grande famille à laquelle appartenait l’épouse de Grant ; ceux-ci consentirent à Dunn et à Grant, son associé, un bail à ferme des postes de Mingan et de l’île d’Anticosti pour une durée de 15 ans à compter du 1er août 1772. Rien de tel qu’un affermage pour évaluer la rentabilité d’une exploitation dont les principales sources de revenus provenaient de la morue, du saumon, de l’huile de marsouin et des peaux de phoque, communément appelé à l’époque loup marin. Ce commerce parut assez lucratif pour y intéresser un troisième partenaire, Peter Stuart.
Avant l’échéance de ce bail à ferme, le. trio Dunn, Grant et Stuart réussit à faire l’acquisition de la presque totalité des seigneuries de Mingan (terre ferme, îles et îlets) et de l’Île-d’Anticosti, ainsi que le reconnaissait l’« accord et convention » du 12 décembre 1789 devant les notaires Pierre-Louis Deschenaux et Charles Stewart. Ce document décrivait la série complexe de transactions que chacun avait faites, soit séparément, soit conjointement, pour acquérir les droits de propriété des héritiers. Il en ressortait que William Grant, grâce à ses liens matrimoniaux, avait pu se porter acquéreur de « la juste et vraie moitié » de tout ce qui avait été acheté par les trois associés, pour un montant s’élevant à £2 241.
Cette mainmise sur les postes de la basse côte nord du Saint-Laurent compensait la perte du monopole du domaine de la couronne qu’avaient dû essuyer Dunn et ses associés au début de l’automne de 1786. Déjà, en 1785, ceux-ci n’avaient pu bénéficier que d’une reconduction d’une année de leur bail à ferme des postes du roi ; cette nouvelle convention n’avait été passée que de justesse par le lieutenant-gouverneur Henry Hamilton*, à un moment où les autorités métropolitaines s’apprêtaient à favoriser François Baby et les frères Alexander et George* Davison.
Dunn pouvait encaisser ce coup sans trop récriminer, car il avait toujours joui des faveurs du régime depuis le début de sa carrière dans la province de Québec. En effet, dès l’établissement du gouvernement civil en août 1764, il avait obtenu une commission de juge de paix pour les districts de Québec et de Montréal ; en poste jusqu’en 1815, Dunn verra son mandat étendu à tous les districts du Bas-Canada, y compris Gaspé. Il était devenu membre du Conseil de Québec, mis sur pied par Murray en 1764, et maître des requêtes de la Cour de la chancellerie. Ses lies avec Thomas Mills*, premier receveur général de la colonie, et avec Hector Theophilus Cramahé*, secrétaire civil, favorisèrent la formation d’une sorte de triumvirat que le successeur de Murray, le lieutenant-gouverneur Guy Carleton, constitua en comité du conseil pour examiner les comptes publics (honoraires, dépenses et réclamations) depuis l’instauration du Régime anglais. En 1763 et 1769, Dunn agit à titre de procureur du roi dans des affaires de succession.
En août 1767, le départ de Mills avait contribué à renforcer la position de Dunn par le jeu de la transmission dévolutive des charges aux bénéficiaires du « patronage ». C’est ainsi que Dunn devint l’héritier présomptif de la fonction de receveur général qui avait été dévolue à Cramahé. Dunn accéda à ce poste le jour où Cramahé fut appelé à assumer le rôle d’administrateur de la, province de Québec en l’absence de Carleton. À la veille du départ de ce dernier, le 31 juillet 1770, la redistribution des postes profita doublement à Dunn qui hérita à la fois de la fonction de receveur général par intérim, qu’il conserva jusqu’au printemps de 1777 (après quoi son associé Grant en hérita à son tour), et de celle de juge de la Cour des plaids communs pour les districts de Québec et de Trois-Rivières, qu’il occupa jusqu’à la refonte du système judiciaire en 1793. Il siégea également à la Cour de circuit en 1771 et 1772, à la Cour des prérogatives en 1779 et à la Cour d’appel en 1788. Il semble que le Thomas Dunn qui était officier payeur de la marine sur les Grands Lacs, durant l’invasion américaine, soit un homonyme.
Désireux de profiter des différents fruits de la Conquête, Dunn n’avait pas manqué de s’intéresser aux forges du Saint-Maurice qui, après avoir été d’abord prises en charge par les autorités militaires, avaient été données à bail après l’instauration du gouvernement civil. C’est en juin 1767 que Carleton consentit le premier contrat d’affermage, pour une durée de 16 ans, à 8 associés – dont Dunn – regroupés autour d’un citoyen dynamique de Trois-Rivières, Christophe Pélissier*. De ces huit associés, deux seulement étaient français d’origine et de récente immigration : Alexandre Dumas et Jean Dumas* Saint-Martin. Des six anglophones, tous marchands, deux étaient membres du Conseil de Québec : Benjamin Price* et Dunn ; trois des quatre autres demeuraient à Québec : George Allsopp, Colin Drummond et James Johnston* ; le dernier, Brook Watson, résidait à Londres. La part de chacun des associés avait été fixée au neuvième des coûts d’exploitation des forges. Or, la remise en activité de cette entreprise abandonnée pendant deux ans exigea des dépenses qui dépassèrent les prévisions des intéressés de telle sorte que tout le groupe des marchands anglophones de Québec, n’y trouvant pas le rendement escompté, en vint quelques années plus tard à liquider ses actions. Johnston fut le premier à prendre cette initiative et, en avril 1771, Dunn, Drummond et Allsopp, tant pour lui-même qu’au nom de Watson, suivirent cet exemple. Leur contrat de vente, passé devant les notaires Jean-Antoine Saillant et Simon Sanguinet*, révèle des mises de fonds totalisant, pour chacun d’eux, la somme de £615. En échange de leur part dans les forges, Pélissier s’engagea à livrer à chacun des quatre actionnaires concernés 90 tonnes de fonte en gueuse dans un délai d’un an et demi. La transaction s’avéra fructueuse. L’engagement fut honoré, et la transaction close en 1772.
Se retrouver avec 360 tonnes de fonte en gueuse lorsqu’on a des relations avec le monde du commerce maritime ne constituait pas un embarras. La bourgeoisie d’affaires à laquelle appartenait Dunn ne possédait-elle pas cet irremplaçable atout de pouvoir négocier toute espèce de marchandise ? À une époque où, pour la navigation à voile, le lest était en grande demande comme facteur de stabilisation, le poids de la fonte répondait aux besoins des armateurs et des affréteurs de navires ; d’ailleurs, la seule présence d’un Brook Watson dans cette transaction suffisait à garantir l’écoulement du produit. Loin d’avoir perdu sa mise de fonds dans les forges du Saint-Maurice, Dunn l’avait récupérée au moment où il étendait son emprise commerciale sur la basse côte nord du Saint-Laurent.
L’Acte de Québec confirma la position bien établie de Dunn au sein du gouvernement colonial. Son nom figura en tête de liste des membres du nouveau Conseil législatif, et il fut appelé à faire partie du conseil privé constitué par Carleton. La formation d’un tel bureau favorisait la concentration des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire aux mains d’un groupe de conseillers privilégiés, qui ne compta dans ses rangs qu’un seul Canadien français catholique, François Baby. Quoiqu’il fît l’objet de réprobations de la part des autorités métropolitaines, ce système de gouvernement fut maintenu par le successeur de Carleton, le général Haldimand, jusqu’à la fin de la guerre d’Indépendance américaine. Dunn s’adapta aussi bien à ce système qu’il s’accommoda du changement de généraux à la tête de la province.
D’une assiduité exemplaire tant aux réunions du conseil privé qui se tenaient au château Saint-Louis qu’aux séances du Conseil législatif qui avaient lieu au palais épiscopal, Dunn se fit une réputation d’homme modéré en évitant de s’engager dans des luttes partisanes, à la différence de ses impétueux compatriotes George Allsopp et William Grant. S’il se solidarisa avec ses collègues de l’English party pour l’obtention de certains droits qui tenaient à cœur à tout bon sujet britannique – notamment en ce qui concernait la liberté et la sécurité personnelles conformément à la common law –, il se joignit toutefois aux membres du French party pour le maintien du régime de gouvernement instauré en vertu de l’Acte de Québec. Dunn se tint à l’écart de la bataille pour la réforme constitutionnelle qui commença à faire rage après le départ du gouverneur Haldimand. Il avait trop le sens des affaires pour se laisser prendre au jeu des divisions et des oppositions de partis, et risquer ainsi de compromettre sa situation privilégiée de bourgeois conquérant au sein du gouvernement colonial.
Ayant obtenu la permission de s’absenter de la province à la fin du printemps de 1785, Dunn séjourna en Angleterre jusqu’au printemps de 1787. L’éditeur de la Gazette de Québec rapporta qu’au jour de son embarquement, le 19 juin, Dunn était accompagné du lieutenant-gouverneur Hamilton et des « plus respectables citoyens » qui lui exprimèrent « leurs sincères regrets de son départ et leurs plus vifs désirs de son prompt retour ». En plus des vœux des avocats francophones, Dunn avait déjà reçu, quelques jours auparavant, de chaleureux hommages de la part des principaux membres de la bourgeoisie anglophone de Québec, qui louaient « la justice et la modération avec lesquelles [il] avait rempli les fonctions les plus honorables », ainsi que sa « conduite en toutes circonstances » qui témoignait d’un « homme de profonde sagesse, de droiture et de bienveillance ».
Dunn ne partait pas seul ; il s’embarquait « avec sa famille ». Son épouse, Henriette Guichaud, était la fille de feu Jacques Guichaud et la veuve de Pierre Fargues, tous deux négociants de Québec. Le mariage remontait à moins de deux ans, le contrat ayant été signé le 27 novembre 1783 devant les notaires Pierre-Louis Panet et Pierre-Louis Deschenaux. Dérogeant à la Coutume de Paris, les époux se réservaient « la liberté de tester de leurs biens, comme bon leur sembler[ait], ainsi qu’il leur [était] permis par l’Acte [de Québec] ». Si Dunn acceptait le régime de communauté et reconnaissait à sa conjointe « la juste moitié de tous ses biens », advenant son décès, il avait prévu que, dans le cas contraire, ni « les enfants du premier mariage [...] avec le sieur Fargues, ni ceux qui [pouvaient] naître [de leur union] ou autres héritiers collatéraux ne pourr[aient] prétendre aucune part en la dite communauté ». Quant aux « biens dépendants de la communauté avec [feu] Pierre Fargues », le contrat stipulait qu’Henriette Guichaud avait « droit dans les dits biens pour moitié, et envers ses enfants mineurs pour l’autre moitié ». Enfin, Dunn dotait sa future épouse d’un douaire préfix de £400. Cette convention matrimoniale portait bien la marque de l’individualisme bourgeois qui caractérisait Dunn. De toute évidence, il n’était pas plus intéressé à se lier à un clan familial qu’à s’intégrer dans le milieu canadien-français. Toutefois, en 1801, les deux époux conviendront d’aider à l’établissement des enfants du premier mariage en accordant £3 000 à Henriette Fargues et £2 000 à chacun des deux fils, Thomas* et Jean Fargues, à même les biens de la communauté après la mort des deux conjoints. D’autre part, de leur mariage allaient naître trois fils, Thomas, William, qui seront tous deux militaires, et Robert.
À partir des années 1790, la carrière de Dunn prit une tournure surtout juridique, administrative et politique. Pourtant, il n’en demeura pas moins actif dans les affaires, notamment jusqu’en 1807 ou 1808. Comme par le passé, il continua de spéculer sur la propriété foncière. De 1764 à sa mort, il acheta au moins une dizaine de lots, quatre maisons et plusieurs terres ; il vendit à peu près le même nombre de lots, sept maisons, un hangar, la moitié des actions d’une goélette, en plus de louer diverses étendues de terre et d’échanger des terrains. Il conclut également des transactions immobilières comme syndic, exécuteur testamentaire, procureur et commissaire à divers titres. Selon un recensement des actes notariés, Dunn prêta, près d’une cinquantaine de fois, des sommes d’argent comptant ou des marchandises pour une valeur variant en moyenne de £500 à £1 000 et pouvant atteindre £3 000, à un taux courant de 6 p. cent, sauf une exception à un taux de 10 p. cent. Il n’emprunta qu’une seule fois. Ironie du sort, Mgr Plessis*, qui dénonçait le prêt à intérêt, emprunta £600 de Dunn en 1807 et £400 en 1818, les deux fois à 6 p. cent d’intérêt.
Outre les transactions importantes déjà mentionnées, Dunn acheta la seigneurie de Saint-Armand, le long du lac Champlain, en décembre 1788. Dès 1792, il demanda une concession pour compléter l’étendue de sa seigneurie amputée par le découpage de la frontière entre le Bas-Canada et les États-Unis. De nouveau, en 1802, il réclama vainement l’intervention des autorités britanniques pour obtenir une compensation du gouvernement américain. Par ailleurs, son titre de membre du Conseil exécutif du Bas-Canada n’avait certes pas été étranger à l’obtention du canton de Dunham, avec 34 autres associés, en 1796 ; c’était la première fois qu’un canton était concédé officiellement dans le Bas-Canada. Outre les réserves, ce canton était divisé en 200 lots et contenait 40 895 acres. Il devint rapidement la propriété unique de Dunn. Ce dernier obtint, plus tard, 58 lots dans le canton de Stukely, grâce à la recommandation du lieutenant-gouverneur Robert Shore Milnes* auprès des autorités métropolitaines ; celles-ci avaient jugé que Dunn pouvait demander des terres comme conseiller exécutif, en plus de ses requêtes régulières. Dans un acte notarié de 1803, il est mentionné à titre de coseigneur de la seigneurie de Champlain avec John Craigie et Joseph Frobisher. Deux ans plus tard, en tant que copropriétaire de la Compagnie des forges de Batiscan, avec Craigie, Joseph Frobisher, Benjamin Joseph Frobisher* et Thomas Coffin*, il fit l’acquisition d’une série de terrains dans la région. Mais dès 1808, il se retira de cette société dans laquelle il semble avoir perdu des sommes non négligeables. La même année, il acheta la Cape Diamond Brewery, à Québec, avec les quais et hangars attenants, lors d’une vente à l’encan effectuée par le shérif de l’endroit. N’ayant pu revendre cette propriété avec profit, il conclut un marché avec John Racy pour la faire valoir. En 1811, cette entente devint un simple bail à Racy au prix de £1 200 par année. La brasserie et le magasin furent incendiés en 1815.
En 1825, sept ans après la mort de Dunn, un inventaire partiel de la communauté révèle un résidu de dettes actives de £15 758, un capital inconnu investi en Angleterre, dont deux de ses fils ont déjà touché les intérêts, et des propriétés : sept terrains, quatre maisons, un tiers de la seigneurie de Mille-Vaches, un tiers de la seigneurie de Mingan, un quart de la seigneurie de l’Île-d’Anticosti, la totalité de la seigneurie de Saint-Armand, le canton de Dunham (moins les réserves du gouvernement et du clergé), le quart du canton de Stukely et divers autres lots non identifiés. Contrairement à Grant, qui était mort chargé de dettes malgré sa réputation de grand entrepreneur, Dunn avait laissé une succession très riche, dont l’actif était encore florissant sept ans après sa mort.
Lors de l’avènement de la constitution de 1791, Dunn avait compté parmi les membres du Conseil législatif et du Conseil exécutif du Bas-Canada. Doyen d’âge de cette dernière institution, il participa aux séances cruciales sur la distribution des terres, sur la vérification des comptes publics et sur les affaires d’État. En 1794, lors de la réforme du système judiciaire, il devint juge de la Cour du banc du roi de Québec. En 1801, peu avant son départ pour Londres où il séjourna une année, il fut nommé président de la Cour d’appel. En 1803, il se rangea avec la majorité des juges britanniques afin de soutenir l’application des lois civiles anglaises en matière d’héritage et de douaire pour les terres tenues en franc et commun socage. Il participa à la révision des règlements de police de la ville de Québec, en 1805, puis à la révision de ceux des villes de Québec, de Montréal et de Trois-Rivières, en 1809. Président de l’Association de Québec durant l’agitation de 1794, il avait occupé de nombreux postes de commissaire dans des domaines différents : construction d’églises à Trois-Rivières et à Québec, entre 1791 et 1805, érection d’un palais de justice à Québec, entre 1799 et 1801, administration des biens des jésuites à compter de 1801, exécution de la loi de 1801 sur la perception des lods et ventes concernant les rotures de la couronne.
L’état florissant de la fortune de Dunn, attribuable à ses transactions, ne l’empêcha pas de tirer pleinement profit de ses fonctions publiques. En plus d’avoir obtenu de vastes étendues de terre, il touchait des émoluments cumulatifs de £850 (cours d’Angleterre) vers 1802 et de £2 350 durant les années 1805–1807, comme administrateur du Bas-Canada. À ce dernier titre, il en profita pour nommer Thomas Fargues, son beau-fils, garde-magasin général du département des Affaires indiennes, malgré les prétentions de sir John Johnson* d’y placer son fils. En 1802, Dunn invoqua ses longs et indéniables services pour réclamer une pension honorable, similaire à celle qu’avait obtenue le juge en chef William Osgoode*. Le lieutenant-gouverneur Milnes appuya sa demande, et Londres consentit en principe à une pension de £500 (cours d’Angleterre) par année, à même les revenus du Bas-Canada. Toutefois, Dunn reporta sa retraite de quelques années en raison des émoluments substantiels que lui procurait la fonction d’administrateur du Bas-Canada, et aussi en raison des pertes financières qu’il avait subies dans l’exploitation des forges de Batiscan. Il ne retira sa pension qu’en 1809, après sa démission comme juge.
À titre de président du Conseil exécutif, Dunn avait occupé le poste d’administrateur civil du Bas-Canada dès le départ du lieutenant-gouverneur Milnes, en août 1805, jusqu’à l’arrivée du gouverneur Craig, en octobre 1807. Là encore, il sut se tenir au-dessus de la mêlée à un moment d’intenses conflits entre le parti canadien et le parti britannique à la chambre d’Assemblée. Le déchaînement du Quebec Mercury contre les Canadiens provoqua plusieurs affrontements à la session de 1806 : des mandats d’arrêt et de comparution furent lancés par l’Assemblée contre les éditeurs de la Gazette de Montréal et du Quebec Mercury ; des Canadiens rédigèrent un mémoire à l’appui de la loi de 1805 sur les prisons, que Dunn accepta de transmettre à Londres, non sans souligner l’irrégularité de la procédure de la chambre ; une querelle entre les deux partis éclata à propos de la traduction de l’ouvrage de John Hatsell, Precedents of proceedings in the House of Commons [...], publié à Londres en 1781. Face à une assemblée divisée à égalité, c’est le président Jean-Antoine Panet qui trancha en faveur de la traduction, mais par prudence Dunn reporta la mise en application de la décision à l’arrivée d’un gouverneur en titre. L’année s’acheva avec la fondation du journal le Canadien pour défendre les intérêts des Canadiens et exprimer leur loyauté. De part et d’autre, on s’aspergeait d’insultes et d’insinuations ; le Quebec Mercury réclamait notamment l’assimilation des Canadiens après plus de 40 ans de possession britannique, tandis que le Canadien accusait une petite clique de privilégiés de vouloir « anglifier » les Canadiens et les livrer aux Américains.
Au cours de la même année, la couronne britannique rata une occasion unique de mettre l’Église catholique sous la juridiction royale, comme l’avaient préconisé l’évêque anglican Jacob Mountain*, le lieutenant-gouverneur Milnes, le procureur général Jonathan Sewell* et le secrétaire provincial Herman Witsius Ryland*, entre 1793 et 1805. En effet, Mgr Denaut mourut le 18 janvier 1806. À la grande rage de Ryland et en l’absence de Milnes, de Mountain et de Sewell, tous en Angleterre, Dunn rendit un immense service à l’Église en assermentant dès le 25 janvier Mgr Plessis comme évêque de Québec, puis, quelques jours plus tard, Mgr Bernard-Claude Panet* comme coadjuteur, sans en référer au gouvernement britannique. Il prétexta s’être fondé sur les précédents en la matière. Les bonnes relations entre Dunn et Plessis jouèrent-elles un rôle important ? Ou, comme le dénonça Ryland, quel homme de 77 ans pouvait laisser passer l’occasion de « créer » un évêque ? Plessis et Panet allaient vivre suffisamment longtemps pour que la couronne abandonnât tout plan sérieux de se soumettre l’Église catholique en profitant d’une vacance au sein de l’épiscopat.
Au cours de la session de 1807, de violents débats opposèrent à nouveau les partis canadien et britannique au sujet notamment de « la paie des membres » de l’Assemblée représentant des circonscriptions éloignées de Québec, de pétitions en provenance des Cantons de l’Est à l’effet d’y construire des routes et d’y effectuer diverses améliorations, et d’un projet de loi pour recouvrer les petites dettes. Malgré tout, 16 lois reçurent la sanction royale, et Dunn sut éviter les gestes d’éclat de son successeur Craig, en dépit des querelles dans les journaux et des longues dissertations du Canadien sur la responsabilité ministérielle.
Dunn profita même de la menace de guerre créée par l’accrochage meurtrier entre le navire britannique Leopard et le navire américain Chesapeake [V. sir George Cranfield Berkeley], au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre, en juin 1807, pour réussir, la première fois depuis la Conquête, un appel général de la milice. Dans l’ensemble de la colonie, la population se comporta avec beaucoup de zèle et de loyauté. Les volontaires s’offrirent en grand nombre. Dunn en fut si étonné, et peut-être si soulagé, qu’il rédigea un ordre du jour pour féliciter et louanger chaleureusement les miliciens. Cette attitude de bon père de famille semble avoir été l’image que la population retint de lui.
Dunn avait été moins heureux dans sa tentative de régler, au nom du gouvernement, la question du bail des forges du Saint-Maurice, en 1806 ; celui-ci avait été adjugé à l’encan à l’ancien locataire, la firme Monro and Bell, pour une somme annuelle de £60, soit £790 de moins par année comparativement à ce qui avait été convenu dans le bail précédent. Malgré les soupçons du juge en chef Henry Allcock et du secrétaire d’État britannique lord Castlereagh, il ne semble pas y avoir eu de corruption, bien que le Conseil exécutif eût négligé de prendre certaines précautions élémentaires, comme celle de fixer un prix minimum. Dunn se défendit en soutenant que la seule autre offre provenait d’une compagnie formée de Canadiens peu fortunés. Après son arrivée, Craig annula le bail et blanchit Dunn, en expliquant qu’à 77 ans ce dernier n’était pas à son meilleur pour exposer la situation sous son vrai jour.
La confiance et l’estime universelle à l’endroit de Dunn ainsi que son statut de doyen d’âge du Conseil exécutif expliquent le fait qu’il ait de nouveau présidé aux destinées du Bas-Canada entre le départ de Craig et l’arrivée de son successeur, Prevost, de juin à septembre 1811. Cette fois, il fut épargné par la conjoncture qui ne lui réserva aucune mauvaise surprise.
Les diverses occupations de Dunn ne l’avaient pas empêché d’être trésorier du comité de secours pour les protestants pauvres, en 1768, et du comité pour les pauvres de Québec, en 1769 ; il souscrivit également au fonds de secours pour les pauvres en 1784 et 1818. Il fut, en outre, membre de la Société d’agriculture de Québec, de 1789 à 1793, membre de la Société du feu de Québec, de 1790 à 1815, en plus d’être l’un des membres fondateurs du fonds de soutien à la guerre que menait la Grande-Bretagne contre la France, de 1797 à 1801 ; il souscrivit aussi au fonds Waterloo, en 1815, et à la construction d’une route reliant les plaines d’Abraham à Cap-Rouge, en 1817.
Thomas Dunn s’éteignit à Québec le 15 avril 1818. Au cours de sa longue carrière, il avait réussi à briller dans à peu près tous les domaines de la vie coloniale, depuis les affaires jusqu’à la magistrature et la direction de l’État. Sa vie familiale avait été apparemment heureuse et remplie de satisfactions.
ANQ-Q, CN1-26, 17 juill. 1798, 28 juill. 1801, 16 janv. 1802, 15 juin 1803 ; CN1-83, 2 oct. 1783, 13 juin 1785, 30 mai, 13 déc. 1788, 27 mars, 24 août, 12, 22 déc. 1789, 21, 22 juin, 27 août, 11 sept. 1790, 12 oct. 1792 ; CN1-92, 13 août 1801 ; CN1-205, 10 avril, 26 juin 1775, 18 juill. 1776, 23 juill., 23 oct. 1777, 11 avril, 23 mai, 6 oct. 1778, 19, 21 oct. 1780, 15 oct. 1781, 27 nov. 1783 ; CN1-230, 16 févr., 5 juill., 11 août 1796, 3 mars 1798, 1er avril 1801, 17 août 1809, 9 mars, 12 août 1811, 24 avril 1815, 16 mars, 4, 6 avril, 31 mai, 5 nov., 18 déc. 1816, 26 févr. 1817, 27 mai 1822, 9 sept. 1825 ; CN1-248, 9 août 1764, 2, 27 août 1769, 7 mai 1770, 4 avril 1771, 13 oct. 1772, 27 avril 1773, 4 oct. 1775 ; CN1-262, 11 oct. 1797, 31 déc. 1798, 28 nov. 1799, 17 janv. 1800, 23 oct. 1804, 18 janv., 28 mars, 5 sept. 1805, 15 sept., 3 nov. 1807, 2 avril 1818.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 13 : 211–213 ; 24–1 : 67, 69, 335, 338–352 ; 26–2 : 394-.405, 409, 466 ; 87–1 : 176 ; 90 : 265s. ; 92 : 13, 161 ; 93 : 137–171 ; 97-A : 40s., 139 ; 100 : 298–304 ; 101–1 : 73 ; 101–2 : 425 ; 102 : 256 ; 104 : 7–38, 66–72 ; 106–2 : 327–329 ; 109 : 24–43 ; 112 : 255 ; MG 23, GIII, 3 ; MG 24, B10 ; RG 1, E1, 7 :198, 212 : RG 1, L3L : 143, 186, 788–862, 1362, 1580, 2162, 4365s., 4574–4587, 35572–35597, 39169–39181 ; RG 7, G1, 2 : 174s. ; 3 : 48s., 167, 250 ; RG 8, I (C sér.), 722A : 38, 79, 82, 87, 92 ; 772A : 82 ; 1908 : 41 ; RG 68, General index, 1651–1841 : ff.222–223, 229, 259, 266, 272, 275–277, 322–345, 521, 531–538, 543–546, 569, 625, 628, 650, 653.— ASQ, C 36 : 73, 96, 102, 104, 106 ; Polygraphie, IX : 63 ; XIX : 49 ; XXV : 34, 40.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1793–1818.— Doc. relatifs à l’hist. constitutionnelle, 1759–1791 (Shortt et Doughty ; 1921), 1 : 252 ; 2 : 579, 647.— Le Canadien, 17, 24, 31 janv., 28 févr., 21, 28 mars 1807.— Le Courier de Québec, 28 févr. 1807.— La Gazette de Montréal, 1805–1811.— La Gazette de Québec, 24 nov. 1768, 26 janv. 1769, 25 mars 1784, 23, 30 juin 1785, 12 oct. 1786, 24 mai 1787, 4 août 1788, 23 avril 1789, 28 janv., 25 mars, 8 juill. 1790, 5 mai 1791, 11 avril 1793, 3, 10 juill. 1794, 4 juin 1795, 29 juin, 1er août 1797, 2 juill. 1799, 15 janv., 26 févr. 1801, 27 juin 1805, 14 juill. 1808, 22 juin 1809, 20 juin 1811, 7 févr., 19 oct., 9 nov. 1815, 13 mars 1817, 12 mars, 16 avril 1818.— Quebec Mercury, janv.–mars 1807.— F.-J. Audet, « Les législateurs du B.-C. ».— Hare et Wallot, Les imprimés dans le B.-C., 315–327.— P.-G. Roy, Inv. concessions.— Christie, Hist. of L.C., 1 : 127, 200s., 233s., 255, 257, 260 ; 6 : 25–27, 84–86.— Creighton, Commercial empire of the St. Lawrence, 161.— Ouellet, Bas-Canada, 122.— Paquet et Wallot, Patronage et pouvoir dans le B.-C., 43n.— Wallot, Un Québec qui bougeait, 63–74, 186s.
Pierre Tousignant et Jean-Pierre Wallot, « DUNN, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dunn_thomas_5F.html.
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Auteur de l'article: | Pierre Tousignant et Jean-Pierre Wallot |
Titre de l'article: | DUNN, THOMAS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |