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BABY, FRANÇOIS, homme d’affaires, officier de milice, fonctionnaire, homme politique, seigneur et propriétaire foncier, né le 4 octobre 1733 à Montréal, dixième enfant de Raymond Baby et de Thérèse Le Compte Dupré ; décédé le 6 octobre 1820 à Québec.
Le père de François Baby, qui mourut quatre ans après la naissance de son fils, était un trafiquant de fourrures qui avait assez bien réussi pour que ce dernier puisse étudier au collège des jésuites à Québec. Comme la famille de sa mère était engagée à fond dans la traite des fourrures et que son frère aîné Jacques Baby*, dit Dupéront, y était mêlé depuis 1753, François se lança aussi dans ce qui était devenu une profession familiale ; un autre de ses frères, Louis, était également trafiquant de fourrures. En 1757, François, Jacques et leur plus jeune frère, Antoine, formaient une association appelée Baby Frères. Tandis que ses frères travaillaient dans les régions de traite des fourrures, François, qui habitait Montréal, recevait et expédiait des marchandises de traite importées, exportait des fourrures et s’occupait des comptes avec leurs correspondants de Paris, de Bordeaux et de La Rochelle ; François Havy*, associé de Jean Lefebvre*, comptait parmi leurs correspondants dans cette dernière ville.
Au cours de la guerre de Sept Ans, François partagea dans une certaine mesure la gloire militaire de ses frères. Il participa peut-être à la bataille de la Monongahela (près de Pittsburgh, Pennsylvanie) en 1755, sous les ordres de Daniel-Hyacinthe-Marie Liénard* de Beaujeu, et il servit sans aucun doute sous François de Lévis* durant le siège de Québec au printemps de 1760. Il mérita alors avec Jacques, Louis et Antoine les félicitations du gouverneur Vaudreuil [Rigaud*] qui déclara en juillet : « les Sieurs Baby frères, négociants de Montréal, ont donné dans toutes les occasions les plus grandes preuves de leur zèle et de leur désintéressement pour le service du Roy qu’ils se sont distingués par leur bravoure et leurs talents, dans presque toutes les actions qui se sont données contre l’Anglais ».
La guerre n’empêcha pas les Baby de poursuivre leurs affaires et de surveiller leurs intérêts futurs. En février 1760, bien avant la prise de Montréal par les Britanniques, Simon Jauge, de Bordeaux, avisa François, par l’Angleterre, sans doute en réponse à ses demandes, qu’il pourrait prendre contact à Londres avec la firme Thomas, Thomas and Son, correspondante de Jauge dans cette ville. En septembre, François fut envoyé comme prisonnier en Angleterre, et il est probable qu’il rendit visite à cette société londonienne avant d’obtenir un passeport pour la France. Il s’installa à La Rochelle, probablement avec l’intention de rester en France si le Canada n’était pas remis à la mère patrie puisque, comme Jacques, il avait refusé de prêter le serment d’allégeance au roi de Grande-Bretagne. Dès 1762, les Baby vendaient néanmoins leurs fourrures sur le marché de Londres et importaient des marchandises de traite anglaises. De France, François s’efforçait d’assurer l’approvisionnement de ses frères en marchandises de traite et maintenait des rapports avec les maisons de commerce britanniques et françaises. Quand il devint manifeste que la colonie conquise resterait une possession britannique, il liquida la majeure partie des biens de la famille en France et surveilla le transfert des relations commerciales à Londres afin de jouer un rôle important dans le commerce qui se reconstituait. Ses correspondants français le mirent en contact avec un certain nombre de sociétés londoniennes, dont la Joseph and Henry Guinaud qui ne tarda pas à devenir son principal fournisseur.
Baby revint à Montréal à la fin de 1763 et, une fois de plus, agit à titre d’intermédiaire pour Antoine et Jacques, alors établis à Detroit. Cependant, il ne tarda pas à installer son propre commerce de gros à Québec, où il importait des spiritueux et des produits manufacturés de Grande-Bretagne ; en 1765, il avait établi sa résidence dans cette ville. Même s’il se rendait souvent à Montréal pour s’occuper des affaires de ses frères, il lui fallait un représentant permanent à cet endroit. Baby choisit le marchand Pierre Guy pour occuper ce poste. Peut-être durant son séjour à Londres, Baby avait, avec la Joseph and Henry Guinaud, formé une association avec Michel Chartier* de Lotbinière qui avait besoin de fonds pour un projet d’achat de seigneuries. Mais, en 1766, voyant que son investissement ne rapportait rien, Baby avait mis fin à l’association. La même année, il modifia ses relations avec son principal fournisseur de Londres (connu depuis 1765 sous le nom de Guinaud and Hankey) et établit un compte mutuel par lequel la firme participait aux profits ou aux pertes réalisés sur les marchandises qui lui appartenaient et que Baby vendait dans la colonie ; par ailleurs, celui-ci recevait une commission sur les ventes et une autre pour s’occuper de toutes les cargaisons de marchandises de la firme londonienne arrivant à Québec ou en repartant. En 1767, les dettes de Baby envers la Guinaud and Hankey s’élevaient à £1 270 17 shillings 7 pence, ce qui montre la valeur de sa solvabilité à Londres ; cette année-là, il reçut des marchandises évaluées à £2 825 4 shillings 6 pence au profit du compte mutuel.
Dans le contexte commercial très instable des années 1760, Baby, comme la majorité des marchands, cherchait la sécurité par la diversification. Il ajouta à ses articles de commerce des produits tels que des madriers, des pois, de l’avoine, des pommes, de l’argenterie, du coton, des plumes de casque et des capillaires appréciés pour leurs vertus médicinales. Il faisait aussi de la spéculation sur le blé et les fourrures. En 1769, il se classait au troisième rang parmi les investisseurs dans la traite des fourrures, mais, au début des années 1770, Robert Hankey se plaignait que la piètre qualité des fourrures de Baby, qu’il obtenait en grande partie de Jacques dans la région de Detroit, lui causait de sérieux problèmes de vente à Londres. En plus de ces entreprises, Baby exploitait au moins une goélette et probablement d’autres bateaux naviguant sur le Saint-Laurent et ses affluents, grâce auxquels il assurait la livraison des achats à ses entrepôts et des produits vendus à ses clients, ainsi que le transport de cargaisons pour d’autres marchands quand cela était possible.
En 1773, de graves problèmes à Londres et en France nécessitèrent le départ de Baby pour l’Europe. Comme ses relations avec Hankey (Henry Guinaud avait fait faillite en 1769) ne le satisfaisaient plus, Baby transféra ses comptes chez Thomas Pecholier, de Londres lui aussi, tout en maintenant les relations qu’il avait depuis longtemps avec la firme Thomas, Thomas and Son. Une fois de plus, il se rendit en France. Avant de partir en 1763, il y avait liquidé la plupart des affaires de sa famille, mais il n’avait pas pu avant ce voyage fermer les livres de ses avoirs et de ceux de ses frères en monnaie de papier datant du Régime français, ainsi que les livres de certaines autres transactions monétaires. La famille, y compris François, avait subi de lourdes pertes à ce sujet. À la fin des années 1760, par exemple, des lettres de change tirées sur Bordeaux pour 11 666# ne rapportèrent net à François que 6 056# après escompte. En dépit de ses pertes, il avait néanmoins surmonté la difficile transition vers un nouvel ordre économique dans la colonie, contrairement à beaucoup d’autres marchands canadiens. En fait, il avait très bien réussi ; en 1772, il acheta pour environ £350 une meilleure résidence, soit une maison de pierre située rue Sous-le-Fort.
Tout en assurant sa survie économique, Baby avait acquis des opinions politiques très traditionalistes et une position économique nécessaire pour devenir l’un des porte-parole de la bourgeoisie canadienne. Le fait qu’il ait été invité à signer une adresse de bienvenue au lieutenant-gouverneur Guy Carleton démontre, d’une part, l’importance sociale qu’il avait dès 1766 ; son consentement marque, d’autre part, sa complète réconciliation avec la présence britannique. Comme le gouvernement britannique travaillait à une nouvelle constitution pour la province, les marchands et les seigneurs canadiens le chargèrent donc, en 1773, de présenter à Londres une pétition qui définissait leur position auprès des autorités britanniques. Ils demandaient le maintien de leurs lois traditionnelles, de leurs privilèges et de leurs coutumes, le rétablissement des limites territoriales de la Nouvelle-France pour inclure dans la province le Labrador et la région de la traite des fourrures à l’ouest, ainsi que la distribution de faveurs aux sujets britanniques et canadiens, sans distinction. La défense de la pétition par Baby parut avoir une grande valeur pour Carleton, dont les idées ressemblaient beaucoup à celles des seigneurs ; l’ancien procureur général de la colonie, Francis Maseres*, qui s’opposait dans une large mesure à la pétition, affirma en 1774 qu’elle « a[vait] formé la base de l’Acte de Québec ». Baby revint à Québec en mai 1774, et une lettre publique de remerciements de la part des défenseurs de l’acte le récompensa de ses efforts. Il attendait probablement plus, et il fut déçu au moment des nominations au Conseil législatif, formé en 1775 en vertu de l’Acte de Québec, lorsqu’on lui préféra d’autres hommes qui, écrivait-il avec amertume à Pierre Guy, « [avaient] plus songé et travaillé à leur intérêt particulier qu’au bien public ». Il ajoutait : « Je crains bien que le temps ne soit pas éloigné où les Canadiens ne pourront se consoler d’avoir demandé la nouvelle forme de gouvernement. »
Baby reprit encore une fois le fil de ses affaires et commença à s’occuper de nouvelles entreprises. En juin 1775, il commanda la construction d’une nouvelle goélette à Bécancour et régla d’avance le prix de revient total d’environ £280. Il se lança dans la chasse au phoque et la traite des fourrures au poste de Saint-Augustin (Québec) en société avec François-Joseph Cugnet*, Gabriel-Elzéar Taschereau et Nicolas-Joseph de Lafontaine de Belcour. Ils investirent £1 400 au cours de la première année d’exploitation et choisirent de vendre leurs produits à Londres par l’intermédiaire de la Thomas, Thomas and Son. Avec cette nouvelle entreprise, Baby transféra ses intérêts du vieux Nord-Ouest (région située au nord-ouest de la rivière Ohio) à la côte du Labrador.
Cependant, l’exploitation venait juste de démarrer quand l’invasion de la colonie par les Américains [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*] arrêta temporairement les affaires de Baby. Le 5 août 1775, il fut nommé capitaine dans la milice de Québec, qu’il contribua à organiser, et, en 1776, il devint commissaire des transports militaires. À la suite de la retraite des Américains, Carleton chargea Baby, Taschereau et Jenkin Williams d’enquêter sur la déloyauté des Canadiens habitant à l’est de Trois-Rivières durant l’invasion. Étant donné les circonstances, on avait demandé aux commissaires de faire preuve de réalisme, de mesure, de diplomatie et de délicatesse. Le 22 mai, ils partirent faire une tournée d’inspection des paroisses, qui devait durer sept semaines. Ils commencèrent autour de Québec et dans l’île d’Orléans, continuèrent en amont, le long de la rive nord jusqu’à Trois-Rivières, puis descendirent la rive sud vers Kamouraska. Dans chaque paroisse, ils recueillaient des informations auprès du curé, passaient la milice en revue, remplaçaient les officiers qui avaient collaboré avec les Américains, brûlaient publiquement les commissions délivrées par les Américains et haranguaient les gens sur leurs devoirs de loyauté. Ils retirèrent des commissions d’officiers dans 37 des quelque 50 paroisses et blanchirent complètement le capitaine de milice dans 2 paroisses seulement. Cependant, à part le retrait des commissions, la seule sanction attestée par les documents fut la confiscation des armes de ceux qui étaient considérés comme manquant de sympathie envers le gouvernement ; ce fut une réponse remarquablement modérée et intelligente. Vers cette époque, semble-t-il, Baby fut nommé adjudant général des milices et, en 1778, il fut promu lieutenant-colonel.
La conduite de Baby durant l’invasion lui valut aussi la nomination tant convoitée au Conseil législatif ; le 30 juin 1778, il en fut assermenté comme membre. De plus, le gouverneur Haldimand le prit dans son conseil privé inconstitutionnel, lequel était composé des conseillers sur qui il pouvait compter pour l’appuyer. À la fin de 1778 ou au début de 1779, il nomma Baby juge de paix du district de Québec. Bien que cela soit une exagération, tout le monde eut bientôt la conviction qu’il était, selon les mots d’une femme de Boucherville, « tout puissant aupprès de son excellence le générale Haldiman ». Baby fut l’un des quelques privilégiés à nouer une amitié personnelle avec le gouverneur habituellement réservé ; en 1780 et 1781, Haldimand, qui désirait acheter un terrain, tout en gardant l’anonymat, pour établir une maison de campagne près de la chute Montmorency, confia cette tâche à Baby. Homme affable, courtois et digne, possédant alors de l’argent, un grade militaire et un pouvoir politique, Baby se livra entièrement à la brillante vie sociale de la classe supérieure. En 1778, Georges-Hippolyte Le Compte* Dupré, dit Saint-Georges Dupré, lui avait écrit : « Jimagine que tu est comme un papillon volant de Belle en Belle. Jauroit été charmé de pouvoir prendre par à touttes vos célébré feste. » En 1786, le « papillon » social, alors âgé de 52 ans, était attiré par une jeune fille de 15 ans, Marie-Anne Tarieu de Lanaudière, fille du seigneur Charles-François Tarieu* de La Naudière. Ils se marièrent le 27 février et eurent 12 enfants, dont 6 devaient survivre à Baby.
L’entrée de Baby dans la classe dirigeante relégua peu à peu au deuxième rang ses occupations commerciales. En 1779, l’entreprise de Saint-Augustin subit de graves déprédations commises par des corsaires américains ; la même année, Baby rompit ses relations avec la firme Thomas, Thomas and Son. Cependant, son expérience du commerce dans le Labrador et ses relations avec Haldimand firent de lui l’associé idéal des marchands George* et Alexander Davison qui voulaient arracher à Thomas Dunn, William Grant (1744–1805) et Peter Stuart le bail des postes du roi, et obtenir ainsi le quasi-monopole de la traite des fourrures et des pêcheries le long de la côte nord du bas Saint-Laurent. Le bail du groupe de Dunn avait expiré en 1777, mais ceux-ci purent garder les postes jusqu’en 1786 grâce en partie au lieutenant-gouverneur Henry Hamilton*. Toutefois, l’influence de Haldimand l’emporta ; Hamilton fut révoqué pour son action, et, le 21 juin 1786, Baby et ses associés signèrent un nouveau bail qui allait entrer en vigueur le 1er octobre. Baby détenait nominalement un tiers des actions de l’entreprise, mais en fait il ne s’intéressait plus à l’affaire comme marchand. Il est probable qu’il se soit surtout joint aux Davison à cause de l’influence politique qu’il pouvait exercer ; le 9 septembre, comme les nouveaux locataires prenaient possession des postes, il vendit sa part en échange d’une pension de £150 par an pour la durée du bail et du remboursement des dépenses qu’il avait engagées pour l’obtenir. Dès lors, Baby n’eut plus aucun intérêt dans le commerce, à l’exception d’un petit investissement de £750 qu’il fit dans la traite des fourrures en 1787 et du cautionnement occasionnel d’expéditions que son frère Jacques et le fils de ce dernier, James Baby*, organisèrent jusqu’en 1790.
Sur le plan politique comme sur le plan social et économique, Baby s’était éloigné des marchands canadiens que dirigeait alors son ami et ancien représentant, Pierre Guy. Au conseil, Baby était un loyal partisan de Haldimand, qui ne partageait guère les intérêts des marchands. Au début de 1780, par exemple, contrairement aux marchands qui siégeaient au conseil, comme Dunn, Grant et George Allsopp, Baby vota en faveur de la proposition de Haldimand visant à fixer le prix du blé. Il devint l’un des membres canadiens les plus actifs et les plus intelligents du French party dirigé par Adam Mabane*, qui cherchait à préserver de fait l’Acte de Québec dans son intégralité. En 1782, Mabane alla jusqu’à favoriser la candidature de Baby comme successeur d’Hector Theophilus Cramahé* au poste de lieutenant-gouverneur, mais Haldimand proposa Hamilton. Malgré le fait que les marchands canadiens et britanniques continuaient d’avoir des opinions divergentes sur certains points, ils éliminèrent graduellement leurs plus importants différends et élaborèrent bon nombre de demandes politiques communes nécessitant une réforme fondamentale, sinon un rejet complet de l’Acte de Québec. Baby combattit leurs demandes, notamment celle qui concernait une assemblée élue, que les marchands canadiens adoptèrent publiquement après le départ de Haldimand en novembre 1784.
En tant qu’adjudant général des milices, Baby fut chargé de l’application de la première loi sur la milice, votée en 1777. L’ordonnance créait une hiérarchie d’officiers composée d’un commandant en chef, d’un adjudant général, de colonels et d’officiers subalternes tant à Montréal qu’à Québec et à Trois-Rivières, de même que de capitaines et d’officiers subalternes dans les paroisses. Tout en assistant l’armée régulière dans la défense de la colonie, la milice devait lui fournir le transport et d’autres services, appelés collectivement corvée, et dont certains seulement étaient sujets à rémunération. L’imprécision de l’ordonnance laissait le champ libre à l’armée et aux officiers de milice pour qu’ils se livrent à des actes arbitraires et au despotisme ; c’est par l’intermédiaire de Baby que les nombreuses plaintes qui en résultèrent furent acheminées au bureau de Carleton, puis plus tard à celui de Haldimand. Mais Carleton et les seigneurs, qui formaient l’ossature du French party, avaient été extrêmement embarrassés par le fait que les habitants n’avaient pas combattu les Américains. Ils (et Baby partageait leurs vues) s’opposaient systématiquement aux réformes que proposaient principalement Hugh Finlay, Henry Caldwell et Allsopp afin de réduire l’arbitraire, sous prétexte que la milice devait apprendre à se soumettre aux autorités constituées. Ce n’est pas avant 1787, le French party étant très affaibli à la suite du départ de Haldimand pour la Grande-Bretagne, que des changements furent finalement introduits dans une loi générale sur la milice et dans une autre qui donnait une définition plus claire de la corvée. En 1788, Baby servait comme lieutenant-colonel dans la milice canadienne à Québec.
En mai de cette année-là, grâce à un héritage provenant de la succession de son beau-père, Baby était devenu l’un des quelques copropriétaires des seigneuries de Saint-Vallier et de Saint-Pierre-les-Becquets. En janvier 1790, on estimait à seulement £40 les revenus que Baby tirait de ces seigneuries, mais il augmenta peu après ses investissements dans celles-ci. En juin, il acheta une ferme dans Saint-Vallier pour £300 environ et, deux ans plus tard, il versa à un autre coseigneur, Pierre-Ignace Aubert* de Gaspé, environ £125 pour sa part de un huitième dans la seigneurie de Saint-Pierre-les-Becquets. Néanmoins, quand Dorchester nomma Baby, en 1790, membre d’un comité du conseil chargé de faire rapport sur la tenure seigneuriale, lui et un autre seigneur, Charles-Louis Tarieu de Lanaudière, se trouvaient parmi ceux qui recommandèrent son abolition. Ainsi, alors que Baby n’était plus marchand, il n’était pas non plus, dans son propre esprit, un seigneur à part entière.
Baby était par-dessus tout un fonctionnaire et, comme beaucoup d’entre eux, il s’occupait de certaines transactions immobilières, sur une échelle relativement modeste, cependant. Riche et fervent catholique, Baby préférait prêter de l’argent par l’achat de rentes viagères, forme de prêt que l’Église tolérait. II versait à l’emprunteur une certaine somme en échange d’une rente rapportant 6 p. cent par année (le taux d’intérêt légal à l’époque) pour tout le temps où l’emprunteur détenait le capital ; ce dernier pouvait racheter la rente à n’importe quel moment. De 1789 à 1806, Baby fit l’achat d’au moins 22 rentes pour un total de 147 134# ou £6 130 environ. Il jouissait partout d’une excellente réputation d’honnêteté auprès de l’élite de la colonie ; il acheta les rentes les plus importantes à des seigneurs, des marchands et des curés, de Saint-Jean-Port-Joli à Montréal.
En 1792, Baby coupa peut-être son dernier lien avec le groupe des marchands en vendant sa maison de la rue Sous-le-Fort pour s’installer dans la haute ville, d’abord rue du Parloir, puis, en 1795, rue Buade. En 1791, il fut nommé membre du Conseil exécutif et, en 1792, membre du Conseil législatif ; ces deux organismes avaient été créés par l’Acte constitutionnel de 1791. En 1794, 1802–1803 et 1806–1807, il siégea comme président du Conseil législatif. Il aurait eu l’occasion d’agir à titre d’administrateur du Bas-Canada en l’absence du gouverneur, mais il refusa parce qu’il ne pouvait se soumettre au serment du Test. Cependant, il reçut deux nominations de moindre importance, celles de commissaire chargé d’administrer les biens des jésuites (1800) et de commissaire chargé de secourir les personnes incapables de payer les lods et ventes (1801).
Durant les années 1790 et au début des années 1800, Baby joua un rôle de premier plan dans le mouvement visant à promouvoir la loyauté dans la ville à une époque où la sympathie envers la France révolutionnaire, alors en guerre avec la Grande-Bretagne, était plutôt élevée [V. David McLane* ; Robert Prescott]. En juin 1794, il siégeait au sein du comité directeur de l’Association, qui avait été créée cette année-là pour appuyer l’autorité britannique dans la colonie et dont il signa la déclaration publique de loyauté envers la constitution et le gouvernement ; en janvier, il avait été l’un des signataires d’une adresse destinée au prince Edward Augustus à l’occasion de son départ de Québec. En 1795, il servait comme colonel d’un nouveau bataillon de milice canadienne à Québec. En juin 1799, Baby et Jean-Antoine Panet étaient les seuls Canadiens à faire partie d’un groupe de 13 citoyens en vue qui lancèrent une campagne de souscription volontaire afin d’appuyer l’effort de guerre de la Grande-Bretagne.
Baby reçut un certain nombre de récompenses pour ses manifestations publiques de loyauté et ses années de service dans l’administration coloniale britannique. En 1792, il demanda des terres sur la rive sud du Saint-Laurent, et il fut recommandé de lui concéder 1 200 acres ; cependant, on ne lui accorda pas le canton de Templeton pour lequel il avait fait une demande en octobre 1793. Sur la recommandation du lieutenant-gouverneur sir Robert Shore Milnes*, on lui alloua, en 1802, une pension à vie de £150 par année. Six ans plus tard, son salaire d’adjudant général passa de £91 à £320 (cours d’Angleterre). De plus, en tant que conseiller exécutif, il avait droit à 12 000 acres de terrain ; en 1809, il reçut 7 340 acres dans le canton de Sherrington, et le reste lui fut accordé dans le canton de Tingwick en 1818. L’année suivante, il obtint aussi 1 800 acres dans le canton de Chester pour son service dans la milice au cours de l’invasion et de l’occupation américaines de 1775–1776.
En 1810, l’âge et la mauvaise santé avaient commencé à affaiblir les capacités de Baby. Avec les rumeurs de guerre, il accepta, en octobre 1811, l’invitation du commandant en chef Prevost à quitter ses fonctions d’adjudant général pour la sinécure de grand voyer, au salaire annuel de £150. François Vassal* de Montviel le remplaça au poste d’adjudant général. En 1812, Baby démissionna aussi de son poste de commissaire des transports de la milice. Cependant, il restait attaché à la milice comme colonel du bataillon de Cap-Santé.
Baby avait aussi cessé de jouer un rôle actif dans les affaires de l’État. Il appuya Prévost dans son conflit avec le parti des bureaucrates, mais probablement de façon passive, tant à cause de son âge que de ses liens politiques avec ce parti. Cependant, il restait relativement actif dans le domaine des affaires. En 1811, il avait acquis, selon toute apparence, un certain nombre de rentes viagères que les habitants du faubourg Saint-Roch avaient vendues à la succession du marchand William Grant. De 1814 à 1820, Baby acheta des rentes viagères pour une somme totale de £4 643. De plus, il vint au secours de son fils François en réglant une dette de £700 que celui-ci avait contractée.
Baby resta jusqu’à la fin un homme éminemment sociable ; sa maison était renommée pour être le lieu de rendez-vous de l’élite de Québec. En société, Baby et sa femme se conduisaient d’une manière que l’Église trouvait exemplaire, vu leur rang ; aux nombreuses réunions dont elle était l’hôtesse, Marie-Anne s’habillait invariablement avec une modestie qui contrastait avec les élégantes parures de ses invitées. Mgr Plessis*, qui critiquait habituellement l’attachement aux plaisirs du monde de la classe dirigeante de la colonie, trouvait que la piété de Baby lui valait son respect et son amitié. À la mort de Baby, les directeurs du séminaire de Québec, souhaitant exprimer leur gratitude pour l’appui actif que Baby avait apporté à leur institution, le firent enterrer dans leur chapelle, car la fabrique de la cathédrale Notre-Dame avait interdit l’année précédente de procéder aux inhumations dans l’église.
Pour beaucoup de Canadiens de cette époque, François Baby avait été anglicisé. Il semble avoir compté parmi ses amis intimes trois des membres les plus en vue du parti des bureaucrates, soit Jonathan Sewell*, Herman Witsius Ryland* et William Smith*, qui tous trois signèrent son acte de sépulture. Sur le plan politique, l’autoritarisme de ses collègues britanniques des conseils exécutif et législatif lui convenait mieux que la politique à tendance démocratique du parti canadien à la chambre d’Assemblée. Mais si certains croyaient qu’il avait vendu son droit de naissance pour préserver son bien-être économique, d’autres étaient d’avis qu’il avait sincèrement cherché à servir les intérêts des Canadiens en tant qu’un des principaux membres de la clique dirigeante durant près d’un demi-siècle.
La source primordiale pour une étude de François Baby est le volumineux fonds Baby qui se trouve aux AUM, sous la cote P 58. Des copies manuscrites et sur microfilm se trouvent aux APC, MG 24, L3. Ce fonds a été bien exploité pour la carrière d’homme d’affaires de Baby par Dale Miquelon dans « Baby family ». L’original du journal de Baby, Gabriel-Elzéar Taschereau et Jenkin Williams se trouve à la BN. Il a été édité par Ægidius Fauteux* et publié dans l’ANQ Rapport, 1927–1928 : 435–499 ; 1929–1930 : 138–140, sous le titre de « Journal par Baby, Taschereau et Williams ». Il a été réimprimé en tiré à part à Québec en 1929 sous le titre de Journal de MM. Baby, Taschereau et Williams, 1776.
L’auteur voudrait exprimer sa gratitude envers le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour une aide financière qui a facilité la préparation de cette notice et à James H. Lambert pour son apport éditorial. [j. c.]
ANQ-M, CE1-51, 4 oct. 1733.— ANQ-Q, CE1-1, 27 févr. 1786, 9 oct. 1820 ; CN1-16, 8 juin, 2, 4, 26 juill., 14, 19 sept. 1816 ; CN1-83, 9 sept. 1786, 6 mai 1788, 11 août 1789, 31 mai, 28, 30 juin 1790, 11 déc. 1791, 18 mai, 21 juin 1792, 6 mars 1793, 10 juin 1794 ; CN1-99, 29 mars 1811, 20 juin 1814 ; CN1-107, 1er août 1817 ; CN1-202, 4 oct. 1765 ; CN1-205, 29 avril 1779, 9 mai, 13 juin 1780, 23 janv. 1783 ; CN1-207, 28 mars, 30 oct. 1770, 16 juin 1772, 4 oct. 1773 ; CN1-212, 4 avril, 7, 25 mai, 20 juill. 1818, 6 févr., 8, 22 juin 1819, 25 mai 1820 ; CN1-224, 13 oct. 1790 ; CN1-230, 8 juin 1795, 25 févr. 1797, 26 févr., 14 mai, 15 août 1798, 15 mars 1805, 26 mars 1806, 18 mars 1816 ; CN1-248, 29 mars, 23 juin 1775 ; CN1-253, 28 sept. 1811, 26 avril 1813 ; CN1-262, 9 oct. 1795, 16 juill. 1796, 9 mars, 13 avril 1797, 16 févr. 1798, 11 mai 1802, 12 mars, 14 août 1805, 20 mai 1806, 8 mai, 18, 19 août 1817 ; CN1-284, 14 sept. 1787.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 24 : 67 ; 88 : 193 ; MG 30, D1, 3 : 88–115 ; RG 1, L3L : 45–57, 111, 168, 863–866, 1095, 1140s., 1325, 1557s., 1587, 2136, 2170, 4061, 4420, 18095s., 18148–18151, 18156–18160, 18166, 18170–18183, 33206, 72228, 97930 ; RG 4, A1 : 22954, 23798, 24145, 27580 ; B28, 110 ; RG 8, I (C sér.), 32 : 208 ; 372 206, 208 ; 1169 : 98 ; 1714 : 1, 13, 95.— PRO, CO 42/46 f.262 ; 42/47 : 259 (mfm aux APC).— « Les dénombrements de Québec » (Plessis), ANQ Rapport, 1948–1949 : 71, 120, 170.— La Gazette de Québec, 29 sept. 1766, 19 mai 1774, 22 juill. 1777, 14 janv. 1779, 24 nov. 1785, 28 sept. 1786, 14 août, 11 déc. 1788, 23 avril 1789, 2 mai, 28 nov. 1793, 13 févr., 3 juill. 1794, 27 juin 1799, 4 déc. 1800, 7 mai 1801, 14 juin 1804, 10 oct. 1811, 27 avril, 24 déc. 1812, 30 déc. 1813, 19 oct. 1815, 14 mai, 13 août, 5 oct. 1818, 12 oct. 1820.— [É.-A.] Baby, Mémoire de famille : l’honorable C.-E. Casgrain [...] (Rivière-Ouelle, Québec, 1891).— P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Baby et Perrault du Canada (Québec, 1898).— Miquelon, « Baby family ».— Neatby, Quebec, 23s., 66, 73, 149, 156s., 165, 181, 189, 198, 200, 202s.— Tousignant, « La genèse et l’avènement de la constitution de 1791 », 167–169, 227.— Michel Brunet, « La Conquête anglaise et la déchéance de la bourgeoisie canadienne (1760–1793) », Amérique française (Montréal), 13 (1955), no 2 : 19–84.— P.-B. Casgrain, « L’honorable François Baby », BRH, 12 (1906) : 41–46.
John Clarke, « BABY, FRANÇOIS (1733-1820) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/baby_francois_1733_1820_5F.html.
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Auteur de l'article: | John Clarke |
Titre de l'article: | BABY, FRANÇOIS (1733-1820) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |