Dans la longue liste des défis que doit relever sir Wilfrid Laurier figure l’harmonisation des aspirations nationales et internationales des deux peuples fondateurs du Canada. Cet enjeu, au cœur de sa vision d’union nationale, s’imposait d’ailleurs aux Canadiens depuis au moins la fin des années 1880, ainsi que le rappelle l’extrait suivant de sa biographie :
Au fond, le problème qui se posait alors concernait l’identité nationale. Certains voyaient la nation canadienne liée de près à l’Empire britannique tandis que d’autres l’ancraient davantage sur le continent nord-américain. Mais il y avait plus. Certains anglo-protestants optaient pour une nation canadienne plutôt exclusive, unilingue anglaise et protestante. Redoutant la force et l’ambition des Canadiens français catholiques, qu’exprimait avec tant de vigueur Mercier, ils partirent en croisade contre le dualisme canadien. Les autres, les Canadiens français, suivis par des Anglo-Saxons, rêvaient surtout d’un Canada bilingue et biculturel. Eux aussi partirent en croisade passionnée.
Les relations avec l’Empire britannique
Laurier cherche à développer l’autonomie du Canada sur la scène extérieure, d’abord par rapport à la Grande-Bretagne qui réclame, en 1897, un nouveau cadre de définition et de régularisation des relations impériales. Ce cadre, exigeant, ne correspond pas à toutes les aspirations nationales canadiennes :
Avec la mère patrie, la situation se présenta sous un angle beaucoup plus complexe. L’Angleterre véhiculait un nouvel impérialisme centré sur les incomparables vertus de la race anglo-saxonne et l’obligation de convertir le plus grand nombre de peuples à sa brillante civilisation […]
Si ce nouvel impérialisme britannique séduit plusieurs Canadiens anglais, il trouve des adversaires, notamment chez les Canadiens français. Laurier tergiverse, s’expose aux critiques, comme le rappelle cet extrait de la biographie du journaliste politique John Stephen Willison :
[En 1899, dans] la province de Québec, on reprocha à Laurier d'être trop impérialiste et, en Ontario, de n'être « pas assez Britannique ».
L’attitude ambivalente de Laurier suscite encore plus de critiques lorsque, au début de la guerre des Boers (1899–1902), il hésite à déployer des contingents militaires en Afrique du Sud. Le conflit place le premier ministre dans une position délicate, comme l’atteste cet extrait de la biographie de Hugh Graham, impérialiste de la première heure et propriétaire d’un influent journal montréalais, le Montreal Daily Star :
Au début d’octobre 1899, [Graham] fit envoyer par ses employés quelque 6 000 télégrammes à des personnages publics dans tout le Canada afin de solliciter des messages sur la nécessité pressante de s’engager dans le conflit. Les réponses, espérait-il, forceraient le gouvernement libéral de sir Wilfrid Laurier* à surmonter ses réticences et à aller en guerre. La position impérialiste du Star, qui s’exprimait par des manchettes comme celle-ci, parue le 11 octobre, « Our country must be kept British », provoqua l’ire des nationalistes de la province de Québec, dont les hommes politiques Joseph-Israël Tarte* et Henri Bourassa*. Beaucoup s’opposaient à ce qu’ils considéraient être une guerre coloniale injuste ; d’autres déploraient que ni le Parlement ni l’électorat ne soient consultés […] La campagne du Star et l’engagement personnel de Graham à souscrire jusqu’à un million de dollars d’assurance pour les volontaires canadiens du premier contingent expédié en Afrique du Sud pesèrent beaucoup dans la décision du Canada de prendre part au conflit [V. sir Wilfrid Laurier], mais ils élargirent également le fossé entre les conservateurs et les nationalistes, et entre les Canadiens français et le reste du pays.
La fin de la guerre des Boers, en mai 1902, apaise momentanément les tensions entre les Canadiens anglais et les Canadiens français au sujet des relations entre la mère patrie et le Canada. Cependant, l’ingérence de l’impérialisme britannique dans la politique canadienne et ses impacts sur l’unité nationale contraignent Laurier à se montrer plus ferme vis-à-vis de la Grande-Bretagne :
Le deuxième mandat de Laurier s’amorça sous le signe des clarifications politiques. Clarifications d’abord dans les relations impériales. Laurier prit alors le parti de lever des ambiguïtés, les yeux un peu plus tournés vers le Québec, sa base électorale qui frémissait de plus en plus aux échos des discours passionnés de Bourassa. À la conférence coloniale de l’été de 1902, il dit non au Conseil impérial, non à la mise sur pied d’une force navale impériale, non, enfin, à l’union commerciale. Laurier, limpide, se résuma ainsi à la Chambre des communes, le 13 mars 1903 : « L’empire se compose d’une multitude de nations libres soumises à un même souverain, mais qui, avant tout, se doivent à elles-mêmes. » Reçus plutôt froidement par plusieurs impérialistes, ces propos précipitèrent Bourassa dans la joie. Il se réconcilia avec le premier ministre même s’il devint à ce moment le mentor de l’agissante Ligue nationaliste canadienne, dont le programme vomissait l’impérialisme [V. Olivar Asselin*].
Toutefois, en 1909–1910, à mesure que l'Allemagne accroît sa puissance navale, l’impérialisme britannique revient en force dans la politique canadienne. Cette fois, le gouvernement Laurier est soumis aux pressions de ceux qui réclament que le Canada apporte une assistance afin de maintenir la suprématie navale de l’Empire, et de ceux qui s’y opposent (le premier ministre a déjà envisagé la création d’une marine de guerre canadienne en 1902, sans y donner suite). Laurier, qui veut préserver l’autonomie canadienne tout en affirmant sa foi en l’Empire, propose un compromis. Il dépose aux Communes, le 12 janvier 1910, un projet de loi qui deviendra la Loi concernant le Service de la marine du Canada :
[Le projet de loi] créait, sous l’autorité du gouvernement canadien, une marine de guerre de cinq croiseurs et de six destroyers qui pourraient combattre où l’Angleterre était engagée […] Le débat fut impitoyable à la Chambre […] Uni toutefois à son parti, [Laurier] triompha à la Chambre le 20 avril. Il lui restait alors à contrecarrer les attaques extraparlementaires. Virulentes au Canada anglais, elles devinrent, sous le leadership de Bourassa, catastrophiques au Québec. Ce dernier, qui venait de fonder son quotidien le Devoir, forma une alliance avec Monk, à l’été de 1910, et multiplia les assemblées méprisantes pour Laurier et sa marine maudite.
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