DCB/DBC Mobile beta
+

Dans le cadre de l’accord de financement entre le Dictionnaire biographique du Canada et le Musée canadien de l’histoire, nous vous invitons à participer à un court sondage.

Je veux participer maintenant.

Je participerai plus tard.

Je ne veux pas participer.

J’ai déjà répondu au sondage

Nouvelles du DBC/DCB

Nouvelles biographies

Biographies modifiées

Biographie du jour

ROBINSON, ELIZA ARDEN – Volume XIII (1901-1910)

décédée le 19 mars 1906 à Victoria

La Confédération

Le gouvernement responsable

Sir John Alexander Macdonald

De la colonie de la Rivière-Rouge au Manitoba (1812–1870)

Sir Wilfrid Laurier

Sir George-Étienne Cartier

Sports et sportifs

Les fenians

Les femmes dans le DBC/DCB

Les conférences de Charlottetown et de Québec en 1864

Les textes introductifs du DBC/DCB

Les Acadiens

Module éducatif

La guerre de 1812

Les premiers ministres du Canada en temps de guerre

La Première Guerre mondiale

MORRIS, EDWARD PATRICK, 1er baron MORRIS, enseignant, avocat, éditeur et homme politique, né le 8 mai 1858 à St John’s, quatrième des six enfants d’Edward Morris et de Catherine Fitzgerald ; le 19 janvier 1901, il épousa Isabel Langrishe LeGallais (décédée le 1er juillet 1934), veuve de l’homme politique James Patrick Fox, et ils eurent un fils ; décédé le 24 octobre 1935 à Londres.

Les parents d’Edward Patrick Morris étaient originaires d’Irlande ; son père, tonnelier, deviendrait surintendant de l’asile des pauvres de St John’s. Malgré sa condition relativement humble, Morris fréquenta le St Bonaventure’s College de St John’s, qui offrait l’une des meilleures éducations dans la colonie ; lui et ses quatre frères mèneraient de brillantes carrières. Morris quitta l’école en 1874 et, pendant les quatre années suivantes, enseigna dans une école établie par son frère aîné, le père Michael Morris, à Oderin dans la baie de Plaisance. Entre 1878 et 1880, il étudia à l’école secondaire affiliée au collège d’Ottawa (qui deviendrait l’université d’Ottawa), et peut-être au collège même. Il retourna ensuite à St John’s, où il se prépara à participer activement à la vie politique en fondant, en 1882, un club pour jeunes hommes, l’Academia, et en faisant un stage de droit auprès de James Spearman Winter*. Il fut admis comme solicitor en 1884 ; reçu au barreau en 1885, il ouvrit peu après un cabinet d’avocats avec son frère Francis J. Morris.

Aux élections générales de cette année-là, Morris brigua les suffrages comme candidat indépendant dans St John’s West, circonscription formée en grande partie de travailleurs catholiques et représentée par trois députés. Il fit du porte à porte, pratique peu commune à l’époque, se présentant comme défenseur des opprimés, et sortit grand vainqueur. Jusqu’à la fin de sa carrière à Terre-Neuve, Morris resterait inattaquable dans St John’s West. Homme politique local d’envergure et infatigable, doté d’une personnalité affable, d’éloquence et d’une mémoire remarquable, il serait réélu dix fois dans cette circonscription.

À la Chambre d’assemblée, Morris siégea dans l’opposition aux réformistes dirigés par Robert Thorburn*. Il préconisa des lois sociales pour les pêcheurs et d’autres travailleurs, appuya des réformes concernant les élections et le gouvernement local, et soutint que la construction ferroviaire était la clé de l’avenir économique de Terre-Neuve. Il fut donc tout naturellement attiré par le parti qu’étaient en train de fonder sir William Vallance Whiteway*, Robert Bond* et Alfred Bishop Morine* pour mener la campagne électorale de 1889. Le parti se nomma lui-même libéral et fit revivre la « politique du progrès » de Whiteway utilisée dans la campagne de 1882, axée sur l’achèvement de la construction du chemin de fer amorcée en 1881. Whiteway remporta l’élection avec une large majorité et nomma Morris, sans portefeuille, au Conseil exécutif, reconnaissant ainsi son influence dans St John’s et renforçant la représentation catholique au sein du gouvernement.

Au cours des années de tumulte politique qui suivirent, Morris joua un rôle plutôt effacé. Il exploitait un cabinet d’avocats lucratif – qui tenait une partie de sa prospérité à de nombreux contrats gouvernementaux (il serait nommé conseiller de la reine en 1896) –, remplaçait Whiteway comme procureur général lorsque celui-ci s’absentait, coordonnait les projets de loi et s’occupait des affaires municipales. Au cours des années 1890, il préparerait également cinq volumes des Newfoundland Law Reports, publiés à St John’s entre 1897 et 1901. Il appuyait en général les politiques gouvernementales et prenait peu de risques. À l’instar de la plupart des membres du gouvernement, il perdit son siège au début de 1894 sur des allégations de manœuvres frauduleuses pendant les élections de l’année précédente, mais il fut réélu en février 1895.

Moins d’un mois plus tard, Morris se trouva dans une situation potentiellement inconfortable lorsqu’il fit partie d’une délégation (menée par Bond, alors secrétaire de la colonie) qui se rendit à Ottawa pour examiner la possibilité de faire entrer Terre-Neuve dans la Confédération. Il s’était exprimé contre cette idée en 1888 et la plupart de ses électeurs étaient du même avis. Cependant, à la suite de la débâcle de ses deux banques privées en décembre 1894 [V. James Goodfellow*], Terre-Neuve se trouvait alors en grave difficulté financière et il semblait bien n’y avoir d’autre issue que la faillite et la démission du gouvernement responsable. Les négociateurs ne purent s’entendre sur les questions monétaires, échec que Morris annonça à la Chambre d’assemblée le 16 mai.

La colonie survécut à la crise grâce à des emprunts obtenus par Bond, mais les restrictions financières contribuèrent à la défaite libérale aux élections de 1897. Whiteway perdit son siège et Bond devint le chef du parti à la Chambre. L’année suivante, avec quatre partisans, notamment Michael Patrick Cashin*, Morris rompit avec Bond, geste qui confirma son ascendant à titre de chef politique. Le litige portait sur un nouveau contrat ferroviaire entre le gouvernement tory de James Spearman Winter et Robert Gillespie Reid*. Ce dernier avait construit la majeure partie de la ligne transinsulaire, alors terminée, après avoir signé des contrats de construction et d’exploitation avec le gouvernement Whiteway en 1890 et 1893. Selon le nouveau contrat, Reid exploiterait pendant 50 ans le chemin de fer, dont la propriété passerait ensuite à ses héritiers. Pour l’exploitation, il devait recevoir des concessions foncières supplémentaires et payer un million de dollars en intérêt réversif. Reid devait également acheter d’autres franchises gouvernementales, comme le bassin de radoub. Morris était proche de la famille Reid et voyait dans cet arrangement quelque soulagement financier immédiat, la création possible d’emplois dans St John’s West et un progrès économique substantiel sans risque important. Bond considéra le contrat comme une supercherie immorale et fit une campagne efficace pour s’y opposer.

Au début de l’année 1900, le gouvernement Winter était sur le point de s’effondrer. Morris craignait apparemment que si Bond devenait premier ministre, l’entente avec Reid et ses partisans puisse être reléguée aux oubliettes. Fin stratège, il appuya la motion de censure lancée par Bond, contribuant ainsi à faire tomber le gouvernement le 19 février. Il forma alors avec Bond une alliance qui préservait à la fois l’essentiel du contrat avec Reid et son propre avenir politique : il devint ministre sans portefeuille dans le nouveau gouvernement libéral, statut qui fut confirmé par une élection en novembre.

Morris était avenant et extraverti, alors que Bond était réservé et distant ; chacun surveillait l’autre de près et Bond n’avait aucune confiance en Morris en raison de ses relations avec les Reid. Un compromis signé en 1901 pour modifier le contrat de 1898 – qui, notamment, déchargeait Reid de son intérêt réversif sur le chemin de fer – fut décrit par Morris comme étant « juste », même s’il le considérait comme une erreur. Ambitieux mais prudent, il ne contesta pas immédiatement le leadership de Bond. Il devint ministre de la Justice en 1902 et reçut le titre de chevalier en 1904 (il serait fait chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges en 1913). Après les élections de 1904, la popularité de Bond déclina proportionnellement à son obsession grandissante à l’égard d’un désaccord complexe avec les États-Unis sur les pêches. Il se fit des ennemis à Londres et à Ottawa, et sa querelle avec les Reid, exacerbée par un autre affrontement en 1905, atteignit son paroxysme. Comme on pouvait s’y attendre, ceux que Bond avait exaspérés commencèrent à considérer Morris comme le seul homme politique capable de défier le premier ministre.

Avec le soutien du journaliste Patrick Thomas McGrath* et l’aide financière discrète de la famille Reid, Morris entra en action en juillet 1907. Usant d’un prétexte, il démissionna de son portefeuille et du Parti libéral pour siéger comme indépendant dans l’opposition. En mars 1908, il fonda le People’s Party, coalition de ses propres partisans, de libéraux insatisfaits et de tories survivants. Sa liste complète de quelque 30 promesses comprenait des réductions d’impôt, une réforme de l’éducation et la construction de lignes secondaires de chemin de fer. Il se mit à vilipender le gouvernement dont il avait été membre encore tout récemment et mena une campagne énergique. Aux élections générales de novembre, les deux partis obtinrent le même nombre de députés.

Dans la crise constitutionnelle et politique qui s’ensuivit, Bond prit de mauvaises décisions, contrairement à Morris. Le 22 février 1909, le premier ministre remit sa démission lorsque le gouverneur, sir William MacGregor, rejeta son conseil de dissoudre la Chambre. MacGregor, qui n’aimait pas Bond, demanda à Morris s’il pouvait former un gouvernement « avec la perspective raisonnable d’être capable de faire voter les crédits par l’Assemblée ». Non sans impudence, Morris répondit par l’affirmative et prit le pouvoir le 3 mars, date de l’entrée en vigueur de la démission de Bond. Lorsque la Chambre se réunit le 30 mars, il s’avéra impossible de choisir un président, car aucun parti ne pouvait se permettre de perdre un membre, et MacGregor accorda une dissolution à Morris. Après une rude campagne électorale, le People’s Party remporta une majorité de 16 sièges, en dépit du solide soutien accordé à Bond par l’archevêque catholique de St John’s, Michael Francis Howley*, farouchement hostile aux Reid.

De 1909 à 1913, le gouvernement de Morris eut la chance d’être au pouvoir pendant une période d’essor économique. Le poisson se vendait à bon prix. Les mines de fer de l’île Bell [V. Thomas St John*] et le développement de l’industrie des pâtes et papiers à Grand Falls [V. Harry Judson Crowe*] relancèrent l’embauche. D’autres emplois furent créés par la concrétisation de la promesse de Morris de construire des lignes secondaires de chemin de fer ; le contrat fut accordé, sans appel d’offres, à la Reid Newfoundland Company, désormais dirigée par William Duff Reid*. Ces lignes étaient populaires, mais elles ne seraient jamais rentables et causeraient en grande partie l’augmentation de la dette publique de plus de 30 % pendant le mandat de Morris. Jusqu’à 1913–1914, cependant, le compte courant afficherait un léger surplus annuel malgré l’accroissement des dépenses consacrées à l’éducation, à la santé publique, au réseau télégraphique, aux services de vapeurs locaux et à l’instauration d’un régime limité de pensions de vieillesse en 1911.

L’une des premières actions de Morris fut de faire adopter un projet de loi pour instituer le bureau de commerce de Terre-Neuve (juin 1909). Il espérait que cet organisme servirait à la réforme et à la modernisation de l’industrie de la pêche. Il y avait un vaste consensus sur les mesures à prendre, mais bientôt des frictions apparurent entre le gouvernement et les marchands quant à leurs sphères de responsabilité respectives. Le Fishermen’s Protective Union of Newfoundland (FPU), fondé en 1908 par William Ford Coaker, compliqua le débat. Le syndicat se méfiait du bureau de commerce et pressa le gouvernement d’intervenir plus énergiquement dans l’industrie. Réticent à s’aliéner l’une ou l’autre des parties, Morris se rendit impopulaire auprès des deux. Comme la prospérité relative émoussait tout sentiment d’urgence, la grande réforme des pêches fut reportée.

Morris ne resta toutefois pas inactif. Il avait dit un jour que « le gouvernement d’un pays ressembl[ait] à une grande entreprise commerciale : son succès dépend[ait] de la publicité sur ses produits ». Il se donna donc beaucoup de mal pour attirer de nouvelles industries à Terre-Neuve. Convaincu de la nécessité d’entrepôts réfrigérés pour le poisson, il consacra un temps considérable en tentatives infructueuses pour inciter les gens d’affaires à développer ce secteur industriel. Il essaya, mais en vain, de persuader des entreprises de fabriquer de la colle et des engrais à base de déchets de poisson, appuya des expériences d’exportation de poisson frais vers les marchés continentaux et, toujours sans succès, insista auprès de la marine britannique pour qu’elle ajoute du poisson de Terre-Neuve à ses menus. Le gouvernement de Morris partagea l’inquiétude grandissante de la colonie au sujet des stocks de poisson et les problèmes de sécurité lorsque des chalutiers à vapeur français commencèrent à sillonner les bancs du large ; il pressa le gouvernement impérial de tenir un congrès international sur la question. Morris tenta également d’améliorer les ventes de poisson : il fit pression pour resserrer les liens commerciaux avec les Antilles britanniques, exprima de l’intérêt pour un traité de réciprocité avec les États-Unis et nomma des délégués commerciaux en Europe. D’autres possibilités ne furent pas négligées. Il encouragea tout particulièrement l’agriculture et l’élevage ovin, et les entreprises furent incitées à exploiter les tourbières de l’île et les réserves de charbon, de pétrole et de cuivre que les optimistes croyaient substantielles. Le gouvernement alla même jusqu’à appuyer des programmes de fabrication d’explosifs et d’exportation de grès de plage.

Croyant que de telles réalisations économiques étaient extrêmement importantes, Morris était prêt à faire les concessions législatives, financières et territoriales nécessaires pour entreprendre des projets grandioses. Il avait rejeté du revers de la main les questions sur l’absence d’appel d’offres pour la construction des lignes secondaires de chemin de fer en demandant : « Que m’importe la loi sur la vérification des comptes quand il y a des gens qui ont besoin de pain ? » L’intérêt accru pour le potentiel des forêts de Terre-Neuve et du Labrador était nourri par des changements dans les tarifs douaniers des États-Unis, qui réduisaient ou éliminaient les droits d’importation à payer sur le bois et les produits du bois, ainsi que par les modifications de 1911 au Crown Lands Act, qui facilitaient l’acquisition de terres publiques par les spéculateurs. Une vague de spéculation forestière souleva alors une vive critique dans la colonie, surtout quand on sut, en avril 1912, que le ministre de la Justice, Donald Morison, qui avait exercé de grandes pressions pour faire voter cette législation en Chambre, possédait des actions dans une société américaine à qui on avait concédé des droits de coupe sur 13 853 milles carrés de forêts au Labrador. Le conflit d’intérêts resta impuni.

Les autorités impériales accueillaient favorablement un premier ministre (titre que Morris commença à utiliser en 1909) coopératif qui exprimait des sentiments loyalistes avec enthousiasme. La gestion de l’arbitrage à propos des pêches dans l’Atlantique Nord par le gouvernement de Terre-Neuve à La Haye en 1910 (la colonie était alors représentée par Winter) ne passa pas sans critique à Londres, mais Morris, qui pouvait être un redoutable négociateur, joua de compétence pour régler la mise en vigueur de la sentence arbitrale. À la Conférence impériale sur la défense de 1909, il suggéra que les Terre-Neuviens fassent partie des équipages des nouveaux cuirassés de type dreadnought de la marine britannique ; à la Conférence impériale de 1911, il se fit le promoteur de la participation de Terre-Neuve à l’All-Red Route, projet de transport destiné à relier la Grande-Bretagne à ses possessions d’Extrême-Orient par voie terrestre et maritime.

Dans l’ensemble, toutefois, malgré son dynamisme et un réel désir de défendre les intérêts de son pays, Morris réalisa peu de choses tangibles au cours de son premier mandat. Les gens d’affaires n’aimaient pas ses prodigalités ; indigné parce qu’il ne fit pas adopter des réformes sur la pêche et ne freina pas l’ardeur des spéculateurs forestiers, Coaker mena le FPU dans une coalition difficile et tendue avec Bond et les libéraux. La coalition fut incapable de fonctionner efficacement pendant la campagne électorale de 1913 et ne réussit pas à se présenter comme une solution de rechange viable au People’s Party. Néanmoins, Morris reconnut la menace que représentait le syndicat et joua sur la peur du « socialisme » et des « écoles sans Dieu ». Son parti perdit quelques sièges, en raison principalement de l’influence du FPU, mais il conserva sa majorité.

La session qui s’ouvrit au printemps de 1914 illustra les problèmes politiques auxquels Morris faisait dorénavant face. Même si Bond avait démissionné et James Mary Kent était devenu chef des libéraux affaiblis, les représentants du syndicat dominèrent l’opposition et poursuivirent leurs projets de réforme avec un certain succès. Le premier ministre choisit un partisan loyal, Richard Anderson Squires, comme ministre de la Justice et procureur général, puis le nomma au Conseil législatif ; cependant, des membres conservateurs bloquèrent les lois qui les contrariaient, même si elles étaient présentées par le gouvernement. Une grande inquiétude régnait au sujet des finances publiques et Morris subissait des pressions de la famille Reid pour qu’il l’aide à se dégager de ce bourbier financier qu’était le chemin de fer, de préférence en faisant entrer Terre-Neuve dans la Confédération canadienne. Pendant la campagne de 1908, « pas de Confédération » avait été l’une des promesses de Morris qui disait désormais au gouverneur, sir Walter Edward Davidson, qu’il « n’avait pas d’opinion bien tranchée là-dessus ». En fait, il flirtait avec la Confédération depuis un certain temps. En 1911, le premier ministre sir Wilfrid Laurier* avait offert, en privé et officieusement, de généreuses conditions ; celles-ci avaient été rejetées, mais en 1914, Edward Michael Jackman*, ancien membre du gouvernement Bond, maintenant allié de Morris, et Arthur Meighen*, procureur général du Canada, entretenaient déjà des pourparlers confidentiels, et Morris ainsi que les Reid se trouvaient parmi ceux qui manœuvraient pour obtenir l’accord de Coaker et du FPU. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en août 1914 ne mit pas fin à ces discussions et, sans nul doute, les compliqua.

Toutes les parties approuvèrent la participation de Terre-Neuve à la guerre et on mit en œuvre un moyen unique pour l’administrer jusqu’en 1917. Davidson persuada Morris de convoquer une assemblée publique d’où émergea la Patriotic Association of Newfoundland, organisme bénévole non partisan ayant pour but d’assurer que les dissensions religieuses et politiques n’entraveraient pas l’effort de guerre. Présidé par Davidson, il remplissait le rôle d’un département de la milice, financé principalement par le gouvernement. Morris espérait probablement que l’unité apparente détournerait l’attention des problèmes intérieurs et éviterait le besoin de former un gouvernement de coalition.

La guerre entraîna une montée en flèche des ventes de poisson et, en 1916, Coaker avait déjà pris ses distances par rapport à la Confédération (tout comme le gouvernement canadien). Cependant, la guerre amena également de sérieux problèmes. Le soutien du Newfoundland Regiment exigeait un effort financier considérable : les impôts avaient été augmentés, l’inflation atteignit des sommets et la réalisation de bénéfices excessifs souleva un tollé. Le régiment subit d’énormes pertes sur le front de l’Ouest [V. Francis Thomas Lind* ; Owen William Steele*] et le spectre de la conscription hantait les campagnes de recrutement acharnées, mais inefficaces. Une autorité divisée et des disputes au sein du corps législatif, tout comme les absences du premier ministre, rendaient les décisions d’action quasi impossibles. Pendant l’été de 1916, il séjourna en Europe et, lorsqu’il fut invité à la fin de décembre à se rendre à Londres pour assister, en mars 1917, aux premières réunions du cabinet de guerre impérial récemment constitué, il accepta sans hésiter.

Morris revint le 20 mai et reprit finalement les rênes. Des élections devaient se tenir cette année-là, mais il n’avait aucune intention d’affronter l’électorat s’il pouvait l’éviter. L’opposition, alliance de libéraux et de syndicalistes dirigée par William Frederick Lloyd, flaira son jeu. Le premier ministre fit savoir qu’il présenterait un projet de loi pour reporter l’élection, puis négocia un gouvernement de coalition, qui prit le pouvoir le 17 juillet. Au cours d’une session précipitée, la Chambre remplaça la Patriotic Association of Newfoundland par le département de la Milice et élabora un projet de loi pour taxer les profits des entreprises, projet de loi qui fut d’abord refusé par le Conseil législatif. Il fut amendé puis adopté, avec une restriction quant aux pouvoirs du Conseil, après de nouvelles nominations faites par Morris. Ce dernier retourna en Angleterre en septembre, laissant Lloyd agir à titre de premier ministre intérimaire. Dans une lettre datée du 19 novembre, il dit qu’il démissionnait de ses fonctions de premier ministre, de chef de parti et de membre de la Chambre ; sa démission fut acceptée le 2 janvier 1918. La nouvelle fut diffusée publiquement la veille de Noël et, le 5 janvier 1918, on apprit que, sur la recommandation de Davidson, il avait été élevé à la Chambre des lords à titre de baron Morris of St John’s dans le dominion de Terre-Neuve et de la ville de Waterford.

Les actions de Morris semèrent la consternation, en particulier parmi ses anciens partisans. Tout en déclarant qu’il n’abandonnerait pas le gouvernement, il avait promis en secret à Lloyd et à Coaker qu’il démissionnerait avant la fin de l’année. On l’accusa ouvertement de trahison, de duplicité, d’égoïsme et de fourberie, et on lui reprocha de livrer le pays aux mains de Coaker et de ses canailles socialistes. Certains milieux accueillirent son anoblissement avec raillerie, mais, dans l’ensemble, le public y vit un hommage rendu au régiment et à Terre-Neuve.

Par la suite, Morris ne revint que pour de courts séjours. Il était cependant toujours prêt à défendre Terre-Neuve et s’intéressait activement aux affaires de l’Empire. La fureur de ses partisans abandonnés anéantit ses espoirs d’obtenir le poste de haut commissaire qu’il avait convoité. Les contacts qu’il avait noués au cours de ses nombreux voyages à Londres lui permirent cependant d’accéder à des fonctions administratives, et il siégea à des conseils d’établissements scolaires et d’organisations philanthropiques. Sa vie à Londres était aux antipodes de celle qu’il avait vécue, enfant, dans Limekiln Hill (rue Lime) à St John’s.

En 1933, des témoins qui comparurent devant la commission royale de Terre-Neuve [V. Frederick Charles Munro Alderdice] déclarèrent que le début de la plongée de leur pays dans la crise à laquelle il faisait alors face remontait, à leur avis, à 1909, année où Edward Patrick Morris était devenu premier ministre. Ce jugement n’est pas tout à fait juste. Morris était un homme politique rusé, compétent et intelligent. En fait, ses politiques n’étaient pas si différentes de celles de Bond et de Whiteway, et ses opinions sur des questions telles que celle de la pêche sur la côte française étaient conventionnelles. Il partageait l’enthousiasme de l’époque pour l’Empire, même si son insistance à l’égard d’une fédération impériale avait peut-être quelque chose d’insolite. C’était un conservateur à bien des égards, lui qui avait dit un jour à Coaker qu’« une grande prudence est de mise lorsqu’on apporte des changements qui touchent en grande partie les masses, en particulier quand ces changements ont un caractère radical et impliquent la modification de systèmes et d’institutions qui ont au moins le mérite d’avoir résisté à l’épreuve du temps ». Il fit cependant toutes les promesses nécessaires pour obtenir et garder le pouvoir, et dépensait en conséquence. Fortement influencé par les Reid, il était prêt à accorder toutes les concessions qu’il fallait pour attirer les investisseurs. Ce n’était un chef ni énergique ni particulièrement à cheval sur les principes, et il tolérait et défendait des pratiques malhonnêtes. En 1917, il abandonna son gouvernement pendant la période la plus difficile pour Terre-Neuve durant le premier conflit mondial, laissant un héritage politique d’instabilité après la guerre.

James K. Hiller

National Arch. (G.-B.), CO 194 ; CO 537.— PANL, GN 8/1.— Daily News, 25 oct. 1935.— Times (Londres), 25 oct. 1935.— Melvin Baker, « The government of St John’s, Newfoundland, 1800–1921 » (thèse de ph.d, Univ. of Western Ontario, London, 1980).— A. M. De Beck, The imperial war : personalities and issues [...] (Londres, 1916).— G.-B., Nfld Royal Commission, Report (Londres, 1933).— J. P. Greene, « Edward Patrick Morris, 1886–1900 » (dissertation d’histoire, Memorial Univ. of Nfld, St John’s, [1968]).— J. [K.] Hiller, « A history of Newfoundland, 1874–1901 » (thèse de ph.d, Univ. of Cambridge, Angleterre, 1971) ; « The political career of Robert Bond », dans Twentieth-century Newfoundland : exploration, J. [K.] Hiller et P. [F.] Neary, édit. (St John’s, 1994), 11–45.— R. G. Hong, « “An agency for the common weal” : the Newfoundland Board of Trade, 1909–1915 » (mémoire de m.a., Memorial Univ. of Nfld, 1998).— I. D. H. McDonald, « To each his own » : William Coaker and the Fishermen’s Protective Union in Newfoundland politics, 1908–1925, J. [K.] Hiller, édit. (St John’s, 1987).— L. C. Murphy, « The late Lord Morris : a war-time tribute », Newfoundland Quarterly (St John’s), 35 (1935–1936), no 3 : 16.— S. J. R. Noel, Politics in Newfoundland (Toronto, 1971).— P. R. O’Brien, « The Newfoundland Patriotic Association : the administration of the war effort, 1914–1918 » (mémoire de m.a., Memorial Univ. of Nfld, 1981).— Patrick O’Flaherty, Lost country : the rise and fall of Newfoundland, 1843–1933 (St John’s, 2005).

Bibliographie générale

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

James K. Hiller, « MORRIS, EDWARD PATRICK, 1er baron MORRIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/morris_edward_patrick_16F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/morris_edward_patrick_16F.html
Auteur de l'article:    James K. Hiller
Titre de l'article:    MORRIS, EDWARD PATRICK, 1er baron MORRIS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2015
Année de la révision:    2015
Date de consultation:    19 mars 2024