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Lloyd, sir William Frederick, enseignant, solicitor, journaliste, avocat et homme politique, né le 17 décembre 1862 à Heaton Norris, Stockport, Angleterre, fils de James Edward Lloyd, ajusteur de machines, et d’Emmeline (Emma) Downey ; le 4 janvier 1886, il épousa au même endroit Agnes Margaret Taylor (1861–1911), enseignante, et ils eurent deux fils ; décédé le 13 juin 1937 à St John’s.
La famille de William Frederick Lloyd faisait partie de l’échelon supérieur de la classe ouvrière anglaise, et son père, artisan, travailla sans doute dans l’industrie textile locale. Grâce à l’influence d’un instituteur de son école, Lloyd commença à s’intéresser aux études et devint élève-maître. Il termina tôt sa scolarité, et suivit des cours du soir et de perfectionnement en mathématiques et en sciences, d’abord dans un institut d’artisans, puis dans des établissements de Manchester et de Newcastle upon Tyne. Au terme de son apprentissage en enseignement, il travailla dans plusieurs écoles des Midlands et du Nord. Pendant cette période, il s’inscrivit à la University of London comme étudiant externe en 1884.
Lloyd partit vivre à St John’s en 1890 pour se joindre au personnel de la section masculine de la Church of England Academy (connue plus tard sous le nom de Bishop Feild College). Sportif et apprécié de son entourage, il devint directeur adjoint en 1893. Il avait pourtant décidé d’entreprendre une carrière juridique. Il obtint une licence en droit de la University of London en 1894 et une licence en droit civil du Trinity College de Toronto en 1898 (peut-être ad eundem). Deux ans plus tard, il abandonna l’enseignement et termina un doctorat en droit civil au Trinity College en 1901. Il effectua son stage d’avocat à St John’s au cabinet de sir William Vallance Whiteway* et, en 1903, fut inscrit comme solicitor. Son admission au barreau tarderait jusqu’en 1916.
Devenu membre actif du Parti libéral, Lloyd reprit d’Alexander A. Parsons en janvier 1904 le poste de rédacteur en chef de l’Evening Telegram, quotidien qui appuyait le gouvernement libéral de sir Robert Bond*. Cette nomination le propulsa au premier plan dans l’arène hautement partisane et parfois même tumultueuse et brutale de la politique locale. À l’automne de la même année, il se fit élire dans la circonscription de Trinity Bay à la Chambre d’assemblée dans un scrutin que remporta le Parti libéral contre un United Opposition Party affaibli.
La scène politique s’était transformée aux élections suivantes de 1908. Le gouvernement affronta alors le People’s Party, formation anti-Bond qu’avait constituée sir Edward Patrick Morris après avoir quitté le Parti libéral l’année précédente et que soutenait l’entreprise ferroviaire Reid [V. sir Robert Gillespie Reid* ; sir William Duff Reid*]. Il en résulta une égalité des voix. Défait dans la circonscription de Port de Grave, Lloyd perdit de nouveau en 1909, au scrutin de ballottage, cette fois dans Fortune Bay. Dans les deux cas, il semble que son investiture ait eu lieu au dernier moment. La victoire de Morris cette année-là marqua le commencement de la fin du Parti libéral. Bond jouait à contrecœur son rôle de chef de l’opposition, et on n’entrevoyait aucun successeur sérieux. De plus, le parti se voyait menacé par les avancées de la Fishermen’s Protective Union of Newfoundland (FPU), syndicat dirigé par William Ford Coaker. Les unionistes s’opposaient à Morris, certes, mais ils n’entendaient pas moins affirmer leur identité propre.
Lloyd connaissait Coaker depuis les années 1890, car il lui avait alors donné des cours particuliers. Par ailleurs, il appuyait les revendications syndicales. (En 1898, il chercha à faire renaître temporairement la Newfoundland Teachers’ Association [V. James Frederick Bancroft*].) Avec d’autres membres chevronnés du Parti libéral, il favorisa une alliance avec la FPU pour mener la campagne électorale suivante sous la direction de Bond. Il participa activement aux longues et difficiles négociations qui s’ensuivirent. On parvint à une coalition tendue à la fin du mois d’août 1913, peu avant le déclenchement des élections prévues cette année-là. Lloyd obtint un siège dans la circonscription de Trinity Bay (délogeant Richard Anderson Squires), l’un des 7 seulement que remportèrent les libéraux ; la FPU obtint quant à elle 8 sièges et le People’s Party, 21. Dépité, Bond démissionna. James Mary Kent lui succéda comme chef du Parti libéral et chef de l’opposition, jusqu’à sa nomination à la magistrature en 1916. Lloyd prit alors la relève et assuma à son tour les deux fonctions. Il dirigea le Liberal-Union Party issu de la fusion des deux formations en mars, et renonça, trois mois plus tard, à son poste de rédacteur en chef de l’Evening Telegram.
À cette époque, la Première Guerre mondiale occupait les devants de la scène publique. Pour un temps, on réussit à enfouir les querelles partisanes ouvertes, mais elles ressurgirent en 1917, année officielle d’élections. Le gouvernement devant affronter des questions controversées, Morris, au terme d’interminables manœuvres, conclut un accord avec les partis d’opposition afin de prolonger le mandat de la Chambre d’assemblée et de former un gouvernement national qui entra en fonction le 17 juillet. Lloyd devint ministre de la Justice et procureur général. Morris partit pour Londres à la fin de la session et lui confia ses responsabilités. Seuls Lloyd et Coaker savaient qu’il ne reviendrait pas. Au début de janvier 1918, on avait cependant déjà répandu la nouvelle : Morris avait quitté ses fonctions et accepté une pairie. Le 5 janvier, Lloyd devint premier ministre. Des partisans de Morris, opposés à cette nomination, démissionnèrent du Conseil exécutif et formèrent le noyau d’une opposition officieuse, mais énergique.
Lloyd n’aspirait vraisemblablement pas à devenir premier ministre. Réservé de nature, il avait perdu son fils aîné en 1910 puis, l’année suivante, son épouse. Peu ambitieux, il préférait travailler discrètement dans l’ombre pour prendre la plume et exercer ses autres talents. Peu efficace en campagne électorale, il développa une aversion pour les intrigues et les luttes politiques internes. Plusieurs rapportèrent à son sujet – dont le gouverneur sir Charles Alexander Harris – qu’il lui arrivait de s’enivrer. Il se signala toutefois par son travail au Parlement. Coaker le décrivit comme « le président du conseil le plus compétent qu’il [lui avait] été permis de côtoyer ». Lloyd avait sans doute accepté ces fonctions par sens du devoir. La guerre devait prendre fin dans des conditions satisfaisantes et, si le gouvernement national, composé de vieux ennemis politiques, avait quelque chance de survivre, Lloyd s’avérait de loin le meilleur candidat. Sous son administration, le gouvernement, malgré les controverses et les critiques de plus en plus acerbes, fit voter la conscription, imposa la censure de la presse, prolongea le mandat de la Chambre d’assemblée et augmenta les emprunts de guerre.
À titre de premier ministre, Lloyd représenta Terre-Neuve aux réunions de la Conférence impériale de guerre et du cabinet de guerre impérial qui, créées au printemps de 1917, reprirent en juin 1918. C’était apparemment sa première visite à Londres, où on le nomma membre du Conseil privé. Rappelé en Grande-Bretagne au lendemain de l’armistice de novembre, il participa de nouveau aux réunions du cabinet de guerre avant de se rendre à Paris pour la conférence de paix tenue au début de 1919. Il joua à cette occasion un rôle plutôt modeste, voire effacé. La situation politique au pays le préoccupait sans doute, tout comme les problèmes graves qu’affrontaient alors les exportateurs de poissons de Terre-Neuve en Italie [V. sir John Chalker Crosbie]. Néanmoins, Lloyd ne saurait porter toute la responsabilité du fait que Terre-Neuve fut le seul dominion à se voir refuser une représentation distincte à la conférence de Paris et ne devint pas membre fondateur de la Société des nations. Même si Lloyd ne se montra manifestement pas assez convaincant à cet égard, la déconvenue de Terre-Neuve découla des tractations menées entre les gouvernements britannique et américain qui accordèrent le droit de représentation à d’autres dominions ainsi qu’à l’Inde. Si son titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, en janvier 1919 (comme auparavant celui de membre du Conseil privé), reçut un accueil plutôt froid de ses collègues à Terre-Neuve, Lloyd comprenait bien que cet honneur était avant tout un signe de reconnaissance envers la colonie et sa fonction de premier ministre.
Lloyd écourta sa participation à la conférence de paix et revint au pays à la mi-mars 1919. Le Parlement, qui devait être dissous le 30 avril, ouvrit une session peu de temps après. Le gouvernement national voulait faire front commun devant le pays et prendre ses dispositions pour déclencher des élections au printemps. Cependant, une opposition féroce l’obligea à remettre ce projet à l’automne ; comme la controverse persistait, l’administration gouvernementale commença à s’effondrer. Le débat autour de son avenir, déjà amorcé avec l’armistice, avait provoqué de profonds désaccords sur la conduite à adopter. Coaker voulait que Lloyd renonce au People’s Party, et ses manœuvres hardies offensèrent les partenaires de la coalition. Au même moment, l’archevêque Edward Patrick Roche* exerçait de fortes pressions sur les députés d’obédience catholique afin qu’ils quittent le FPU. Leur leader, sir Michael Patrick Cashin*, tenta de persuader Lloyd, par personne interposée, de répudier Coaker et les unionistes. Lloyd refusa.
Informé de la décision de Lloyd, Cashin démissionna de son poste de ministre des Finances le 20 mai et, lorsque la Chambre d’assemblée reprit peu après ses travaux, il proposa que la séance soit ajournée et qu’on « enregistre son opinion selon laquelle le gouvernement actuellement constitué n’a[vait] pas la confiance de la Chambre ». Lloyd informa le corps législatif qu’il avait déjà remis sa démission au gouverneur et qu’un vote de censure était inutile : il acceptait volontiers de se retirer. Le président demanda néanmoins l’appui de la motion. Après un long silence, Lloyd finit par le faire lui-même. Le gouvernement national disparut rapidement et, deux jours plus tard, Cashin devint premier ministre.
Ce curieux incident, où l’action des participants s’avéra largement symbolique, devint célèbre dans la mémoire locale. On se souviendrait de Lloyd surtout parce qu’il semble avoir été le seul premier ministre à appuyer une motion de censure contre son propre gouvernement. En fait, la stratégie se révéla plutôt astucieuse, ainsi que le reconnut le gouverneur Harris. Cette « bouffonnerie » – comme la qualifia un journal – confirma la fin du gouvernement national et la transmission du pouvoir à Cashin (qui n’en voulait peut-être pas à l’époque), tout en soulignant que Lloyd quittait la vie politique de son plein gré. Ce dernier refusa de prendre la tête de l’opposition qui se formerait autour de Richard Anderson Squires. Lorsque le nouveau gouvernement nomma Lloyd registraire de la Cour suprême de Terre-Neuve, Coaker argua amèrement qu’on avait soudoyé Lloyd pour qu’il prenne sa retraite et observe le silence, accusation que Lloyd réfuta brillamment devant la Chambre.
Lloyd occupa ses nouvelles fonctions jusqu’à sa mort. Il résista à toutes les requêtes pour reprendre la vie publique, sauf une, soit celle d’Albert Edgar Hickman* (sans doute par égard pour un ancien allié politique), et siégea ainsi comme ministre de la Justice pendant le mois que dura son gouvernement en 1924. Il devint en outre secrétaire de la Law Society of Newfoundland et, en cette qualité, il occupa les fonctions de professeur, tuteur et examinateur des aspirants à la profession. Enfin, il prit part à la gestion des indemnisations relatives aux accidents du travail, utilisant même ses propres ressources pour assister des familles dans le besoin.
Si l’on en croit toutes les notices nécrologiques qui soulignent son intégrité, son intelligence et son ardeur au travail, sir William Frederick Lloyd attirait le respect. Pourtant, il ne figure guère parmi les premiers ministres les plus remarquables de Terre-Neuve. Il faut lui attribuer le mérite de s’être honorablement acquitté de tâches difficiles et éprouvantes, et ce, en dépit du fait qu’il exerçait le pouvoir à contrecœur. Il ne s’illustra cependant pas comme un chef efficace, et le rôle qu’il joua à Londres et à Paris, au terme de la Grande Guerre, demeure controversé, même si le gouvernement britannique l’avait visiblement écarté. Néanmoins, il sut parcourir le long chemin, de Stockport et d’un institut d’artisans jusqu’au Conseil privé et au titre de chevalier.
RPA, GN 8 (Office of the Prime Minister fonds), William Frederick Lloyd sous fonds.— Daily News (St John’s), 14–15 juin 1937.— Evening Herald (St John’s), 1919.— Evening Telegram (St John’s), 1919, 14 juin 1937.— Fishermen’s Advocate (St John’s et Port Union, T.-N.), 18, 25 juin 1937.— S. T. Cadigan, Death on two fronts : national tragedies and the fate of democracy in Newfoundland, 1914–34 (Toronto, 2013).— P. J. Cashin, Peter Cashin : my fight for Newfoundland, a memoir, Edward Roberts, édit. (St John’s, 2012).— W. F. Coaker, Past, present and future : being a series of articles contributed to the « Fishermen’s Advocate », 1932 ; together with notes of a trip to Greece 1932 ([Port Union, 1932]).— H. A. Cuff, A history of the Newfoundland Teachers’ Association, 1890–1930 (St John’s, 1985).— W. C. Gilmore, Newfoundland and dominion status : the external affairs competence and international law status of Newfoundland, 1855–1934 (Toronto, 1988) ; « Newfoundland and the Paris Peace Conference, 1919 », British Journal of Canadian Studies (Édimbourg), 1 (juin–décembre 1986) : 282–301.— I. D. H. McDonald, « The reformer Coaker : a brief biographical introduction », dans The book of Newfoundland, J. R. Smallwood et al., édit. (6 vol., St John’s, 1937–1975), 6 : 71–96 ; « To each his own » : William Coaker and the Fishermen’s Protective Union in Newfoundland politics, 1908–1925, J. K. Hiller, édit. (St John’s, 1987).— D. F. MacKenzie, « “Not a politician, but… a statesman” ? William Lloyd, prime minister of Newfoundland, 1918–1919 » (St John’s, 2002 ; doc. de recherche en notre possession).— S. J. R. Noel, Politics in Newfoundland (Toronto, 1971).— P. R. O’Brien, « The Newfoundland Patriotic Association : the administration of the war effort, 1914–1918 » (mémoire de m.a., Memorial Univ. of Nfld, St John’s, 1981).— Patrick O’Flaherty, Lost country : the rise and fall of Newfoundland, 1843–1933 (St John’s, 2005).— T.-N., General Assembly, Journal, 1919 ; Proc., 1919.— Twenty years of the Fishermen’s Protective Union of Newfoundland from 1909–1929 […], W. F. Coaker, compil. (St John’s, 1930).
James K. Hiller, « LLOYD, sir WILLIAM FREDERICK », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lloyd_william_frederick_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lloyd_william_frederick_16F.html |
Auteur de l'article: | James K. Hiller |
Titre de l'article: | LLOYD, sir WILLIAM FREDERICK |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2021 |
Année de la révision: | 2021 |
Date de consultation: | 18 nov. 2024 |