THORBURN, sir ROBERT, homme d’affaires et homme politique, né le 28 mars 1836 à Juniper Bank, près de Walkerburn, Écosse, fils de Robert Thorburn et d’Alison Grieve ; en 1865, il épousa Susanna Janetta Milroy, de Hamilton, Haut-Canada, et ils eurent cinq enfants ; décédé le 12 avril 1906 à St John’s.

Les Thorburn faisaient partie d’un réseau de familles écossaises de la région de Glasgow-Greenock qui commerçaient avec Terre-Neuve depuis la fin du xviiie siècle. En 1852, après des études à Édimbourg, Robert Thorburn fut envoyé à St John’s pour travailler à la Baine, Johnston and Company, alors propriété de ses oncles Walter* et James Johnston Grieve. En 1855, le premier fonda sa propre entreprise, la Walter Grieve and Company, qui faisait affaire à Greenock et à St John’s. Sept ans plus tard, Thorburn devint son représentant et associé à Terre-Neuve.

Thorburn commença à faire de l’action politique à la fin des années 1860 en participant, sans doute sur les instances de Grieve, à la campagne contre la Confédération. Probablement pour le récompenser, le gouvernement anticonfédérateur de Charles James Fox Bennett* le nomma au Conseil législatif en 1870. Il occupait une place de choix à la St John’s Chamber of Commerce, à la Général Water Company et dans d’autres entreprises locales, et il était membre du conseil d’administration de la Union Bank of Newfoundland. On lui proposa de se présenter dans St John’s aux élections de 1878 et de 1882, mais il refusa.

Les opinions de Thorburn étaient celles d’un marchand conservateur modéré. Construire un chemin de fer transinsulaire et un grand bassin de radoub à St John’s ne lui paraissait pas tellement sage, et il n’appréciait pas la propagande croissante que le gouvernement, alors mené par sir William Vallance Whiteway, dirigeait contre les marchands. Comme d’autres membres de sa classe sociale, c’est avec consternation que, dans les années 1880, il vit les pêcheurs français multiplier leurs prises sur le Grand Banc, et il jugeait nécessaire de freiner cette expansion en réduisant la vente d’appât aux pêcheurs étrangers. Tout cela en faisait un fervent partisan du New Party, qui s’opposait à la politique de Whiteway.

En 1885, une crise politique survint par suite d’une émeute qui avait opposé orangistes et catholiques à Harbour Grace [V. Whiteway ; Robert John Kent*]. Les libéraux catholiques abandonnèrent Whiteway, et un certain nombre de protestants appelèrent leurs coreligionnaires à se rassembler sous la houlette de James Spearman Winter*. Ce regroupement s’effectua en octobre, mais seulement parce que Whiteway accepta de quitter la scène politique et que Winter renonça à diriger le nouveau parti. En guise de compromis, Thorburn fut choisi comme chef, et il accéda à la fonction de premier ministre le 12 octobre 1885. Aux élections suivantes, son groupe, le Parti réformiste, mena une campagne violemment sectaire, jurant de ne réaliser « aucune fusion avec les catholiques » et courtisant les orangistes. Toutefois, cet écran de fumée dissimulait un programme d’inspiration marchande dont les points essentiels étaient. prudence en matière financière, priorité aux pêches et riposte contre les pêcheurs français au moyen de la limitation des ventes d’appât. Les électeurs votèrent largement selon leur appartenance religieuse et le Parti réformiste remporta une majorité de quatre sièges. Thorburn fut élu dans Trinity.

Malgré tout ce qu’ils avaient proclamé, Thorburn et ses collègues réformistes souhaitaient s’entendre avec les libéraux catholiques, que dirigeait sir Ambrose Shea. Cependant, en s’opposant à ce que Shea soit nommé gouverneur, le gouvernement offensa gravement les catholiques, si bien que Thorburn dut constituer un cabinet exclusivement protestant. Encouragé par le gouverneur, sir George William Des Vœux, il rouvrit les négociations au printemps de 1886. À la fin des pourparlers, la plupart des députés libéraux passèrent au Parti réformiste, et les catholiques obtinrent deux postes au cabinet [V. Maurice Fenelon*]. Toutefois, le prix qu’avaient demandé les libéraux pour leur appui eut d’importantes conséquences pour la politique gouvernementale.

Pendant la session hivernale de 1886, le gouvernement avait résisté aux pressions des autres partis, qui voulaient la reprise des travaux du chemin de fer interrompus en 1884. Il avait aussi insisté sur la nécessité de se montrer prudent en matière de finances et d’adopter des plans d’aménagement rural. Enfin, il avait fait voter une loi sur l’appât que le gouvernement impérial hésitait à sanctionner. Les libéraux acceptèrent cette loi, mais exigèrent la construction d’une ligne de chemin de fer qui mènerait à Placentia, centre d’un district catholique, et des fonds pour l’installation d’un système d’égouts à St John’s. Le gouvernement dut d’autant plus délier les cordons de sa bourse qu’une grave dépression frappait la colonie. Après la mauvaise saison de pêche de 1886, il lança un vaste programme de travaux publics. Les premiers emprunts de la colonie à l’étranger financèrent en partie les autres dépenses semblables qu’il engagea pendant le reste de son mandat.

S’étant rendu à Londres en 1887 pour assister à la première Conférence coloniale, Thorburn, avec l’aide de Shea et de Des Vœux, obtint la sanction royale de la loi sur l’appât. Cette loi eut beaucoup moins d’effets que prévu sur les pêches, mais elle offensa la France et inaugura une période au cours de laquelle la côte française de Terre-Neuve suscita de graves difficultés. La loi gênait aussi le gouvernement du Canada, qui en plus s’inquiétait de voir que Terre-Neuve avait essayé de conclure seule un traité de réciprocité avec les États-Unis. La Confédération revint donc à l’ordre du jour. Sir Charles Tupper* visita St John’s en 1887 sur l’invitation d’Alfred Bishop Morine* journaliste d’origine néo-écossaire qui faisait partie de la Chambre d’assemblée de Terre-Neuve depuis 1886 – et il aborda la question avec Winter à la réunion de la commission des pêches à Washington. Winter tenta de convaincre le gouvernement terre-neuvien d’envoyer une délégation au Canada, mais il faillit ainsi en provoquer la chute. Thorburn voulait des pourparlers, mais il continuait de craindre les conséquences de la Confédération sur l’économie terre-neuvienne. Son gouvernement était très divisé sur la question, faisait face à une opposition généralisée et, finalement, ne consentit qu’à envoyer une délégation dépourvue de tout pouvoir de négociation. Naturellement, le gouvernement du Canada rejeta cette possibilité.

À l’approche des élections de 1889, on voyait bien que le Parti réformiste n’avait pas réussi à mettre en œuvre une politique qui constituait une solution de rechange valable à celle de Whiteway et des partisans du chemin de fer, et que, en dépit d’un assez bon palmarès législatif, il n’était pas parvenu à impressionner l’électorat. Dans l’espoir de contrer le nouveau Parti libéral, dirigé par Whiteway, les réformistes relancèrent en toute hâte les travaux du chemin de fer et firent une série de promesses qui visaient à battre l’opposition sur son propre terrain. Ils perdirent quand même le pouvoir. Tous les ministres du cabinet furent battus, et dans Trinity, Thorburn se classa dernier. La responsabilité de cette débâcle doit revenir aux professionnels de la politique du Parti réformiste, à Winter surtout, plutôt qu’à Thorburn, qui manquait d’expérience et n’était pas un leader naturel.

Thorburn demeura officiellement chef de la formation qui, pendant quelques années, fut connue sous le nom de Parti tory, mais à l’approche des élections de 1893, on lui fit comprendre qu’il était de trop. Attristé par ce rejet et courtisé par les libéraux, il se présenta sous leur bannière dans Bonavista. Il perdit, mais Whiteway le nomma au Conseil législatif en 1894.

Sir Robert (il portait ce titre depuis 1887) était très absorbé par ses affaires. Grieve étant mort en 1887, c’est à lui que revint la charge de mettre de l’ordre dans l’entreprise. Il vendit les installations de Trinity, confia à une société à responsabilité limitée les vapeurs qui servaient à la chasse au phoque et plaça le reste de l’actif dans une société qu’il fonda en 1888 avec James C. Tessier. Pendant un moment, la Thorburn and Tessier fut l’un des plus gros exportateurs de poisson de St John’s. Toutefois, en dépit du fait que Tessier finançait en partie la fusion, Thorburn avait dû faire appel à la Union Bank, dont il était président : la Walter Grieve and Company n’avait plus de capital. La conjoncture étant difficile, la compagnie fut dans l’impossibilité de rembourser sa dette, qui s’élevait à 473 000 $ en 1894. Le 10 décembre, les deux banques de Terre-Neuve fermèrent leurs portes [V. James Goodfellow*]. La Thorburn and Tessier fut l’une des nombreuses entreprises de la colonie à suspendre ses activités.

La société avait un actif de 385 000 $. Thorburn et Tessier offrirent à leurs créanciers de rembourser 0,50 $ et 0,60 $ par dollar, mais ils refusèrent et l’entreprise fut liquidée en 1897. Thorburn affirmait qu’elle aurait pu tenir le coup et que les syndics s’étaient acharnés par hostilité contre lui. La presse libérale laissa entendre qu’il s’agissait d’une vengeance tory pour son changement d’allégeance. Comme d’autres entreprises qui n’étaient pas plus solides survécurent à l’effondrement bancaire, ces explications sont plausibles.

Il est moins probable que Thorburn fut évincé parce qu’il était président de l’une des deux banques et qu’il était poursuivi au criminel. Des accusations avaient effectivement été portées contre lui à la suite de la fermeture de la Union Bank, ce qui l’avait forcé à démissionner du Conseil législatif. Les accusations furent retirées à la fin de 1897, et Thorburn se relança, plus modestement, en affaires. Il se mit à écrire des vers pour la presse locale. En 1900, les libéraux le nommèrent au Bureau des pêches. On l’invita à se présenter à une élection complémentaire en 1902, mais il refusa. Il mourut quatre ans plus tard à l’âge de 70 ans. Les notices nécrologiques signalèrent son bon sens, son amabilité, son tempérament conciliant. Le gouverneur, sir William MacGregor, déclara que c’était « un homme de bien, grandement respecté dans la collectivité ». Les gouverneurs Des Vœux et sir John Terence Nicholls O’Brien avaient exprimé des sentiments semblables. Thorburn avait été catapulté à de hautes fonctions politiques, et l’on ne peut pas dire qu’il les exerça avec bonheur. C’était un brave homme, animé d’un profond esprit civique, et dont, pour cette raison même, d’autres s’étaient servis.

James K. Hiller

Des exemples de la poésie que sir Robert Thorburn a publiée dans ses dernières années sont « The hoisting of the banners » et « Dedicated to Samuel Mucklebacket, Esq. », Nfld Quarterly, 4 (1904–1905), n° 2 : 8, et n° 3 : 19, ainsi que des hommages commémoratifs à la militante américaine du mouvement de tempérance Frances Elizabeth Caroline Willard dans le Daily News (St John’s), 9 avril 1898, et à la poétesse terre-neuvienne Isabella Whiteford (Rogerson) dans le Methodist Monthly Greeting (St John’s), mars 1905.

Maritime Hist. Arch., Memorial Univ. of Nfld (St John’s), Keith Matthews coll., particulièrement la sér. 1, dossier nominatif Thorburn.— Newfoundland Hist. Soc. (St John’s), Sir Robert Thorburn file.— PRO, CO 194/211 : 7, 9 ; 194/213 : 245–246 ; 194/230 : 207 ; 194/263 : 15.—Daily News, 11 nov. 1902, 14 avril 1906.— Evening Herald (St John’s), 10 nov1893, 28 sept. 1897, 21 mars 1900.—Evening Mercury (St John’s), 14 avril 1888, 12 nov. 1889.— Evening Telegram (St John’s), 28 sept. 1882, 5 oct. 1887, 19 sept. 1888, 16 janv. 1895, 1er, 6, 20 oct. 1897, 23 août 1902.— Morning Chronicle (St John’s), 5 févr. 1868, 12 oct. 1878.— Newfoundlander, 23 févr. 1865, 23 févr. 1877, 8 oct. 1878.— Public Ledger, 17 avril 1880, 2 avril, 17 mai 1881, 7 mars, 19, 26 mai, 3 juin 1882.—Times and General Commercial Gazette (St John’s), 15 févr. 1865.— Melvin Baker, « The government of St. John’s, Newfoundland, 1800–1921 » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, London, 1981), 229.— The crown vs. the directors of the Union Bank of Newfoundland ; evidence and exhibits, taken and produced at the preliminary investigation before His Honour Judge Conroy [...] ([St John’s, 1895]), 105.— G. W. Des Vœux, My colonial service in British Guiana, St. Lucia, Trinidad, Fiji, Australia, Newfoundland, and Hong Kong, with interludes (2 vol., Londres, 1903), 2 : 166.— Hiller, « Hist. of Nfld », 116–166, 185–189, 323–326.— Harvey Mitchell, « Canada’s negotiations with Newfoundland, 1887–1895 », Historical essays on the Atlantic provinces, G. A. Rawlyk, édit. (Toronto, 1967), 242–259.— Prowse, Hist. of Nfld (1896), 514.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

James K. Hiller, « THORBURN, sir ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/thorburn_robert_13F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/thorburn_robert_13F.html
Auteur de l'article:    James K. Hiller
Titre de l'article:    THORBURN, sir ROBERT
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    20 nov. 2024