Provenance : Lien
MUNN, ROBERT STEWART, marchand et homme politique, né le 23 août 1829 à Bute, Écosse, fils de Dugald Munn et d’Elizabeth Stewart ; le 27 mai 1862, il épousa à Harbour Grace, Terre-Neuve, Elizabeth Munden, et ils eurent cinq fils et quatre filles ; décédé le 17 décembre 1894 au même endroit.
L’aîné des trois fils d’un banquier de Rothesay, en Écosse, Robert Stewart Munn débarqua à Terre-Neuve en 1851 pour travailler à la Punton and Munn de Harbour Grace, l’une des entreprises d’approvisionnement et de distribution les plus importantes de l’île. Il fit son apprentissage auprès de son oncle John Munn*, alors l’unique propriétaire de la firme.
La Punton and Munn connaissait à ce moment-là une expansion importante : elle approvisionnait les bateaux qui faisaient la chasse au phoque et la pêche côtière à partir de la baie Conception et fournissait les matériaux nécessaire à leur construction. Cependant, dans les années 1860, la pêche côtière fut mauvaise dans cette région durant plusieurs saisons de suite, ce qui, avec le piètre rapport de la chasse au phoque, engendra de l’agitation à Harbour Grace. Après que deux marchands en vue, John Paterson et Thomas Ridley*, eurent été victimes d’attaques nocturnes, Robert Stewart Munn participa à l’organisation d’un régiment de fusiliers volontaires appelés à réprimer plusieurs émeutes provoquées par l’irrégularité de l’approvisionnement en pain.
En 1862, Munn devint directeur des installations de la Punton and Munn à Harbour Grace. Le fait qu’il participa à la construction d’un temple de la Free Kirk (rebaptisé par la suite église presbytérienne St Andrew), qui ouvrit officiellement ses portes en 1857, puis à la fondation de la loge maçonnique de Harbour Grace dix ans plus tard, montre qu’il était l’un des citoyens les plus en vue de la localité. En 1880, il était le principal conseiller presbytéral de l’église et grand maître de la loge. Quatorze ans plus tard, l’écrivain et homme politique Henry Youmans Mott allait reconnaître en lui l’« inspirateur de toutes les œuvres de philanthropie et de bienfaisance de la ville ».
John Mutin, dont la santé déclinait, avait décidé en 1872 de prendre comme associés son fils, William Punton Munn, et son neveu Robert Stewart. Lui-même se retira de l’entreprise, que l’on réorganisa sous un nouveau nom : la John Munn and Company. Une nouvelle période de croissance s’amorça alors ; ainsi la compagnie arracha l’approvisionnement de nombreux négociants du Labrador à Ridley, qui dut déclarer faillite en 1873. Robert Stewart Munn concentra ses énergies sur les pêcheries du Labrador, qui étaient en pleine expansion, et fut le premier à en faire traiter le produit sur place. Le poisson traité au Labrador, à la fois moins sec et plus salé que celui de Terre-Neuve, gagna la préférence sur certains marchés méditerranéens. Dans les années 1870, la compagnie devint le principal fournisseur indépendant de la pêche saisonnière du Labrador. Ses bateaux partaient des ports de la baie Conception, si bien qu’une dizaine d’années plus tard, selon un pêcheur chevronné, Nicholas Smith, « les deux tiers de la côte du Labrador » lui appartenaient.
En 1881, Robert Stewart Munn se retrouva seul à la tête de la compagnie, pendant que son cousin était allé en Angleterre pour des raisons de santé. Cette situation l’obligea à s’occuper de plus en plus de la chasse au phoque, qui jusqu’alors avait été la principale attribution de William Punton. Cette année-là, l’entreprise grossit sa flotte de vapeurs affectés à la chasse au phoque (qui comprenait déjà le Mastiff, le Vanguard et le Commodore) en achetant le Greenland et l’Iceland, mais il s’avéra que le moment était mal choisi pour faire ces acquisitions. En effet, au printemps de 1882, la plupart des bateaux de la baie Conception furent pris dans les glaces, ce qui entraîna de lourdes pertes pour la compagnie.
Dans les dix années suivantes, Munn récupéra une partie de ces pertes, mais l’entreprise continua de connaître des difficultés au Labrador. L’expédition de 1885, notamment, fut un désastre : au moment où les bateaux s’apprêtaient à quitter la côte du Labrador pour regagner leurs ports d’attache, une tempête éclata, qui entraîna la disparition d’un grand nombre d’hommes et de cargaisons. Par contre, les prises de 1886 furent parmi les meilleures que l’on ait enregistrées. Cette année-là, Munn entreprit de faire charger au Labrador le poisson destiné aux ports européens ; il envoya à cette fin trois vapeurs qui feraient la traversée directement. Peu après, deux entreprises de St John’s qui avaient des intérêts sur la côte suivirent son exemple. Par la suite, on attribua à cette pratique la baisse généralisée du prix du poisson en provenance de la région. En effet, pour livrer leur produit le plus vite possible en Europe, les marchands se mirent à acheter du poisson sans le soumettre à aucun contrôle, ce qui diminua la qualité du poisson salé du Labrador. La compagnie de Munn connut donc plusieurs mauvaises années : la demande pour le poisson salé du Labrador avait diminué et bon nombre des négociants qu’elle approvisionnait à cet endroit et dans la baie Conception n’arrivaient plus à rembourser leurs créances. Lui-même dut s’endetter pour couvrir les déficits annuels de l’entreprise. En 1894, il devait 400 000 $ à la Union Bank de St John’s, dont il était l’un des administrateurs, et les dettes de la compagnie s’élevaient à environ 875 000 $.
En qualité de marchands importants de la baie Conception, les Munn faisaient depuis longtemps de la politique [V. John Munn]. Comme son oncle, Robert Stewart était favorable à la Confédération, et même après que Terre-Neuve eut refusé d’y entrer, en 1869, il continua de soutenir le chef de ses partisans, Frederic Bowker Terrington Carter, et son successeur William Vallance Whiteway*. Aux élections de 1882, il prit la tête d’un groupe de marchands établis dans les petits villages de pêcheurs. L’appui de ce groupe à Whiteway fut déterminant, car il permit au premier ministre de vaincre l’opposition des marchands de St John’s, qui désapprouvaient la politique de développement ferroviaire de son gouvernement. Quand le dernier tronçon du chemin de fer qui menait à Harbour Grace fut terminé en 1884, Munn représenta la localité à l’inauguration officielle de la ligne.
Par suite des désordres survenus à Harbour Grace en 1883 [V. Robert John Kent], qui avaient poussé les partis politiques de Terre-Neuve à se regrouper en fonction des allégeances religieuses, Munn appuya le nouveau parti réformiste, alliance de marchands et de protestants formée par Robert Thorburn*. En 1887, il devint d’autant plus attaché au gouvernement Thorburn que celui-ci adopta le Bait Act, qui niait aux pêcheurs français le droit d’accès au poisson servant d’appât et réduisait par le fait même la concurrence qu’il fallait soutenir pour vendre le poisson salé du Labrador sur les marchés européens. Au scrutin général de 1889, Munn fut élu sous la bannière réformiste dans la circonscription de Harbour Grace ; il remporta de nouveau la victoire quatre ans plus tard.
En 1894, les difficultés commerciales ressenties dans le secteur de l’exportation du poisson et dans l’ensemble de Terre-Neuve prirent des proportions critiques. Au printemps de cette année-là, des rumeurs commencèrent à circuler au sujet de l’instabilité financière de plusieurs entreprises bien en vue, dont la John Munn and Company. Le 10 décembre, la Commercial Bank of Newfoundland se vit refuser du crédit à Londres et ferma ses portes [V. James Goodfellow]. Presque tout de suite après, la Union Bank fit faillite à son tour. Munn, déjà en mauvaise santé, mourut de pleurésie moins d’une semaine plus tard.
On peut dire que la mort de Robert Stewart Munn marqua la fin d’une époque dans l’histoire de la pêche terre-neuvienne. On déclara sa succession insolvable et la John Munn and Company fit faillite sur-le-champ. Au printemps de 1895, on dut mettre en vente la flottille de chasse au phoque de la compagnie pour payer les créanciers ; désormais, on ne chasserait plus le phoque à partir de la baie Conception. En même temps, la pêche saisonnière du Labrador sombra dans le marasme. À compter des années 1880, la compagnie avait connu les mêmes problèmes que bon nombre de fournisseurs terre-neuviens, soit l’inconstance de la qualité du poisson salé du Labrador et l’incertitude de ses marchés. Conscient de l’ampleur de ces problèmes, Munn tenta dans une certaine mesure de les résoudre, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à emprunter pour financer ses activités colossales : l’approvisionnement des pêcheries du Labrador, des flottilles de pêche côtière et de chasse au phoque de la baie Conception. Sous ce rapport, sa situation reflète très bien le dilemme devant lequel se trouvaient les marchands de poisson établis dans les ports de pêche au cours des années qui ont précédé la faillite bancaire. La compagnie de Munn était donc déjà en mauvaise posture depuis quelque temps lorsque survint l’effondrement final. Cependant, sa présence à Harbour Grace avait permis à la baie Conception de demeurer l’un des grands foyers commerciaux de Terre-Neuve. Sa faillite signifia la disparition du dernier des marchands indépendants établis dans les petits ports de pêche.
Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 10.— GRO (Édimbourg), Rothesay, reg. of births and baptisms, 27 sept. 1829.— [T. R.] Bennett, Report of Judge Bennett, together with evidence respecting bait protection service, 1890 (St John’s, 1891).— T.-N., Dept. of Fisheries, Report (St John’s), 1893–1894.— Daily News (St John’s), 17, 19, 21 déc. 1894.— Evening Herald (St John’s), sept.-oct. 1897.— Evening Mercury (St John’s), 1886–1887.— Evening Telegram (St John’s), sept.-oct. 1897.— Harbor Grace Standard (Harbour Grace, T.-N.), 1883–1893.— L. G. Chafe, Chafe’s sealing book ; a history of the Newfoundland sealfishery from the earliest available records down to and including the voyage of 1923, H. M. Mosdell, édit. (3e éd., St John’s, 1923).— Nfld. men (Mott), 69.— Hiller, « Hist. of Nfld. ».— D. K. Regular, « The commercial history of Munn and Company, Harbour Grace » (essai, Memorial Univ. of Nfld., St John’s, s.d. ; copie aux MHA).— Nicholas Smith, Fifty-two years at the Labrador fishery (Londres, 1936).— W. A. Munn, « Harbour Grace history », chap. 14–17, 19, dans Newfoundland Quarterly (St John’s), 37 (1937–1938), nos 1–4 ; 38 (1938–1939), n° 2.
Robert H. Cuff et Paul F. Kenney, « MUNN, ROBERT STEWART », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/munn_robert_stewart_12F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/munn_robert_stewart_12F.html |
Auteur de l'article: | Robert H. Cuff et Paul F. Kenney |
Titre de l'article: | MUNN, ROBERT STEWART |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |