DCB/DBC Mobile beta
+

Dans le cadre de l’accord de financement entre le Dictionnaire biographique du Canada et le Musée canadien de l’histoire, nous vous invitons à participer à un court sondage.

Je veux participer maintenant.

Je participerai plus tard.

Je ne veux pas participer.

J’ai déjà répondu au sondage

Nouvelles du DBC/DCB

Nouvelles biographies

Biographies modifiées

Biographie du jour

ROBINSON, ELIZA ARDEN – Volume XIII (1901-1910)

décédée le 19 mars 1906 à Victoria

La Confédération

Le gouvernement responsable

Sir John Alexander Macdonald

De la colonie de la Rivière-Rouge au Manitoba (1812–1870)

Sir Wilfrid Laurier

Sir George-Étienne Cartier

Sports et sportifs

Les fenians

Les femmes dans le DBC/DCB

Les conférences de Charlottetown et de Québec en 1864

Les textes introductifs du DBC/DCB

Les Acadiens

Module éducatif

La guerre de 1812

Les premiers ministres du Canada en temps de guerre

La Première Guerre mondiale

CARTER, sir FREDERIC BOWKER TERRINGTON, avocat, homme politique et juge, né le 12 février 1819 à St John’s, troisième fils de Peter Weston Carter et de Sydney Livingstone ; en 1846, il épousa Eliza Walters Bayly, et ils eurent 11 enfants ; décédé le 1er mars 1900 dans sa ville natale.

Frederic Bowker Terrington Carter venait d’une famille du Devon qui faisait depuis longtemps du commerce à Terre-Neuve. Dès la dernière partie du xviiie siècle, elle était même établie à Ferryland et à St John’s. Les Carter étaient marchands et appartenaient à la petite élite des fonctionnaires de Terre-Neuve. Le grand-père de Frederic, William Carter, était juge à la Cour de vice-amirauté. Son père, nommé juge de paix à St John’s en 1815, fut par la suite greffier de la Cour de vice-amirauté, sous-officier de marine, greffier de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments et du tribunal du district central ; en 1842, il était le doyen des juges de paix de la ville. Frederic fréquenta d’abord une école privée à St John’s. Ensuite, il fit son stage de droit chez Bryan Robinson*, puis il passa les années 1840 et 1841 en Angleterre, où il poursuivit vraisemblablement ses études. En 1842, on l’admit au barreau de Terre-Neuve qui, deux ans plus tard, ne comptait que sept membres.

Selon la notice nécrologique de l’Evening Telegram de St John’s (sans doute écrite par le juge et historien Daniel Woodley Prowse*), les premières années de pratique de Carter auraient été difficiles. Bien que ce soit fort possible, il se tira rapidement d’affaire. Non seulement était-il compétent et avait-il belle allure, mais il entretenait des relations dans la bonne société de St John’s, comme en témoigne son élection en 1848 au poste de conseiller juridique de la chambre d’Assemblée. Il exerça cette fonction jusqu’à sa défaite, en 1852, au profit de John Little, dont le frère Philip Francis Little dirigeait la majorité libérale. Dans les années 1840 et au début des années 1850, Carter consacra le plus gros de ses énergies à son cabinet d’avocat ; il milita aussi, pendant quelques années, dans la Natives’ Society. Apparemment, ses opinions politiques étaient celles d’un anglican et d’un conservateur typique ; elles rejoignaient pour l’essentiel celles que défendaient son oncle Robert Carter*, son mentor Robinson et son grand ami Hugh William Hoyles*. D’abord adversaire de la responsabilité ministérielle, il finit par s’y résoudre et se présenta aux élections de 1855, qui en marquèrent l’instauration. Il fut élu sans opposition député de la circonscription de Trinity Bay.

Membre de l’opposition conservatrice que dirigeait Hoyles, avec lequel il collaborait étroitement, Carter présenta, de sa propre initiative, un projet de loi qui visait à empêcher les fonctionnaires de siéger à l’Assemblée. Surnommé « purge de Carter », ce projet fut rejeté en 1856, 1858 et 1859 par la majorité libérale, qui usait abondamment de favoritisme pour cimenter le parti. En 1857, Carter apparut à l’évidence comme le principal lieutenant de Hoyles : en effet, il fut l’un des deux représentants conservateurs nommés au sein des délégations envoyées en Amérique du Nord britannique et en Angleterre pour protester contre la convention par laquelle la Grande-Bretagne et la France projetaient de définir les droits de pêche sur la côte française de Terre-Neuve. Au printemps, en compagnie de John Kent*, il se rendit à Halifax, à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick et à Québec. Leurs interlocuteurs acceptèrent d’appuyer la position qu’ils étaient venus défendre : la convention était nuisible pour Terre-Neuve, en plus d’être fondamentalement dangereuse puisqu’elle avait été conclue sans l’accord de la colonie.

À l’approche des élections de 1859, les conservateurs s’employèrent à détourner les méthodistes des libéraux en insistant sur le catholicisme du gouvernement et en faisant valoir la nécessité, pour les protestants, de se serrer les coudes. Dans le cadre de cette stratégie qui échoua, Hoyles se porta candidat dans le district clé de Burin contre un influent libéral catholique, Ambrose Shea*. Il perdit, et jusqu’au moment où il put trouver un siège sûr, ce fut Carter, réélu dans la circonscription de Trinity Bay, qui dirigea l’opposition conservatrice. Le climat politique était très tendu. Les libéraux, alors sous la direction de Kent, entraient dans une phase difficile. La colonie s’enfonçait dans le marasme économique, et des querelles intestines les divisaient. La relation de Kent avec le puissant protecteur du parti, l’évêque John Thomas Mullock*, se détériora au point que ce dernier rompit ses attaches avec le gouvernement. En outre, Kent affrontait l’hostilité du gouverneur, sir Alexander Bannerman*, qui se montrait amical avec Hoyles et Carter et souhaitait l’avènement d’un gouvernement conservateur. Ces tensions culminèrent en une grave crise politique pendant la première moitié de 1861. Bannerman destitua le gouvernement Kent. Les conservateurs remportèrent les élections suivantes avec une faible majorité, grâce à l’appui des méthodistes et en raison du découragement des libéraux. Hoyles devint premier ministre. Carter prit le poste de président de l’Assemblée et eut la satisfaction de voir son projet de « purge » sanctionné en 1862.

Tout comme son prédécesseur, le gouvernement Hoyles se préoccupait des problèmes économiques et sociaux de la colonie ; il s’employait à trouver des moyens de réduire les fonds affectés à l’aide aux pauvres et de renforcer l’économie. La confédération des colonies d’Amérique du Nord britannique ne devint un sujet de discussion qu’en 1864, soit au moment où Hoyles accepta, sur l’invitation de John Alexander Macdonald, d’envoyer des délégués à la conférence de Québec. Comme il n’y avait encore eu aucun débat sur la question à Terre-Neuve, le gouvernement décida d’envoyer une délégation composée de membres des deux partis et non habilitée à s’engager au nom de la colonie. Carter représenterait les conservateurs et les protestants, Ambrose Shea, les libéraux et les catholiques. Ils partirent pour Québec le 23 septembre. Un versificateur hostile au projet confédératif allait écrire plus tard :

Les générations à venir
……………………………
Maudiront le jour
Où Shea et Carter
Ont traversé la mer
Pour aller brader
Les droits de Terra Nova !

Les délégués signèrent, « à titre individuel », les Résolutions de Québec, qui contenaient des propositions sur l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, et ils prononcèrent une série de discours enthousiastes. Carter fut l’un des orateurs invités à un dîner du Bureau de commerce de Québec. À Toronto, il exprima l’espoir que la Confédération ne ferait pas qu’accroître la stabilité économique de la colonie, mais qu’elle en apaiserait aussi le climat de guerre politique. « J’espère sincèrement, dit-il, que si cette Confédération voit le jour, elle tendra réellement à détruire l’esprit partisan, les préjugés et l’aigreur qui, malheureusement, règnent encore ; car on constate qu’en général l’intensité de l’aigreur est proportionnelle à l’étroitesse des limites. » Dans leur rapport officiel, les délégués affirmaient que la colonie ne pouvait pas rejeter la proposition d’entrée dans la Confédération « sans aggraver les conséquences néfastes de [son] isolement ».

Ces thèmes, Carter allait les développer pendant cinq ans dans ses discours à l’Assemblée. D’après lui, l’union avec les colonies du continent, c’est-à-dire le libre-échange et l’amélioration des communications avec elles, ne pouvait que renforcer et diversifier l’économie terre-neuvienne. La situation financière se stabiliserait, les revenus s’accroîtraient, et tout le pays s’engagerait sur la voie d’« un progrès tel que personne ne [pouvait] encore le concevoir ». Il prédisait que le ton et la qualité de la vie et des discussions politiques seraient rehaussés, et affirmait avec vigueur que seule la Confédération permettrait à Terre-Neuve de « sortir de l’isolement qui retardait [son] progrès depuis si longtemps ».

La publication des Résolutions de Québec en décembre, à Terre-Neuve, déclencha un vif débat et il devint vite évident que Carter s’était trompé en annonçant que « la grande majorité » des colons seraient favorables à l’union. L’opposition se manifesta tout de suite. Les marchands de St John’s craignaient une augmentation des taxes et la perturbation des circuits traditionnels de commerce. Pour leur part, les catholiques s’attendaient à ce que Terre-Neuve, une fois unie aux colonies du continent, se trouve aux prises avec tous les maux qui affligeaient l’Irlande depuis l’union avec l’Angleterre. Étant donné cette opposition, personne ne tenta d’imposer un vote sur les Résolutions de Québec quand le Parlement se réunit au début de 1865. Carter, Hoyles et Shea se prononcèrent tous avec vigueur pour la Confédération, mais le gouvernement concéda qu’il faudrait tenir des élections générales sur cette question.

On ignore si les fédéralistes espéraient faire de la Confédération l’enjeu des élections qui devaient se tenir à l’automne de 1865, mais au printemps ils se livrèrent à une série de manœuvres politiques qui éveillèrent des soupçons chez leurs adversaires. Hoyles accepta un siège à la Cour suprême, et Carter le remplaça au poste de premier ministre. Après avoir mené, « avec beaucoup de tact et de discrétion », des négociations délicates, il reforma le gouvernement en y faisant entrer les chefs catholiques de l’opposition libérale, Kent et Shea. Évidemment, le fait que tous deux étaient fédéralistes ne manqua pas de soulever des commentaires. Ces deux nominations renforcèrent à coup sûr l’aile fédéraliste du parti conservateur et créèrent un puissant gouvernement panconfessionnel qui pouvait espérer diviser le vote des catholiques. Carter et ses alliés répliquèrent aux critiques que la politique confessionnelle avait révélé ses lacunes et que la colonie, étant donné la situation, avait besoin d’un gouvernement uni. En fait, ce genre d’alliance était envisagé depuis quelque temps déjà. Carter avait préconisé une fusion des partis en 1861, et Hoyles, dans un geste symbolique, avait laissé des places vacantes dans son gouvernement pour les membres de l’opposition. Tout simplement, le débat sur la Confédération et la personnalité de Carter avaient rendu possible la formation d’un gouvernement panconfessionnel. Le Patriot and Terra-Nova Herald, d’obédience libérale, admit de mauvais gré que le premier ministre n’avait pas de « propension au fanatisme », et d’autres journaux, conservateurs il est vrai, parlèrent de ses « vues larges et généreuses », de sa compétence, de son intégrité, ou signalèrent « la cordialité et l’amitié avec lesquelles les députés des deux partis [le] trait[aient] ».

Quels qu’aient été, à court terme, les avantages politiques de ce qu’on appela la coalition de 1865, elle créa un précédent important. Que toutes les confessions religieuses soient représentées au gouvernement, et qu’elles aient droit en plus à une proportion équitable des sièges de l’Assemblée et des postes de la fonction publique, devint une règle de base de la politique terre-neuvienne. L’instauration de ces pratiques dans les années 1860 fit en sorte que l’appartenance religieuse cessa d’être le facteur déterminant de l’affiliation à un parti. En inscrivant les divisions religieuses dans la constitution, les hommes politiques modérés espéraient qu’elles cesseraient d’être au centre de la vie politique. Bien que cette innovation ait fini par être durement critiquée, elle était sensée et réaliste dans le contexte du milieu du xixe siècle.

Carter ne fit pas porter les élections de novembre 1865 sur la Confédération. Les conservateurs étaient divisés sur la question de l’union, et beaucoup de Terre-Neuviens étaient contre. Apparemment, les fédéralistes avaient résolu d’attendre de voir ce qui se passerait dans les colonies du continent, et espéraient que l’opinion terre-neuvienne changerait. Comme il n’y avait pas de parti d’opposition bien organisé, le gouvernement fut réélu avec une majorité de 14 sièges. La Confédération demeura au centre des débats, et l’Assemblée passa un temps considérable à discuter de ses mérites, mais le gouvernement avait d’autres préoccupations, dont la plus importante était l’aide aux pauvres. Pendant une dizaine d’années, à compter de la fin des années 1850, Terre-Neuve fut aux prises avec une grave dépression due au faible rendement de la pêche à la morue et de la chasse au phoque et à des complications sur les marchés espagnol et brésilien de la morue. La pauvreté sévissait à l’état endémique, et les secours absorbaient, en moyenne, un quart du revenu annuel de la colonie. Le gouvernement Carter adopta des lois en faveur de l’agriculture et lança une vigoureuse offensive contre l’aide aux pauvres valides, initiative audacieuse qui fut impopulaire dans presque tous les milieux, à l’exception de la bourgeoisie de St John’s.

Une fois que la Confédération fut chose faite sur le continent, il devint évident que Terre-Neuve devait prendre une décision. On craignait beaucoup que Carter (qui, selon certains, avait « un esprit trop flexible et un tempérament trop malléable ») se laisse manipuler par Shea, homme ambitieux qui n’inspirait pas confiance, renie la promesse de Hoyles et ne tienne pas d’élections sur le sujet. On murmurait aussi que Carter pourrait remplacer Philip Francis Little à la Cour suprême. Or, Carter résista à la tentation de devenir juge et confirma qu’il y aurait des élections sur la Confédération. Cependant, il ajouta que Terre-Neuve devrait bénéficier de meilleures conditions que celles dont on avait convenu à Québec. Au début de 1869, il fit adopter des propositions d’union à l’Assemblée et se rendit à Ottawa à la tête d’une délégation pour en négocier la version définitive. Obtenir l’assentiment de l’électorat était tout ce qu’il restait à faire. Malgré les pressions, Carter refusa de tenir des élections au printemps, soit au moment où les chances des fédéralistes étaient assez bonnes. (Les opposants à l’entrée dans la Confédération n’étaient pas encore organisés, et bien des marchands, alors gagnés à la cause, auraient pu influencer leurs fournisseurs.) Il insista pour que le scrutin ait lieu, comme d’habitude, à la fin de la saison de pêche.

Les antifédéralistes eurent donc le temps de se regrouper autour de Charles James Fox Bennett*. En plus, comme le rendement de la pêche et le prix du poisson augmentèrent, la population abandonna le pessimisme qui la faisait pencher pour l’entrée dans la Confédération et reprit confiance en l’avenir de la colonie. La décision, de Carter montre qu’il n’était pas un confédérateur du genre de Charles Tupper* (ou Ambrose Shea). Il croyait en la Confédération, mais il pensait aussi fermement qu’en définitive la décision revenait au peuple. L’union devait être librement choisie, et non pas imposée à une colonie par des hommes politiques manipulateurs.

Le débat sur la Confédération transcendait les partis. Hommes politiques et électeurs se regroupèrent derrière Carter ou Bennett selon leurs vues sur la question, en faisant peu de cas de leur affiliation antérieure. Carter garda le soutien de la plupart des hommes politiques conservateurs, de quelques marchands et d’une petite minorité de catholiques. Ce n’était pas assez. Appuyé par la majorité des marchands et des catholiques, le groupe de Bennett remporta 21 sièges ; celui de Carter, 9 seulement. Candidat dans la circonscription de Burin, comme en 1865, Carter lui-même n’obtint qu’une faible majorité de cinq voix juridiquement contestable. Son gouvernement démissionna le 11 février 1870. Une fois dans l’opposition, Carter et son parti prirent vite leurs distances par rapport à la Confédération. La défaite avait été si massive qu’il aurait été suicidaire de continuer à prôner l’union. Moment décisif de l’histoire de Terre-Neuve, les élections de 1869 avaient décidé, dans les faits, que dans un avenir prévisible la colonie chercherait à conserver son indépendance.

La période que Carter passa dans l’opposition fut troublée. Le gouvernement Bennett allégua des irrégularités pour tenter, en vain, de faire invalider son élection dans Burin. Puis ses propres partisans commencèrent à lui causer de graves ennuis. Un groupe d’hommes jeunes, dont les plus importants étaient Alexander James Whiteford McNeily* et William Vallance Whiteway*, étaient prêts à tout pour déloger Bennett. Profitant de ce que le gouvernement avait été porté au pouvoir grâce à l’appui des catholiques, ils se mirent, dans l’espoir de regagner des votes protestants, à attiser les craintes qu’inspiraient les féniens et les méfiances interconfessionnelles, et à cultiver des liens avec l’ordre d’Orange. De toute évidence, cette stratégie déplaisait souverainement à Carter, qui prenait soin d’attaquer le gouvernement avec d’autres armes. En 1871, il commit une erreur de jugement qui provoqua des déchirements amers au sein de son parti : il accepta, à titre d’avocat, de défendre Bennett dans un procès en diffamation contre un journal de l’opposition auquel, pensait-on, McNeily et Whiteway collaboraient. Fait significatif, l’opposition ne présenta aucun candidat aux élections partielles de cette année-là. À l’été de 1873, pendant que Carter était au Canada, un parti qui se disait nouveau se forma en prévision des élections de l’automne. Finalement, grâce à un rapprochement entre ses propres partisans et ce « nouveau parti », Carter put conserver son leadership. Cependant, la campagne qui suivit ne lui plut certainement pas, étant donné son ton sectaire. Bennett obtint une majorité réduite, et son parti était dans un tel état que cette majorité fondit avant même que l’Assemblée ne se réunisse en 1874. Carter (devenu député de la circonscription de Twillingate and Fogo) entreprit son deuxième mandat de premier ministre le 30 janvier, avec une majorité d’un siège.

Des indices laissent supposer que Carter tenta de trouver des alliés au sein du parti libéral afin de moins dépendre du nouveau parti et de pouvoir éviter la tenue d’élections en 1874. Il eut connaissance des discussions que le gouverneur, sir Stephen John Hill, et Mgr Thomas Joseph Power eurent au sujet d’une fusion, mais elles n’aboutirent pas. Aux élections de l’automne, Carter récolta une majorité de cinq sièges. En fait, les partis étaient redevenus divisés comme au début des années 1860. Les libéraux se retrouvaient dans l’opposition en tant que parti catholique. Le parti conservateur de Carter était massivement protestant, et son seul député catholique (Shea) représentait un district protestant. Les espoirs que Carter avait mis en l’existence de partis authentiquement non confessionnels étaient réduits à néant. Toutefois, des partis de ce genre réapparaîtraient dans les années 1880, car la construction d’un chemin de fer et la mise en valeur de l’intérieur de la colonie provoqueraient un réalignement des hommes politiques.

Dans le domaine des affaires locales, le gouvernement que Carter dirigea de 1874 à 1878 vit la fin d’un vieux litige et l’apparition d’un nouveau. La répartition de la subvention à l’éducation protestante, qui faisait périodiquement l’objet de débats parfois houleux depuis au moins 1850, cessa d’être un problème. En 1874, une loi que Carter accepta sans enthousiasme permit aux méthodistes et aux anglicans d’avoir chacun leur réseau scolaire. Cette loi était fidèle au compromis interconfessionnel que Carter avait contribué à établir dans d’autres domaines au cours des années 1860, et elle créait le système d’écoles confessionnelles encore en vigueur aujourd’hui dans la province. Quant au nouveau sujet de dispute, c’était la construction d’une ligne ferroviaire qui traverserait l’île. Au gouvernement, le plus ardent promoteur du chemin de fer était Whiteway. De son côté, Carter reculait devant l’envergure et le coût du projet ; les avantages économiques qu’on lui faisait miroiter ne le convainquaient pas. Mécontent, Alexander Murray*, géologue de la colonie, jugeait que Carter n’était pas « simplement indifférent, mais nuisible » au projet. Néanmoins, on contracta un emprunt en 1875 pour financer un levé exécuté la même année, suivant les avis de Sandford Fleming*. On déposa les plans au ministère des Colonies, où les parties intéressées pourraient les consulter.

Le ministère des Colonies était cependant hostile au projet, qui supposait la construction d’un terminus dans la baie St George, sur la côte où la France avait des droits de pêche. Ni le ministère ni Carter ne voulaient exaspérer le gouvernement français, car ils tenaient à régler un certain nombre de questions liées aux droits concédés aux Terre-Neuviens et aux Français par les traités en vigueur. Depuis les années 1860, Carter était impatient de permettre le développement économique de la côte française et d’affirmer la pleine autorité de la colonie dans toute cette région. En 1875, il se rendit à Londres pour discuter de l’affaire et proposa que le gouvernement britannique achète les droits des Français. On rejeta sa proposition, mais le ministère des Colonies concéda qu’il fallait établir une autorité civile sur la côte. Après de longues et tortueuses négociations, Carter réussit à obtenir la nomination de juges de paix, donc la perception de l’impôt et l’application de la loi. Cependant, on dut remettre à plus tard le règlement d’autres questions, telles les concessions de terres et la représentation politique.

Carter avait des opinions bien arrêtées, mais non extrémistes, sur le sujet de la côte française, et Londres jugeait fondamentalement raisonnable sa manière d’envisager les choses. On pourrait en dire autant de son attitude devant la multiplication des pêcheurs américains dans les eaux terre-neuviennes. Il avait toujours douté que les échanges avec les États-Unis aient été une option judicieuse et s’était opposé à ce que Terre-Neuve adhère aux dispositions sur les pêches du traité de Washington, conclu en 1871. Son gouvernement était décidé à empêcher les pêcheurs américains d’abuser des droits que leur concédaient ce traité et la convention de 1818, et il estima, en 1877, que la colonie devait demander une généreuse indemnité au tribunal de Halifax. Whiteway prépara le plaidoyer de la colonie et réclama 2 880 000 $ en s’appuyant largement sur le fait que les Américains avaient accès aux réserves terre-neuviennes de poisson employé comme appât. Finalement, le tribunal adjugea 5 500 000 $ au Canada et à Terre-Neuve ; selon une décision prise par les autorités canadiennes et britanniques avec le consentement de la colonie, on préleva sur cette somme 1 000 000 $ que l’on versa à Terre-Neuve. Il y eut quelque déception à Terre-Neuve, surtout parce que le tribunal avait statué que le commerce de l’appât n’avait rien à voir avec les privilèges des traités, mais dans l’ensemble on considéra l’indemnité comme une victoire importante. Conscient, désormais, de la valeur que les réserves d’appât avaient pour les pêcheurs étrangers, le gouvernement entreprit d’affirmer son droit de réglementer leur exportation ; les autorités impériales allaient le lui concéder, à contrecœur, en 1886. Par ailleurs, il fallait déterminer si les pêcheurs étrangers étaient soumis aux lois coloniales de pêche. Cette question se posa avec acuité après une échauffourée survenue entre des pêcheurs américains et terre-neuviens dans la baie Fortune au début de 1878.

Le règlement de ce conflit incomba à Whiteway, qui accéda au poste de premier ministre une fois la session de 1878 terminée. Carter devint alors juge à la Cour suprême et on le fit chevalier de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. Nommé juge en chef deux ans plus tard, il allait le rester jusqu’à sa retraite en 1898. Quand il quitta le poste de premier ministre, les passions religieuses soulevées plus tôt dans les années 1870 s’étaient calmées, on ne parlait plus de Confédération, et le parti d’opposition était essentiellement d’accord avec le gouvernement sur presque tout, y compris la construction du chemin de fer. Carter avait rétabli l’hégémonie du parti conservateur et contribué à tracer la voie que son successeur allait suivre dans les années 1880.

À titre de juge en chef, Carter fut administrateur de la colonie à quelques reprises, en l’absence d’un gouverneur. Il connut donc plusieurs situations politiques délicates, qu’il traita de manière sensée, semble-t-il. On peut mentionner, par exemple, la crise qui suivit l’émeute de Harbour Grace en décembre 1883 [V. Robert John Kent] et la tentative de faire accepter par la colonie une nouvelle convention sur la côte française en 1886. L’un après l’autre, les gouverneurs le tinrent pour un conseiller éclairé. Aussi n’est-il pas surprenant qu’il ait caressé l’ambition de devenir gouverneur à son tour. En 1885, dans le cadre d’une stratégie politique secrète, Carter et Whiteway firent la proposition suivante au ministère des Colonies : Carter succéderait au poste de gouverneur à sir John Hawley Glover*, qui était malade, et l’on nommerait Whiteway juge en chef. On écarta la candidature de Carter parce qu’il avait déjà fait de la politique. Contre toute logique, le ministère des Colonies porta ensuite son choix sur Ambrose Shea, puis dut changer d’avis à cause des protestations qui venaient de la colonie. Shea, dans un violent discours public, blâma Carter qui, de toute évidence, blessé d’avoir été évincé, avait orchestré les protestations.

À sa mort, en 1900, sir Frederic Bowker Terrington Carter laissait une succession d’une valeur de 6 000 $ seulement. Il n’avait pas profité de sa position publique pour s’enrichir et, à titre de juge, il avait probablement gagné moins que s’il était demeuré dans la pratique privée. D’un côté, ces faits reflètent un manque d’énergie et d’ambition, de l’autre, une honnêteté foncière. Il ne fut jamais une bête politique, et sa carrière le montre parfois prudent, hésitant et ambivalent, si bien qu’on l’accusait d’être inefficace, de manquer d’éclat et d’exceller dans l’art de se servir d’autrui. Cependant, selon tous ses contemporains, c’était un avocat et un juge compétent, et son intégrité ne faisait aucun doute. L’auteur de sa notice nécrologique se rappelait que Carter était sympathique, hospitalier, charitable – et pêcheur enthousiaste. Il ajoutait : « Il n’a jamais affiché l’insolence caractéristique des responsables de portefeuilles [...] il a toujours été le même gentleman affable, bienveillant, sans hypocrisie, fanatisme ni prétention. » Ce fut, au xixe siècle, l’un des plus grands serviteurs du gouvernement terre-neuvien ; sa carrière d’homme politique et de juge s’étendit sur 43 ans. Historiquement, il se signala par son rôle dans les débats des années 1860 sur la Confédération, par la mise en place du partage des pouvoirs entre confessions religieuses et par sa fermeté dans les négociations sur les droits de pêche des Français et des Américains dans les eaux terre-neuviennes. Carter avait une vision réaliste de Terre-Neuve : c’était une colonie isolée, dotée de ressources limitées, dont l’économie était fragile et le pouvoir de négociation, restreint. Dans ce contexte, la Confédération et la prudence étaient des choix judicieux. C’est en partie à cause de ses lacunes d’homme politique que la colonie n’entra pas dans l’union ; si ses successeurs avaient imité sa prudence, Terre-Neuve aurait peut-être eu plus de chances de réussir dans la voie de l’indépendance.

James K. Hiller

AN, MG 29, B1, 36 : 264.— MHA, Carter name file.— PANL, GN 1/3/A, 1878, file 19, 4 févr. 1878.— PRO, CO 194/136 : 116–121 ; 194/174 : 89.— Supreme Court of Newfoundland (St John’s), Registry, F. B. T. Carter, will and probate records.— Canada, Parl., Doc. de la session, 1869, no 51.— T.-N., House of Assembly, Journal, 1865 ; 1869.— Courier (St John’s), 15 avril 1865.— Day-Book (St John’s), 20 févr. 1865.— Evening Telegram (St John’s), 6 mars 1900.— Morning Chronicle (St John’s), 16 juin 1866, 22 août, 2 sept., 23 oct., 4 nov. 1867, 27 janv. 1868.— Newfoundlander, 10, 13 mars 1856, 16 mars 1857, 1er mars 1858, 24 févr. 1859, 13 juin 1861, 3, 24 nov. 1864, 9 févr. 1865, 19, 22 févr. 1866.— Patriot and Terra-Nova Herald, 4, 25 mai 1857, 9 mai, 29 juill. 1865.— Public Ledger, 10 mars, 3 avril 1857.— Telegraph (St John’s), 21 août 1867.— Encyclopedia of Nfld. (Smallwood et al.).— Nfld. almanack, 1844 : 36.— G. Budden, « The rote of the Newfoundland Natives’ Society in the political crisis of 1840–42 » (essai honorifique, Memorial Univ. of Nfld., St John’s, 1983), app. B.— J. P. Greene, « The influence of religion in the politics of Newfoundland, 1850–1861 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1970).— Gunn, Political hist. of Nfld.— Hiller, « Hist. of Nfld. » ; « Confederation defeated : the Newfoundland election of 1869 », Newfoundland in the nineteenth and twentieth centuries : essays in interpretation, J. [K.] Hiller et P. [F.] Neary, édit. (Toronto, 1980), 67–94 ; « The railway and local politics in Newfoundland, 1870–1901 », 123–147.— W. D. MacWhirter, « A political history of Newfoundland, 1865–1874 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1963).— E. C. Moulton, « The political history of Newfoundland, 1861–1869 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1960).— W. G. Reeves, « The Fortune Bay dispute : Newfoundland’s place in imperial treaty relations under the Washington treaty, 1871–1885 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1971).— J. R. Smallwood, « The history of the Carter family in Newfoundland » (copie dactylographiée, 1937 ; copie à la Nfld. Hist. Soc., St John’s).— E. C. Moulton, « Constitutional crisis and civil strife in Newfoundland, February to November 1861 », CHR, 48 (1967) : 251–272.

Bibliographie générale

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

James K. Hiller, « CARTER, sir FREDERIC BOWKER TERRINGTON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/carter_frederic_bowker_terrington_12F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/carter_frederic_bowker_terrington_12F.html
Auteur de l'article:    James K. Hiller
Titre de l'article:    CARTER, sir FREDERIC BOWKER TERRINGTON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
Date de consultation:    19 mars 2024