NANTEL, GUILLAUME-ALPHONSE (baptisé Guillaume-Alphonse-Ferdinand), avocat, journaliste, auteur, propriétaire de journaux et homme politique, né le 4 novembre 1852 à Saint-Jérôme, Bas-Canada, fils de Guillaume Nantel et d’Adélaïde Desjardins ; décédé le 3 juin 1909 à Montréal.

Jean Berloin, dit Nantel, ancêtre de Guillaume-Alphonse Nantel, immigre en Nouvelle-France en 1690. L’un de ses descendants, Joseph (1757–1833), est le premier à abandonner définitivement le nom de Berloin pour celui de Nantel. Quant à Guillaume, né à Saint-Eustache, il se serait installé à Saint-Jérôme en 1837 ou 1838 pour y exercer le métier de tanneur. Chose certaine, le 23 octobre 1838, il épouse à Sainte-Thérèse-de-Blainville (Sainte-Thérèse), Adélaïde Desjardins. Le couple a quatre filles et six fils dont quelques-uns se distingueront : Antonin, l’aîné de la famille, qui sera supérieur du petit séminaire de Sainte-Thérèse et auteur fort respecté de son temps ; Pacifique, qui fera carrière dans le monde scolaire surtout comme inspecteur d’écoles dans la région des Laurentides ; Wilfrid-Bruno, qui partagera sa vie publique entre la pratique du droit et la politique, et Guillaume-Alphonse, le plus connu, le plus énergique et le plus polyvalent de tous.

Après avoir fait ses études classiques au petit séminaire de Sainte-Thérèse, de 1864 à 1872, puis avoir étudié le droit à Montréal, Nantel est reçu au Barreau de la province de Québec en 1875. Il exerce quelque temps sa profession d’avocat à Montréal, en association avec Joseph-Aldéric Ouimet*, avant d’ouvrir son propre cabinet à Saint-Jérôme, bureau auquel se joint, vers 1885, son frère Wilfrid-Bruno. Le 2 juin 1885, Guillaume-Alphonse épouse, en la cathédrale Saint-Jacques de Montréal, Emma Tassé. Ils auront un fils, mort en bas âge, et deux filles, dont Antonia, qui épousera Athanase David*, homme politique et fils de Laurent-Olivier David*. Cependant, la pratique du droit et la vie familiale ne suffisent pas à combler la vie de Nantel. Il a d’ores et déjà embrassé deux autres carrières, la politique et le journalisme, qu’il mènera, en complémentarité et tambour battant, jusqu’aux tout derniers jours de sa vie.

Nantel amorce sa carrière politique en se faisant élire député du Parti conservateur dans la circonscription de Terrebonne à la Chambre des communes en juin 1882 ; il hérite du siège de Louis-Rodrigue Masson, nommé sénateur. Il démissionne toutefois la même année pour faire place à Joseph-Adolphe Chapleau*, dont il est l’émule en politique et à qui il tarde de faire sa marque sur la scène fédérale. Avec Masson au Sénat et Chapleau aux Communes, Nantel devient le véritable leader des « bleus » de Terrebonne sur le plan provincial.

Élu sans concurrent à l’élection partielle provinciale du 19 août 1882, Nantel est réélu, toujours dans la même circonscription, en 1886, 1890 et, sans opposition, en 1892 ; puis, résistant à la vague libérale, il l’emporte de nouveau en 1897. Au cours de ces années, il ne reste pas simple député d’arrière-ban. Il occupe d’abord le poste de commissaire des Travaux publics dans les cabinets de Charles-Eugène Boucher* de Boucherville et de Louis-Olivier Taillon*, du 21 décembre 1891 au 11 mai 1896. Il agit aussi à titre de commissaire des Terres de la couronne dans le gouvernement d’Edmund James Flynn*, du 11 mai 1896 au 12 janvier 1897, date à laquelle on lui confie la réorganisation de ce département, rebaptisé Terres, Forêts et Pêcheries ; il en demeure le commissaire jusqu’au 26 mai 1897. Très actif au sein du Parti conservateur provincial, Nantel en devient le vice-président en 1896. Sur un plan plus social, il exerce les fonctions de président en titre du très sélect Club Chapleau de la région des Laurentides, club privé de chasse et de pêche dont sir Joseph-Adolphe a accepté la présidence d’honneur.

Cependant, Nantel baisse finalement pavillon devant le libéral Jean-Benoit-Berchmans Prévost* en 1900, tandis que s’amorce la longue domination libérale dans Terrebonne comme dans le reste du Québec. Inactif aux élections de 1904, Nantel est défait une autre fois par Prévost en 1908.

Par tempérament, Nantel est un modéré en politique, voire même, à l’occasion, selon le journaliste Pierre Godin, « un avocat de la bonne entente à tout prix ». Le député provincial de Terrebonne n’aime pas l’agitation politique qu’il croit plus nuisible qu’utile aux Canadiens français. C’est l’attitude qu’il adopte tant dans l’affaire Riel [V. Louis Riel*] que dans celle des écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway]. Il est solidaire de Chapleau et du gouvernement de sir John Alexander Macdonald* dans la première ; dans la seconde, il ne voit dans le « déchaînement manitobain » qu’une réplique au mouvement mené par Honoré Mercier* au Québec à la suite de l’affaire Riel. Certes, Nantel demeure l’homme de la politique partisane. Il met toute son énergie et les ressources dont il dispose, ses journaux par exemple, à combattre les « rouges ». D’ailleurs, l’histoire politique dans Terrebonne entre 1880 et 1910 est ponctuée de luttes épiques entre les clans Nantel et Prévost.

Pourtant, Nantel n’est pas un inconditionnel. Un nationalisme fortement teinté de catholicisme le porte vers une position nettement autonomiste. Selon Robert Rumilly*, Nantel a un jour caressé l’idée, approuvée par Chapleau lui-même, de rompre l’alliance contractée avec les tories en 1854 et de « répudier toute solidarité avec les conservateurs fédéraux » : ainsi les Canadiens français auraient pu former un parti national libéré de ses attaches avec le Parti conservateur tout en évitant de joindre les rangs libéraux. Pourtant, en 1900, Nantel tend la main au Parti libéral de Simon-Napoléon Parent*. En effet, il se présente aux élections provinciales comme conservateur indépendant en réaction contre l’aile « castor » de son parti – celle de Louis-Philippe Pelletier*, Thomas Chase-Casgrain* et Thomas Chapais* – qui l’a empêché d’accéder au poste de premier ministre. Il s’écarte aussi des chefs anglophones du Parti conservateur à propos de l’envoi de contingents canadiens en Afrique du Sud, rejoignant en cela la position d’Henri Bourassa*. Toutefois, les libéraux refusent cette main tendue. Les Prévost ne vont pas rater une occasion pareille de rafler Terrebonne, d’autant plus que l’offre d’alliance de Nantel est conditionnelle à une approbation de son programme de colonisation par le Parti libéral. Nantel n’a donc pas d’autre choix, au cours de la campagne électorale, que de s’attaquer vigoureusement à Parent, l’accusant d’avoir dilapidé une partie du patrimoine national en cédant à vil prix les eaux et les forêts de la province aux étrangers. Malgré l’appui de journaux tels que la Vérité, de Québec, et le Pionnier de Sherbrooke, qui partagent son inquiétude face à l’ampleur de l’exode des Canadiens français aux États-Unis et réclament le retour à l’union sacrée au nom de la colonisation comme à l’époque du curé François-Xavier-Antoine Labelle*, Nantel perd de justesse contre Prévost, le 7 décembre 1900. Désormais les libéraux tiendront fermement le siège de Terrebonne. C’est un Nantel vieilli et sans doute déjà malade qui, en 1908, tente sans succès de le reprendre une dernière fois.

La carrière journalistique de Nantel s’amorce en 1874 avec la publication de quelques articles dans la Minerve (Montréal). En 1880, il se joint à Rémi Tremblay, Ludger-Denis Duvernay, Trefflé Berthiaume* et Georges Duhamel* pour fonder une association secrète, la Fraternelle, dont l’organe officiel est le Courrier de Montréal, prolongé par une édition hebdomadaire, la Feuille d’érable. Cette association poursuit un triple objectif : « produire le plus grand bien dans notre pays, travailler tout spécialement dans un but religieux et national, relever notre race et la mettre au niveau des plus hautes destinées ». Le journal dénonce l’émigration aux États-Unis tout en prêchant le rapatriement des Canadiens français qui s’y trouvent et se fait le défenseur de l’autonomie des provinces face au pouvoir d’Ottawa. Toujours à Montréal, Nantel travaille aussi comme rédacteur au journal le Monde, fondé en 1881, qui devient en 1897 le Monde canadien. En 1906, il dirige l’Album universel, nom sous lequel paraît depuis avril 1902 le Monde illustré. Un des plus grands titres de gloire de Nantel aura été sans doute son association avec le journal la Presse, véritable institution québécoise. Il y connaît cependant des jours sombres, car la Presse se trouve financièrement mal en point en 1887, au moment où, sur les instances de Chapleau, il en devient copropriétaire. L’expérience se révèle infructueuse, en partie parce que Nantel manque de fonds, et, à l’automne de 1889, Chapleau se met à la recherche d’un nouveau sauveur pour le journal conservateur. Nantel en demeure toutefois l’un des rédacteurs jusqu’en 1892 et, lorsqu’au début du siècle, la Presse maintient une bienveillante neutralité à l’égard de sir Wilfrid Laurier*, il lui retire sa collaboration. Il y revient pourtant en 1907 pour assurer la continuité d’une chronique politique particulièrement orientée vers les questions de colonisation.

Là ne se limite pas la carrière journalistique de Nantel. Celui-ci est, à la fin du siècle, l’un des principaux pionniers de la presse régionale au nord de Montréal. En 1881, notamment, avec Édouard Marchand, il achète le Nord du notaire Joseph-Amable Hervieux, de Saint-Jérôme, son fondateur. Dès lors, cet hebdomadaire devient le journal des Nantel et du Parti conservateur, un organe de presse proche de l’Église catholique et dévoué presque inconditionnellement à l’œuvre de colonisation du curé Labelle. Accordant de l’importance aux nouvelles locales, ce qui n’est pas pour déplaire à ses lecteurs, le Nord atteindra un tirage de 500 exemplaires en 1892. Nantel en abandonne l’administration à son frère Wilfrid-Bruno en 1882, mais se réserve la direction de la rédaction. Cette décision s’explique par le fait qu’il s’intéresse à un autre projet. En effet, en 1885, il fonde, à Saint-Jérôme, la Campagne, quotidien exclusivement voué aux questions agricoles et libre de toute partisannerie. L’aventure n’est pas viable, et le journal, devenu trihebdomadaire à la fin de 1886, disparaît en avril 1887. C’était une vision du journalisme prématurée pour l’époque. Nantel continue ses activités au Nord jusqu’à sa disparition, en 1901, au moment où les libéraux et leur publication l’Avenir du Nord (Saint-Jérôme) ont le vent en poupe dans la région des Laurentides. Les Nantel réagissent. Guillaume-Alphonse, associé à quelques hommes d’affaires parmi lesquels se trouve encore une fois Wilfrid-Bruno, fonde la même année la Nation. Ce journal de Saint-Jérôme reprend les idées du Nord, mais se donne comme mission de promouvoir l’accession du pays à l’indépendance, à l’encontre des libéraux de Québec et d’Ottawa « qui f[ont] le jeu de l’impérialisme britannique au Canada ». La Nation disparaît en 1909, n’ayant pas survécu à son fondateur.

L’œuvre journalistique de Nantel connaît un prolongement dans quelques publications consacrées principalement à la colonisation et à des questions de politique partisane. Les plus connues, Notre Nord-Ouest provincial ; étude sur la vallée de l’Ottawa (Montréal, 1887), et la Colonisation du nord-ouest de la province de Québec (Montréal, 1895) veulent faire mousser l’œuvre colonisatrice du curé Labelle. Nantel écrit en 1896 Discours : exposé complet de la situation politique fédérale et provinciale [...] (Québec) et revient en 1899 avec un autre ouvrage à saveur nettement partisane, les Conservateurs vengés ! [...] (Montréal). Nantel s’intéresse aussi à d’autres sujets. Ses brochures Discours sur l’instruction publique (Québec, 1893), Des études classiques (Montréal, 1898) et, plus particulièrement, un livre quelque peu futuriste, la Métropole de demain, publié à titre posthume à Montréal en 1910, le montrent bien.

Par-dessus tout, Nantel s’attache à la cause de la colonisation. Tant à titre d’homme politique que d’administrateur, de journaliste et d’auteur, il privilégie la colonisation du Nord. Ardent disciple du curé Labelle, dépassant dans toute la mesure du possible les considérations strictement partisanes, il prône comme « le roi du Nord » l’union sacrée des partis devant le péril que représente pour le salut de la « race » l’exode massif des Canadiens français vers les États-Unis. Ses combats menés au côté du curé Labelle pour l’obtention d’un prolongement du chemin de fer au delà de Saint-Jérôme ou encore pour l’effritement du monopole que détiennent les compagnies de bois sur les forêts du Nord, de même que ses nombreux écrits sur la colonisation témoignent de son dévouement à la cause. Même si son expérience ministérielle le rend plus conciliant à l’égard des compagnies forestières, Nantel continuera jusqu’au bout à privilégier l’intérêt du colon, comme l’indique son slogan la Terre libre au colon libre. Il prône la réalisation des vœux du congrès de colonisation de 1898, dont l’une des recommandations vise à « l’établissement d’un crédit agricole par les sociétés mutuelles, avec garantie du gouvernement ». Les élections provinciales de 1900 sont pour lui l’occasion de proposer aux gens de Terrebonne un programme complet de colonisation : la concession gratuite de terres aux colons de bonne foi, des chemins de colonisation qui précèdent le colon et non l’inverse, des écoles gratuites en pays de colonisation et le prolongement du chemin de fer au delà du village de Labelle. Sa défaite électorale, en l’éloignant du pouvoir, rend certes plus difficile la promotion de son programme. Seule lui reste sa plume, qu’il met au service de cette cause jusqu’à la fin de sa vie.

Nantel meurt à Montréal, le 3 juin 1909, à l’âge de 56 ans, par suite de l’aggravation du diabète dont il souffre depuis plusieurs années. Il est inhumé le 5, au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. L’Avenir du Nord, qui l’a farouchement combattu pendant plus de dix ans, lui rend néanmoins un vibrant hommage : « un des cerveaux les mieux meublés de notre monde politique, un des orateurs les plus retors de nos luttes électorales, l’un de nos hommes publics les plus avertis et les plus braves ».

Avec Guillaume-Alphonse Nantel disparaît l’un des grands bâtisseurs de la région des Laurentides au nord de Montréal. À son époque, il a été l’un des représentants typiques de l’élite traditionnelle québécoise issue des professions libérales dont l’action sociale a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire régionale et qui, plus encore dans son cas, s’est répercutée sur la scène nationale. Influencé par Chapleau et le curé Labelle, Nantel a déployé une énergie étonnante au service de ce que Rumilly a appelé ses trois passions : la politique, le journalisme et la colonisation.

Serge Laurin

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 5 juin 1909.— ANQ-M, CE1-1, 2 juin 1885 ; CE6-13, 4 nov. 1852 ; CE6-25, 23 oct. 1838.— Bibliothèque de l’Assemblée nationale (Québec), Div. de la recherche, dossiers des parlementaires.— L’Avenir du Nord (Saint-Jérôme, Québec), juin 1909.— É.-J.[-A.] Auclair, Saint-Jérôme de Terrebonne (Saint-Jérôme, 1934), 253, 257.— Pierre Godin, l’Information-opium : une histoire politique du journal la Presse ([Québec, 1973]).— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, 2 ; 3 ; 4.— Serge Laurin, Histoire des Laurentides (Québec, 1989).— Gérard Malchelosse, « l’Association « la Fraternelle » (1880–1883) », Cahiers des Dix, 24 (1959) : 209–239.— RPQ.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 7 ; 9.

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Serge Laurin, « NANTEL, GUILLAUME-ALPHONSE (baptisé Guillaume-Alphonse-Ferdinand) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/nantel_guillaume_alphonse_13F.html.

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Auteur de l'article:    Serge Laurin
Titre de l'article:    NANTEL, GUILLAUME-ALPHONSE (baptisé Guillaume-Alphonse-Ferdinand)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    20 nov. 2024