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CHAPAIS, sir THOMAS (baptisé Joseph-Amable-Thomas), fonctionnaire, journaliste, historien et homme politique, né le 23 mars 1858 à Saint-Denis (Saint-Denis-De La Bouteillerie, Québec), fils de Jean-Charles Chapais*, homme politique, et d’Henriette-Georgina Dionne ; le 10 janvier 1884, il épousa dans la paroisse Notre-Dame de Québec Hectorine Langevin (décédée le 4 octobre 1934), et ils eurent un enfant mort-né ; décédé le 15 juillet 1946 à Saint-Denis et inhumé trois jours plus tard au même endroit.
Thomas Chapais descend d’une lignée bourgeoise et conservatrice. Son grand-père maternel, Amable Dionne*, est marchand, seigneur de La Pocatière et député de Kamouraska à la Chambre d’assemblée du Bas-Canada. En dépit de son appui initial aux Quatre-vingt-douze Résolutions [V. Louis-Joseph Papineau*], Dionne accepte de siéger, dans la foulée des troubles de 1837, au Conseil spécial du Bas-Canada et au Conseil législatif de la province du Canada. Son grand-père paternel, Charles Chapais, marchand et lieutenant-colonel de milice, organise, dans le comté de Kamouraska, le logement des troupes britanniques en transit vers le district de Montréal lors des désordres de 1838. Son père, Jean-Charles, également marchand, devient député de Kamouraska en 1851 et intègre le cabinet de sir Étienne-Paschal Taché* et de John Alexander Macdonald* comme commissaire des Travaux publics en 1864. Reconnu comme l’un des Pères de la Confédération, il participe à la conférence de Québec et est nommé au Sénat peu après l’entrée en vigueur de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Le jeune Thomas grandit dans une famille soudée et dévote. Sa paroisse natale est imprégnée des années de cure de son fondateur, l’austère abbé Édouard Quertier*, aussi à l’origine de la Société de tempérance, dite de la croix noire. Chapais, qui militera au sein du mouvement de tempérance pendant des décennies, voue d’ailleurs une sincère admiration à Quertier, qu’il désignera, dans Discours et Conférences, comme un « apôtre de la tempérance et bienfaiteur du peuple ». Le fief des Chapais est également marqué par d’intenses luttes politiques entre les bleus et les rouges dans les années 1850 et 1860. La violence électorale dans la circonscription de Kamouraska atteint son comble en 1867, alors qu’une émeute amène les autorités à annuler les premiers scrutins, fédéral et provincial, du régime de la Confédération [V. sir Charles-Alphonse-Pantaléon Pelletier*].
Chapais est donc élevé dans une atmosphère familiale hautement politisée. « [C]onservateur de tradition et de conviction », se décrira-t-il dans un article publié le 4 mars 1884 dans le Courrier du Canada. Les campagnes électorales de son père imprègnent sa jeunesse. Thomas Chapais ne cessera, tout au long de sa vie, d’associer le Parti libéral au péril républicain et, inversement, le Parti conservateur à l’ordre et à la tradition. « Sois toujours ferme et solide dans ces principes qui sont la sauvegarde de notre foi et de notre nationalité et ne te laisse jamais endoctriner par ces libéraux qui ruineront notre beau pays et le mèneront au matérialisme, si on les laisse faire », écrit d’ailleurs Henriette-Georgina Chapais à son fils adolescent en 1875, dans une lettre reproduite dans Mémoires Chapais.
Après des études primaires à Ottawa et à Saint-Denis, Chapais entre au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 1868. Ses travaux révèlent un élève doué, notamment pour les langues, et un intérêt précoce pour l’histoire. La faculté des arts de l’université Laval à Québec l’admet à l’âge de 17 ans, en 1875, puis lui décerne un baccalauréat ès arts l’année suivante. Lecteur vorace, Chapais se trace un ambitieux programme de lecture et commence à bâtir ce qui deviendra une des bibliothèques privées parmi les plus importantes de la région de Québec. À 22 ans, il consacrera près de 20 % de son salaire mensuel à l’achat de volumes, principalement des œuvres de fiction et des livres d’histoire.
Chapais entre à la faculté de droit de l’université Laval en septembre 1876. Il milite alors avec son frère Jean-Charles au sein du très ultramontain Cercle catholique de Québec [V. Jean-Étienne Landry*]. Déjà, au collège, il avait subi l’influence de l’abbé Alexis Pelletier*, professeur de rhétorique et pourfendeur du libéralisme. Admirateur du journaliste français Louis Veuillot et sympathique aux thèses ultramontaines, le jeune homme ménage toutefois ses relations avec l’archevêché de Québec et l’université Laval, cibles de choix des ultramontains. Sa fidélité au Parti conservateur l’empêche par ailleurs d’adhérer aux castors pendant sa jeunesse [V. Louis-Adélard Senécal* ; François-Xavier-Anselme Trudel*]. Au fond, Chapais est trop attaché à l’establishment pour vraiment donner libre cours à son ultramontanisme.
Chapais obtient sa licence en droit de l’université en 1879 avec distinction et remporte le second prix Tessier. Avant son admission au Barreau de la province de Québec la même année, il a écrit à son père (dans une lettre reproduite dans Mémoires Chapais) : « Je vous assure que je n’ai pas d’illusion et que j’attends, sans enthousiasme, le jour de ma réception à l’exercice de la profession légale. » Une offre fortuite réoriente toutefois la carrière du jeune homme. Au grand dam de son père, qui souhaite le voir intégrer un cabinet d’avocats, Chapais devient secrétaire particulier du nouveau lieutenant-gouverneur de la province de Québec, Théodore Robitaille*, en août. Ancien ministre conservateur à Ottawa et à Québec, Robitaille assume ses fonctions en pleine crise politique, dans la foulée de la destitution du lieutenant-gouverneur Luc Letellier* de Saint-Just. Les connaissances constitutionnelles du jeune secrétaire, acquises grâce à ses antécédents familiaux, son programme de lecture et sa formation en droit à l’université Laval aideront d’ailleurs le lieutenant-gouverneur à gérer les retombées de cette crise.
Au service de Robitaille pendant un peu plus de cinq ans, soit la durée du mandat vice-royal à Spencer Wood, Chapais goûte à la vie mondaine, tout en poursuivant son programme de lecture et son implication au sein du Cercle catholique de Québec. Chapais entame ses activités journalistiques à cette époque. Il signe, dès janvier 1880, sous le pseudonyme d’Héraclite, une série de lettres de Québec dans le Canada, journal conservateur d’Ottawa, et amorce sa collaboration au Courrier du Canada [V. Léger Brousseau*], quotidien de Québec. La même année, il commence également une longue carrière oratoire en prononçant une conférence intitulée « la Nationalité canadienne-française » au Cercle catholique de Québec. Conférencier prisé, il publiera à Québec, entre 1897 et 1943, quatre recueils de ses Discours et Conférences.
Chapais confirme son statut au sein de l’establishment canadien-français en épousant Hectorine, fille de sir Hector-Louis Langevin*, l’un des Pères de la Confédération et ministre des Travaux publics dans le gouvernement du premier ministre conservateur Macdonald, en janvier 1884. Le mariage de Thomas et d’Hectorine scelle l’alliance entre les Chapais et les Langevin, deux familles qui trônent alors au sommet de la hiérarchie sociale et politique. Les époux possèdent du reste une grande compatibilité et leur union se fonde sur un réel amour réciproque. Accablé par la mort de leur enfant à sa naissance en 1888, le couple demeurera sans descendance.
Très attaché à sa famille et à sa paroisse natale, Chapais entretient des relations étroites avec plusieurs parentes, notamment avec Julienne Barnard, fille de sa sœur Amélie et auteure des Mémoires Chapais, œuvre en trois volumes qui relate l’histoire familiale. Même s’il s’opposera au suffrage féminin, Chapais échange couramment avec sa femme, ses sœurs et ses nièces au sujet de l’actualité politique, et sa correspondance intime contient de nombreuses confidences politiques.
Chapais développe également une longue amitié avec le futur archevêque de Montréal, Paul Bruchési*. Sensibles aux thèses ultramontaines dans les années 1880, les deux jeunes hommes partagent une passion pour la littérature. Selon l’historien Jean Bruchési, neveu de Paul, « [l]a maison des Chapais, à Québec comme à Saint-Denis, accueille l’abbé qui s’y trouve presque en famille ». Plus tard, lorsqu’il accédera à l’épiscopat, Mgr Bruchési consultera Chapais sur de nombreux dossiers et comptera sur l’homme politique, toujours comme le rapporte Jean, pour exercer son influence « pour faire triompher les bons principes ».
Peu après son mariage, Chapais se voit offrir la rédaction du Courrier du Canada, à la suite du départ de son ami et parent Narcisse-Eutrope Dionne*. Langevin, jadis rédacteur de ce journal, lui conseille d’accepter le poste, y voyant une porte d’entrée au Parlement pour son gendre. Chapais va de l’avant et prend la barre du Courrier du Canada en 1884 ; il en deviendra propriétaire six années plus tard (et de son édition hebdomadaire, le Journal des campagnes). Fondé en 1857, ce « journal des intérêts canadiens », comme l’indique son sous-titre, est un organe du Parti conservateur [V. Joseph-Charles Taché*]. Son jeune rédacteur ne déroge évidemment pas à cette affiliation. « En politique nous sommes conservateur », écrit-il le 4 mars dans son journal, à son entrée en fonction. « Et par ce mot, nous n’entendons pas désigner telle ou telle attache de parti ou préférence personnelle[.] Ce sont nos idées, nos tendances, nos aspirations qui sont conservatrices. C’est dire assez [que] les principes les plus conservateurs sont nos principes, que les mesures les [...] plus conservatrices sont nos mesures, que les hommes les plus conservateurs sont nos hommes. »
Chapais se hisse rapidement parmi les chefs de file du journalisme canadien-français. Il polémique avec Joseph-Israël Tarte* du Canadien de Québec, pourfend sans cesse les libéraux et commente les questions politico-religieuses qui agitent alors la France et l’Italie. Il se désole, en 1885, de la pendaison de Louis Riel* [V. La rébellion du Nord-Ouest de 1885], mais redoute encore plus la démission des ministres canadiens-français à Ottawa. Dans les années 1890, le journaliste mènera un rude combat contre les politiques linguistiques et scolaires du gouvernement manitobain, puis contre le compromis conclu entre le premier ministre libéral fédéral Wilfrid Laurier* et le premier ministre libéral du Manitoba Thomas Greenway*, qui met fin à la question des écoles du Manitoba [V. Le règlement Laurier-Greenway (1896)].
Chapais commente également l’actualité littéraire et participe au système critique canadien-français qui valorise la littérature conservatrice et moralisante. En 1881, il a donné une importante conférence à l’Institut canadien de Québec, où il a fait l’éloge des auteurs français du xviie siècle et critiqué l’œuvre de Victor Hugo. Il joue en outre un rôle majeur dans l’inscription de l’écrivaine Laure Conan [Félicité Angers*] dans le canon littéraire canadien-français. Chapais et Conan sont d’ailleurs étroitement liés au mouvement de tempérance.
Associé à l’aile droite du Parti conservateur et très actif sur la scène politique au Québec, Chapais fait campagne pour plusieurs candidats conservateurs dans la circonscription de Kamouraska. Il s’y présente d’ailleurs aux élections fédérales de 1891, qu’il perd contre le libéral Henry George Carroll*. L’année suivante, Charles Boucher* de Boucherville, premier ministre conservateur de sympathie ultramontaine, le fait nommer toutefois au Conseil législatif de la province de Québec, pour la division des Laurentides. Chapais, qui occupera cette fonction jusqu’à sa mort, siège aussi comme leader du gouvernement au Conseil législatif et ministre sans portefeuille (1893–1896) dans le cabinet du premier ministre conservateur Louis-Olivier Taillon*, et comme président du Conseil exécutif (1896–1897) et commissaire de la Colonisation et des Mines (1897) dans le cabinet du premier ministre conservateur Edmund James Flynn*. Il préside le Conseil législatif de 1895 à 1897.
Chapais joue un rôle significatif dans la politique au Québec. Conseiller législatif proche des ultramontains, il s’oppose avec succès à une série de réformes du système d’éducation lancées au cours de cette décennie, notamment par le gouvernement libéral de Félix-Gabriel Marchand*. Celui-ci échoue, par exemple, dans sa tentative de créer un ministère de l’Instruction publique en 1897 et en 1898, en partie en raison de Chapais. Sous le leadership de ce dernier, la majorité conservatrice au Conseil législatif constitue un foyer de résistance au premier ministre Marchand, qui essaie en vain d’abolir cette chambre en 1900. Chapais bénéficie de la confiance et de l’appui du haut clergé dans sa lutte contre les réformes du gouvernement libéral [V. Paul Bruchési]. Il a d’ailleurs été nommé au comité catholique du Conseil de l’instruction publique en 1892.
Avec la mort du premier ministre Marchand en 1900, la pulsion réformiste des libéraux provinciaux diminue et Chapais recentre progressivement ses activités politiques sur Ottawa, où il exerce un lobbyisme discret. Il tente d’infléchir plusieurs politiques du gouvernement conservateur de sir Robert Laird Borden*, généralement sans succès. Il refuse, par exemple, une nomination au Sénat durant la crise de la conscription parce qu’il ne peut appuyer cette mesure. Il effectue un lobbyisme plus intense au sein du Parti conservateur pour convaincre le gouvernement de l’Ontario d’abolir ou d’adoucir le Règlement 17 [V. sir James Pliny Whitney*].
Du reste, comme le bibliothécaire Jean-Charles Bonenfant* l’écrira dans l’introduction de Thomas Chapais, c’est grâce aux « loisirs féconds de l’opposition » et à « la quiétude du Conseil législatif » que Chapais a pu « consacrer la plus grande partie de sa vie aux lettres et laisser une œuvre assez considérable ». À partir de la fin des années 1890, l’homme politique s’adonne de plus en plus à l’histoire. Il jouit déjà d’une certaine réputation dans ce domaine, grâce à sa publication, en 1882, d’une longue note critique intitulée « Montcalm et le Canada français » dans les Nouvelles Soirées canadiennes, et à sa conférence magistrale sur la bataille de Carillon (Ticonderoga, New York), donnée quatre ans plus tard au Cercle catholique de Québec.
En 1897, au moment où les conservateurs amorcent leur traversée du désert à Québec, Trefflé Berthiaume*, propriétaire de la Presse nommé au Conseil législatif l’année précédente sur la recommandation du premier ministre Flynn, invite Chapais à signer une chronique d’histoire du Canada dans son quotidien. Publiés sous le pseudonyme latin d’Ignotus (qui signifie « inconnu »), les « Notes et souvenirs » de Chapais paraîtront bimensuellement jusqu’en 1910 ; ironiquement tout le monde sait quel auteur se cache derrière ce pseudonyme. Les 260 chroniques portent sur des sujets variés, comme les faux sauniers en Nouvelle-France (6 août 1898), l’introduction des chevaux au Canada (8 octobre 1898), les « écarts » du chef du Parti patriote Louis-Joseph Papineau (26 janvier 1901), et les instructions données par Londres au gouverneur James Murray* (11 janvier 1908). L’histoire politique domine largement et, si le format favorise sans doute les faits divers, la grande histoire y trouve progressivement son compte.
L’œuvre de Chapais comme historien naît véritablement dans les colonnes de la Presse. La continuité avec ses années de journalisme est évidente, cependant. Les premières chroniques d’Ignotus, d’une valeur inégale, tiennent essentiellement du fait divers. Elles s’améliorent toutefois à partir de 1901, alors que le Courrier du Canada cesse de paraître, faute d’avoir pu s’adapter aux nouvelles réalités du journalisme de masse, et que Chapais ne pratique plus quotidiennement son métier de journaliste. Ignotus cite et analyse les documents d’archives avec une fréquence croissante et dialogue régulièrement avec l’historiographie, notamment avec Pierre-François-Xavier de Charlevoix* et François-Xavier Garneau*.
Historien improvisé, Chapais doit beaucoup à ses lectures. « Il me faudrait lire l’histoire universelle par Cantu, et une bonne histoire d’Angleterre, celle de Lingard ou bien celle de lord Macaulay », a-t-il déjà écrit à 18 ans dans un plan d’études et de lectures transcrit dans Mémoires Chapais. Il oriente ses lectures européennes vers les historiens de l’Antiquité, du Grand Siècle et du xixe siècle français. Garneau occupe une place de choix parmi les références canadiennes de Chapais, qui admire et critique à la fois l’historien national. Il critique Garneau surtout parce qu’il s’éloigne passablement de l’orthodoxie du traditionalisme canadien-français. Sa pensée s’est cristallisée au début du xixe siècle, bien avant le renouveau catholique des années 1840 et 1850. Ainsi, dira Chapais en 1925 dans une conférence reproduite dans Discours et Conférences, Garneau n’a pas « suffisamment mis en lumière la mission providentielle du Canada français » et n’a pas su allier « l’amour de l’[É]glise [...] avec l’amour de la patrie, dans cette fusion intime qui est l’essence même de notre patriotisme canadien ».
En 1904, Chapais publie à Québec son premier ouvrage d’envergure : Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France (1665–1672). Solidement documentée, cette biographie confirme que Chapais n’est plus qu’un simple chroniqueur : il devient un historien qui contribue à l’avancement des connaissances. En 1911, il fait paraître, à Québec, une autre biographie : le Marquis de Montcalm (1712–1759). Préparé de longue date – Chapais s’intéresse à la guerre de la Conquête depuis la jeune vingtaine –, cet ouvrage exploite des sources auparavant inconnues. Primées par l’Académie française, les biographies de Jean Talon* et de Louis-Joseph de Montcalm* représentent, selon Bonenfant, « les deux premières bonnes monographies de notre littérature historique. Elles peuvent avantageusement se comparer aux travaux que les historiens canadiens-anglais, mieux formés aux disciplines historiques, publiaient à la même époque. »
Nommé professeur d’histoire à l’université Laval à Québec, Chapais inaugure sa célèbre chaire d’histoire du Canada en 1916. L’historien reprend alors les cours donnés par l’abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland*, dont la mort en 1865 avait mis fin à l’enseignement universitaire de l’histoire canadienne pendant près de 50 ans au Québec. Livrés pour l’essentiel devant un public mondain, les cours d’histoire de Chapais suivent chronologiquement ceux de l’abbé Ferland, qui se terminaient avec la conquête britannique. L’historien publie, à Québec, le contenu de ses cours en deux étapes : les quatre premiers volumes (1760–1841) paraissent entre 1919 et 1923, et les quatre derniers (1841–1867) entre 1932 et 1934, année de sa retraite du professorat. De style nécessairement oratoire, le Cours d’histoire du Canada, qui a connu une importante diffusion auprès du public lettré et a fait l’objet d’une réception critique significative, demeure son ouvrage le plus important, surtout les quatre premiers volumes.
La nomination de Chapais a constitué la réponse de l’université Laval de Québec à l’engagement par l’université Laval de Montréal de l’abbé Lionel Groulx* en 1915 comme professeur d’histoire du Canada. Étoile montante du mouvement nationaliste, Groulx élabore une conception de l’histoire canadienne qui remet en question les idées fortes de l’école loyaliste, inaugurée au début du xixe siècle par Joseph-François Perrault* et dont Chapais est le principal représentant au début du xxe siècle.
Comme la plupart des loyalistes canadiens-français, Chapais a tendance à souligner les bienfaits de la Conquête de 1760, la bienveillance des autorités britanniques à l’égard des Canadiens français et la supériorité des institutions politiques de la Grande-Bretagne. L’idée voulant que Dieu ait ordonné la conquête britannique se trouve à la base du loyalisme chapaisien. Désastreuse en apparence, cette conquête, comme il l’écrit dans son Cours d’histoire du Canada, a toutefois accordé « trois quarts de siècle d’isolement tutélaire » aux Canadiens français, leur permettant ainsi d’échapper à la tourmente révolutionnaire et à l’accaparement américain. Chapais insiste aussi sur les actions conciliatrices du gouvernement britannique, notamment la promulgation de l’Acte de Québec en 1774 et celle de l’Acte constitutionnel en 1791. Critique à l’égard des institutions politiques de la France de l’Ancien Régime, il encense celles de la Grande-Bretagne. Le parlementarisme britannique constitue à ses yeux un puissant instrument pour la sauvegarde du fait français en Amérique, alors que la couronne garantit des libertés politiques et des droits nationaux au Canada français.
Historien profondément croyant, Chapais possède une volonté franche d’écrire l’histoire du point de vue de l’Église catholique. Le catholicisme constitue le grand cadre interprétatif, ouvertement assumé, de son œuvre. Chapais recourt systématiquement aux sources archivistiques, qu’il dépouille parfois avec l’aide de sa femme, et il pratique une rigoureuse critique de ses sources, sauf en ce qui concerne l’histoire des Autochtones, où il reprend souvent n’importe quel ragot.
Pour Chapais, la recherche de la vérité et la progression du savoir sont au cœur de la démarche de l’historien, qui doit également se servir des leçons du passé pour éclairer le présent et l’avenir. Chez lui, cette volonté s’exprime concrètement à travers une mobilisation active de l’histoire à des fins politiques et nationales. L’histoire pèse lourd dans l’argumentaire qu’il développe contre le Règlement 17 en Ontario, par exemple, et il compose une histoire au service du Parti conservateur et, plus généralement, du conservatisme et de la tradition.
Historien canadien-français le plus en vue à l’aube de la Première Guerre mondiale, Chapais jouit d’un grand prestige auprès des classes lettrées. Ses ouvrages obtiennent du succès en librairie. Les manuels scolaires de l’époque reprennent plusieurs de ses idées et on le sollicite fréquemment pour élucider des points d’histoire controversés. Sa biographie de Talon fait par ailleurs l’objet d’une traduction anglaise en 1914 à Toronto, sous le titre The great intendant : a chronicle of Jean Talon in Canada, 1665–1672. De plus, Chapais écrit deux articles pour les deux premiers volumes d’un projet phare de l’historiographie canadienne-anglaise : Canada and its provinces : a history of the Canadian people and their institutions [...], synthèse d’histoire nationale et régionale éditée par Adam Shortt* et Arthur George Doughty*, et publiée à Toronto en 23 volumes entre 1913 et 1917 [V. Robert Pollock Glasgow*].
À partir de 1902, Chapais a participé aux activités de la Société royale du Canada, qu’il préside en 1923 et en 1924. En 1928, il reçoit d’ailleurs de cette organisation la médaille J. B. Tyrrell en histoire pour l’ensemble de sa contribution dans le domaine. Président de la Société historique du Canada en 1925 et en 1926, il contribue à la professionnalisation de la discipline historique au Canada français, mais pas à la formation de jeunes disciples. Ses cours publics à l’université Laval forment peu la jeunesse puisqu’ils visent surtout la bourgeoisie instruite.
L’évolution de la culture intellectuelle du Canada français ne favorise pas la pérennité de l’œuvre chapaisienne. La crise de la conscription porte un dur coup aux postulats loyalistes et radicalise le mouvement nationaliste, dont la figure de proue, l’abbé Groulx, tire à boulets rouges sur l’idée d’une conquête providentielle. Pour Groulx et sa Ligue d’action française, le loyalisme incarné par Chapais empêche l’épanouissement du fait français. L’abbé encourage d’ailleurs ses collaborateurs à contester l’œuvre de l’historien de Laval. Une des critiques les plus cinglantes de Chapais vient de l’auteur polémiste Olivar Asselin*, comme il l’exprime dans une conférence, l’Œuvre de l’abbé Groulx [...], publiée à Montréal en 1923 : « Fils d’un de ces législateurs tories qui montrèrent une telle naïveté en 1867 dans le règlement de la question scolaire, et à qui l’on devra, en définitive, la rupture de la Confédération, l’unique préoccupation de cet homme consciencieux paraît être de réconcilier ses compatriotes avec un régime doublement sacré pour lui. Il fait peu de cas du droit naturel, magnifie le droit de conquête, presse les textes et les événements pour les faire témoigner de la magnanimité du conquérant. »
Contesté par les nationalistes, Chapais reste cependant loin de la marginalisation politique. À Québec, il demeure un des chefs de file du Parti conservateur et joue un rôle de premier plan au Conseil législatif, où il défend la liberté de la presse en 1922 et s’oppose avec vigueur au vote des femmes en 1940 [V. Obtenir le droit de voter]. À Ottawa, en décembre 1919, on a nommé Chapais au Sénat dans la division de Grandville afin de redorer le blason du Parti conservateur. Défenseur de l’ordre établi, Chapais entre au Sénat à une époque où les progressistes de l’Ouest contestent vivement cette institution. En 1925, il y livre d’ailleurs un important discours contre la réforme de la Chambre haute, où il souligne que celle-ci est « une partie inhérente de notre constitution nationale. Y toucher serait attaquer le pacte fédératif ; et les vieilles provinces, surtout celles de Québec, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’île du Prince-Édouard auraient le droit de considérer cette tentative comme un manque de foi. » Il occupera cette fonction jusqu’à sa mort.
Chapais contribue encore davantage aux affaires fédérales avec le retour au pouvoir du Parti conservateur en 1930 [V. Richard Bedford Bennett]. En septembre, à titre de délégué du Canada à la onzième session de la Société des nations, à Genève, en Suisse, il livre un discours sur les droits des minorités. Plus tard, en 1934, il appuie l’impression de deux séries de billets de banque, l’une en anglais et l’autre en français, mesure prévue dans le projet de loi constituant en corporation la Banque du Canada et vivement contestée dans les milieux nationalistes du Canada français.
La nomination de Chapais en 1919 en fait l’un des très rares hommes politiques canadiens à siéger simultanément aux chambres hautes provinciale et fédérale. Ce double mandat s’avère particulièrement important lors de la victoire de l’Union nationale aux élections dans la province de Québec en 1936. Leader du gouvernement au Conseil législatif (1936–1939) et ministre sans portefeuille (1936–1938) dans le gouvernement de Maurice Le Noblet Duplessis*, Chapais le représente en quelque sorte à Ottawa. Le premier ministre apprécie les loyaux services de Chapais, qui compte parmi ses rares conseillers. Il le nomme premier ministre intérimaire durant une brève absence en 1938 et voit en lui un lien vivant entre son gouvernement et le long règne conservateur de la fin du xixe siècle. Parmi les membres du Parlement de Québec, Chapais détient en effet le record absolu de la plus longue carrière (54 ans). Son mandat dans la Chambre haute provinciale représente plus de la moitié de l’histoire de cette institution, créée en 1867 et abolie en 1968.
Bien que sa nomination au Sénat ait mis fin à sa période la plus féconde d’historien, Chapais reste actif politiquement et intellectuellement pendant encore 25 ans. Il s’oppose, en 1942, à la conscription pour service outre-mer durant la Deuxième Guerre mondiale. Il livre, en juillet 1944, un long discours contre une motion du Sénat visant à appuyer la rédaction d’un manuel unique pour enseigner l’histoire du Canada dans tout le pays. La même année, à l’occasion du retour au pouvoir de l’Union nationale au Québec, Chapais entre une fois de plus au cabinet, à l’âge de 86 ans, comme ministre sans portefeuille et leader du gouvernement au Conseil législatif.
Au cours de sa carrière, Chapais reçoit plusieurs honneurs. Il devient chevalier de la Légion d’honneur en 1902, commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand en 1914, et le roi George V le fait chevalier en 1935. De nombreuses universités lui décernent un doctorat honorifique : l’université Laval à Québec en 1899, l’université d’Ottawa en 1923 (nom d’usage du collège d’Ottawa à ce moment), la Bishop’s University en 1928, la Queen’s University en 1932 et l’université de Montréal en 1945.
Mort en 1946 à Saint-Denis, son lieu de naissance, après une brève maladie, Chapais reçoit des funérailles d’État auxquelles assistent le premier ministre Duplessis et son cabinet. L’Union nationale s’affairera à protéger la mémoire du défunt. Le gouvernement de la province de Québec procédera à l’achat, pour le compte des archives provinciales, de sa bibliothèque et d’une partie de ses archives en 1950. À la suite de cette acquisition, Omer Côté, député de l’Union nationale et secrétaire de la province, participera, l’année suivante, à une longue causerie radiophonique sur la vie et l’œuvre de l’historien et homme politique sur les ondes de Radio-Canada. Duplessis donnera le nom de Chapais à une ville forestière en sa mémoire en 1955.
Dans sa province natale, Thomas Chapais a eu un impact non négligeable sur l’évolution de la société. Pourtant, au xxie siècle, on se souviendra surtout de l’historien et non de l’homme politique. Il s’avère toutefois difficile de séparer ces deux engagements. Ses travaux d’histoire contiennent des harangues politiques et ses discours politiques comprennent souvent des mises au point historiographiques. Chapais demeure un des derniers grands représentants du loyalisme canadien-français. Pour cette raison, son œuvre a servi de repoussoir aux historiens nationalistes durant l’entre-deux-guerres. Ses préoccupations comme historien reflètent celles d’un bourgeois conservateur de l’ère victorienne. Sous certains égards, son discours sur la Conquête et le régime britannique, voire l’ensemble de son interprétation loyaliste, découle d’un certain aveuglement face à la condition économique des Canadiens français, condition dont était pleinement conscient son principal rival et détracteur, l’abbé Lionel Groulx.
Le fonds Famille Chapais (P225) de la Div. des arch. de l’univ. Laval et le fonds Thomas Chapais (P36) du Centre d’arch. de Québec de Bibliothèque et Arch. nationales du Québec conservent l’essentiel des sources manuscrites pour connaître la vie et l’œuvre de Thomas Chapais.
La production imprimée de Chapais se trouve d’abord dans la presse écrite, notamment dans le Courrier du Canada (Québec), de 1880 à 1901, et son édition hebdomadaire, le Journal des campagnes (Montréal), de 1883 à 1901, et dans la Presse (Montréal), de 1897 à 1911. Chapais collabore par ailleurs aux Nouvelles soirées canadiennes (Québec) en 1882, à l’Événement (Québec) de 1902 à 1922, et publie une chronique mensuelle consacrée à l’actualité internationale dans la Rev. canadienne (Montréal) de 1899 à 1922. Il signe également plusieurs articles dans la Nouvelle-France (Québec) et dans le Canada français (Québec) dans les années 1900 à 1930. Il fait paraître à Québec, en 1905, Mélanges de polémique et d’études religieuses, politiques et littéraires, volume rassemblant certains de ses articles publiés dans les journaux. La collection « Classiques canadiens » consacre par ailleurs un mince volume à Chapais, publié sous le titre Thomas Chapais et comprenant des textes choisis et présentés par J.-C. Bonenfant (Montréal et Paris, 1957). En plus des ouvrages déjà mentionnés, Chapais a écrit de nombreuses publications, dont une liste plus complète figure dans Elisabeth La Mothe, Bibliographie de l’œuvre de sir Thomas Chapais ([Montréal], 1940), et dans Fernand Harvey, Bibliographie de six historiens québécois : Michel Bibaud, François-Xavier Garneau, Thomas Chapais, Lionel Groulx, Fernand Ouellet, Michel Brunet (Québec, 1970). Les deux premiers tomes du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, sous la dir. de Maurice Lemire et al. (7 vol., Montréal, 1978–2003), mentionnent aussi ses ouvrages.
Parmi les autres sources secondaires sur Chapais, signalons : le dernier volume des Mémoires Chapais : documentation, correspondances, souvenirs (3 vol., Montréal et Paris, 1961–1964) de Julienne Barnard ; le Québec et ses historiens de 1840 à 1920 : la Nouvelle-France de Garneau à Groulx (Québec, 1978) de Serge Gagnon ; et Faire de l’histoire au Québec, P.-R. Desrosiers, trad. (Sillery [Québec], 1998) de Ronald Rudin. Robert Rumilly retrace les activités de l’homme politique dans sa monumentale Histoire de la province de Québec (41 vol., Montréal et Paris, 1940–1969). Plusieurs articles savants abordent également son œuvre, notamment : J.-C. Bonenfant, « Retour à Thomas Chapais », Recherches sociographiques (Québec), 15 (1974) : 41–55 ; J.-J. Lefebvre, « la Lignée canadienne de l’historien sir Thomas Chapais (†1946)† », Société royale du Canada, Mémoires (Ottawa), 4e sér., 13 (1975) : 151–168 ; Pierre Berthiaume, « Thomas Chapais : un discours biblique », Voix et Images (Montréal), 2 (1976–1977) : 231–239 ; et Michel Bock, « Overcoming a national “catastrophe” : the British conquest in the historical and polemical thought of abbé Lionel Groulx », dans Remembering 1759 : the conquest of Canada in historical memory, sous la dir. de Phillip Buckner et J. G. Reid (Toronto, 2012), 161–185. Enfin, nous signalons notre propre contribution aux études chapaisiennes : « Thomas Chapais, loyaliste », Rev. d’hist. de l’Amérique française (Montréal), 65 (2011–2012) : 439–472 ; « Thomas Chapais et le Règlement 17 », dans le Siècle du Règlement 17, sous la dir. de Michel Bock et François Charbonneau (Sudbury, Ontario, 2015), 279–300 ; et Thomas Chapais, historien ([Ottawa], 2018).
Ancestry.com, « Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968 », St-Denis-de-la-Bouteillerie, Québec, 8 oct. 1934 : www.ancestry.ca/search/collections/1091 (consulté le 3 févr. 2023).— Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Québec, CE301-S1, 10 janv. 1884, 30 sept. 1888 ; Centre d’arch. du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (Rimouski, Québec), CE104-S15, 24 mars 1858.— Le Devoir (Montréal), 15 oct. 1930 ; 15–16, 18, 27 juill. 1946.— André Beaulieu et Jean Hamelin, les Journaux du Québec de 1764 à 1964 (Québec et Paris, 1965).— Jean Bruchési, « Brève Histoire d’une longue amitié », les Cahiers des Dix (Montréal), 23 (1958) : 217–240.— Canada, Sénat, Débats, 29 avril 1925 : 171.— Omer Côté, Sir Thomas Chapais : causerie radiophonique prononcée en janvier 1951, sur le réseau français de Radio-Canada (s.l., [1951 ?]).— Québec, Assemblée nationale, « Dictionnaire des parlementaires du Québec de 1764 à nos jours » : www.assnat.qc.ca/fr/membres/notices/index.html (consulté le 8 mai 2020).
D. C. Bélanger, « CHAPAIS, sir THOMAS (baptisé Joseph-Amable-Thomas) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/chapais_sir_thomas_17F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/chapais_sir_thomas_17F.html |
Auteur de l'article: | D. C. Bélanger |
Titre de l'article: | CHAPAIS, sir THOMAS (baptisé Joseph-Amable-Thomas) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 17 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2024 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |