Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3622951
STEELE, sir SAMUEL BENFIELD, officier de la Police à cheval du Nord-Ouest et de l’armée, né le 5 janvier 1848 dans le canton de Medonte, Haut-Canada, fils d’Elmes Yelverton Steele* et d’Anne MacIan Macdonald ; le 15 janvier 1890, il épousa à Vaudreuil, Québec, Marie Elizabeth Harwood, et ils eurent deux filles et un fils ; décédé le 30 janvier 1919 à Putney (Londres).
Samuel Benfield Steele représentait tout à fait l’homme d’action canadien de l’époque victorienne. Fort et brave, il incarnait l’héroïsme qui caractérisait la Police à cheval du Nord-Ouest à ses débuts. Mieux encore, il avait le physique de l’emploi : grand, beau, le torse bombé, il inspirait confiance aux hommes, et les femmes l’admiraient. Bien sûr, aucun être humain ne saurait être aussi parfait que Steele paraissait l’être. Sans être alcoolique, il se soûlait à l’occasion, ce qui était de notoriété publique. En outre, il était très ambitieux et, à la manière de tant d’autres Anglo-Saxons de l’époque, avait des idées racistes.
À part ses vertus reconnues, Steele présentait d’importantes caractéristiques que lui-même et ses contemporains étaient portés à négliger car elles étaient moins en vogue. Il avait de l’intelligence pratique. On le voit dans son autobiographie, où tendent à dominer son sens du devoir, son zèle envers l’Empire, son honnêteté et un certain égocentrisme. On le voit mieux encore dans sa manière d’aborder son travail. Il avait beau cultiver son personnage de fruste habitant du front pionnier et ne pas priser les exercices dans les cours de caserne, c’était un administrateur perspicace, méticuleux et diplomate. Il consacrait toujours le plus de temps possible à la préparation d’une nouvelle mission. D’autres membres de la Police à cheval entreprirent peut-être la Longue Marche vers l’ouest, en 1874, avec de folles idées d’aventure. Le sergent-major Steele, lui, partit de Winnipeg avec un riche bagage de renseignements : durant six mois, il avait interrogé tous ceux qui pouvaient lui apprendre quelque chose sur les Territoires du Nord-Ouest. Jamais, dans le courant de sa carrière, Steele ne se départirait de sa conscience professionnelle en relevant un nouveau défi.
Fils d’un ancien officier de la marine et député de l’Assemblée législative, Steele avait fait ses études à Purbrook, dans le canton de Medonte, où vivait sa famille, puis dans une école privée d’Orillia. Après la mort de son père en 1865, il vécut un temps chez son demi-frère aîné, John Coucher Steele. À l’occasion des raids féniens de 1866, il s’enrôla dans la milice, où il ne tarda pas à découvrir sa vocation. Il servit d’abord dans le 35th (Simcoe) Battalion of Infantry. Ensuite, après s’être installé à Clarksburg (près de Collingwood) afin d’occuper un emploi de commis, il recruta et entraîna une compagnie pour le 31st (Grey) Battalion of Infantry. En 1870, comme beaucoup d’autres, il se porta volontaire pour participer à l’expédition canado-britannique qui, sous le commandement du colonel Garnet Joseph Wolseley, allait maintenir l’ordre à la Rivière-Rouge (Manitoba). Le 1er mai 1870, il rejoignit le 1st (Ontario) Battalion of Rifles à Barrie. Bien qu’il ait détenu une commission dans le 35th Battalion et qu’on lui ait offert un poste de sous-officier dans le 1st Battalion, il choisit de servir comme simple soldat. « Du point de vue de l’expérience, écrirait-il plus tard, mieux valait que je n’arbore pas de chevrons, et [j’]appris beaucoup mieux à mesurer ce que les autres hommes enduraient que si j’avais été promu. »
Épuisant, le voyage par terre du Lakehead (région de Thunder Bay) à la Rivière-Rouge permit à Steele de manifester sa force et son endurance exceptionnelles. Peu après l’installation des membres de l’expédition à Upper Fort Garry (Winnipeg), il fut promu caporal. Steele aima son séjour à la Rivière-Rouge, mais ne songea pas à rester quand le bataillon fut démobilisé en 1871.
Steele se rendit plutôt à Kingston, en Ontario, où se trouvait l’école d’artillerie de l’armée permanente canadienne. Il suivit un cours d’un an, puis fut affecté à Toronto pour y réorganiser la batterie. Pendant ses heures de liberté, il étudia au British American Commercial College – nouvel indice de son sérieux. Au bout d’un an, on le réaffecta à Kingston en tant qu’instructeur d’artillerie. C’est là que, dans le courant de l’été de 1873, il apprit que le gouvernement avait l’intention de créer une gendarmerie dans les Territoires du Nord-Ouest. Sans tarder, il demanda à son commandant, le lieutenant-colonel George Arthur French*, la permission de s’y joindre. On ne se surprendra pas que French la lui ait accordée : il savait probablement déjà qu’il commanderait cette nouvelle police.
Steele reçut le grade de constable d’état-major (l’équivalent de sergent-major divisionnaire) dans la Police à cheval du Nord-Ouest et se mit en route vers l’ouest avec le premier contingent en octobre. À Lower Fort Garry, il dressa des chevaux et donna aux recrues de rigoureuses leçons d’équitation. En juin 1874, quand vint le moment d’aller rencontrer le deuxième contingent à Pembina (Dakota du Nord), on lui confia les préparatifs du voyage. Peu après avoir entrepris la Longue Marche vers l’ouest cet été-là [V. James Farquharson Macleod*], la police manqua de nourriture pour les chevaux et le bétail. La situation s’aggrava au point qu’il fallut confier les animaux les plus faibles à une équipe de la division A pour qu’elle les mène jusqu’à un fort de la Hudson’s Bay Company, le fort Edmonton (Edmonton). Conduire ces bêtes au fort Edmonton avant l’hiver, en remontant la piste Carlton vers le nord, fut une tâche éreintante, mais Steele s’en acquitta à merveille. Son supérieur, l’inspecteur William Dummer Jarvis, nota en novembre dans son rapport que Steele avait fait le « travail manuel d’au moins deux hommes » au cours du voyage.
Steele et ses camarades de la division A passèrent l’hiver au fort Edmonton. De temps à autre, ils partaient en excursion pour recueillir des renseignements et débarrasser la région des trafiquants de whisky. À l’arrivée du printemps, les policiers descendirent la rivière et construisirent leur propre poste, le fort Saskatchewan (Fort Saskatchewan, Alberta). En juillet 1875, le vapeur Northcote apporta des ordres concernant Steele : il accéderait au grade de constable en chef au mois d’août et serait muté au quartier général, à la caserne de la rivière Swan (Livingstone, Saskatchewan). À l’été de 1876, on le chargea de transférer le quartier général au fort Macleod (Fort Macleod, Alberta) et, en cours de route, de prendre des mesures pour l’important contingent policier qui assisterait aux négociations du traité no 6 avec les Cris aux forts Carlton et Pitt (Fort Carlton et Fort Pitt, Saskatchewan).
Au fort Macleod, Steele continua d’exercer ses fonctions administratives, dressa des chevaux et agit comme greffier aux audiences criminelles tenues par les officiers en leur qualité de juges de paix. En octobre 1877, il fit partie du groupe qui, avec le commissaire James Farquharson Macleod, se rendit au fort Walsh (Fort Walsh, Saskatchewan) pour les négociations entre Sitting Bull [Ta-tanka I-yotank*] et le général Alfred Howe Terry, de l’armée américaine. Il rentra au fort Macleod une fois que Sitting Bull eut refusé de se laisser convaincre de retourner en territoire américain ; de toute façon, il était sûr que les pourparlers se termineraient ainsi. L’année suivante, le quartier général fut réinstallé au fort Walsh parce qu’il y avait une forte concentration d’Autochtones dans les monts Cypress. Promu sous-inspecteur en 1878, Steele demeura au fort Walsh jusqu’en 1880, année où il fut nommé inspecteur et affecté à son premier commandement indépendant, le fort Qu’Appelle (Fort Qu’Appelle, Saskatchewan).
Jusque-là, la Police à cheval du Nord-Ouest s’était occupée surtout de la population autochtone, mais ses fonctions changèrent rapidement dès l’arrivée du transcontinental. Comme le tronçon principal du chemin de fer canadien du Pacifique coupait son district en deux, Steele devait régler des querelles engendrées par la colonisation et la construction. À l’été de 1882, tandis que le chemin de fer progressait vers l’ouest, on le chargea de la surveillance policière le long du trajet. Suivant les équipes d’ouvriers, il installa le poste de la police à Regina, où le quartier général fut transféré en décembre. La plus grande partie de son travail se rattachait à son titre de magistrat. À cause de sa forte personnalité, de son sens de l’humour et de son énergie inépuisable, régler des conflits de travail et tenir en échec les parieurs et les vendeurs de whisky était exactement le genre de tâche qui lui convenait. À l’automne de 1883, quand la ligne atteignit le fort Calgary (Calgary), il y resta en tant que commandant.
En avril 1884, Steele reçut l’ordre d’accompagner les équipes du chemin de fer en Colombie-Britannique. À ses yeux, l’achèvement du chemin de fer était déterminant pour tout le pays et sa mission consistait à le favoriser par tous les moyens à sa disposition. Il étendit son pouvoir en faisant doubler par Ottawa le secteur de compétence fédérale : de 20 milles de chaque côté de la voie, ce secteur passa à 40 milles. Au printemps de 1885, à Beaver (Beavermouth, Colombie-Britannique), dans les monts Selkirk, un grave conflit surgit parce que des sous-traitants n’avaient pas payé leurs ouvriers. Brûlant de fièvre, Steele quitta son lit pour aller lire la loi contre les attroupements à une foule de grévistes en colère. Il était si imposant que les grévistes se dispersèrent sans qu’il ait eu besoin d’utiliser son arme. Compte tenu de la personnalité de Steele, la tournure des événements n’a rien de surprenant, mais il faut noter la présence de fortes divergences entre les rapports officiels qu’il a rédigés au moment de la grève et ses réminiscences publiées de nombreuses années plus tard.
La grève avait dégénéré notamment parce que bon nombre des membres du détachement de Steele avaient été renvoyés dans les Prairies, où Louis Riel* avait déclenché une crise en mars en proclamant un gouvernement provisoire. Dès la fin de la grève, le 7 avril, Steele se remit en route vers l’est avec le reste de ses hommes. À son arrivée à Calgary, on le plaça à la tête des cavaliers et éclaireurs de l’Alberta Field Force, dont le commandant était le major-général Thomas Bland Strange*. Ce groupe se composait de 25 policiers et de quelque 110 éleveurs et cow-boys. Lancés à la poursuite du chef cri Gros Ours [Mistahimaskwa*], dont la bande avait tué un certain nombre de personnes au lac La Grenouille (lac Frog, Alberta), les éclaireurs de Steele remontèrent vers Edmonton, puis descendirent la rivière Saskatchewan-du-Nord.
Steele fut l’un des rares officiers supérieurs de la Police à cheval à avoir meilleure réputation après la rébellion du Nord-Ouest qu’avant. Gêné par la lenteur des fantassins de Strange, il avait pourtant mené ses éclaireurs avec imagination et détermination. Sa petite unité fut la seule à ne pas se laisser distancer par Gros Ours, qui se livra en juillet 1885. Malgré la recommandation de Strange, Steele n’obtint pas le titre de compagnon de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, mais il eut la consolation d’apprendre qu’il accéderait au poste de surintendant en août, au moment du licenciement de ses éclaireurs. De retour en Colombie-Britannique à l’automne pour maintenir l’ordre le long du chemin de fer canadien du Pacifique, il assista en novembre à la pose du dernier crampon, à Craigellachie.
Après un rapide voyage jusqu’à la côte Ouest par le premier train qui fit le trajet en entier, Steele fut affecté à Battleford (Saskatchewan) au commandement de la division D. Il passa le plus clair de son temps à former les recrues arrivées lorsque l’effectif de la Police à cheval avait doublé en 1885. En septembre 1886, on envoya sa division au fort Macleod ; au début de 1887, elle s’installa à Lethbridge, le nouveau quartier général du sud de l’Alberta.
Quelques mois plus tard, Steele dut retourner en Colombie-Britannique. Un conflit entre la province et les Koutanis (Ktunaxas) au sujet des réserves et de l’arrestation d’un membre de cette nation risquait de tourner à la violence. Après que la province eut demandé l’aide d’Ottawa, Steele et 75 policiers furent envoyés sur place. Arrivés en août 1887, ces derniers construisirent un poste, le fort Steele (Fort Steele, Colombie-Britannique), et se mirent à enquêter sur le litige. Steele libéra le prévenu et convainquit apparemment le chef koutani Isadore* que la résistance armée était inutile. En août 1888, comme on n’avait plus besoin de leurs services, les policiers regagnèrent Lethbridge.
En décembre, Steele reçut le commandement du fort Macleod, qui comptait alors plus de policiers que tous les autres postes sauf Regina. Ainsi s’amorça la décennie la plus tranquille de sa carrière. La Police à cheval avait atteint son effectif maximum, la population autochtone était calme, les colons n’avaient pas encore commencé à affluer dans les Prairies. En 1890, Steele put prendre plusieurs mois de congé et se rendre dans la province de Québec pour se marier. Sa fiancée, Marie Elizabeth Harwood, était allée au fort Macleod en 1889 pour voir sa tante, la femme d’un ami de Steele, le surintendant Alexander R. Macdonell. Elle était riche et issue d’un bon milieu. Son père, Robert William Harwood, avait été député aux Communes. Sa grand-mère paternelle, la femme de Robert Unwin Harwood*, appartenait à une famille socialement et politiquement influente, les Chartier de Lotbinière, de Vaudreuil. En outre, elle aimait le sport et la compagnie. Tombés amoureux dès leur première rencontre, semble-t-il, Marie Elizabeth et Steele avaient décidé de se marier malgré leur différence de religion.
Comme la plupart des officiers de la Police à cheval, Steele avait du mal à s’entendre avec Lawrence William Herchmer, commissaire depuis 1886. Bon nombre de policiers, notamment Steele lui-même, pensaient qu’il serait un meilleur chef. Bien qu’il n’ait pas critiqué Herchmer publiquement, ceux qui étaient mécontents de ce dernier mettaient leurs espoirs en lui. En 1892, quand le poste de commissaire adjoint se libéra, Steele était le surintendant le plus expérimenté, même si d’autres avaient accédé à ce grade avant lui, et ses états de service éclipsaient ceux de tous les autres policiers. Il fit pression pour être promu, usant sans hésiter des relations politiques de sa belle-famille. Cependant, le poste alla au surintendant John Henry McIllree ; plus effacé que Steele, cet officier ne risquait guère d’entrer en conflit avec l’irascible Herchmer.
La période où Steele ne fit que de l’administration courante dans le sud de l’Alberta cessa brusquement une fois que l’on eut découvert de l’or au Yukon. En 1897, lorsqu’il devint évident que cette découverte déclencherait une véritable ruée, l’effectif policier de ce territoire fut renforcé et placé d’abord sous le commandement de James Morrow Walsh*. En janvier 1898, Steele reçut l’ordre de monter vers le nord pour établir (avec le surintendant Aylesworth Bowen Perry) des postes douaniers à l’entrée des cols White et Chilkoot ainsi qu’au lac Bennett, source du fleuve Yukon et relais principal sur le chemin de la ruée vers l’or, puis de prendre le commandement de ces postes. Lorsque Steele arriva, le mois suivant, il y avait seulement quelques policiers au Yukon ; au moment de son départ, un an et demi après, presque un tiers de la Police à cheval serait sous ses ordres. Le ministre responsable du Yukon dans le gouvernement libéral fédéral, Clifford Sifton*, avait veillé à ce que la police de ce territoire relève directement d’Ottawa, sans passer par Regina, de sorte que le contingent était pour ainsi dire autonome.
Rien n’aurait pu mieux convenir à Steele. Non seulement pouvait-il diriger la police à sa guise, mais l’isolement du Yukon lui permettait d’édicter des lois et règlements en fonction des besoins. C’est au moment de la débâcle printanière de 1898 à Bennett que cette autorité unilatérale se manifesta le plus ouvertement, lorsque Steele ordonna à tous les prospecteurs d’enregistrer leur bateau et d’observer des règles sévères de navigation en descendant le fleuve. Plus tard dans l’année, Steele refusa à quiconque n’avait pas une quantité minimale de nourriture et d’argent d’entrer au Yukon. Ces mesures étaient carrément illégales, et Steele l’admettait avec bonne humeur, mais elles avaient l’avantage manifeste de sauver des vies. Les prospecteurs et Ottawa les acceptaient donc.
En juillet 1898, Steele assuma le commandement de tous les membres de la Police à cheval affectés au Yukon et entra au nouveau Conseil territorial. Dès lors, il put exercer en toute légalité ses talents de législateur. Des tâches administratives et des préparatifs l’empêchèrent de quitter Bennett pour s’installer à Dawson, la turbulente métropole du Klondike, avant le mois de septembre. À Dawson, il se consacra surtout au maintien de l’ordre. Les jeux de hasard et les saloons étaient tolérés mais soumis à un contrôle rigoureux ; selon des observateurs, les dimanches étaient aussi calmes qu’à Toronto. Steele condamnait les petits délinquants à couper du bois de chauffage pour le quartier général de la police et faisait renvoyer les individus louches par le premier bateau. On aurait pu s’attendre que les prospecteurs, des Américains surtout, s’irritent de ce régime sévère, mais apparemment, ce n’était pas le cas. En septembre 1899, quand Steele fut renvoyé de Dawson – pour avoir résisté, dit-on, au régime partisan de favoritisme sanctionné par Sifton –, les habitants sortirent en masse pour le saluer et les prospecteurs lui remirent un sac de poussière d’or.
La guerre des Boers éclata en octobre, avant que Steele ait pu être affecté à de nouvelles fonctions. Il se porta volontaire tout de suite, obtint un congé de la police et fut emporté dans la confusion qui entoura la décision du Canada de participer au conflit. On lui offrit en vitesse le commandement en second du Royal Canadian Dragoons ; il le refusa parce que, selon lui, trop peu de membres de la Police à cheval étaient autorisés à se porter volontaires. Ensuite, il accepta de prendre la tête d’un régiment qui serait formé dans l’ouest du Canada (le 1st Canadian Mounted Rifles), mais quand le commissaire Herchmer manifesta le désir d’avoir ce poste, il accepta celui de commandant en second. À peine avait-il commencé à recruter des hommes et à acheter des chevaux que, en janvier 1900, on lui offrit de commander une unité de l’armée britannique qui serait recrutée au Canada sous le parrainage de lord Strathcona [Smith].
Même si les contingents formés plus tôt avaient déjà fait leur choix parmi les volontaires de la Police à cheval, Steele réussit à rassembler assez d’officiers et de sous-officiers dignes de confiance pour former la structure du Lord Strathcona’s Horse. Dès le début, il insista pour créer et promouvoir des formations régionales au sein de cette unité de cavaliers de l’Ouest. Aussitôt qu’ils furent rassemblés, il appliqua un rigoureux programme d’entraînement. Pendant la traversée de l’Atlantique, chaque journée se déroula selon un horaire prescrit par lui ; ainsi, ses hommes gardèrent le moral, contrairement à ce qui se passait dans d’autres unités canadiennes. Une fois en Afrique du Sud, il usa de toutes ses compétences, et de l’influence du nom de Strathcona, pour empêcher que son unité soit dispersée ou affectée à des travaux de routine.
Au moment où l’unité fut prête à partir en campagne, en mai 1900, la phase conventionnelle du conflit était terminée et la guérilla faisait rage. Après avoir tenté en vain de faire sauter un pont de chemin de fer à la frontière de l’Afrique-Orientale portugaise (Mozambique), les membres du régiment passèrent sept mois à jouer le rôle d’éclaireurs auprès des colonnes qui essayaient de capturer les commandos boers. Les poursuites étaient généralement trop prudentes au gré de Steele, mais son unité se tira bien d’affaire (un des sergents, Arthur Herbert Lindsay Richardson, fut le premier Canadien à être décoré de la croix de Victoria pendant cette guerre) et reçut des éloges du haut commandement britannique. En janvier 1901, à la veille du départ du Lord Strathcona’s Horse pour le Canada, le major-général Robert Stephenson Smyth Baden-Powell, impressionné par les qualités de chef de Steele, lui offrit de commander une division dans la police qu’il était en train d’organiser, la South African Constabulary. En Angleterre, où le régiment fit escale avant de rentrer au pays, Steele fut nommé membre de l’ordre royal de Victoria. Pendant son court séjour au Canada, il reçut le titre de compagnon de l’ordre du Bain. Dès le mois de juin, il était de nouveau en Afrique du Sud et faisait partie de la South African Constabulary.
Des études historiques sur l’époque ont traité de deux allégations défavorables sur la conduite de Steele en Afrique du Sud. Dans son travail sur la bonne société d’Ottawa, Sandra Gwyn fait état des accusations du lieutenant Agar Stewart Allan Masterton Adamson*, du Lord Strathcona’s Horse, selon qui Steele était un rustaud qui passait son temps à se soûler et ne se souciait aucunement de ses soldats. Certes, Steele buvait parfois trop, et ses manières n’avaient peut-être pas le raffinement auquel Adamson avait été accoutumé à Ottawa et lors de ses études à Cambridge. Pourtant, la prétention selon laquelle il négligeait le bien de ses hommes ne correspond tellement pas au reste de sa carrière qu’on peut l’écarter sans crainte.
L’autre accusation était beaucoup plus grave. En août 1900, des membres du Lord Strathcona’s Horse furent témoins d’un incident typique de cette période de la guerre. Au moment où un détachement du South African Light Horse s’approchait d’une ferme boer en arborant un drapeau blanc, des coups de feu retentirent, et plusieurs de ses hommes furent tués ou blessés. Apparemment, les membres du Lord Strathcona’s Horse ripostèrent en capturant les coupables, en aidant le Light Horse à tenir une « cour martiale » et en pendant six des Boers séance tenante. Steele et ses supérieurs démentirent les comptes rendus de l’incident parus dans la presse, mais la minutieuse étude consacrée par Carman Miller à cet épisode dans son ouvrage sur les Canadiens en Afrique du Sud laisse peu de place au doute : les pendaisons eurent lieu, et il y eut bien dissimulation de la part de Steele et d’autres.
Steele connut des frustrations au cours de ses cinq années dans la South African Constabulary, même si, sous certains aspects, son autorité était plus grande qu’elle ne l’avait été au Canada. Il s’était attendu à choisir ses officiers et à garder ensemble sous son commandement les 1 200 Canadiens recrutés par la police sud-africaine. Or, le gouverneur général du Canada, lord Minto [Elliot], s’arrogea la nomination des officiers, et Baden-Powell tint à répartir les Canadiens parmi les quatre divisions de la police.
La dernière année de la guerre se passa à pacifier la campagne en traquant les derniers commandos boers. Même avant la cessation officielle des hostilités en mai 1902, Steele commença à affecter son unité à des tâches civiles. Son expérience au Canada lui avait enseigné que la coopération de la population est essentielle à l’efficacité d’un corps policier. Pour Steele, cela signifiait gagner la confiance des fermiers boers en donnant des services pratiques. Tout en assurant la sécurité, les membres de la South African Constabulary agissaient en tant que gardes-chasses, vétérinaires et recenseurs ; en outre, ils délivraient des permis. Dès la fin du conflit, Steele accéléra la transition en encourageant ses hommes à apprendre l’afrikaans, en pressant les autorités de permettre aux Boers de reprendre leurs fusils et en convainquant le gouvernement de nommer magistrats des officiers supérieurs. Que la politique de conciliation envers les Afrikaners ait signifié laisser à leur merci la majorité noire, Steele n’en avait cure. Pour lui, les « Cafres » étaient par nature condamnés à la sujétion.
En tant qu’institution transitoire, la South African Constabulary était une réussite, mais elle n’avait pas été conçue pour durer. Steele recrutait donc des policiers afrikaners pour remplacer ceux qui retournaient en Grande-Bretagne et dans les dominions. En 1906, l’effectif fit l’objet d’une réduction radicale ; retiré officiellement de la Police à cheval du Nord-Ouest en 1903, Steele s’apprêta à partir. Après avoir passé huit mois en Angleterre à titre d’adjudant de Baden-Powell, alors inspecteur général de cavalerie, il retourna au Canada avec sa famille. En 1907, il fut nommé commandant du district militaire no 13 (Alberta et district du Mackenzie). En 1910, on le muta à la tête d’un district plus important, le no 10, dont le quartier général était à Winnipeg. Là, il s’employa notamment à reconstituer le Lord Strathcona’s Horse en une unité canadienne de cavalerie et à rédiger ses mémoires.
L’éclatement de la Première Guerre mondiale, en août 1914, retarda la publication de ces mémoires, pourtant prêts à aller sous presse, et ôta à Steele toute idée de retour à la vie civile. Malgré ses 66 ans (il prétendait alors n’en avoir que 62), Steele espérait commander la 1re division canadienne, mais le ministre de la Milice, Samuel Hughes*, l’écarta à cause de son âge. Puis, en décembre, devant l’évidence que la guerre durerait quelque temps et requerrait un plus gros effort militaire, Hughes promut Steele major-général et lui confia l’entraînement dans l’Ouest canadien. À l’annonce de la formation de la 2e division canadienne, au début de 1915, Steele se vit offrir le commandement et l’accepta.
Au ministère britannique de la Guerre, lord Kitchener opposa son veto à cette nomination ; selon lui, Steele était trop vieux pour commander dans l’armée active. Furieux, et pressé par les tories de l’Ouest, Hughes insista pour que Steele obtienne le poste, même s’il le trouvait toujours trop âgé et insuffisamment préparé à diriger une grosse formation militaire. On parvint à un compromis : Steele commanderait la 2e division jusqu’à ce qu’elle parte pour la France. Après avoir pris le commandement le 25 mai 1915, il dirigea l’organisation de la division au Canada puis son entraînement en Angleterre jusqu’à ce que le major-général Richard Ernest William Turner* le remplace en août.
Comme Steele avait servi en Afrique du Sud, sa commission d’officier était dans l’armée britannique. Kitchener put donc lui offrir un poste administratif, soit le commandement du district sud-est de l’Angleterre, dont relevait le principal camp d’entraînement canadien, à Shorncliffe. Steele, qui assuma cette fonction le 5 août, aurait pu s’y rendre utile sans tapage jusqu’à la fin de la guerre si Hughes n’avait pas été un as de l’imbroglio administratif. Hughes avait décidé que, outre son affectation britannique, Steele devrait, à compter du 3 août, commander tous les soldats canadiens en Angleterre. Inévitablement, cette mesure engendra un conflit avec deux généraux de brigade convaincus d’être eux aussi commandants en chef : John Wallace Carson, représentant spécial du ministre de la Milice, et James Charles MacDougall, officier général commandant les troupes canadiennes au Royaume-Uni.
La situation n’était toujours pas réglée lorsque Hughes perdit son poste en novembre 1916, mais le nouveau ministre responsable des forces outre-mer, sir George Halsey Perley*, s’empressa d’y apporter une solution. Après avoir refusé de retourner dans l’Ouest canadien pour y faire du recrutement, Steele fut relevé de son commandement canadien le 1er décembre 1916. Créé chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges le 1er janvier 1918, il conserva son commandement britannique jusqu’au 1er mars et fut mis à la retraite le 15 juillet.
Pendant sa carrière, Steele avait pris une part considérable au maintien de l’ordre dans l’ouest et le nord du Canada, mais son influence sur la Police à cheval comme telle n’avait pas été si grande. Certes, sa réputation avait rejailli sur ce corps policier. Steele était un homme juste, travailleur et organisé qui avait toujours été très populaire auprès de ses subalternes. Presque certainement, il avait raison de dire que l’une de ses plus grandes forces était l’entraînement des recrues. Mais, de toute évidence, il n’était nullement novateur en matière d’administration ou d’organisation, contrairement à l’irascible et impopulaire Herchmer. Au Yukon, il avait dirigé la Police à cheval à peu près comme dans les Prairies. C’est en Afrique du Sud, où il s’était efforcé d’adapter autant que possible le système de la Police à cheval aux conditions locales, qu’il avait innové.
Victime de l’épidémie de grippe espagnole de 1918, sir Samuel Benfield Steele mourut en Angleterre peu de temps après son soixante et onzième anniversaire. On l’inhuma au cimetière St John de Winnipeg le 3 juillet 1919. Un groupe d’amis avait fait mouler un masque mortuaire en vue de lui faire élever une statue. Que ce projet ne se soit jamais concrétisé en dit long sur sa vie et sa carrière. Steele était comme ces organismes si parfaitement adaptés à leur milieu qu’ils s’éteignent dès que celui-ci change. La Grande Guerre avait tant bouleversé le Canada et le monde que, en 1919, ses exploits ne représentaient plus grand-chose. Pourtant, on ne doit pas oublier qu’il fut l’un des grands bâtisseurs de l’Ouest canadien.
L’autobiographie de Samuel Benfield Steele a été publiée sous le titre Forty years in Canada : reminiscences of the great north-west with some account of his service in South Africa, M. G. Niblett, édit. (Toronto et Londres, 1915 ; réimpr., 1972).
AN, RG 18 ; RG 150, Acc. 1992–93/166.— ANQ-M, CE1-50, 15 janv. 1890.— DBC, Dossier E. Y. et S. B. Steele.— GA), M305 ; M776 ; M1171 ; M4317.— Gendarmerie royale du Canada (Ottawa), Hist. sect., Service file O.40.— Manitoba Free Press, 4 juill. 1919.— Canada, Parl., Doc. de la session, 1909, no 35 ; 1911, no 35.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Sandra Gwyn, The private capital : ambition and love in the age of Macdonald and Laurier (Toronto, 1984).— R. C. Macleod, The NWMP and law enforcement, 1873–1905 (Toronto, 1976).— A Medonte pioneer and his famous son (Orillia, Ontario, 1954 ; exemplaire conservé au DBC, Dossier Steele).— Carman Miller, Painting the map red : Canada and the South African War, 1899–1902 (Montréal et Kingston, Ontario, 1993).— W. R. Morrison, Showing the flag : the mounted police and Canadian sovereignty in the north, 1894–1925 (Vancouver, 1985).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell), 1.— Robert Stewart, Sam Steele, lion of the frontier (Toronto et New York, 1979).
Bibliographie de la version modifiée :
Les archives de l’église anglicane St James à Orillia, en Ontario, conservent notamment les registres paroissiaux de l’église St George à Fairvalley (canton de Medonte), dans lesquels figure, comme date de naissance de sir Samuel Benfield Steele, le 5 janvier 1848. Une grande confusion entoure l’année de cette naissance. Selon son autobiographie et sa pierre tombale, Steele serait né en 1849. Son fils, Harwood, affirme que ce serait plutôt en 1851, et que l’autobiographie a été incorrectement révisée. Certaines sources secondaires donnent 1851, tandis que le dossier de service militaire de la Première Guerre mondiale donne 1852. Nous souhaitons remercier Murray Cayley, auteur de l’article « Happy birthday(s), Sam Steele », Beaver (Winnipeg), 88 (2008), no 4 : 56–57, d’avoir partagé avec nous sa découverte de l’enregistrement de la naissance et du baptême de Steele dans les archives de l’église anglicane St James.
Roderick Charles Macleod, « STEELE, sir SAMUEL BENFIELD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/steele_samuel_benfield_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/steele_samuel_benfield_14F.html |
Auteur de l'article: | Roderick Charles Macleod |
Titre de l'article: | STEELE, sir SAMUEL BENFIELD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 2021 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |