Titre original :  II-79973.1 | D. D. Mann, Montreal, QC, 1886 | Photograph | Wm. Notman & Son

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MANN, sir DONALD (l’initiale P. figure entre son prénom et son nom sur son acte de mariage et, jusqu’en 1911, il utilisait parfois l’initiale D.), entrepreneur forestier et ferroviaire, et promoteur minier, né le 23 mars 1853 près d’Acton, Haut-Canada, fils de Hugh Mann et de Helen (Ellen) Macdonell ; le 9 mars 1887, il épousa à Winnipeg Jane (Jennie) Emily Williams (1858−1945), et ils eurent un fils ; décédé le 10 novembre 1934 à Toronto et inhumé au cimetière Fairview d’Acton.

Donald Mann, fils de fermiers pionniers presbytériens d’origine écossaise, naquit dans une cabane en rondins. Cinquième d’une famille de dix enfants, il fit ses études primaires dans une école publique locale. Fervent pratiquant, il étudia quelque temps en vue de devenir ministre du culte, puis quitta Acton à l’âge de 17 ans pour travailler dans des camps de bûcherons dans le nord du Michigan. De retour chez lui pour prêter main forte à son frère aîné qui avait connu des difficultés financières en essayant d’élargir les activités agricoles de la famille, Mann repartit ensuite dans un camp de bûcherons près de Parry Sound où, à 21 ans, il devint contremaître dans une petite entreprise forestière.

En 1878, Mann partit pour l’Ouest canadien. L’année suivante, son expérience de l’exploitation forestière lui permit d’obtenir un contrat pour défricher un passage et couper des traverses pour la St Paul, Minneapolis and Manitoba Railroad Company. Un consortium américain auquel appartenait James Jerome Hill*, né dans les parages de la ferme des Mann, faisait construire une voie ferrée le long de la vallée de la rivière Rouge jusqu’à Winnipeg. Mann termina son travail en décembre et, la veille de Noël, aida à faire venir la première locomotive à Winnipeg. On la transporta à bord d’une barge sur la rivière Rouge et on la hissa sur la glace du rivage à l’aide de rails placés sur des traverses de 16 pieds taillées et installées par Mann et son équipe.

Une grave maladie interrompit les activités de Mann en 1880. L’année suivante, il organisa néanmoins une petite équipe chargée de couper des traverses dans l’est du Manitoba pour le chemin de fer canadien du Pacifique (CP), que le gouvernement du Canada mettait alors en place. En octobre 1880, le gouvernement fédéral de sir John Alexander Macdonald* avait signé un contrat avec un consortium, dont Hill faisait partie, pour la construction de cette voie ferrée jusqu’à la côte du Pacifique. Hill, seul à posséder de l’expérience pratique en la matière, recruta William Cornelius Van Horne* au poste de directeur général du CP. On négocia alors un contrat avec la Langdon, Shepard and Company, dont le siège social se trouvait au Minnesota, pour la construction, en 1882, de 500 milles de rails à partir de l’extrémité du chemin de fer, à environ 100 milles à l’ouest de Winnipeg, jusqu’à Calgary. L’entreprise préférait embaucher des hommes qui avaient travaillé sur des chemins de fer américains ; Mann et son équipe obtinrent toutefois plusieurs contrats. L’opération avança à un rythme frénétique, car Van Horne tenait à établir un nouveau record en installant 500 milles de la ligne principale en une seule année. Mann et son équipe travaillaient habituellement bien avant la fin de la voie, déblayant le passage, fabriquant des traverses et nivelant la plateforme. La fébrilité et les incitations constantes à accroître la cadence dans la pose des rails ne le touchaient donc pas directement. La Langdon, Shepard and Company manqua de peu son objectif d’installer 500 milles de rails en 1882 (si l’on excepte les voies d’évitement et de service), mais prolongea la ligne principale jusqu’à Calgary l’année suivante.

Pour terminer les tronçons difficiles au nord du lac Supérieur et à travers les montagnes Rocheuses, le CP s’en remit à la North American Railway Contracting Company ; en novembre 1883, le CP annula cependant le contrat avec cette société et attribua à Van Horne la gestion directe de ces projets. La décision de ce dernier de garder les directeurs des travaux de chaque section, John Ross au lac Supérieur et James Ross* (sans lien de parenté avec le précédent) dans les montagnes, s’avéra bénéfique pour Mann, car les deux hommes recouraient beaucoup aux services de petits entrepreneurs canadiens comme lui et Herbert Samuel Holt*, à qui James Ross attribua le rôle de chef de chantier. Holt réalisait aussi des contrats pour certains projets parmi les plus difficiles ; James Ross et lui entretenaient des relations fréquentes avec Mann, à qui ils déléguaient de nouveau les étapes préliminaires de déblayage et de construction et nivelage de la plateforme. Mann obtenait des contrats qui reposaient, en partie, sur la quantité de matériaux à déplacer ; il demandait des prix différents pour l’enlèvement de la terre, des roches et de la carapace, ainsi que pour l’ajout de roches et de terre afin de remplir les zones basses ou marécageuses. En cas d’erreur dans les estimations inscrites à un contrat, l’entrepreneur pouvait soit récolter un profit substantiel, soit essuyer une perte considérable.

En travaillant dans les montagnes Rocheuses, Mann fit la connaissance d’un autre entrepreneur, William Mackenzie*, dans des circonstances singulières. Ce dernier érigeait alors des ponts et des viaducs de bois, notamment l’énorme pont enjambant la gorge du ruisseau Mountain dans la vallée de la rivière Beaver. Mackenzie et Mann avaient tous deux commandé des cargaisons de mulets, et une dispute surgit quand les bêtes se trouvèrent mêlées dans le même enclos. James Ross suggéra que les deux hommes choisissent leurs mulets à tour de rôle, un à la fois. Mann tira son épingle du jeu grâce à son contremaître, qui connaissait l’un des expéditeurs et conçut une stratégie quelque peu retorse pour assurer à Mann la sélection des meilleurs animaux. On reprendrait le récit de cette première rencontre entre Mackenzie et Mann, probablement en l’enjolivant, à la suite de l’association fructueuse des deux entrepreneurs ferroviaires.

Quand les difficultés financières du CP [V. John Henry Pope* ; George Stephen*] entraînèrent de sérieux retards dans les remboursements des travaux terminés, les entrepreneurs ne purent payer leurs employés et, au printemps de 1885, nombre d’entre eux amorcèrent une grève qui dégénéra en émeute à Beaver (Beavermouth), en Colombie-Britannique, dans les monts Selkirk. Occupé à construire le pont sur la gorge du ruisseau Mountain, Mackenzie persuada ses hommes de rester à l’écart du conflit et de surveiller le chantier en cours ; Mann, au bout de la voie ferrée, réussit lui aussi à contenir ses travailleurs. Les décisions fermes de Ross, Holt et Samuel Benfield Steele*, de la Police à cheval du Nord-Ouest, conjuguées à l’assurance de l’arrivée imminente du wagon de la paie, contribuèrent à mettre fin à la grève.

Donald Alexander Smith*, administrateur et principal actionnaire du CP, enfonça le dernier crampon de rail le 7 novembre 1885, mais la plupart des entrepreneurs, dont Mann, Ross et Holt, ne terminèrent leur travail que l’année suivante. Ils obtinrent des contrats distincts pour construire les 40 premiers milles d’une voie ferrée de la Winnipeg and Hudson’s Bay Railway and Steamship Company (WHBR), qui devait monter vers le nord à partir de Winnipeg, traverser la région d’Entre-les-Lacs et aboutir à un port sur la baie d’Hudson. Mann et son équipe nivelèrent également un autre embranchement de 25 milles au Manitoba. Quand le promoteur de la WHBR éprouva de sérieuses difficultés financières et politiques, Mann, Ross et Holt voulurent déposer chacun une réclamation importante contre la société. Ross et Holt renoncèrent au projet, alors que Mann, dont la valeur de la réclamation dépassait celle des deux autres, et qui entretenait une plus grande confiance dans le potentiel de développement des ressources naturelles, entre autres des riches dépôts de gypse dans la région d’Entre-les-Lacs, attendit son heure et laissa sa réclamation en suspens. Mann, Ross, Holt et Mackenzie signèrent par la suite des contrats séparés pour construire des tronçons de la « Short Line » du CP qui traverserait le Maine et se rendrait au port en rade de Bangor. En 1887, Mann et Mackenzie, qui détenaient des contrats sur des sections adjacentes à la ligne, décidèrent de fusionner leurs opérations. Ils avaient tous deux réalisé des profits raisonnables sur la plupart de leurs projets respectifs du CP dans les montagnes et avaient bien travaillé ensemble sur la « Short Line », même s’ils avaient affronté des conditions de sol plus difficiles que prévu et étaient donc à peine rentrés dans leurs frais.

En 1888, James Ross obtint un contrat général de la Qu’Appelle, Long Lake and Saskatchewan Railroad and Steamboat Company pour construire une voie ferrée dans les Territoires du Nord-Ouest, de Regina à Saskatoon et Prince Albert (Saskatchewan), et invita Mann, Mackenzie et Holt à se joindre à lui. Les entrepreneurs travailleraient de concert, chacun avec sa propre équipe et ses compétences particulières : Ross se chargerait de la gestion globale, Mann préparerait et nivellerait la plateforme, Mackenzie bâtirait des ponts et d’autres structures en bois et en pierre, et Holt dirigerait les équipes de poseurs de rails. Ils collaborèrent harmonieusement et, avant d’achever ce projet, négocièrent un contrat pour la construction d’un projet semblable, le Calgary and Edmonton Railway, qu’ils prolongèrent ensuite vers le nord jusqu’à Edmonton et vers le sud jusqu’au fort Macleod (Fort Macleod, Alberta), à partir de la ligne principale du CP à Calgary. Grâce entre autres à l’efficacité qu’ils gagnèrent en combinant leurs forces, les quatre entrepreneurs talentueux réalisèrent des profits appréciables avec ces deux chantiers.

Une fois le Calgary and Edmonton Railway terminé, en 1891, l’obtention d’autres marchés s’avéra plus difficile, et le quatuor se sépara. La curiosité et la recherche de nouvelles possibilités amenèrent Mann en Amérique du Sud et en Chine où, à Hong Kong, il se querella avec un petit aristocrate européen, qui le provoqua en duel. Mann, à qui revenait le droit de choisir les armes, déclara : « Très bien, je suis plus à l’aise avec des haches qu’avec toute autre arme. Nous nous battrons donc avec des haches. » Son adversaire fit marche arrière. Toutefois, l’espoir de Mann de décrocher un contrat lucratif en Chine ne se concrétisa pas. Il mit la main sur un projet de construction apparemment profitable au Chili, mais l’instabilité politique et un terrain difficile ralentirent le chantier. Il exprimerait ainsi ses regrets à ce sujet : « Cela m’a pris sept ans pour gagner les 100 000 $ au lieu de quatre mois. »

En 1894, Mann était de retour au Canada. Il concentra son attention sur des débouchés dans l’Ouest, où la Winnipeg and Hudson Bay Railway Company, contre laquelle il avait encore une réclamation, avait été réorganisée cette année-là sous l’appellation Winnipeg Great Northern Railway Company (WGNR). La firme avait toujours l’intention de construire une ligne jusqu’à la baie d’Hudson, dans le but de créer une autre voie d’expédition, plus courte, pour le grain des Prairies destiné à l’Europe. Le gouvernement fédéral se montrait disposé à fournir à la WGNR des subventions en espèces, une concession foncière et un contrat postal ou de transport, tandis que le gouvernement du Manitoba offrait une aide pouvant atteindre 1 500 000 $. Une aide de cette envergure ne serait toutefois versée qu’une fois le chemin de fer terminé et opérationnel ; la WGNR devait donc trouver l’argent nécessaire pour couvrir les coûts de construction. Les perspectives de trafic dans la région d’Entre-les-Lacs n’étaient pas prometteuses, mais plus à l’ouest, le district de Dauphin, au Manitoba, attirait des colons. Autre préoccupation, la Lake Manitoba Railway and Canal Company (LMRC) détenait une charte pour desservir cette région, mais elle n’avait fait que peu de choses malgré les promesses du fédéral de fournir de l’argent comptant et des concessions foncières, et celles du gouvernement provincial de garantir des obligations.

Mann calcula qu’il pourrait obtenir l’aide gouvernementale promise à la WGNR et à la LMRC en construisant un chemin de fer qui desservirait les colons du district de Dauphin et constituerait éventuellement la première partie d’une ligne qui se rendrait jusqu’à la baie d’Hudson, même s’il s’agissait d’un tracé plus tortueux que celui proposé par la WGNR. Il s’assura la mainmise sur les chartes de la WGNR et de la LMRC, puis, en 1895, invita ses trois ex-partenaires à se joindre à lui pour construire la LMRC, à partir de la ville de Dauphin jusqu’à Gladstone, colonie reliée par d’autres chemins de fer à Portage-la-Prairie et à Winnipeg. Holt et Ross déclinèrent l’invitation, mais Mackenzie accepta. Pour amasser les fonds nécessaires à l’embauche des équipes et à l’achat de matériel et d’équipement, la LMRC pouvait émettre des actions ou des obligations, mais les valeurs des nouvelles sociétés de chemin de fer étaient presque impossibles à vendre à moins d’une garantie par un gouvernement ou par des établissements financiers ou commerciaux bien établis. Mann savait que le gouvernement du Manitoba souhaitait ardemment promouvoir la colonisation dans le district de Dauphin et faire construire une voie ferrée qui se rendrait jusqu’à la baie d’Hudson. Il demanda donc à la province de garantir les obligations de sa compagnie.

Le premier ministre, Thomas Greenway*, imposa des conditions difficiles : il garantirait les obligations seulement si les taux de fret établis par la LMRC étaient sujets à l’approbation de son gouvernement. Considérés comme beaucoup trop élevés par les Manitobains, les tarifs du CP dans l’Ouest, qui finançaient le fonctionnement de l’entreprise sur de longs segments de voies peu utilisés au nord du lac Supérieur, avaient souvent fait l’objet de plaintes de leur part. Offrir des tarifs plus faibles sur la ligne subventionnée par le gouvernement que Mann et Mackenzie projetaient de construire forcerait le CP à baisser les siens et à trouver d’autres moyens de résoudre les problèmes de sa ligne qui traversait le Bouclier canadien. Le gouvernement du Manitoba ne pouvait cependant pas imposer la fixation des tarifs trop bas, de crainte qu’en cas de pertes, la LMRC ne demande à la province d’honorer ses garanties obligataires.

Mann et Mackenzie acceptèrent les conditions de Greenway, et s’efforcèrent de réduire le capital et les dépenses d’exploitation. La vente des obligations garanties par la province couvrit les coûts de base de la construction, en 1896, de la ligne de 125 milles reliant Dauphin et Gladstone, mais seulement parce que les deux hommes travaillèrent à peu de frais, promettant d’améliorer les installations quand le volume de circulation augmenterait. La LMRC maintint les coûts d’exploitation à un faible niveau, en partie parce qu’elle utilisait souvent du matériel roulant désuet issu de dépôts de ferraille d’entreprises plus importantes et plus prospères. De plus, on multiplia les initiatives pour générer du trafic. David Blythe Hanna, chef de chantier du petit chemin de fer, répondait toujours promptement aux besoins des colons et apportait par wagons entiers des fournitures essentielles revendues ensuite au prix coûtant de la LMRC pour leur achat et leur transport vers l’Ouest. Mann s’intéressait particulièrement à la promotion du développement des ressources naturelles, notamment l’exploitation minière, qui engendrait du trafic de fret pour le chemin de fer. La ligne récolta ainsi un léger profit malgré ses faibles taux de fret, très populaires localement.

En décembre 1898, la WGNR et la LMRC fusionnèrent pour former la Canadian Northern Railway Company (CNoR). On nomma à la présidence l’un des associés de Mackenzie à Toronto, Frederic Thomas Nicholls*, et, au mois de juillet suivant, la société reçut du gouvernement fédéral une charte générale qui l’autorisait à développer son réseau. On admettait toutefois largement que Mackenzie et Mann n’étaient que des entrepreneurs temporairement sans emploi qui avaient mis sur pied une entreprise dans l’espoir de vendre à profit leur affaire bancale au CP ou au Northern Pacific Railroad, rival américain. À la surprise de nombreux observateurs et avec l’aide du gouvernement manitobain, à la tête duquel se trouvait alors Rodmond Palen Roblin, les deux entrepreneurs acquirent plutôt les quelque 350 milles de voies ferrées du Northern Pacific Railroad dans la province et, à la fin de 1901, ils avaient déjà prolongé leur ligne principale vers l’est, jusqu’à Port Arthur (Thunder Bay), en Ontario. La vente d’obligations garanties par Roblin couvrit les coûts de base pour l’achat de fournitures et la construction de la voie ferrée. Cette sécurité financière permit à la CNoR de fixer des taux de fret entre Winnipeg et Port Arthur beaucoup plus bas que ceux du CP pour le trajet de Winnipeg à Fort William (Thunder Bay). Le tarif de la CNoR fut établi à 0,10 $ le quintal, tandis que celui du CP dépassait alors 0,14 $ et avait atteint un sommet de 0,28 $ dans les années 1880.

Grâce à ces réalisations, la voie ferrée de la CNoR passa d’un embranchement fougueux et peu fiable nourrissant les lignes principales du CP et du Northern Pacific Railroad à un concurrent régional populaire et dynamique. Mann était particulièrement enthousiaste devant le nouveau tracé jusqu’à Port Arthur, qui traversait un territoire considéré comme très riche en gisements de fer et autres minéraux, et qui donnait aussi accès au charbon des États-Unis expédié par les Grands Lacs. Puisque les locomotives de la CNoR et les milliers de colons des Prairies avaient besoin de charbon, Mackenzie et Mann, en partenariat avec la Pittsburgh Coal Company, construisirent à Port Arthur une énorme installation pour l’expédition du charbon et du minerai. Au lieu d’un salaire pour leur travail de promoteurs et d’entrepreneurs, ils reçurent des actions ordinaires de la société. En 1902, comme la loi fédérale interdisait aux entrepreneurs de détenir des actions d’une entreprise pour laquelle ils travaillaient à forfait, les deux hommes constituèrent en société une entité distincte, la Mackenzie, Mann and Company Limited, pour garder les actions de la CNoR avec lesquelles on les avait payés à titre d’entrepreneurs.

La colonisation rapide de l’Ouest canadien, conjuguée aux exploitations prospères du CP et de la CNoR dans la région, incita la Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc (couramment appelée le Grand Tronc), établie en Ontario et au Québec, à concevoir son propre plan d’expansion vers l’Ouest en 1903. Ses dirigeants, notamment le vice-président, Charles Melville Hays*, prévoyaient que l’obtention d’une aide fédérale pour leur projet forcerait Mackenzie et Mann à leur vendre la CNoR, dont le réseau était beaucoup plus petit et plus faible que celui du Grand Tronc. Cependant, le gouvernement du Manitoba et les fermiers de l’Ouest s’opposèrent fermement à toute entente qui ne réussirait pas à préserver les bas taux de fret de la CNoR, condition que les administrateurs du Grand Tronc ne pensaient pas pouvoir maintenir. Il en résulta un accord selon lequel le gouvernement fédéral de sir Wilfrid Laurier* garantissait les obligations du Grand Tronc et fournissait une autre contribution pour la mise sur pied d’une filiale, la Grand Trunk Pacific Railway Company (GTPR), qui construirait et exploiterait une liaison de Winnipeg à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Malgré les objections acharnées du ministre des Chemins de fer et Canaux, Andrew George Blair*, le gouvernement fédéral entreprit également la construction du chemin de fer National Transcontinental, ligne qui relierait Winnipeg à Québec (Moncton serait choisi ultérieurement comme terminus) et desservirait la moitié est du réseau de la GTPR.

Les gens de l’Ouest, désireux de profiter de l’avantage offert par la CNoR, exigèrent que celle-ci étende son chemin de fer vers l’est. Le premier ministre accepta d’en garantir le prolongement de Port Arthur jusqu’à Toronto et Montréal. Cette promesse s’accompagna d’une entente, annoncée en 1909 et officialisée l’année suivante, selon laquelle le gouvernement de la Colombie-Britannique de Richard McBride* garantissait les obligations de la CNoR pour financer la construction d’un lien ferroviaire de la frontière de la province avec l’Alberta jusqu’à Vancouver. (Le terminus ouest fut d’abord prévu à Port Mann, nouveau canton nommé en l’honneur de Donald Mann, mais on modifia le plan en faveur de Vancouver.) Le chemin de fer de la CNoR, à l’instar du Grand Tronc, se voyait ainsi transformé en un réseau ferroviaire transcontinental.

Mann figurait parmi les quatre personnes, avec Mackenzie, Hanna et l’avocat principal de la CNoR, Zebulon Aiton Lash*, qui influencèrent le plus la promotion, la construction et l’exploitation de l’entreprise. Chacun apporta sa contribution particulière. Mann exerça une fonction semblable à celle du chien de chasse débusquant le gibier. Pionnier dans l’âme, il installait des plateformes bien avant la construction de la voie ferrée et, toujours à l’affût de possibilités d’extraction de ressources naturelles, proposait de nombreux embranchements menant à des régions prometteuses. Mackenzie, à la personnalité plus flamboyante, construisait d’énormes ponts et autres grandes structures en bois, se chargeait de la majeure partie des opérations financières et promotionnelles, et représentait la société en qualité d’habile porte-parole dans les négociations difficiles. Mann et lui bénéficiaient des services exceptionnellement compétents de Hanna, prudent et astucieux dans la gestion quotidienne, et de Lash, maître de la nuance juridique : le texte en petits caractères qu’il insérait dans les contrats décrivait clairement les droits et privilèges de la société, mais laissait des lacunes concernant ses responsabilités et obligations. En politique, Mackenzie avait à une occasion recherché une nomination comme candidat conservateur et s’entendait habituellement bien avec les membres du parti. Mann préférait pour sa part entretenir des relations étroites avec les libéraux, et Lash, partenaire principal du cabinet d’avocats fondé par l’ancien chef du Parti libéral fédéral, Edward Blake*, contribuait à faciliter les choses quand l’entreprise avait besoin de l’aide de ce parti. Cependant, Mackenzie et Mann plaçaient toujours les bénéfices du chemin de fer au-dessus des intérêts politiques partisans.

À mesure que la construction progressait, Mackenzie et Mann, épaulés par Lash, construisirent ou acquirent des voies ferrées plus petites, et se lancèrent dans une vaste gamme d’activités connexes, notamment la mise en valeur de terres, les mines, les hôtels, les vapeurs, les quais pour le charbon et le minerai, le matériel roulant, l’emballage des viandes, la production de bière, la vente au détail, le télégraphe et le téléphone, et les projets d’électrification. Mann s’intéressait vivement au développement des mines et des ressources naturelles ; le charbon l’obsédait particulièrement. Les entrepreneurs construisirent des centaines de milles de voie ferrée pour permettre l’exploitation de gisements isolés mais riches, comme les houillères de Brazeau sur le versant est des Rocheuses, et achetèrent les mines de charbon de James Dunsmuir* sur l’île de Vancouver. Mann s’intéressa aussi aux mines de charbon de l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, et plusieurs exploitations d’outre-mer aboutirent dans le giron de la Mackenzie, Mann and Company Limited.

En janvier 1911, quand ils furent créés chevaliers selon la liste honorifique du Nouvel An du roi George V, Mackenzie et Mann puisaient déjà dans toutes les ressources de la CNoR pour réaliser leurs ambitions transcontinentales. De nouvelles lignes amenaient de la concurrence, les tarifs demeuraient bas, puis la peur de voir éclater une guerre en 1912 et le déclenchement de la Première Guerre mondiale deux ans plus tard sapèrent leurs efforts. Après le début des hostilités, il devint de plus en plus difficile et onéreux pour les sociétés de chemin de fer d’amasser des fonds par la vente d’obligations, même avec des garanties gouvernementales. Les enrôlements dans le Corps expéditionnaire canadien raréfièrent la main-d’œuvre, tandis que les besoins militaires provoquaient des pénuries de matériel roulant et de matériaux de construction, dont les coûts grimpèrent, en particulier ceux des rails d’acier. Malgré ces complications, Mackenzie et Mann réussirent à terminer la ligne principale du chemin de fer de la CNoR, dont on enfonça le dernier crampon le 23 janvier 1915, à Basque, en Colombie-Britannique. Cependant, avant la fin de la guerre, en novembre 1918, l’extrême pénurie de rails d’acier nécessaires à la réparation des voies ferrées détruites en France entraîna un décret du gouvernement fédéral ordonnant d’enlever des voies ferrées en double sur certains trajets de la CNoR et de la GTPR entre Edmonton et la frontière de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Incapables de se procurer de toute urgence les fonds dont ils avaient besoin, privés d’un matériel roulant en quantité suffisante et voyant leurs opérations entravées par un manque de personnel, Mackenzie et Mann trouvèrent que le trafic ne suffisait pas à maintenir leurs nouvelles lignes en Ontario et en Colombie-Britannique. La GTPR affronta des difficultés semblables dans l’Ouest canadien, et le chemin de fer National Transcontinental au nord de l’Ontario et dans la province de Québec connaissait une situation encore plus désespérée. Par conséquent, ces entreprises devinrent dépendantes du soutien du gouvernement fédéral conservateur de sir Robert Laird Borden. Elles reçurent une certaine aide, mais le premier ministre leur en accorda avec de plus en plus de réticence [V. John Dowsley Reid*]. En 1916, il nomma une commission royale, coprésidée par sir Henry Lumley Drayton*, pour trouver des solutions aux problèmes ferroviaires. En 1917, celle-ci recommanda au gouvernement d’acheter les actions de la CNoR détenues par des particuliers (la Mackenzie, Mann and Company Limited en possédait la quasi-totalité) et de la GTPR. On confia à un conseil d’arbitrage la mission de déterminer le prix à payer pour l’achat des actions de la CNoR. Aux audiences qui s’ensuivirent, Mann témoigna : « Il n’y a rien sur le continent américain qui a une meilleure valeur que ce chemin de fer. » Le conseil octroya toutefois 10 800 000 $ à la Mackenzie, Mann and Company Limited pour ses actions, à peine de quoi payer ce que les deux hommes devaient à leur principal créancier, la Banque canadienne de commerce de sir Byron Edmund Walker*. La CNoR fit bientôt partie de la Canadian National Railway Company, entreprise en plein essor possédée et exploitée par le fédéral, dirigée d’abord par Hanna, qui avait travaillé avec Mann et Mackenzie au sein de la LMRC, puis par sir Henry Worth Thornton.

Arrivé au terme de sa carrière de promoteur et constructeur ferroviaire, Mann jouissait désormais d’une réputation nationale. Avec sa grande taille et sa forte carrure, l’homme à la barbe noire avait de la prestance, un tempérament direct désarmant et une allure sans prétention qui convenait bien à celui qui avait passé la majeure partie de sa vie dans la rudesse des camps de bûcherons, de travailleurs de chemins de fer et de prospecteurs. C’était une personne pieuse qui avait un côté tranquille et pensif. En 1938, le Standard dictionary of Canadian biography noterait qu’il se révélait « curieusement sensible à la beauté naturelle » et indiquerait qu’il éprouvait des sentiments mitigés quant à la construction de chemins de fer dans les espaces sauvages des Rocheuses, aspect plutôt remarquable pour un entrepreneur de cette époque. Selon la même source, Mann aurait dit : « J’avais l’habitude de m’enfoncer profondément dans les magnifiques clairières et d’écouter le murmure des cascades sur les rochers et d’admirer les fougères délicates s’incliner vers l’eau, et j’avais honte de moi et de ce que nous allions faire. »

Mann quitta le monde ferroviaire dans une certaine aisance financière. Il continua d’investir dans de nombreux projets de prospection et de développement minier, dont quelques-uns se révélèrent lucratifs, et de les promouvoir. Il acquit un terrain de 125 acres dans le canton de Scarborough (Toronto), rue Kingston, près de la résidence d’été de l’homme d’affaires Henry Mill Pellatt. Il y construisit le manoir Fallingbrook, résidence somptueuse de style anglais entourée de jardins. Des installations adaptées permirent d’amener l’électricité à la demeure garnie de meubles anciens, de peintures à l’huile, de tentures de soie et de nombreux livres à la reliure ornementée. Par malheur, un incendie détruisit le manoir le 26 janvier 1930, et Mann perdit une grande quantité de documents personnels. « Nous étions à table pour le lunch quand nous entendîmes la première alarme d’incendie […] Je pouvais entendre les flammes rugir dans la cage d’ascenseur », confia Mann à un journaliste du Toronto Daily Star sur place ce soir-là. Après avoir échappé aux flammes avec sa femme Jane Emily et leur fils invalide, Donald Cameron, Mann, âgé de 76 ans, resta pendant des heures dans le froid mordant pour diriger le travail des sapeurs-pompiers et récupérer quelques effets personnels. Le lendemain, le Toronto Daily Star indiqua que Fallingbrook avait coûté 150 000 $ à construire et que son contenu valait, croyait-on, près de 200 000 $. À la suite du sinistre, les Mann s’installèrent dans une maison plus modeste rue St George, à Toronto.

Sir Donald Mann mourut subitement d’une hémorragie cérébrale le 10 novembre 1934 ; il laissait des biens évalués à 110 755 $. Ses funérailles se tinrent dans une église presbytérienne. Demeuré pieux, il s’était adonné au spiritualisme dans ses dernières années, tout en conservant son comportement de pionnier. Un incident présumé à son service funèbre refléta ces aspects très différents de sa vie. Un ami religieux envoya un arrangement floral en forme d’ancre, symbolisant l’ancre de la foi. Lady Mann prit toutefois l’objet pour autre chose et demanda : « Qui a envoyé cette foutue pioche ? » On commémore le souvenir de Mann de plusieurs façons : la coupe Mann en or massif, qu’il donna en 1910, récompense chaque année le vainqueur du championnat canadien senior de crosse et un parc à Acton, près de son lieu de naissance, porte son nom. De plus, depuis 2002, Mann appartient, à titre de « maître bâtisseur », au Temple de la renommée des chemins de fer du Canada.

T. D. Regehr

BAC, R231-588-5.— Manitoba, Ministère de la Justice, Bureau de l’état civil (Winnipeg), no 1887-001070.— Globe, 27 janv. 1930, 12 nov. 1934.— Toronto Daily Star, 27 janv. 1930.— D. B. Hanna, Trains of recollection drawn from fifty years of railway service in Scotland and Canada, Arthur Hawkes, édit. (Toronto, 1924).— T. D. Regehr, The Canadian Northern Railway, pioneer road of the northern prairies, 1895–1918 (Toronto, 1976).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell), vol. 2.— A statutory history of the steam and electric railways of Canada, 1836–1937, with other data relevant to operation of Department of Transport, Robert Dorman, compil. (Ottawa, 1938).— G. R. Stevens, Canadian National Railways (2 vol., Toronto et Vancouver, 1960–1962), 2.

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T. D. Regehr, « MANN, SIR DONALD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mann_donald_16F.html.

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Auteur de l'article:    T. D. Regehr
Titre de l'article:    MANN, SIR DONALD
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2022
Année de la révision:    2022
Date de consultation:    2 oct. 2024