Provenance : Avec la permission de Wikimedia Commons
HILL, JAMES JEROME, entrepreneur ferroviaire et capitaliste, né le 16 septembre 1838 dans le canton d’Eramosa, Haut-Canada, fils de James Hill et d’Ann Dunbar ; le 19 août 1867, il épousa à St Paul, Minnesota, Mary Theresa Mehegan, et ils eurent huit filles, dont l’une mourut bébé, et deux fils ; décédé dans cette ville le 29 mai 1916.
Les grands-parents de James Jerome Hill quittèrent Armagh (Irlande du Nord) en 1829 et s’établirent dans une ferme du canton d’Eramosa ; ses parents continuèrent d’exploiter cette terre jusqu’à ce que, en 1848, son père ouvre une auberge à Rockwood, non loin de là. James, qui perdit accidentellement l’usage d’un oeil quand il avait neuf ans, fréquenta l’école publique de cette localité et l’école secondaire de William Wetherald*. À l’âge de 13 ans, peut-être pour affirmer son identité, il adopta un second prénom, Jerome, celui du plus jeune frère de Napoléon, dont il venait de lire une biographie. La mort de son père, en 1852, l’obligea à mettre fin à ses études.
Comme sa famille avait grand besoin d’argent, Hill prit une place de commis dans une épicerie de Rockwood, puis de Guelph. Sans emploi à compter de l’automne de 1854, il partit pour New York en février 1856 et, dès l’été, accepta un poste de commis dans une maison de courtage et de transport à St Paul sur le Mississippi, une ville alors en plein essor. En 1865, il lança sa propre entreprise de transport de marchandises et de commerce de transit. L’année suivante, avec au moins un associé, il bâtit un entrepôt avec accès à une voie de service du St Paul and Pacific Railroad. Une entente conclue en janvier 1867 lui assura la mainmise sur les installations riveraines de cette ligne et, en septembre, il prit comme associé Egbert S. Litchfield, qui avait des liens avec le chemin de fer, ce qui lui permit de se consacrer à de nouvelles affaires, dont le commerce du charbon. Au lieu de prendre du charbon en consignation, comme c’était la coutume, il négociait des achats et le prix du transport afin d’accroître volumes et profits. Dès le début de 1876, il dominait le marché ; l’année suivante, lui-même et d’autres négociants fusionnèrent leurs entreprises et créèrent la Northwestern Fuel Company, dont il assuma la présidence.
Hill pressentait que le peuplement de l’Ouest canadien intensifierait les échanges à St Paul, important centre commercial des États-Unis, situé sur le trajet menant à la Rivière-Rouge (Manitoba). Vers 1867, Norman Wolfred Kittson* lui avait transféré ses contrats avec des trafiquants de fourrures indépendants de Rupert’s Land et avait commencé à transmettre des commandes de provisions de la Hudson’s Bay Company. En 1869, Hill racheta les intérêts de Litchfield et conclut une entente avec le négociant en combustible Chauncey W. Griggs, puis en 1870 avec le capitaine de vapeur Alexander Griggs. Deux ans plus tard, avec Kittson, les trois hommes formèrent la Red River Transportation Company. Sous la direction de Hill, cette société vint à bout de la concurrence que lui livra un moment, au début de 1875, la Fuller and Milne et, dès 1877, elle exploitait sept vapeurs sur les rivières Rouge et Assiniboine. Pourtant, Hill était convaincu que le transport par bateau n’avait pas d’avenir et s’était déjà mis à agir en conséquence.
En 1869, Hill avait fait la connaissance d’un administrateur de la Hudson’s Bay Company, Donald Alexander Smith, alors de passage à St Paul avant d’aller rencontrer le chef métis Louis Riel* de la part du gouvernement canadien. Les deux hommes d’affaires s’inquiétaient des répercussions du soulèvement de la Rivière-Rouge – en avril 1870, Hill ferait rapport au gouvernement sur la situation à la Rivière-Rouge et offrirait d’y livrer des marchandises – et s’entendaient sur la nécessité d’améliorer le transport. Au cours d’une visite ultérieure, en 1873–1874, Smith proposa à Hill et à Kittson, qui y songeaient déjà, d’acheter le St Paul and Pacific Railroad. Ce chemin de fer avait été placé sous séquestre et son prolongement jusqu’au Manitoba n’était pas achevé. Comme cette opération très risquée était au-dessus de leurs moyens, les associés de St Paul laissèrent Smith, à qui ils transférèrent leur avoir dans la Red River Transportation, et George Stephen*, de la Banque de Montréal, rassembler les fonds, principalement par l’intermédiaire de la J. S. Kennedy and Company de New York et de la banque de Stephen.
Dès novembre 1878, les associés avaient terminé la ligne jusqu’à la frontière ; en avril 1879, les détails juridiques de l’acquisition étaient réglés. Le 23 mai, une nouvelle entité, la St Paul, Minneapolis and Manitoba Railroad Company, commença d’exploiter le chemin de fer ; Stephen en était président, Kittson vice-président et Hill directeur général. Le moment était propice pour la ligne manitobaine, car les Prairies américaines connaissaient une reprise économique et étaient en train de se peupler. De plus, même si la compagnie n’obtiendrait qu’en mai 1880 le droit d’exploiter la ligne jusqu’à Saint-Boniface, au Manitoba, elle rapportait de jolies sommes à ses promoteurs. Hill accéderait à la présidence en 1882 et, dès novembre 1885, sa part dépasserait les 5 millions de dollars. En outre, la ligne donnait aux associés l’expertise, les relations et les capitaux nécessaires à la réalisation d’un projet beaucoup plus ambitieux : achever le transcontinental canadien. Hill accepta de faire partie du consortium organisé plus tard en 1880 par Stephen, malgré ses doutes sur la section qui devait être construite au nord du lac Supérieur. Pour lui, il aurait été logique et plus rentable que la ligne passe par St Paul et se rende à Chicago et à Detroit ou à Sault-Sainte-Marie, en Ontario. Comme pour marquer que son engagement n’était pas sans réserve, il prit la citoyenneté américaine le 18 octobre 1880, trois jours avant que le consortium signe un contrat avec le gouvernement de sir John Alexander Macdonald*.
Hill était assez grand stratège en matière ferroviaire pour savoir que la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique devait construire sa partie ouest près de la frontière pour écarter la concurrence. En 1881, il chargea Albert Bowman Rogers* de trouver un passage par le sud des Rocheuses et, trop occupé pour superviser lui-même les travaux, il convainquit William Cornelius Van Horne de quitter le Chicago, Milwaukee and St Paul et d’accepter la direction générale. Cependant, rien ne put calmer ses appréhensions à propos du chemin de fer canadien du Pacifique. Il se plaignait que les matériaux de construction de celui-ci entravaient le matériel roulant sur sa ligne manitobaine. De plus, il refusait de réduire les tarifs des passagers du chemin de fer canadien du Pacifique en transit sur sa ligne manitobaine et protestait contre les tarifs fixés par cette société ferroviaire pour garder le transport des marchandises au Canada. En 1882, les administrateurs de la ligne manitobaine conclurent une transaction contre laquelle Hill s’éleva : sur l’ordre de Stephen, mais au mépris de la charte de l’entreprise, cette dernière acheta la Compagnie du chemin de fer de colonisation du sud-ouest du Manitoba afin de protéger le monopole de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. En outre, Hill en voulait à Smith et à Stephen de s’être départis d’une portion de leurs intérêts dans la ligne manitobaine, ce qui l’obligeait à déposer ses propres actions en garantie afin d’obtenir des emprunts pour le chemin de fer canadien du Pacifique. Au début de 1883, il en avait assez : le 3 mai, il démissionna du conseil d’administration.
Malgré son succès, la ligne manitobaine restait un transporteur régional. En 1885–1886, cependant, Hill l’associa au Chicago, Burlington and Quincy Railroad, chemin de fer d’une grande importance stratégique car il lui donnait accès à Chicago, aux grandes lignes de l’Est et à de nouveaux capitaux. De plus, Hill révoqua une entente dans laquelle il s’était engagé à ne pas envahir le territoire du Northern Pacific Railroad, dans l’Ouest. Il construisit une ligne jusque dans le Montana en 1887–1888, prolongea la ligne manitobaine jusqu’à Superior, dans le Wisconsin – où il ouvrit un terminus pour céréales et inaugura une ligne de vapeurs modernes pour desservir les Grands Lacs – et réduisit ses tarifs sur tous les fronts. Au début de 1889, il prit l’audacieuse décision de continuer jusqu’au Pacifique, ce qui le propulserait au premier rang des entrepreneurs ferroviaires d’Amérique du Nord.
Les agissements de Hill troublèrent plusieurs de ses bailleurs de fonds de l’Est et amenèrent les administrateurs de la Northern Pacific à envisager une prise en main préventive, mais Stephen et Smith se portèrent à son secours et, ensemble, les associés achetèrent le plus grand nombre possible d’actions de la ligne manitobaine. Déçu du chemin de fer canadien du Pacifique, Stephen promut le projet de Hill vers le Pacifique et, avec Smith, entra au conseil d’administration de la compagnie réorganisée en 1891 sous le nom de Great Northern Railroad. Ce chemin de fer fut construit sans subventions fédérales et, à toutes les étapes – détermination du tracé, construction peu coûteuse mais soignée, recrutement de la clientèle et exploitation –, Hill se montra excellent. Il était d’ailleurs l’un des rares grands administrateurs ferroviaires pour qui les détails de l’exploitation n’avaient pas de secret. L’inauguration de la ligne reliant Puget Sound, dans l’État de Washington, à St Paul et Duluth, au Minnesota, eut lieu le 6 janvier 1893, année où il devint président.
Le Great Northern était dans une bonne situation quand survint la dépression de 1893, contrairement au Northern Pacific. Après que leur concurrent eut été placé sous séquestre, Hill et Stephen envisagèrent de l’acheter. Bien que la Minnesota Circuit Court ait interdit cette transaction en 1895, les associés prirent peu à peu le contrôle du Great Northern, si bien que, dès 1901, les deux compagnies n’en formaient en fait plus qu’une. Toujours en 1901, Hill acquit le Chicago, Burlington and Quincy. Les lois antitrusts n’autorisaient pas la fusion sur le plan de l’exploitation, mais à la fin de 1901, pour raffermir la position des propriétaires et empêcher toute prise en main par le géant des chemins de fer Edward Henry Harriman, Hill créa la Northern Securities Company Limited, où l’on plaça les titres des trois chemins de fer. Toutefois, le président Theodore Roosevelt entama des poursuites antitrusts l’année suivante et, en 1904, la Cour suprême ordonna la liquidation de cette entreprise. Ses composantes ferroviaires furent redistribuées et, même si la Northern Securities survécut comme société de portefeuille, l’affaire consterna Hill : « Pour nous qui avons pris, avant toutes les autres compagnies de l’Ouest, l’initiative d’ouvrir le pays et de faire du transport au plus bas prix, il est vraiment dur d’être obligés, pour survivre, de lutter contre les politicailleurs qui n’ont jamais rien fait d’autre que prendre des poses et toucher un salaire. » Replacé dans son contexte, le recul subi par Hill était mineur : dès 1906, les deux tiers des voies ferrées des États-Unis appartenaient à quatre groupes dont l’un était formé par l’alliance de Hill, de John Pierpont Morgan et des Vanderbilt.
Comme ils étaient proches de la frontière et avaient des embranchements vers le nord, le Great Northern et le Northern Pacific jouaient un rôle dans le transport au Canada. De son côté, comme elle possédait ou louait des chemins de fer aux États-Unis, la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique raflait une partie du trafic américain. Dès 1888, Stephen et Smith avaient pris le contrôle du Minneapolis, St Paul and Sault Ste Marie afin qu’il échappe au Grand Tronc et ils croyaient que Hill le leur enlèverait. Celui-ci n’en avait nullement l’intention et se plaignit amèrement. La ligne « Soo » du chemin de fer canadien du Pacifique, qui fut achevée en 1893 et qui reliait Moose Jaw (Saskatchewan) à Sault-Sainte-Marie en passant par Minneapolis, le préoccupait aussi. Lorsque Stephen s’associa au Great Northern, Hill offrit d’acheter la ligne « Soo », mais à la condition qu’il y ait entente sur le partage du trafic – ce que, il en était sûr, Van Horne refuserait. Quand même, vers 1895, le chemin de fer canadien du Pacifique était bien installé dans l’arrière-cour de Hill, c’est-à-dire dans le Dakota du Nord et le Minnesota. Hill riposta en le défiant en Colombie-Britannique et au Manitoba.
Au cours de son expansion vers l’Ouest, Hill entra en contact avec sir Alexander Tilloch Galt*, qui en 1885–1886 cherchait à relier au Northern Pacific ses mines de charbon de Lethbridge (Alberta). Hill doutait de la rentabilité d’une telle liaison (il y avait encore des gisements à exploiter au Montana), mais il craignait qu’elle ne lui nuise. Aussi fut-il heureux que Stephen lui garantisse qu’aucune charte ne pouvait être valide à cause du monopole du chemin de fer canadien du Pacifique. Après l’annulation du monopole en 1888 [V. Thomas Greenway*], Galt construisit une ligne jusqu’à Great Falls, dans le territoire du Montana, où Hill et d’autres mettaient en place des installations hydroélectriques et des fonderies. Cette fois, sachant que Galt détenait une charte qui l’autorisait à prolonger sa ligne jusqu’aux riches gisements houillers de la passe du Nid-du-Corbeau, Hill se montra intéressé et, en 1890, il donna à Galt un contrat de charbon. En 1901, le fils de Galt, Elliott Torrance*, incapable de financer des travaux sur le chemin de fer reliant Lethbridge au Montana, l’offrit à Hill, qui accepta de prendre la section américaine à condition que Galt élargisse la section canadienne.
À ce moment-là, Hill était encore plus attiré par les possibilités qu’offrait le sud-est de la Colombie-Britannique, particulièrement les régions de la passe du Nid-du-Corbeau et de Kootenay. En 1891, le député provincial James Baker lui avait offert des gisements houillers dans la passe du Nid-du-Corbeau et une charte qu’il détenait, celle du British Columbia Southern Railway, mais Hill avait refusé. Baker se tourna alors vers la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, et Hill s’employa à relier les tronçons de son propre chemin de fer. Le Kaslo and Slocan Railway fut construit de Sandon au lac Kootenay, où il rejoignait les vapeurs d’une autre entreprise de Hill, l’International Navigation and Trading Company Limited. Le Bedlington and Nelson vint relier le lac à la frontière et rejoindre le Great Northern dans l’Idaho par le Kootenai Valley Railway. En 1898, ces tronçons furent rassemblés sous la raison sociale de Kootenay Railway and Navigation Company, société dominée par un consortium anglais mais financée par Hill. En même temps, Hill s’assura le contrôle sur l’autre accès américain à la région de Kootenay en achetant de la Northern Pacific [V. Daniel Chase Corbin] le Spokane Falls and Northern Railway et ses filiales.
Même si l’on commençait à considérer que Hill faisait contrepoids à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique en Colombie-Britannique, il espérait que ce chemin de fer, le Great Northern et le Northern Pacific pourraient s’en tenir chacun à leur propre territoire. Une entente conclue en 1898 entre Hill et Van Horne sur la fixation des tarifs et la répartition du fret tint jusqu’en 1901, année où Hill, qui ne s’attendit probablement jamais à une entente permanente, fit une nouvelle incursion dans le sud de la Colombie-Britannique en vue de drainer le trafic vers les lignes du Great Northern aux États-Unis [V. John Hendry]. Hill sentait que les opérations minières et le potentiel d’investissement dans les gisements houillers avaient progressé au point qu’il pouvait valoir la peine de défier la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. En outre, il était en train de nouer une alliance avec William Mackenzie* et Donald Mann*, de la Canadian Northern. En achetant d’eux la Vancouver, Victoria and Eastern Railway and Navigation Company et en la combinant à plusieurs entreprises plus petites, il relia le littoral à la région de Kootenay par sa grande ligne américaine. L’influence exercée en sa faveur par Mann sur le gouvernement provincial lui permit, malgré l’opposition de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, d’obtenir une charte pour le Crow’s Nest Southern Railway. Pour s’assurer du trafic – surtout du charbon et du coke pour le marché américain –, lui-même et ses associés achetèrent suffisamment d’actions de la Crow’s Nest Pass Coal Company Limited pour en prendre le contrôle en 1906. De même, il investit beaucoup dans des sociétés minières et, dès 1905, il avait réussi à arracher à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique la plus grande partie du transport de minerai et de charbon.
La concurrence au Manitoba était plus symbolique que réelle. En 1897, Hill avait acheté de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique le Duluth and Winnipeg, qui avait des chances de lui nuire. Cependant, s’opposer publiquement à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, surtout à compter, de 1900, sous les gouvernements successifs de Hugh John Macdonald* et de Rodmond Palen Roblin*, s’avéra plus efficace. Tout comme les dirigeants de ce chemin de fer, Hill s’inquiétait de la location du chemin de fer du Pacifique du Nord et Manitoba par la province. En janvier 1901, en faisant valoir que des tarifs fixés par la province nuiraient à leurs réseaux, Thomas George Shaughnessy*, président de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, pressa Hill d’acheter la ligne du Pacifique du Nord et Manitoba parce que la loi interdisait à sa propre entreprise de le faire. Hill refusa. Il estimait que Mackenzie et Mann payaient la location trop cher, mais il devait être heureux que la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique ait un nouveau rival. Toutefois, il n’abandonna pas entièrement le Manitoba aux intérêts de plus en plus tentaculaires de Mackenzie et de Mann. En 1901, après avoir pris le contrôle de la Northern Pacific, il en rassembla les filiales manitobaines au sein d’une nouvelle entreprise, la Manitoba Railway Company. Deux ans plus tard, il obtint des chartes pour la Midland Railway Company of Manitoba et le Brandon, Saskatchewan and Hudson’s Bay Railway. En 1909, les tronçons du Midland qui étaient en exploitation et qui coupaient la ligne « Soo » au nord et au sud furent transférés à une entreprise nouvellement formée, la Manitoba Great Northern Railway Company.
Selon son rapport annuel de 1916, la Great Northern avait des actifs canadiens d’une valeur de 37 millions de dollars. En raison de cet investissement et des liaisons entre ses chemins de fer canadiens et américains, Hill était devenu un joker dans la partie de cartes dont l’enjeu était un deuxième transcontinental canadien [V. Charles Melville Hays]. Il était aussi devenu un partisan déclaré de la réciprocité. Au moins à compter de 1903, il ne cessa pas, dans des discours et des entrevues, d’exposer les « nouvelles tendances du commerce ». En public, il mettait l’accent sur l’unité géographique : « Le Canada n’est rien d’autre qu’une portion de l’Ouest de notre pays qui a été coupée de nous par les aléas de l’occupation originelle et des ententes diplomatiques ultérieures. » Si le Canada ne s’intégrait pas à l’économie américaine, dit-il en 1905 au président de l’Illinois Manufacturers Association, il deviendrait « [le] plus formidable concurrent [des États-Unis] ». En privé, il reconnaissait que, si le charbon était admis aux États-Unis sans droits de douane, ses investissements dans la passe du Nid-du-Corbeau prendraient de la valeur. Hill exerça de fortes pressions – il plaida même auprès du président William Howard Taft – mais, au bout du compte, il fut déçu : l’entente de réciprocité prit fin avec la chute du gouvernement de sir Wilfrid Laurier aux élections de 1911.
Le biographe Albro Martin a conclu que les entreprises canadiennes de Hill, mues par son « agressivité contenue » envers la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, représentaient des « millions de dollars d’investissements sans espoir ». Même si elles furent moins rentables que ses entreprises américaines – conclusion probable mais non encore étayée –, elles révèlent le chevauchement des réseaux ferroviaires transcontinentaux. Les chemins de fer de Hill au Canada ne totalisaient pas un millage impressionnant – 600 milles seulement au début de la Première Guerre mondiale – et en déterminer la rentabilité est peut-être impossible. Leur importance était surtout politique et stratégique : ils offraient un trajet différent de celui des transcontinentaux est-ouest et pouvaient leur faire concurrence. La possibilité d’un trajet nord-sud moins coûteux dans les Prairies canadiennes avait été évoquée dès que l’on avait commencé à envisager la construction d’un chemin de fer jusqu’au Pacifique. La remarquable longévité du groupe connu officieusement sous le nom de George Stephen and Associates – près de 40 ans – est encore plus significative. Hill y contribua à la fois par l’inventivité qu’il manifestait dans la conception et l’intégration de réseaux complexes de transport ferroviaire et maritime et par sa maîtrise du détail des opérations. Parmi les entrepreneurs ferroviaires d’Amérique du Nord les mieux renseignés sur les opérations figuraient probablement Hill, Van Horne, Harriman et Collis Potter Huntington, du Southern Pacific/Chesapeake and Ohio.
Hill exigeait des renseignements précis sur les coûts et l’efficacité de ses entreprises et laissait peu de latitude à ses administrateurs. Sa présence se faisait sentir partout au moyen du système comptable qu’il imposait à ses compagnies. Son financier anglais Gaspard Farrer, directeur de la Baring Brothers, a expliqué, au sujet de la feuille d’exploitation conçue par Hill pour ses chemins de fer : « Une fois que l’on a saisi les principes, il faut moins de dix à vingt minutes par mois pour comprendre le contenu [...] En fait, telle une photographie instantanée prise chaque mois, la feuille montre le travail de chaque homme qui dépense de l’argent [...] et où et comment il le dépense. » Hill était moins pointilleux lorsqu’il s’agissait de tenir au courant ses associés et les investisseurs. Par moments, il masquait la réelle force financière de ses entreprises. Ses rapports annuels pouvaient être délibérément obscurs. Hill ne voulait pas que ceux qui appliquaient les règlements connaissent la rentabilité de ses trajets, car il craignait de leur part des réductions de tarif. Au lieu de distribuer une quantité déraisonnable de profits, il réinvestissait, mais il camouflait ces opérations dans les frais d’exploitation et faisait miroiter à ses associés la prochaine valorisation de leur avoir. En plus, ce génie de la finance avait une longue expérience des activités bancaires. Administrateur de banques à New York et à Chicago, il appartint au conseil d’administration de la First National Bank de St Paul de 1880 à 1912, année où il prit le contrôle de la Second National Bank et fusionna les deux établissements.
Diriger son empire exigeait de la part de Hill une attention indéfectible et, à l’occasion, il était épuisé physiquement et mentalement. Il n’était pas d’humeur joyeuse, car il anticipait des problèmes qui, parfois, ne se matérialisaient pas. « Il ne s’emballe pas », nota Farrer en 1897. Vers 1906, il commença à réduire ses activités. En 1907, son fils Louis Warren lui succéda à la présidence de la Great Northern. Lui-même resta président du conseil d’administration durant encore cinq ans.
Quand il ne travaillait pas, Hill lisait avidement (Burns et Milton figuraient parmi ses auteurs favoris). Chaque année, il attendait avec impatience le moment d’aller pêcher le saumon dans la rivière Saint-Jean, à l’ouest des îles de Mingan, au Québec, où il acheta des droits exclusifs en 1899. En outre, il collectionnait des œuvres d’art avec une minutie égale à celle qu’il consacrait à ses affaires. Il installa ses 285 tableaux, acquis à compter de 1881 pour une somme de 1,7 million de dollars, dans ce que le New York Journal appela en 1892 « une galerie d’art modèle située dans un palais américain privé ». Les visiteurs – classes de beaux-arts des collèges, hommes politiques et dignitaires en visite, hommes d’affaires, amis – pouvaient voir sa collection après avoir obtenu des billets de son secrétaire.
Aussi somptueuse qu’ait été sa résidence de St Paul, James Jerome Hill se sentait chez lui surtout dans sa ferme de 3 000 acres, North Oaks, un peu au nord-ouest de St Paul. Il s’y délassait en s’adonnant à des expériences d’agriculture et d’élevage dont il pouvait parler abondamment au cours de ses chères causeries publiques. Malgré toutes ses occupations, il était dévoué à sa famille. Il n’appartenait à aucune Église mais s’accommodait de la religion de sa femme, Mary Theresa Mehegan, et la soutenait dans ses efforts pour diriger leur foyer selon de stricts principes catholiques. Absorbé par mille préoccupations, il avait tendance à négliger sa santé. En 1916, des hémorroïdes non traitées se gangrenèrent. Les médecins ne purent contenir l’infection. Hill tomba dans le coma et mourut.
Les publications de James Jerome Hill comprennent : « History of agriculture in Minnesota », Minn. Hist. Soc., Coll. (St Paul), 8 (1898) : 275–290 ; Development of the northwest ; address delivered before the Chicago Commercial Association, October 6, 1906 ([Chicago ?, 1906 ?]) ; The nation’s future : address delivered at the Minnesota State Fair, St. Paul, Minnesota, September 3, 1906 ([St Paul, 1906]) ; Address delivered before the Kansas City, Mo., Commercial Club, November 19, 1907 ([Kansas City, 1907]) ; Address at the dedication of Stephens Hall, Crookston, Minn., September 17, 1908 ([Crookston, 1908]) ; Address delivered at the Chicago convention of the Lakes-to-the-Gulf Deep Waterway Association [...] ([St Louis, Mo. ?, 1908]) ; Address delivered at the Memorial Day exercises, Auditorium, St. Paul, May 30, 1908 ([St Paul, 1908]) ; Address delivered before the Farmers’ National Congress, Madison, Wisconsin, September 24, 1908 ([Madison, 1908]) ; The future of rail and water transportation [...] (New York, 1908) ; The natural wealth of the land and its conservation [...] ([Washington ?, 1908]) ; Highways of progress (Toronto, 1910) ; Traffic growth and terminal needs [...] ([Minneapolis, Minn., 1910]) ; Brief history of the Great Northern Railway system ([St Paul ?, 1912]) ; The country’s need of greater railway facilities and terminals [...] ([New York ?, 1912]) ; Credit and railways after the war [...] ([St Louis ?], 1914) ; et How to help business [...] (Chicago, 1915).
Les papiers Hill sont conservés à la James Jerome Hill Reference Library à St Paul.
Minn. Hist. Soc. Research Center (St Paul), Great Northern Railway Company papers ; Northern Pacific Railway Company papers.— « Art collection comes « home », Minn. Hist. News (St Paul), 32 (mai–juin 1991) : 1.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— J. A. Eagle, The Canadian Pacific Railway and the development of western Canada, 1896–1914 (Kingston, Ontario, 1989).— Heather Gilbert, The life of Lord Mount Stephen [...] (2 vol., Aberdeen, Écosse, 1965–1977).— Dolores Greenberg, « A study of capital alliances : the St. Paul & Pacific », CHR, 57 (1976) : 25–39.— Julius Grodinsky, Transcontinental railway strategy, 1869–1893 : a study of businessmen (Philadelphie, 1962).— Homecoming : the art collection of James J. Hill, J. H. Hancock et al., compil. (St Paul, 1991).— Albro Martin, James J. Hill and the opening of the northwest (New York, 1976 ; réimpr., introd. de W. T. White, St Paul, 1991).— A. A. den Otter, Civilizing the west : the Galts and the development of western Canada (Edmonton, 1982).— J. G. Pyle, The life of James J. Hill (2 vol., Garden City, N.Y., 1917).
David G. Burley, « HILL, JAMES JEROME », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hill_james_jerome_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hill_james_jerome_14F.html |
Auteur de l'article: | David G. Burley |
Titre de l'article: | HILL, JAMES JEROME |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |