Charles Jeffery Peters (1773–1848) figure parmi les loyalistes qui partirent pour la Nouvelle-Écosse en 1783 après la guerre d’Indépendance américaine. La famille Peters s’établit dans un lieu qui deviendrait Saint-Jean et aurait de l’influence au Nouveau-Brunswick durant plusieurs générations. On avait prévenu Peters qu’il aurait du mal à subvenir à ses besoins en tant qu’avocat, mais il connut le succès avec son cabinet privé et reçut de nombreuses charges publiques, dont celles de solliciteur général et de procureur général, même s’il affirma un jour avoir de la difficulté à faire vivre sa famille « convenablement et confortablement ». Homme aux opinions conservatrices, Peters appuyait le gouvernement et, pendant un procès en 1800, il défendit l’esclavage.

PETERS, CHARLES JEFFERY, avocat, fonctionnaire, juge et homme politique, né le 8 octobre 1773 à Hempstead, New York, deuxième fils de James Peters et de Margaret Lester ; le 23 novembre 1797, il épousa dans le Haut-Canada Elizabeth Baker, et ils eurent 12 enfants, puis le 19 novembre 1823 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, Marianne Elizabeth Forbes, et de ce mariage naquirent 9 enfants ; décédé le 3 février 1848 à Salamanca Cottage, tout près de Fredericton.

Charles Jeffery Peters reçut d’abord le prénom de Jeffery en l’honneur de sir Jeffery Amherst*, puis celui de Charles après la mort de son frère cadet en 1775. Au printemps de 1783, il s’embarqua avec son père pour la Nouvelle-Écosse, et ils arrivèrent à Parrtown (Saint-Jean) en mai. James Peters, qui avait signé la célèbre pétition des 55 [V. Abijah Willard*], était l’une des grandes figures de l’élite loyaliste.

Pendant plusieurs générations, la famille Peters allait avoir de l’influence au Nouveau-Brunswick. James Peters fut nommé juge de paix et juge de la Cour inférieure des plaids communs du comté de Queens peu après son arrivée ; plus tard, il devint lieutenant-colonel dans la milice de ce comté. En 1792, on l’élut à la chambre d’Assemblée et il y demeura jusqu’à sa retraite en 1816. Parmi les frères de Charles Jeffery, plusieurs remplirent des fonctions d’envergure : Thomas Horsfield fut juge de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments du comté de Northumberland de 1825 à 1851 et membre du Conseil législatif de 1845 jusqu’à sa mort en 1860 ; Harry siégea à l’Assemblée de 1816 à 1828 puis fit partie du Conseil exécutif de 1828 à 1832 et du Conseil législatif de 1828 à 1843 ; William Tyng devint greffier du Conseil législatif en 1833 et Benjamin Lester* magistrat de police de Saint-Jean en 1849. Sa sœur Sarah se maria avec Thomas Wetmore*, procureur général de 1809 à 1828 ; son neveu James Horsfield Peters* fut juge de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard et il épousa la fille aînée de sir Samuel Cunard* ; l’une de ses nièces, Mary, épousa Joseph Cunard* (frère de Samuel), qui siégea successivement à l’Assemblée, au Conseil législatif et au Conseil exécutif ; un autre neveu, Benjamin Lester Peters, cumula les postes de greffier municipal et de magistrat de police de Saint-Jean, en plus d’être juge de la Cour de comté pour la ville et le comté de Saint-Jean ; enfin, un cousin, William Peters, exerça la fonction de juge de paix et, dans les années 1820, fit partie de la chambre d’Assemblée.

Peters commença à étudier le droit en 1791 chez l’avocat Ward Chipman* père, bien que ce dernier se soit montré pessimiste quant aux possibilités de faire une carrière juridique au Nouveau-Brunswick. Chipman se rappela plus tard avoir averti James Peters « que la pratique du droit allait si mal dans la province et les provinces voisines que [son] fils pourrait attendre longtemps avant d’être en mesure de subvenir à ses besoins grâce à cette profession ». Peters devint avocat en 1794 et, à la demande de son père, commença à exercer au Nouveau-Brunswick. Mais l’avertissement de Chipman était bien fondé, et il alla s’établir au Canada. En 1796, le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, John Graves Simcoe*, l’autorisa à exercer dans cette province. James Peters dut alors faire face à la requête de Chipman, qui réclamait le paiement des études de Charles Jeffery.

Après avoir pratiqué sa profession à Kingston pendant une courte période, Peters retourna à Saint-Jean. Le 9 janvier 1799, il accepta le poste de greffier municipal, et devint du même coup greffier de la Cour des sessions trimestrielles, greffier de la Cour de comté et greffier de la Cour inférieure des plaids communs. (Il détint cette commission jusqu’au 3 juin 1825, et un neveu, James Peters, le remplaça alors.) Le 5 octobre 1799, il occupa les postes de surrogate adjoint et de juge de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments du comté de Saint-Jean, auxquels l’avait nommé le surrogate general Edward Winslow*. Il allait assumer ces fonctions jusqu’à ce qu’il prenne un congé exceptionnel en 1827, à une époque où il était aussi solliciteur général ; on lui trouva un remplaçant permanent pour les deux premiers postes en 1828. Peters cumula aussi les charges de juge de la Cour municipale et d’archiviste de la ville et du comté de Saint-Jean. Le 8 février 1808, il devint juge de la Cour de vice-amirauté.

La clientèle du cabinet que Peters tenait à Saint-Jean augmenta considérablement quand on nomma juges en 1809 ses principaux concurrents, Chipman et Jonathan Bliss*, et qu’il devint le doyen des avocats en exercice dans la province. On a dit que pendant de nombreuses années aucun autre membre du barreau ne connut des affaires aussi lucratives que celles de Peters ; ce dernier se fit d’ailleurs construire « une très belle résidence de pierre » à l’intérieur de la ville. Mais il ne tirait pas toujours des récompenses importantes des causes qu’on lui confiait. En 1810, il défendit sans succès le révérend James Innis, ministre baptiste accusé d’avoir violé la législation matrimoniale de la province ; peu après, il fut le conseiller juridique de Henry More Smith, un évadé de prison que Walter Bates immortalisa dans son livre intitulé The mysterious stranger [...], publié à New Haven, au Connecticut, en 1817.

Procureur général

Le 24 mai 1823, on nomma Peters conseiller du roi et, le 25 mars 1825, il succédait à Ward Chipman* fils au poste de solliciteur général. Le lieutenant-gouverneur sir Howard Douglas*, qui le décrivit comme « un gentleman talentueux, intègre et très versé en droit », le chargea le 7 septembre 1828 de remplacer son beau-frère Thomas Wetmore au poste de procureur général (Robert Parker* devint alors solliciteur général). Comme ses nouvelles responsabilités exigeaient qu’il consacre presque tout son temps aux affaires gouvernementales, Peters dut déménager à Fredericton et fut du même coup obligé de résigner ses charges juridiques. Il dut aussi renoncer à la plus grande partie de sa clientèle privée, car Fredericton était « un village retiré de l’intérieur » qui offrait moins de débouchés. Mais le sacrifice en valait sans aucun doute la peine puisque la charge de procureur général, si elle ne rapportait qu’un traitement fixe de £150, comprenait aussi des honoraires importants qui portaient normalement la rémunération à plus de £1 000 par année, « somme à peine suffisante, affirmait néanmoins Peters, pour entretenir une famille et la faire vivre convenablement et confortablement ».

La charge de procureur général s’avéra cependant moins lucrative que ne l’avait espéré Peters. En 1828, le commissaire des Terres de la couronne, Thomas Baillie*, décida de confier à l’avocat général, George Frederick Street*, les poursuites contre les personnes qui abattaient illégalement des arbres, et priva ainsi Peters d’une source importante d’honoraires. De plus, comme son prédécesseur était mort insolvable, on ne put payer Peters pour des travaux dont il dut s’occuper et que Wetmore avait laissés en suspens après avoir touché des avances importantes. Enfin, pendant la réorganisation du système de concession des terres, de 1827 à 1831, le procureur général cessa de jouer le rôle de premier responsable de la préparation des concessions, rôle que l’on confia plutôt au commissaire des Terres de la couronne : les honoraires que Peters recevait à ce titre furent cédés en 1830 contre la somme de £400. Peters affirma que ce montant n’était pas assez élevé et présenta à Londres une requête pour obtenir une compensation, mais ce fut peine perdue.

Même s’il se plaignait, Peters demeurait pourtant l’un des fonctionnaires les mieux payés de la colonie : sa rémunération était au moins aussi considérable que celle de n’importe quel juge puîné, et il avait probablement réussi à se former une vaste clientèle privée. En 1834, après la mort de John Saunders*, il postula l’emploi de juge en chef, mais on dérogea à la « procédure normale » de nomination et on donna la préférence à Ward Chipman fils, qui avait des relations mieux placées à Londres ; on n’offrit pas non plus à Peters, apparemment parce qu’on présumait qu’il le refuserait, le poste de juge devenu vacant par suite de la promotion de Chipman et dont le titulaire était moins bien rétribué. Le 22 octobre 1834, Peters présida la réunion organisée par le barreau pour protester contre la nomination à ce poste d’un avocat britannique, James Carter* ; il fit toutefois preuve de sollicitude à l’égard de ce dernier en ne signant pas la pétition préparée pendant cette réunion. Au cours des années qui suivirent, pendant que les recettes du bureau des terres s’accroissaient et que les responsabilités de Peters augmentaient, celui-ci continua de faire opposition à la décision concernant la somme qu’il avait reçue à titre de compensation ; il prétendait que la perte d’honoraires qu’il avait subie le privait de £700 par année. Pourtant, il refusa en 1845, probablement parce qu’il était trop âgé et peut-être aussi pour des raisons financières, de poser sa candidature au poste de juge qui était sans titulaire depuis la démission de William Botsford*.

La principale responsabilité de Peters à titre de procureur général consistait à défendre les intérêts de la couronne devant les tribunaux et à intenter des poursuites publiques. C’est en partie pour toucher les honoraires auxquels elles donnaient droit que Peters mena lui-même, pendant de nombreuses années, presque toutes les poursuites publiques engagées par le gouvernement dans la colonie. Quelques causes attirèrent sur lui l’attention de la population, en particulier en 1828 et 1831 quand il engagea des poursuites contre des Américains entrés illégalement dans le territoire contesté de la Madawaska. Pendant tout son mandat, Peters fut mêlé aux problèmes liés à la transmission graduelle à l’Assemblée de l’autorité que le lieutenant-gouverneur exerçait sur les terres et les forêts du Nouveau-Brunswick : il émit des avis sur la légalité du droit de propriété portant sur les terres concédées avant 1784, ainsi que sur les actions de Thomas Baillie. À titre de procureur général, Peters était aussi président du barreau et assistait aux réunions de cet ordre. Il fut également un membre actif de la Law Society of New Brunswick fondée en 1825 et contribua à sa réorganisation en 1844, année où elle prit le nom de Barristers’ Society. Mais les apparences donnent à penser que Peters ne fut pas un membre particulièrement remarquable du barreau. Peu d’étudiants en droit séjournèrent dans ses différents cabinets ; et ceux qui le firent semblent avoir étudié sous la direction de son associé et gendre, Abraham K. Smedus Wetmore ; en fait, le seul dont on est certain qu’il étudia le droit avec lui est William Boyd Kinnear*. Enfin, Peters ne fut jamais appelé à faire partie des commissions juridiques formées pendant qu’il était procureur général.

Comme on pouvait s’y attendre, Peters professa surtout des opinions conservatrices. En 1800, par exemple, il fut l’un des avocats qui se précipitèrent pour défendre l’esclavage [V. Caleb Jones*]. Quant à ses idées religieuses, il semble qu’elles étaient éloignées des extrêmes ; il pensait que l’Église d’Angleterre, dont il était un adepte, ne devait pas se reposer sur le gouvernement ni compter sur quelque forme d’« aide extrinsèque » que ce soit. Mais en politique Peters se fit l’ardent champion de la prérogative royale. En 1833, il défendit le droit du lieutenant-gouverneur, sir Archibald Campbell, de percevoir des redevances, même quand le juge en chef John Saunders nia la légalité d’un tel geste. Quelques mois plus tard, Campbell recommanda que Peters devienne membre du Conseil législatif mais, même si le lieutenant-gouverneur le décrivit plus tard comme « un fonctionnaire des plus dévoués et efficaces », Peters n’appartint jamais à la petite chapelle sur laquelle il comptait pour recevoir des avis. Peters ne joua jamais non plus un rôle important dans les délibérations du conseil. En 1837, la décision de céder à l’Assemblée les revenus de la couronne le consterna, comme elle atterra la majorité des fonctionnaires nommés à titre définitif, mais il n’essaya pas de faire obstacle à l’exécution de la nouvelle politique. Il put ainsi continuer d’être dans les bonnes grâces du lieutenant-gouverneur, sir John Harvey*, qui appuya la demande de compensation qu’il présenta quand l’Assemblée décida en 1837 de ne plus accorder annuellement au procureur général une somme de £100 à titre de provision. En fait, si Peters conserva sa charge de procureur général pendant les changements politiques tumultueux qui marquèrent la période allant de 1830 à 1850, c’est parce qu’il ne chercha jamais à acquérir une influence semblable à celle qu’exercèrent certains procureurs généraux qui, comme John Beverley Robinson* du Haut-Canada, jouèrent un rôle actif dans le monde politique. Peters fut le dernier procureur général du Nouveau-Brunswick à occuper ce poste à vie. En 1846, soit pendant le mandat du lieutenant-gouverneur sir William MacBean George Colebrooke*, on le nomma au Conseil exécutif.

Il est peu probable que Charles Jeffery Peters aurait pu garder son poste de procureur général, sans faire jouer des influences politiques, pendant la transition vers le gouvernement responsable ; il n’eut cependant pas à relever ce défi puisqu’il mourut le 3 février 1848, « après une maladie brève mais grave ». Quatorze de ses 21 enfants lui survécurent ; ils héritèrent de 22 lots de ville (des constructions s’élevaient sur certains) situés à Fredericton ou à Saint-Jean et dont la location rapportait annuellement £553, ainsi que de 30 lots de ville non loués et d’une ferme près de Fredericton. De 1848 à 1860, les exécuteurs testamentaires de Peters versèrent £7 131 2s 6d ; en 1878, au règlement final de la succession, on versa encore 5 989,74 $. C’est donc un héritage considérable que laissa Peters.

Phillip Buckner et Burton Glendenning

On trouve quelques mentions de Peters dans les documents du ministère des Colonies, plus particulièrement au PRO, CO 188/37 : 140 ; 188/41 : 250–252 ; 188/43 : 257–258 ; 188/45 : 153–159 ; 188/46 : 9–11, 38–39 ; 188/49 : 328–331 ; 188/52 : 93–98, 381–382 ; 188/59 : 298–299, 301–311 ; dans les registres des nominations aux APNB, plus particulièrement RG 3, RS538, B5 et I1 ; dans les papiers Winslow, à la UNBL, MG H2, 9 : 115 ; et dans les papiers Harvey, aux APC, MG 24, A17, sér. ii, 4 : 1161–1162. Il existe au Musée du N.-B. une petite collection de papiers de la famille Peters. On trouve des renseignements généalogiques utiles dans A Peters lineage : five generations of the descendants of Dr. Charles Peters, of Hempstead, M. B. Flint, compil. ([Poughkeepsie, N.Y., 1896]) ; Observer [E. S. Carter], « Linking the past with the present », Telegraph-Journal (Saint John, N.-B.), 30 sept.–23 oct. 1931 ; et dans la New-Brunswick Royal Gazette, 2 déc. 1823. La seule étude importante est celle de Lawrence, Judges of N.B. (Stockton et Raymond).

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Phillip Buckner et Burton Glendenning, « PETERS, CHARLES JEFFERY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/peters_charles_jeffery_7F.html.

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Auteur de l'article:    Phillip Buckner et Burton Glendenning
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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