Jeune homme plein d’ardeur, Jonathan Bliss (1742–1822) fut souvent mêlé à des conflits l’opposant aux autorités du Harvard College avant de s’assagir et d’étudier le droit. Il partit en Angleterre au déclenchement de la guerre d’Indépendance américaine. En tant que procureur général du Nouveau-Brunswick, il eut peu de tâches à accomplir, même après son entrée à la chambre d’Assemblée en 1785. Dans le cadre de sa pratique privée, il représenta Benedict Arnold et, lors d’un procès en 1800, défendit l’esclavage. (Aucun jugement ne fut prononcé.) Déprimé par ses perspectives financières, démoralisé par le « sale climat froid » et anéanti par la mort prématurée de sa femme, il ne s’engagea que très peu dans les affaires de la colonie.
Titre original :  Judge Jonathan Bliss of Springfield, Massachusetts

Provenance : Lien

BLISS, JONATHAN, avocat, fonctionnaire, homme politique et juge, né le 1er octobre 1742 à Springfield, Massachusetts, cinquième enfant de Luke Bliss et de Mercy Ely ; le 11 juillet 1790, il épousa dans la même ville Mary Worthington, et ils eurent quatre fils ; décédé le 1er octobre 1822 à Fredericton.

Les ancêtres de Jonathan Bliss quittèrent l’Angleterre pour le Massachusetts en 1635, et une branche de la famille s’établit à Springfield, où Jonathan vint au monde. Les Bliss acquirent avec les années des biens et du prestige dans l’ouest du Massachusetts, et Jonathan alla rejoindre, à l’âge de 15 ans, les fils de l’élite coloniale au Harvard Collège. Jeune homme plein d’ardeur qui rejetait la morale puritaine, il fut souvent mêlé à des conflits l’opposant aux autorités du collège. En 1761, il fut renvoyé parce qu’il avait pris part à des désordres ; réadmis l’année suivante, il obtint une licence ès arts en 1763 et, plus tard, une maîtrise ès arts pour avoir soutenu la proposition que « les descendants d’esclaves ne sont pas nés esclaves ». Après avoir obtenu sa licence, il étudia le droit à Boston et à Cambridge aux cabinets de Thomas Hutchinson et d’Edmund Trowbridge ; il commença à pratiquer à Wilbraham en 1764. Même si Joseph Wilson Lawrence* le considéra par la suite comme « un des principaux membres du barreau du Massachusetts », Bliss n’eut, semble-t-il, qu’une clientèle locale fort limitée, et il prit tout au plus une part secondaire à l’organisation de la profession d’avocat dans la colonie. Il se fit une plus grande réputation comme homme politique. Suivant les traces de son père, qui avait siégé à la Général Court du Massachusetts, Jonathan fut élu en 1768 pour représenter Springfield et Wilbraham. Le 21 juin 1768, le gouverneur Francis Bernard demanda à la Général Court d’annuler une résolution qui dénonçait les taxes imposées par Charles Townshend en 1767. Le 30 juin, Bliss se rallia aux 17 députés minoritaires qui s’opposèrent à la distribution d’une lettre circulaire dans laquelle on critiquait la politique de taxation des Britanniques ; du Massachusetts à la Virginie, les journaux le condamnèrent en affirmant que son nom allait être « un déshonneur pour les générations à venir ».

L’origine du loyalisme de Bliss n’est pas difficile à établir. Membre d’une famille qui s’élevait dans la société, il comptait sur la couronne pour obtenir de l’avancement, comme un grand nombre d’avocats de sa génération. Il avait étudié le droit chez deux éminents loyalistes et il demeura en rapports étroits avec Hutchinson. À titre de gouverneur intérimaire du Massachusetts, celui-ci le nomma juge de paix le 9 mai 1770 et, en qualité de gouverneur, il lui accorda une commission de major dans la milice le 23 avril 1771. Cependant, Bliss n’avait pas l’étoffe d’un martyr. Après 1768, il ne chercha pas à se faire réélire aux élections législatives et, le 30 août 1774, lorsque le palais de justice de Springfield fut occupé par une foule d’émeutiers, il prit l’engagement de ne remplir aucune charge sous l’empire des Coercive Acts. Il signa également un pacte de non-consommation de biens britanniques.

Après la bataille de Lexington, Bliss s’embarqua pour l’Angleterre avec son ami intime et camarade de classe à Harvard, Sampson Salter Blowers*, qui avait étudié lui aussi chez Hutchinson. À Londres, Hutchinson se servit de son influence auprès de lord North pour procurer une sinécure à Bliss : un poste d’avocat aux Douanes. Un grand nombre parmi les loyalistes importants qui immigrèrent en Angleterre furent décus de leurs années passées en exil, mais Bliss garda un bon souvenir de cette expérience. En tant que protégé de Hutchinson, il fréquenta la haute société et adhéra à divers clubs formés par les loyalistes de la Nouvelle-Angleterre. Il se rendait sur le continent pendant ses vacances, passait ses étés à Bristol et habitait Londres durant l’hiver. Comme il avait été proscrit en 1778 et que ses biens avaient été confisqués en 1781, il ne put retourner au Massachusetts à la fin de la guerre. En 1784, Blowers déclina l’offre de devenir procureur général de la province nouvellement créée du Nouveau-Brunswick, et Bliss obtint le poste grâce à l’influence de sir William Pepperrell, chef de file des émigrés de la Nouvelle-Angleterre à Londres.

Rôle limité

Le 2 février 1785, Bliss reçut sa lettre de nomination et se mit en route pour Parrtown (Saint-Jean, Nouveau-Brunswick), où il entra en fonction le 16 mai. En tant que procureur général, il était théoriquement le principal conseiller juridique du gouvernement. En fait, il fut rarement consulté par le gouverneur Thomas Carleton*, qui prenait plutôt l’avis du juge en chef George Duncan Ludlow* et du solliciteur général Ward Chipman. Bliss admettait en 1786 : « J’ai aussi peu à faire au gouvernement qu’un procureur général peut avoir à faire. » Cependant, il n’était pas mécontent du rôle limité qui était le sien, car il détestait « le travail du barreau » et aspirait à se retirer « dans une ferme sur la Kennebecasis ». Il dirigea les plus importantes poursuites de la couronne durant les sessions de la Cour suprême mais, comme il partait rarement en tournée, c’est Chipman, greffier de la couronne attaché aux tribunaux itinérants, qui s’occupait des poursuites devant ces tribunaux. Toutefois, à cause des honoraires élevés qui étaient en jeu, Bliss essaya en vain d’empêcher Chipman de monopoliser, à titre d’avocat général, les poursuites à la Cour de vice-amirauté. Du fait même qu’il était procureur général, Bliss se trouvait à la tête du barreau, mais il ne forma qu’un petit nombre d’étudiants dans son cabinet, et seulement deux d’entre eux acquirent une certaine notoriété : John Murray Bliss et William Botsford*. Comme il évitait les tribunaux itinérants, sa pratique privée était réduite et ses clients se recrutaient exclusivement parmi les membres plus âgés de l’élite loyaliste. Il fut l’avocat du demandeur dans la première action en revendication de biens qui fut intentée dans la colonie et devint l’un des procureurs de son bon ami Benedict Arnold* lors du premier procès en diffamation verbale. En 1800, il était au nombre des cinq avocats qui représentèrent le propriétaire d’esclaves Caleb Jones* au procès d’une fugitive prénommée Nancy (Ami). En dépit du long plaidoyer de Bliss en faveur de l’esclavage, le tribunal se montra partagé et aucun jugement ne fut prononcé. Dans cette affaire, comme dans plusieurs autres, il fut éclipsé par son adversaire plus talentueux, Ward Chipman, qui était avec Samuel Denny Street le défenseur de Nancy.

En 1785, Bliss et Chipman se portèrent tous deux candidats aux premières élections législatives, figurant sur la liste des candidats du gouvernement dans la circonscription de Saint-Jean. Leurs adversaires auraient probablement remporté une victoire facile si le shérif n’avait pas fermé temporairement le bureau de scrutin à la suite d’une petite émeute et annulé un certain nombre de voix données aux candidats de l’opposition. Dominée par les loyalistes, l’Assemblée confirma cette décision mais, comme l’élection était contestée, le nom de Bliss ne fut pas retenu pour le poste de président. À l’instigation de Bliss et de Chipman, la chambre adopta pendant la session de 1786 un projet de loi restreignant les droits de ceux qui adressaient des pétitions à la couronne et au Parlement. Bliss s’empressa donc de poursuivre certains de ses adversaires qui avaient signé une pétition « fort séditieuse » ; son but était de « persuader ces hommes qu’ils ne pourr[aient] pas renverser le gouvernement ». Il arrivait souvent à Bliss de présenter devant l’Assemblée des projets de loi au nom du gouvernement et de se faire le porte-parole de celui-ci. Donnant régulièrement son appui aux mesures conservatrices, il vota pour la remise en vigueur de la loi néo-écossaise de 1758 qui établissait l’Église d’Angleterre comme Église officielle et il s’opposa à l’attribution d’un salaire aux députés. Bien qu’il ait été en désaccord avec la décision prise par Carleton de transférer le siège du gouvernement à Fredericton, il s’abstint de tout commentaire, mais il critiqua la Cour suprême de ne pas siéger à Saint-Jean.

Mécontentement, bonheur et perte

Mécontent de son salaire de £150 et de ses honoraires qui s’élevaient à environ £30 par année, et démoralisé par le « sale climat froid » du Nouveau-Brunswick, Bliss demanda vainement en 1791 un poste de juge dans le Haut-Canada. En outre, il se sentait seul depuis quelque temps et, en 1786, « fatiqué de ce maudit célibat », il s’était mis à la recherche d’une femme. Il arrêta finalement son choix sur Mary Worthington, plus jeune que lui de presque 20 ans, qu’il avait connue à Springfield quand elle était enfant. Le père de Mary, John Worthington, était un riche et éminent avocat ; sa sœur allait épouser Fisher Ames, un des principaux membres du parti fédéraliste au Congrès américain. En 1790, Bliss se rendit à Springfield, où Mary et lui se marièrent. De retour à Saint-Jean, il acheta la vaste maison qui avait appartenu à Benedict Arnold. Les époux furent heureux en ménage et eurent quatre fils : John Worthington en 1791, Lewis en 1792, William Blowers* en 1795 et Henry* en 1797.

Bliss fut défait aux élections législatives de 1793, mais il fut de nouveau élu député de Saint-Jean en 1795. L’Assemblée étant dominée par les adversaires du gouvernement [V. James Glenie*], il se trouva le plus souvent à voter du côté de la minorité. Les années 1790 furent difficiles pour le Nouveau-Brunswick et aussi pour Bliss, car son revenu diminuait. Mais sa femme et ses garçons, écrivait-il à Arnold, rendaient son « foyer heureux même dans ce misérable pays ». Bliss fut anéanti par la mort de Mary, survenue le 17 avril 1799. En partie pour des raisons financières, il dut envoyer ses plus jeunes fils, William et Henry, vivre chez des parents de sa femme au Massachusetts et il se tint de plus en plus à l’écart. Après 1802, il ne tenta plus de se faire réélire à l’Assemblée. En 1803, par suite d’une dispute avec ses collègues il démissionna du bureau provincial des commissaires de la New England Company, dont il était membre depuis 1787. En 1804 et 1805, au nom des commissaires chargés de la vérification des comptes publics, il poursuivit l’ancien sous-officier payeur des dépenses fortuites de l’armée, Edward Winslow*, avec un enthousiasme qui, aux yeux des amis de ce dernier, semblait friser la vengeance. Lorsqu’il se produisit une vacance au sein de la magistrature provinciale en 1807, Bliss ne sollicita pas le poste, car le salaire d’un juge puîné était trop modeste. En 1808, toutefois, lorsque le traitement des juges fut augmenté et que le poste de juge en chef devint vacant, il fit jouer toute l’influence qu’il avait à Londres pour obtenir la nomination. Il prêta le serment requis pour l’exercice de cette charge le 28 juin 1809 et prit son siège au Conseil du Nouveau-Brunswick le 7 juillet. L’année suivante, il quitta Saint-Jean pour Fredericton, où il présida les délibérations de la Cour suprême et du conseil d’une manière consciencieuse mais peu enthousiaste. Pendant ce temps, sa santé déclinait rapidement. Il voulut prendre sa retraite en 1819, mais ni le gouvernement britannique ni l’Assemblée n’acceptèrent de lui verser une pension. Il s’accrocha donc à son poste, bien qu’il ait été de moins en moins capable d’accomplir ses fonctions ; il mourut le 1er octobre 1822 et fut remplacé au poste de juge en chef par John Saunders.

En 1796, Jonathan Bliss écrivait à un ami qu’il avait vécu « trop longtemps » en Angleterre « pour être satisfait de ce coin misérable des colonies de Sa Majesté ». Le Nouveau-Brunswick ne fut pour lui, comme pour bien des loyalistes dont la carrière avait été brisée par la Révolution américaine, qu’un pisaller. Certains loyalistes parmi les plus jeunes, notamment Ward Chipman, purent s’acclimater à leur patrie d’adoption, mais Bliss en fut incapable. Il ne fut pas mêlé au partition movement, qui aboutit à la création du Nouveau-Brunswick [V. Edward Winslow], et, si la nécessité le poussa à accepter le poste de procureur général et plus tard celui de juge en chef, il ne joua qu’un rôle de second plan dans l’organisation de la profession juridique et dans la mise sur pied des institutions judiciaires de la colonie. Durant ses deux mandats parlementaires, il se fit surtout le porte-parole du gouvernement. Il ne s’engagea pas beaucoup dans les affaires de la colonie et ne contribua guère à son progrès. Après sa mort, ses trois fils encore vivants, Lewis, William Blowers et Henry, quittèrent la colonie pour des cieux plus cléments.

Phillip Buckner

La meilleure collection de papiers de Jonathan Bliss se trouve dans les papiers de la famille Bliss (PANS, MG 1, 1595–1613, particulièrement 1601–1608). Le Musée du N.-B. conserve une autre collection plus petite, les Benedict Arnold papers, packets 1 et 2. Un certain nombre de lettres se trouvent dans les papiers Winslow (UNBL, MG H2), la plupart d’entre elles sont publiées dans Winslow papers (Raymond). Les dossiers du ministère des Colonies contiennent quelques références utiles sur le Nouveau-Brunswick, particulièrement PRO, CO 188/4 ; 188/14–15. On trouve également plusieurs références à l’activité de Bliss dans N.-B., House of Assembly, Journal, 1786–1822, et d’autres mentions éparses dans les journaux.

L’étude la plus complète est celle de I. E. McAfee, « Jonathan Bliss : a loyalist success story » (thèse de m.a., Univ. of Maine, Orono, 1973). Le chapitre que Lawrence consacre à Bliss, dans Judges of N.B. (Stockton et Raymond), et la notice écrite par Shipton, dans Sibley’s Harvard graduates, 15, sont utiles. On trouve également quelques références à Bliss dans : Carol Berkin, Jonathan Sewall : odyssey of an American loyalist (New York, 1974) ; Gorman Condon, « Envy of American states » ; Jones, Loyalists of Mass. ; MacNutt, New Brunswick ; et M. B. Norton, The British-Americans : the loyalist exiles in England, 1774–1789 (Boston et Toronto, 1972).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Phillip Buckner, « BLISS, JONATHAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bliss_jonathan_6F.html.

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Auteur de l'article:    Phillip Buckner
Titre de l'article:    BLISS, JONATHAN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    22 déc. 2024