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NANCY (peut-être aussi connue sous le prénom d’Ann), esclave noire, née vers 1762 dans le Maryland ; décédée après 1800.
Née dans le Maryland d’une mère africaine réduite elle aussi en esclavage, Nancy grandit probablement sur la côte est de l’État, dans le comté de Somerset. Les nombreuses petites fermes du coin produisaient une large variété de denrées agricoles. Le propriétaire de Nancy, l’irascible et caractériel Caleb Jones*, venait de la classe moyenne inférieure, mais nourrissait de grandes ambitions. En 1773, il améliora sa situation en épousant Elizabeth (Betty) Wheatley, fille du riche major Sampson Wheatley, propriétaire de plusieurs esclaves. Jones acquit probablement Nancy quelque temps après son mariage et avant 1776, date à laquelle il fuit le Maryland pour New York, où il se joignit aux Maryland Loyalists. D’après un document de 1802, il possédait « dix ou douze esclaves » pendant la guerre d’Indépendance américaine.
Avant l’évacuation de la ville de New York en 1783, Jones obtint un congé de six mois afin d’aller explorer des terres au Nouveau-Brunswick et d’y établir des colonies de loyalistes. Il décida de s’installer dans les environs de Fredericton et se vit attribuer autour de 900 acres, qui comprenaient une propriété en bord de rivière, avec du bon bois. En 1785, il retourna à New York, où il acheta deux esclaves qu’il emmena pour commencer le travail sur ses terres. Sachant qu’il lui fallait plus de main-d’œuvre, Jones se rendit dans le Maryland pour ramener Nancy et six de ses esclaves au Nouveau-Brunswick. Un recensement de 1785 des colons du Maryland désigne Nancy, Isaac et Ben comme des esclaves adultes et les quatre autres, Sarah, Harry, Tab (ou Jab) et Elijah (Lidge), comme des enfants. Quand Jones retourna au Nouveau-Brunswick, il découvrit que les deux esclaves laissés derrière s’étaient enfuis. Le défrichage de ses vastes terres nécessitait beaucoup de main-d’œuvre. Nancy y participa certainement et dut aussi accomplir des tâches de domestique. En 1786, alors que les travaux sur sa propriété se poursuivaient, Jones partit une fois de plus vers le sud pour emmener sa femme et son fils.
La fuite d’autant d’esclaves de Jones est significative ; ce dernier était sans doute un homme à l’ambition débordante qui surmenait ses esclaves. Ce printemps-là, Ben s’échappa, mais on parviendrait à le capturer. En mars, Jones offrit une récompense de cinq dollars pour cet « homme noir », qu’il décrivit comme âgé d’une trentaine d’années, « robuste et bien bâti », et portant « une veste marron clair, un gilet à carreaux, une culotte en velours côtelé, des bas blancs et un chapeau rond ».
Quelques mois après la fuite de Ben, Nancy et trois autres personnes s’échappèrent également, mais on les rattrapa. Dans un avis de recherche, Jones informait les lecteurs de la Royal Gazette and New Brunswick Advertiser du 25 juillet 1786 que ses « esclaves noirs » s’étaient enfuis et que ceux-ci se nommaient Isaac, de New York, ainsi que Flora, Nancy, âgée d’« environ 24 ans », et Lidge, tous du Maryland. Ce dernier, un « enfant noir » qui accompagnait Nancy, était peut-être son fils. Jones expliquait qu’ils avaient été « récemment amenés dans ce pays ». Il offrait deux guinées pour la capture de chaque homme et six dollars pour chaque femme. L’annonce parut dans le journal au moins jusqu’en septembre, ce qui laisse supposer que trois mois au minimum s’écoulèrent avant que Jones reprenne Nancy.
En 1799, Nancy fit une demande d’habeas corpus « pour obtenir sa libération », selon la Royal Gazette and New Brunswick Advertiser du 18 février 1800. Pendant le procès, les avocats Ward Chipman* et Samuel Denny Street*, opposés à l’esclavage, la représentèrent bénévolement. Ils déposeraient plus tard un bref d’habeas corpus pour l’affranchissement de Richard Hopefield, fils d’une autre esclave, Statia*. Jonathan Bliss*, John Murray Bliss*, William Botsford*, Charles Jeffery Peters* et Thomas Wetmore* défendirent Jones, le propriétaire de Nancy. L’affaire fut entendue par les juges Isaac Allan, George Duncan Ludlow*, John Saunders* et Joshua Upham*. Parmi ces quatre hommes, seul Saunders ne possédait pas d’esclaves, mais une lecture attentive des sources qui lui sont relatives suggère qu’il avait des intérêts dans le commerce des êtres humains en Virginie.
Les juges rendirent une décision partagée : Allan (qui libérerait ses esclaves après le procès) et Saunders se prononcèrent en faveur de Nancy, tandis que Ludlow et Upham se déclarèrent contre. On confirma que Nancy appartenait bien à Caleb Jones. Sa vie après 1800 demeure obscure, mais on peut imaginer son sort à la lecture d’une annonce parue dans la Royal Gazette and New Brunswick Advertiser du 16 octobre 1809, selon laquelle un certain D. Brown proposait à la vente une « jeune créature noire, nommée Nancy ». Brown assurait aux acheteurs potentiels qu’il possédait, sur Nancy, un titre de propriété valable.
En 1816, 30 ans après sa courte évasion de chez Jones avec Nancy, Lidge s’enfuit à nouveau. Dans l’avis sur sa fuite, Jones écrivit : « [U]n esclave noir […] mesurant moins de cinq pieds, au visage large et aux lèvres très grosses ; amené du Maryland avec ma famille. » À un certain moment, Lidge avait appris à se déplacer par voie d’eau, car il « emporta avec lui un grand canot avec un tour en travers […] on le vit descendre la rivière ». Peut-être que Lidge, une fois adulte, se rappela comment d’autres l’avaient déjà libéré de Jones et que cela lui donna l’impulsion nécessaire pour s’enfuir. On ne sait pas ce qui arriva à Lidge ensuite, mais peut-être s’échappa-t-il de manière permanente puisque Jones mourut peu après, en 1817.
Nancy représente une figure importante de l’histoire de l’esclavage au Canada. Asservie pendant la plus grande partie de sa vie connue, elle s’évada temporairement en 1786, puis joua un rôle central dans une affaire judiciaire majeure concernant la légalité de l’esclavage dans les Maritimes à l’époque de la colonisation. Son cas montre les efforts que les esclaves, extrêmement malheureux dans leur situation, déployaient pour obtenir leur liberté.
Le nom de Nancy et celui de son propriétaire ont fait l’objet d’erreurs dans la documentation archivistique et historique. L’avis de 1786 concernant une esclave fugitive, publié par Caleb Jones, et des documents en lien avec la requête d’habeas corpus soumise par Nancy (voir R. c. Jones, 1799–1800, RS32 (Supreme Court, minutes) et RS42 (Supreme Court, case files), conservés aux APNB) confirment que Jones était bien le propriétaire de Nancy (Ann) et qu’il n’y a aucun nom de famille enregistré pour cette dernière.
Il existe cependant un document daté du 27 février 1800 provenant d’un autre propriétaire d’esclaves du Nouveau-Brunswick, Stair Agnew*, lui aussi confronté à une affaire d’habeas corpus durant la même période (voir APNB, RS32, R. c. Agnew, 1800–1802) concernant son esclave Mary. Ce document remet en question certains aspects de l’histoire de Nancy, car il indique qu’Agnew était le propriétaire de Nancy, dont le nom de famille était Morton, et qu’en février 1800, Agnew la rendait à son ancien propriétaire William Bailey parce que son titre était « devenu un sujet de litige du fait que [Nancy] réclam[ait] sa liberté ».
Le document original a été égaré, mais on en trouve une transcription dans J. W. Lawrence, The judges of New Brunswick and their times, A. A. Stockton et [W. O. Raymond], édit. (Saint-Jean, N.-B., 1907 ; réimpr., introd. par D. G. Bell, Fredericton, 1983). Une note inscrite à la suite de la transcription indique que le 28 février 1800, « Nancy Morton s’[était] liée à William Bailey pour quinze ans ». Dans son article influent intitulé « The loyalists and slavery in New Brunswick », SRC, Mémoires, 2e série, 4 (1898), section II : 137–185, Isaac Allen Jack* fait référence à Nancy Morton et à la confusion entourant le statut de propriétaire apparent d’Agnew et l’engagement à long terme de celle-ci envers William Bailey, ce qui laisse entendre que Jack avait pris connaissance du document d’Agnew avant sa publication dans le livre de Lawrence (on ne sait pas s’il a tiré ses informations d’un original ou d’une transcription). Les historiens qui se sont appuyés sur les assertions de Jack ont perpétué l’utilisation du nom de famille Morton et l’affirmation que Nancy était liée à Bailey par un contrat de longue durée.
La date du document d’Agnew correspond à l’action de Nancy menée en cour, mais elle correspond aussi à celle de Mary (l’affaire de Mary fut mise en suspens, dans l’attente du jugement dans l’affaire R. c. Jones). En l’absence du dossier original, il est impossible de savoir si la transcription de Lawrence est exacte et si Agnew avait vraiment inscrit le nom « Mary Morton ». Néanmoins, il n’existe aucun autre document associant Nancy à Agnew, alors que plusieurs documents la lient à Caleb Jones.
Univ. of N.B. Library, Arch. & Special Coll., « The Winslow Papers ; Return of people settled at the Nashwashes in Block no 1 on land granted to the Maryland Loyalists, 29 July 1785, Caleb Jones » : web.lib.unb.ca/winslow (consulté le 17 oct. 2023).— Royal Gazette and New Brunswick Advertiser (Saint-Jean), 25 juill. 1786, 18 févr. 1800, 16 oct. 1809.—D. B. Harper, « Ambitious Marylander : Caleb Jones and the American Revolution » (mémoire de m.a., Utah State Univ., Logan, 2001).
Harvey Amani Whitfield, « NANCY (Ann) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/nancy_4F.html.
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Auteur de l'article: | Harvey Amani Whitfield |
Titre de l'article: | NANCY (Ann) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2024 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |