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SAUNDERS, JOHN, juge et homme politique, né le 1er juin 1754 dans le comté de Princess Anne (ville de Virginia Beach, Virginie), fils de Jonathan Saunders et d’une prénommée Elizabeth ; le 16 février 1790, il épousa à Londres Arianna Margaretta Jekyll Chalmers, fille de James Chalmers, ancien commandant des Maryland Loyalists ; décédé le 24 mai 1834 à Fredericton.

Originaire d’Angleterre, la famille Saunders était déjà solidement établie en Virginie au milieu du xviiie siècle. Dans les années 1760, Jonathan Saunders y possédait un domaine de 1 200 acres et une belle maison en brique, « la meilleure du comté ». Quand il mourut en 1765, sa femme prit en main la gestion du domaine et s’en occupa jusqu’à son décès, quatre ans plus tard. Dès lors, Jacob Ellegood, qui avait épousé en 1768 la sœur aînée de John Saunders, Mary, devint tuteur des plus jeunes enfants. John fréquenta le College of Philadelphia de 1769 à 1772, puis retourna chez lui sans diplôme pour étudier le droit. En 1775, il se chargea de l’administration du domaine des Saunders.

Quand la guerre d’Indépendance américaine éclata, les loyalistes ne formaient qu’une minorité en Virginie, surtout parmi l’aristocratie. On aurait pu s’attendre à ce que Saunders, ce jeune propriétaire d’un vaste domaine, se range du côté des rebelles, mais il en advint autrement. Plusieurs motifs expliquent sa décision de demeurer fidèle à la couronne : tout en appartenant à l’élite des planteurs, il avait des liens avec la communauté marchande, qui constituait pour les loyalistes le principal appui en Virginie ; depuis des années, les Saunders vendaient du chêne blanc abattu sur leurs terres à des marchands qui le revendaient en Europe. Cependant, plus que des considérations économiques, ce furent son éducation et l’influence de sa famille qui déterminèrent l’orientation politique de Saunders. Plus tard, il affirmerait que, dès la petite enfance, on lui avait enseigné « à craindre Dieu et à honorer le roi », attitudes qui avaient été renforcées par le loyalisme convaincu de son beau-frère et ancien tuteur.

Certains de ses amis et connaissances avaient tenté de le rallier à la cause qui consistait à affirmer les droits des colonies, mais Saunders refusa de se compromettre. Il ne voulut pas souscrire aux résolutions du Congrès continental de Philadelphie qui, en octobre 1774, avait appelé à rompre les liens commerciaux avec la Grande-Bretagne, car il les jugeait illégales. Sur l’insistance de ses amis, il finit bien par signer, mais il inscrivit ensuite « non » en grosses lettres à côté de son nom. Cela lui valut d’être dénoncé et ostracisé. Dans cette controverse, Saunders manifesta non seulement le respect de l’ordre public qui devait le caractériser par la suite, mais aussi son conservatisme marqué, sa loyauté envers la couronne et son courage.

Après le succès remporté par le gouverneur lord Dunmore au cours d’une brève escarmouche contre la milice virginienne en novembre 1775, beaucoup de loyalistes exprimèrent ouvertement leurs convictions. Plus tard dans l’année, le Queen’s Loyal Virginia Régiment fut formé et placé sous le commandement d’Ellegood ; Saunders, qui avait levé à ses frais une troupe de cavalerie, y servit comme capitaine. Plusieurs « loyalistes » de son unité abandonnèrent la cause lorsque, en août 1776, lord Dunmore quitta la colonie, mais Saunders ne changea pas de camp. Il accompagna Dunmore à New York et, par la suite, son domaine de Virginie fut confisqué par les rebelles.

Quand les derniers soldats du Queen’s Loyal Virginia Régiment furent intégrés aux Queen’s American Rangers, Saunders devint capitaine d’infanterie. Le 11 septembre 1777, lors de la bataille de Brandywine en Pennsylvanie, qui était le premier engagement auquel il participait, au sein de cette unité, il fit montre de bravoure et fut grièvement blessé. Cinq mois plus tard, il put rejoindre son régiment, qui portait alors le nom de Queen’s Rangers et était commandé par le major John Graves Simcoe*. Saunders devint instructeur de cavalerie et, en août 1780, commandant d’une troupe de cavalerie. Détaché de son unité en octobre, il fut envoyé en Virginie, puis en Caroline du Sud, où il prit part à des opérations autour de Dorchester et de Charleston. Avant d’être rappelé à New York en 1782, il commanda pendant quelque temps les troupes à Georgetown.

Bien que Saunders ait été un bon soldat, sa carrière militaire fut entachée par un incident qui eut lieu à Dorchester en 1781. Au terme d’une sanglante escarmouche, il avait ordonné l’exécution d’un prisonnier. « [Voilà] la chose la plus disgracieuse que j’aie jamais entendue à propos d’un officier britannique », écrivit un loyaliste. Mais, apparemment, cet acte ne ternit pas la réputation de Saunders auprès des autres officiers, et particulièrement de Simcoe. Néanmoins, l’incident paraît très étonnant, étant donné les principes légalistes de Saunders. Simcoe, qui décrivait son subordonné comme « un officier plein d’adresse et de détermination », se plaignit plus tard que Saunders n’ait pas tenu pendant la guerre un journal où il aurait consigné la « série de gestes vaillants » que lui avaient inspirés sa « hardiesse » et sa « prudence ». Saunders s’embarqua pour l’Angleterre en novembre 1782 ; le respect et l’amitié de son commandant allaient lui être d’un précieux secours à Londres.

En défendant la couronne, Saunders avait perdu beaucoup, notamment son domaine de Virginie qui avait été vendu. Il déposa donc auprès des commissaires chargés des réclamations des loyalistes une demande d’indemnisation de plus de £5 000. Ceux-ci lui accordèrent d’abord une pension annuelle de £40, puis lui versèrent £4 850 en 1789. Ces sommes, ajoutées à sa demi-solde de capitaine, faisaient de lui un homme assez riche. En janvier 1784, son avenir étant raisonnablement assuré, il entra aux Inns of Court pour étudier au Middle Temple. Il espérait obtenir un jour un poste au gouvernement. De plus, il rêvait d’aménager quelque part un grand domaine qui remplacerait celui qu’il avait perdu en Virginie. S’il le fit au Nouveau-Brunswick, ce fut en partie parce que Jacob Ellegood décida de s’établir dans cette province. En effet, Saunders acheta ses premières terres dans la colonie lors d’une visite qu’il rendit à son beau-frère en 1788. À l’époque, les terres ne coûtaient pas cher, car beaucoup de soldats réformés, désireux de s’installer ailleurs, étaient prêts à vendre leur droit à une concession. Saunders put acheter de nombreuses concessions de ce genre et demanda aussi qu’on lui en octroie une grande. Toutefois, pour occuper une position équivalente à celle qu’il avait eue en Virginie, il lui fallait plus que des terres. Pour détenir une certaine autorité et appartenir à l’élite du Nouveau-Brunswick, il avait besoin d’un poste au gouvernement. Il retourna donc en Angleterre à la fin de 1788 et, le 6 février 1789, fut admis au barreau. À présent, il pouvait au moins entreprendre une carrière juridique.

Par ailleurs, Saunders avait dû sentir que le temps était venu pour lui de prendre femme. Le 16 février 1790, il épousa Arianna Margaretta Jekyll Chalmers, l’une des cinq filles nubiles d’un loyaliste distingué du Maryland. Cette union allait accroître sa fortune, puisque son beau-père lui versa £5 000 comptant et garantit à son épouse une rente viagère de £300.

Un mois après son mariage, Saunders fut nommé juge à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Il devait probablement cette promotion à l’influence de Simcoe, à qui on avait promis la même année le poste de lieutenant-gouverneur du Haut-Canada. Saunders se trouvait maintenant en position de regagner le Nouveau-Brunswick. Laissant sa femme qui attendait un enfant, il s’embarqua pour Saint-Jean en juillet 1790. L’année suivante, elle le rejoignit avec leur bébé qui se prénommait aussi Ariana Margaretta Jekyll. En 1794, ils eurent une autre fille, Eliza, et en 1795, un fils, John Simcoe*. Saunders eut d’abord une maison à Fredericton, mais sa résidence préférée devait être celle qu’il fit construire en 1795 dans son domaine de Barony, près de l’embouchure du ruisseau Pokiok, dans la paroisse de Prince William, soit à une quarantaine de milles de Fredericton. Elle était presque identique à sa maison de Virginie, sauf qu’elle était en bois au lieu d’être en brique.

Désireux de se tailler une place dans la bonne société du Nouveau-Brunswick, Saunders ne se satisfaisait pas de ses fonctions judiciaires. Aux élections législatives de février 1791, il se présenta donc dans la circonscription d’York. En agissant ainsi, il voulait peut-être compenser le fait que tous les autres juges de la Cour suprême siégeaient au Conseil du Nouveau-Brunswick. En se faisant élire, il devint le seul juge de cette cour à détenir un siège à la chambre d’Assemblée. D’après l’historien James Hannay*, ce « raid » sur l’Assemblée était un mouvement audacieux, tout à fait conforme à sa personnalité. Saunders demeura à l’Assemblée jusqu’en 1792 seulement et ne se présenta pas aux élections qui eurent lieu l’année suivante. Pendant qu’il était député, les pouvoirs et les lieux d’audience de la Cour suprême firent l’objet de débats houleux. Depuis 1785, les tribunaux de première instance partageaient avec la Cour suprême la juridiction sur les litiges de £50 et moins, et les demandeurs pouvaient réclamer que leur cause soit entendue par le tribunal de seconde instance. Cependant, la Cour suprême ne siégeait que quatre fois l’an, et toujours à Fredericton. Comme les déplacements étaient difficiles et que les dépenses des juges ne leur étaient pas remboursées, ceux-ci manifestaient une grande réticence face à la simple éventualité de tenir des audiences dans d’autres parties de la province. Par conséquent, les citoyens qui devaient comparaître en Cour suprême étaient contraints de se rendre à Fredericton ou de s’y faire représenter à leurs frais par un avocat. Devant cette situation peu commode, l’Assemblée adopta en 1792 un projet de loi exigeant que la cour siège deux fois l’an à Saint-Jean et donnant aux tribunaux de première instance la juridiction exclusive sur les litiges de £10 et moins. Saunders s’opposa au projet en chambre, et le conseil le rejeta. Cette attitude, parmi d’autres, étiqueta bientôt Saunders et les autres juges comme des ennemis des causes populaires. En 1795, une loi visant à étendre la juridiction des tribunaux de première instance fut enfin adoptée.

En mai 1793, Saunders fut nommé au conseil de la province et devint ainsi membre à part entière de l’élite loyaliste. Il prit cette nomination au sérieux et s’acquitta dûment de sa tâche. Il fut l’un de ceux qui, de 1795 à 1798, votèrent le rejet des projets de loi de finances, car il s’opposait à la rémunération des députés ; ainsi, il contribua à créer l’impasse législative qui paralysa presque entièrement le gouvernement [V. James Glenie*]. Saunders assistait régulièrement aux réunions du conseil et, malgré les volontés de sa famille, il continua de le faire jusqu’à peu de temps avant sa mort. Il attendait des autres conseillers une conduite honorable et il semble que la sienne fut au-dessus de tout reproche. C’est pourquoi, lorsqu’on parla de corruption au conseil en 1802, il présenta une motion en faveur d’une enquête. Le soupçon venait de ce qu’un député de Westmorland avait allégué que des conseillers lui avaient promis un traitement de faveur de la part du gouvernement s’il votait selon leurs désirs à l’Assemblée. La motion de Saunders fut battue, mais elle indiquait combien il tenait à ce que la loi soit toujours respectée.

Saunders n’avait apparemment qu’une influence moyenne sur la structure du pouvoir de la province, ce qui dut lui paraître évident en 1808, à la mort du juge en chef George Duncan Ludlow*. Puisque son ami et protecteur Simcoe n’était plus, c’était sur le lieutenant-gouverneur Thomas Carleton* qu’il devait compter pour obtenir le plus haut poste de la magistrature. Son beau-frère Alexander Jekyll Chalmers tenta de persuader Carleton, qui se trouvait alors en Angleterre, d’appuyer sa demande, mais le lieutenant-gouverneur, de l’aveu d’un de ses partisans, détestait, « par tempérament, s’employer à servir quiconque », de sorte qu’il prétendit ne rien pouvoir faire. L’administrateur de la province, le major général Martin Hunter*, contribua à éliminer les quelques chances que Saunders pouvait avoir en recommandant Jonathan Bliss ou Ward Chipman, Saunders n’apparaissant que comme un « bon candidat » parce qu’il avait accumulé assez peu d’expérience du droit avant de devenir juge. L’année suivante, le poste alla à Bliss ; Saunders, alors âgé de 55 ans, dut être amèrement déçu, puisqu’il semblait avoir raté son unique chance de devenir juge en chef.

La compétence de Saunders en tant que militaire avait été reconnue en 1808 au moment de la menace d’une guerre avec les États-Unis : lieutenant-colonel dans la milice depuis 1797, il était devenu commandant des unités de la région de Fredericton. L’administrateur Edward Winslow* loua « les constants efforts » et la « persévérance » de Saunders, et de ses officiers. « Un corps d’armée avait été formé et discipliné, notait-il, et, si le conflit redouté avait éclaté, il aurait certainement rendu de grands services dans la défense du pays. »

Apparemment, Saunders caressa plus longtemps que la plupart des membres de l’élite loyaliste le rêve de créer une aristocratie terrienne au Nouveau-Brunswick. Après ses premières acquisitions, il avait continué d’acheter des terres en espérant qu’elles prendraient de la valeur à mesure que la province se développerait. Au domaine de Barony, il prit possession de plus de 5 000 acres, même s’il n’obtint un titre officiel sur ce domaine qu’en 1819. En outre, il possédait 3 000 acres d’une autre terre et, en divers endroits, plusieurs lots totalisant 2 300 acres. Il achetait sans cesse des terres à Fredericton ou en bordure de la rivière Saint-Jean, et il devint pour ainsi dire l’un des plus grands propriétaires terriens de la province. Il espérait trouver des fermiers pour exploiter son domaine, mais il n’y parvint guère, de sorte qu’une bonne partie de ses terres ne prirent pas la moindre valeur.

En 1811, le lieutenant-colonel Joseph Gubbins nota que la maison de Saunders était « située dans un lieu sauvage qu’il s’[était] lui-même créé, sans voisin ni chemin pratiquable, et [que] ses terres défrichées retourn[aient] à l’état de brousse ».

En 1790, le gouvernement britannique avait restreint l’octroi de concessions gratuites dans l’espoir de faciliter la vente des terres de la couronne. Cette décision eut pour conséquence de freiner l’immigration et d’inciter plusieurs colons à quitter la province. Dans une certaine mesure, Saunders profita de la restriction en achetant les terres de ceux qui partaient. Après la réinstauration des concessions foncières en 1807, la population de la province s’accrut régulièrement. Saunders joua un rôle primordial dans la création de la Fredericton Emigrant Society en 1819, dont il fut d’ailleurs président de 1821 à 1829 ; en 1833, il en était encore membre actif. Il prit également part à la fondation de la New-Brunswick Agricultural and Emigrant Society en 1825, dont il fut le premier président. Cependant, il la quitta l’année suivante, peut-être en raison de l’antipathie que lui inspirait Thomas Baillie*, un des leaders de l’organisation.

Estimant qu’il valait mieux étudier en Angleterre que dans les colonies ou aux États-Unis, Saunders y envoya son fils et sa fille aînée. En ce qui concerne son fils, il assura sa subsistance durant toutes ses études, soit à l’école, à l’université et pendant qu’il faisait son droit ; mais Saunders regretta sa décision par la suite, car John Simcoe adopta envers le Nouveau-Brunswick des attitudes que son père n’approuvait guère, « des habitudes et des préjugés peut-être impossibles [...] à éliminer », allait-il écrire plus tard. John Simcoe en vint en effet à mépriser la province et à refuser « de réduire [ses] perspectives d’avenir [...] en pratiquant dans un endroit aussi misérable ». De plus, il ironisait sur les succès de son père : John Simcoe ambitionnait « de grimper tout en haut de l’[arbre] », mais il devait viser « le faîte du grand chêne [...] et non pas le sommet du petit buisson dont la branche n’offr[ait] aucun soutien ». Plus tard, il compara l’ascension de son père à celle de Jonathan Sewell*, juge en chef du Bas-Canada qui s’était retiré « après une carrière active en obtenant le poste le plus prestigieux, assorti de plus de deux mille [livres] par an » ; quant à Saunders, il allait se retirer « avec quatre cent cinquante [livres], tout en étant encore contraint de « s’agenouiller et courber l’échine » devant le lieutenant-gouverneur George Stracey Smyth.

John Simcoe estimait aussi que le domaine familial était assez prétentieux. En 1821, il nota sur un ton sarcastique son bonheur d’apprendre que le domaine de Barony était « sur le point de briller encore de cet éclat qui conv[enait] si bien à la distinguée résidence familiale des Saunders ». « La dernière fois que je l’ai vue, ajoutait-il, ses fondations étaient à peine soutenues par des étais. » Saunders assurait encore la subsistance de ce fils mécontent qui avait dépassé la trentaine mais, au grand soulagement de son père, John Simcoe rentra définitivement au Nouveau-Brunswick en 1830. En fin de compte, il fit une belle carrière au gouvernement.

Quant à la fille aînée de Saunders, Ariana Margaretta Jekyll, elle avait épousé le capitaine George Shore* en 1815. Tous deux cultivaient l’amitié du lieutenant-gouverneur Smyth et, en 1822, Shore jouait déjà de temps à autre auprès de lui le rôle de secrétaire particulier et d’aide de camp. Cette relation aida peut-être Saunders à réaliser sa propre ambition. En 1822, à la mort de Jonathan Bliss, il fut nommé juge en chef du Nouveau-Brunswick. L’antipathie que Smyth éprouvait envers l’autre candidat, Ward Chipman, entra sans doute aussi en ligne de compte.

Au moment de sa nomination, Saunders avait 68 ans. Il avait assisté à bien des changements au Nouveau-Brunswick, qui allaient rarement dans le sens où il l’aurait voulu. C’est donc avec appréhension qu’il accueillit la nomination de sir Howard Douglas* à titre de lieutenant-gouverneur. « Jusqu’à présent, il semble efficace, écrivit-il en septembre 1824, mais l’épreuve viendra quand l’Assemblée se réunira. » « Jamais, poursuivait-il, je n’ai été entièrement satisfait de l’attitude d’aucun de ses prédécesseurs [qui] se sont, dans l’ensemble, montrés trop faibles devant la Chambre basse, tout en étant conciliants et, de plus, insuffisamment au fait des principes de notre constitution. » Ces commentaires indiquent encore une fois avec clarté les tendances conservatrices de Saunders et sa méfiance à l’égard de l’Assemblée.

Pendant les années 1820, une bonne part des controverses politiques tournèrent autour de Thomas Baillie, qui fut nommé commissaire des Terres de la couronne en 1824 et qui, par son arrogance, s’attira beaucoup d’ennemis. Dès l’abord, il déplut à Saunders, peut-être en partie parce qu’il prenait du même coup la place de George Shore qui avait temporairement occupé le poste d’arpenteur général. Aux yeux du juge en chef, la nomination de Baillie menaçait les familles bien établies au Nouveau-Brunswick. « Nous sommes passablement surpris ici, écrivait-il à son fils, qu’un homme aussi jeune [...] se voit confier des postes dont les revenus [...] pourvoiraient confortablement aux besoins d’au moins huit de nos jeunes gens qui, en raison de leur éducation et de leur rang dans notre société, sont certainement en droit d’attendre que le gouvernement leur offre quelques bénéfices passagers. » Selon lui, le secrétaire d’État aux Colonies avait investi Douglas et Baillie de plus de pouvoirs « que ne l’autoris[ait] la constitution ou que ne le [voulaient] les intérêts du roi ou de la colonie ». Saunders s’inquiétait de ce que le ministère des Colonies semblait entraîner le Nouveau-Brunswick vers une plus grande indépendance. En conséquence, il s’opposa en 1825 à une proposition voulant que les salaires de ceux dont le nom figurait sur la liste civile soient payés à même les fonds de l’Assemblée ; comme Douglas, il croyait que pareille mesure affaiblirait la position de l’exécutif en rendant ses membres financièrement dépendants de l’Assemblée et relâcherait par conséquent les liens entre la métropole et la colonie. De même, il s’opposa aux propositions de ceux qui, en Grande-Bretagne, voulaient éliminer les tarifs préférentiels sur le bois des colonies.

Baillie noua cependant des liens d’amitié avec John Simcoe Saunders et George Shore, ce qui dut ennuyer le juge en chef. Mais les relations de Baillie et de Shore cessèrent et, dès la fin des années 1820, ils se retrouvèrent dans des camps opposés chaque fois qu’un vote important fut pris au conseil. L’amitié qui unissait Baillie et John Simcoe Saunders fut plus durable et valut peut-être au second d’entrer au Conseil exécutif en 1833. Le ressentiment que John Saunders pouvait éprouver à propos des relations que son fils entretenait s’accrut du fait que cette nomination l’humiliait personnellement. Le Conseil du Nouveau-Brunswick s’était scindé en 1832 ; il y avait maintenant un Conseil exécutif et un Conseil législatif, moins prestigieux. Quand le nom des nouveaux conseillers fut annoncé l’année suivante, il apparut que Baillie et John Simcoe Saunders siégeraient au Conseil exécutif tandis que John Saunders, à titre de juge en chef, présiderait le Conseil législatif (son fils en faisait également partie). Même si ces nominations étaient conformes aux usages observés dans les autres colonies, Saunders avait l’impression d’avoir été traité sans considération et ramené à un rang inférieur. Il était d’autant plus contrarié que sir Archibald Campbell* avait donné préséance à Baillie sur les membres plus âgés du Conseil exécutif, et l’habilitait ainsi à prendre en main le gouvernement de la province en l’absence du lieutenant-gouverneur. Saunders fut l’un de ceux qui protestèrent auprès du ministère des Colonies. Finalement, il fut résolu que le plus haut gradé de l’armée dans la province agirait comme administrateur, ce qui finit par régler le litige.

En 1833, Saunders avait essuyé un autre coup dur deux ans avant, le commissaire des Terres de la couronne l’avait obligé à payer un lot de ville à Fredericton parce qu’il n’avait pas respecté les clauses de la concession. Mais Baillie le contraria encore davantage en encourageant l’immigration irlandaise. Saunders ne voyait pas d’un bon œil l’afflux de colons irlandais car, dans l’ensemble, ceux-ci étaient pauvres, sans instruction, sans qualifications et ne faisaient pas de bons fermiers. Bon nombre d’entre eux étaient catholiques, tandis que lui était un anglican convaincu ; marguillier et membre du conseil d’administration de la Christ Church de Fredericton, il était aussi marguillier de Prince William. En 1830, il s’opposa à la nouvelle loi qui réhabilitait les catholiques. À l’instar d’une loi britannique, elle visait à autoriser les catholiques à détenir des postes militaires ou civils et à siéger à l’Assemblée. D’après Saunders, certaines concessions s’étaient peut-être imposées en Grande-Bretagne, mais ce n’était pas le cas au Nouveau-Brunswick, puisque « les catholiques de la colonie ne [s’étaient] aucunement plaints et n’[avaient] pas tenté de montrer qu’ils [étaient] le moindrement opprimés ou lésés par les lois en vigueur ». À la vérité, Saunders était hostile à tout changement. Le décrivant comme « un tory de la vieille école, dont l’esprit lourd n’était nullement sensible au progrès du monde », Hannay déclara qu’à titre de conseiller « il s’opposait à toute réforme, au point d’être regardé avec mépris même par ceux qui, au départ, avaient participé à ses manœuvres d’obstruction ».

Comme un grand nombre des « gentlemen » qui, réfugiés au Nouveau-Brunswick, furent les premiers à gouverner la province, Saunders voulait avant tout maintenir le lien avec la Grande-Bretagne et perpétuer dans la colonie l’autorité de l’élite loyaliste. Comme la position des loyalistes reposait sur les pensions, les concessions foncières et les postes qu’ils avaient obtenus du gouvernement impérial, tout relâchement des liens avec la Grande-Bretagne leur semblait indésirable en soi et apparaissait en outre comme une menace à leur suprématie, d’autant plus que l’économie et là défense de la province dépendaient de la mère patrie. Aux yeux de Saunders, l’ordre établi était menacé par le retrait des régiments britanniques postés dans la province, par l’ouverture du marché antillais aux Américains, par les projets visant à modifier les tarifs préférentiels sur le bois du Nouveau-Brunswick et par la restriction de 1790 sur les concessions foncières. De même, à l’intérieur de la colonie, toute diminution du pouvoir de l’exécutif, comme toute donation de pouvoirs à des personnes autres que les loyalistes, lui semblait mettre son mode de vie en danger. Comme la plupart de ceux qui partageaient son point de vue étaient morts dans les années 1830, Saunders fit figure de réactionnaire à côté de ceux qui luttaient pour gagner le pouvoir politique dans la province. Son fils apprit à s’adapter et à travailler dans cette société en mutation ; quant à Saunders, il en fut incapable ou ne le voulut pas.

Tout conservateur qu’il ait été, et quoique issu d’une famille propriétaire d’esclaves, Saunders s’opposait pour un motif quelconque à l’esclavage et se démarquait donc clairement des loyalistes importants du Nouveau-Brunswick. En 1800, il avait été l’un des deux juges de la Cour suprême à se prononcer contre le maître lors d’un célèbre procès visant à déterminer la légalité de l’esclavage dans la province [V. Caleb Jones*] ; toutefois, le tribunal étant également divisé, aucun jugement n’avait été rendu. Par la suite, Saunders changea d’avis sur cette question, comme le montre un deuxième procès tenu en 1805. Mais rien ne suggère qu’il approuva jamais l’esclavage. La position qu’il défendait en 1805 s’appuyait uniquement, semble-t-il, sur le fait qu’il considérait l’esclavage comme légal en vertu des lois alors en vigueur.

Saunders jugea plusieurs affaires intéressantes au Nouveau-Brunswick, dont une en 1808 qui concernait des déserteurs accusés d’avoir assassiné un homme qui avait tenté de les appréhender. En 1822, il se rendit à Miramichi pour présider le procès de plusieurs émeutiers, qui se termina par quelque 59 sentences. La même année, il jugea aussi deux hommes accusés de meurtre par suite d’un duel [V. George Ludlow Wetmore]. À cette occasion, il prononça à l’intention du jury une allocution étrange : même si tout le monde savait parfaitement qui avait participé au duel, Saunders affirma que l’accusation reposait sur une présomption et qu’en pareils cas « la personnalité a[vait] beaucoup d’importance ». Hannay a suggéré que si cette allocution était un indice des connaissances juridiques des juges de l’époque, celles-ci n’étaient probablement pas des meilleures. L’homme accusé d’avoir tiré le coup fatal, George Frederick Street*, appartenait à une grande famille, ce qui pour Saunders justifiait un acquittement – lequel fut d’ailleurs prononcé. Cette affaire fait apparaître Saunders comme un partisan de l’ordre public moins fervent qu’on ne le croyait. Il semble que pour lui le rang social avait de l’importance en cour.

En 1833, à Saint-Jean, environ 200 personnes assistèrent à la célébration du cinquantenaire de l’arrivée des loyalistes. Saunders avait été invité mais, comme il ne pouvait être présent, il envoya une lettre qui fut lue au dîner. Il avait tenté d’y résumer sa philosophie de la vie : « Dès son plus jeune âge, on lui enseigna à craindre Dieu et à honorer le roi ; ces deux grands principes orientèrent sa vie. Avec la grâce de Dieu, il persévérera dans cette voie jusqu’à ce qu’il soit appelé à reposer auprès de ceux qui, soutenus par leur invincible fidélité, étaient demeurés, devant tous les dangers et les sacrifices, fermes dans leur allégeance à leur roi et loyaux à la glorieuse constitution sous laquelle ils étaient nés. » Aussi attaché aux traditions à la fin de sa vie qu’il ne l’était en 1774, Saunders n’était pas heureux de ce qu’il voyait autour de lui. Son domaine de Barony, qui était encore presque en friche, s’avérait pour lui une source de déception ; en outre, comme semble le montrer le fait qu’il avait été éclipsé lors des réaménagements du conseil, il ne s’entendait pas avec la nouvelle classe politique et sociale que Baillie représentait. Néanmoins, il continua de remplir ses devoirs de juge en chef jusqu’à quelques jours avant sa mort. Il fut inhumé avec tous les honneurs militaires, et ses funérailles attirèrent plusieurs.députés, conseillers exécutifs et législatifs, le lieutenant-gouverneur, des membres du barreau ainsi que des étudiants et professeurs du King’s College.

Dans sa notice nécrologique, Saunders fut décrit comme un homme au « jugement sûr », animé de « la plus haute pureté d’intention », « un disciple de la vieille école [...] fermement attaché à ses principes politiques ». C’étaient des qualités admirables. Par ailleurs, il était inflexible et allergique au changement ; de plus, ses lettres ne laissent guère voir d’esprit ou de sens de l’humour. Sa femme était apparemment douée d’un grand sens de l’organisation et d’une forte personnalité. Quand John Simcoe Saunders s’inquiéta de la possibilité que son père le laisse gérer ses terres avec George Shore, il se fit répondre : « Je n’ai pas l’intention d’imposer cette charge à l’un de vous, car je suis assez certain qu’elle pourra mieux s’occuper de ses affaires que vous deux réunis. » Saunders et sa femme n’avaient guère noué de liens solides avec les autres grandes familles loyalistes du Nouveau-Brunswick ; à une exception près, aucun de leurs enfants ou petits-enfants n’épousa un résident de la province.

Après la mort de John Saunders, son fils John Simcoe vendit peu à peu une partie des terres familiales, mais le domaine de Barony ne fut pas mis en vente avant son propre décès, qui survint en 1878. Selon un commentaire de Moses Henry Perley*, la propriété était restée à l’état de « désert de Hurlevent », et aurait mérité davantage le nom de « barren, eh ! » ; elle symbolisait les espoirs déçus de l’élite loyaliste. La transaction mit fin au rêve que Saunders avait caressé, soit de constituer une propriété foncière qui serait pour sa famille l’assise d’un pouvoir éternel. S’il n’avait jamais tout à fait retrouvé le même rang social qu’en Virginie, du moins s’était-il taillé une place dans son pays d’adoption. Il avait dit un jour : « Je souhaiterai toujours avoir quelque importance dans la société où je vivrai. » Ce vœu, il le réalisa indubitablement au Nouveau-Brunswick.

William A. Spray

Pour cette biographie, les sources de renseignements les plus utiles sont les papiers Saunders conservés à l’UNBL (MG H11) et la thèse de Diana Ruth Moore, « John Saunders, 1754–1834 : consummate loyalist » (thèse de m.a., Univ. of N.B., Fredericton, 1980).  [w. a. s.]

APNB, MC 1156, V : 81 ; RG 10, RS108, John Saunders, 1792, 1818.— PRO, AO 12/54 ; 12/100 ; 12/109 ; AO 13, bundles 33, 79.— UNBL, MG H2, 7 : 44, 69, 121 ; 8 : 6, 13 ; 13 : 74 ; 14 : 7, 63–65, 87, 93, 97, 124 ; 15 : 5–6, 14, 19, 78.— Gubbins, N.B. journals (Temperley).— Loyalist narratives from Upper Canada, J. J. Talman, édit. (Toronto, 1946).— N.-B., Legislative Council, Journal, [1786–1830], 27 févr. 1830.— [M. H. Perley], « Scenery on the St. John – reflections – Woodstock », New-Brunswick Courier, 29 sept. 1832 : 2.— Revolutionary Virginia : the road to independence, W. J. Van Schreeven et al., compil., R. L. Scribner et al., édit. (7 vol. parus, [Charlottesville, Va.], 1973-  ).— J. G. Simcoe, Simcoe’s military journal (Toronto, 1962).— Winslow papers (Raymond).— Gleaner : and Northumberland Schediasma (Miramichi, N.-B.), 3 juin 1833.— New-Brunswick Courier, 25 mai 1833.— Royal Gazette (Fredericton), 28 mai, 4 juin 1834.— I. L. Hill, Some loyalists and others (Fredericton, 1976).— E. A. Jones, American members of the Inns of Court (Londres, 1924).— C. F. McIntosh, « Genealogy : Saunders–Princess Anne County, Virginia », Va. Magazine of Hist. and Biog. (Richmond), 32 (1924) : 92–96.— Sabine, Biog. sketches of loyalists.— Beckwith Maxwell, Hist. of central N.B.— Sheila Carr, « John Saunders : Virginia loyalist » (essai de graduation, Univ. of N.-B., Fredericton, 1970).— Esther Clark Wright, The St. John River and its tributaries (s.l., 1966).— Kenneth Donovan, « The military career of a Virginia loyalist : Captain John Saunders, 1774–1782 » (essai de graduation, Univ. of N.-B., 1972).— Hannay, Hist. of N.B.— Douglas How, The 8th Hussars : a history of the regiment ([Sussex, N.-B.], 1964).— C. J. Ingles, The Queen’s Rangers in the Revolutionary War, H. M. Jackson, édit. (s.l., 1956).— Lawrence, Judges of N.B. (Stockton et Raymond).— MacNutt, New Brunswick.— E. A. Jones, « A letter regarding the Queen’s Rangers », Va. Magazine of Hist. and Biog., 30 (1922) : 368–376.

Bibliographie générale

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William A. Spray, « SAUNDERS, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/saunders_john_6F.html.

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Auteur de l'article:    William A. Spray
Titre de l'article:    SAUNDERS, JOHN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    19 mars 2024