WINSLOW, EDWARD, officier, homme politique, juge, fonctionnaire et auteur, né le 20 février 1746/1747 à Plymouth, Massachusetts, fils d’Edward Winslow et de Hannah Dyer ; il épousa Mary Symonds, et ils eurent au moins 14 enfants ; décédé le 13 mai 1815 à Fredericton.
Edward Winslow descendait en droite ligne du premier Edward Winslow à s’établir en Amérique du Nord, qui arriva sur le Mayflower en 1620 et devint l’adjoint estimé du gouverneur William Bradford, de la colonie de Plymouth. Des membres de cette famille continuèrent de servir cette colonie et, plus tard, la colonie de la baie de Massachusetts, à divers postes tant à l’échelon local et provincial qu’à l’échelon impérial. Celui qui fait l’objet de la présente biographie, « Ned » Winslow, était imbu depuis sa tendre enfance des traditions de la fonction publique. Il grandit dans une vaste maison, dominant Plymouth Rock, que son père avait construite pour y recevoir l’élite sociale du Massachusetts. Diplômé du Harvard College en 1765, Winslow commença à marcher sur les traces de son père en tant que fonctionnaire local à Plymouth ; il servit comme intendant du commerce maritime, conservateur des testaments et greffier de la Cour des sessions générales. Il se mêla aussi, de façon manifeste, aux cercles dirigeants de la ville tory de Boston. Il conçut, à cette époque, un système élaboré afin de réorganiser les archives de la province, qui étaient un vrai fouillis, ce qui lui mérita l’approbation du gouverneur Thomas Hutchinson, et, en 1769, il devenait membre de l’Old Colony Club, organisation dont le but était de perpétuer la mémoire des fondateurs de la colonie de Plymouth. Quand, en 1770, on demanda à Winslow, alors âgé de 23 ans, de prononcer le discours public pour la célébration du 150e anniversaire du débarquement des colons à Plymouth Rock, il pouvait se croire lancé.
Deux ombres venaient pourtant ternir ces brillantes perspectives. Il y avait d’abord de lourdes dettes résultant du mode de vie somptueux de la famille Winslow qui dépassait de beaucoup ses possibilités financières. Ces « vieilles dettes » allaient pendant toute sa vie gêner les ambitions d’Edward. Ensuite, et de plus mauvais augure encore, il y avait l’intensification du mécontentement public à l’endroit du gouvernement colonial du Massachusetts. Tory depuis le berceau, Winslow opposa au radicalisme des mécontents un esprit de parti bien caractéristique de sa personnalité. Écrire, en 1773, « Plymouth protest », pamphlet dans lequel il qualifiait les Fils de la liberté de « bande de maudits pendards vénaux et vauriens », fut peut-être un geste admirable de loyauté, mais non moins imprudent. De même, en refusant de collaborer avec la Plymouth County Convention et en organisant une compagnie privée de police tory pour maintenir l’ordre à Plymouth, Winslow se rendit bientôt si « odieux » à ses compatriotes que ses charges publiques lui furent retirées. Puis, en octobre 1774, « la grande cohue [... le] chassa du pays ».
Quand éclatèrent les hostilités, le 19 avril 1775, Winslow se précipita pour aller combattre avec les troupes britanniques régulières à Lexington. Loué par son commandant, lord Hugh Percy, pour sa valeur, il continua de servir l’armée, à titre paramilitaire, durant les huit mois que dura le siège de Boston par les rebelles ; pendant ce temps, il fut nommé par le lieutenant général Thomas Gage* receveur des douanes au port de Boston et greffier aux homologations de testaments dans le comté de Suffolk. Au début de 1776, Winslow prit la pénible décision de quitter sa famille et sa terre natale, et de s’en aller à Halifax avec les troupes britanniques. Il y fut nommé, le 30 juillet, chef général de rassemblement des forces loyalistes en Amérique du Nord, avec le grade provincial de lieutenant-colonel. Il conserva ce poste jusqu’à la fin de la guerre. Cette nomination réveilla son goût de l’ostentation : informé qu’aucun uniforme particulier n’était prescrit pour lui, il en commanda un, « composé d’une veste bleue, d’une pèlerine écarlate avec une doublure écarlate et des boutons tout blancs ». Plus tard, à l’été, il accompagna les troupes, commandées par le général William Howe, à leur nouvelle base de New York.
La Révolution américaine fut la cause de souffrances et de privations réelles pour les Winslow. À un moment donné, ses vieux parents, ses deux sœurs célibataires et sa jeune famille durent abandonner leur Plymouth bien-aimé et s’entasser, comme des exilés indigents, dans la ville de garnison de New York, où leur avenir dépendait entièrement d’Edward et de l’armée britannique. Leur détresse peina profondément ce dernier. La guerre permit néanmoins l’heureuse conjonction des talents de Winslow et de ses qualités de cœur : sa bravoure, son sens de l’organisation et sa vive sensibilité, tout cela s’accrut et trouva de nouveaux objets. Comme ses visites périodiques aux unités loyalistes de l’armée et son travail concernant les feuilles d’appel et de solde le mettaient fréquemment en contact avec les hommes des régiments, il noua des liens étroits avec des militaires loyalistes de tous grades. Comme eux, il était profondément remué par le favoritisme des Britanniques à l’égard des déserteurs rebelles, « scélérats qui émerg[eaient] tout juste du cœur même de la rébellion », au détriment des inébranlables unités loyalistes. Comme eux, il fondait tous ses espoirs sur l’issue de la guerre, et, comme eux, il blâmait de plus en plus la Grande-Bretagne de trahir ces espoirs : « Il y a eu une série condamnable de tractations et de re-tractations marchandage, conciliation – et de délégations, telle que le combat (qui est le seul remède aux désordres de l’Amérique) a été complètement suspendu. » Le mépris des troupes loyalistes pour la timidité des Britanniques toucha son sommet à propos du général Henry Clinton, qui provoqua les commentaires les plus acerbes de Winslow : « La stupeur qui semblait s’emparer de Son Excellence, et dont seul un événement surnaturel [eût pu] le débarrasser, empêcha effectivement toute entreprise militaire. »
Exception faite d’une série de raids côtiers, excitants et réussis, sur le Rhode Island, sous le commandement d’Edmund Fanning, pendant l’été de 1779, Winslow passa la plus grande partie de la guerre à contrôler les feuilles d’appel. À la fin des hostilités, il n’eut guère le choix quant à son avenir. Il ne pouvait retourner au Massachusetts, dont il était légalement proscrit. Les dettes de sa famille et ses responsabilités familiales l’empêchaient de prendre le chemin qu’il eût préféré, celui de l’Angleterre, où l’on trouvait, les meilleurs emplois. Il accepta donc, à contrecœur, la suggestion de sir Guy Carleton d’aller en Nouvelle-Écosse comme représentant des régiments loyalistes et d’y faire le découpage des terres destinées aux 6 000 hommes de troupe et à leurs familles, qui suivraient par la suite.
Après avoir installé sa propre famille à Granville, en Nouvelle-Écosse, au début de 1783, Winslow travailla assidûment à trouver le meilleur emplacement possible pour s’y fixer lui-même et y établir ses troupes loyalistes. Il cultiva l’amitié du gouverneur John Parr* et d’autres fonctionnaires de Halifax ; mais, si ces messieurs consentaient à recevoir Winslow à leur table, ils s’accrochaient ferme au pouvoir qu’ils avaient de concéder des terres. Ils résistèrent, en particulier, à la volonté de Winslow d’établir ses régiments loyalistes et leurs familles sur un seul territoire, car ils se rendaient compte que la réalisation de ce projet aurait eu pour effet d’implanter une communauté politique séparée, et potentiellement rivale, en Nouvelle-Écosse.
Les rebuffades des « nababs de la Nouvelle-Écosse », comme il les appela plus tard, ne firent qu’aiguillonner Winslow. Il abandonna son premier plan d’établir ses troupes dans la partie péninsulaire de la Nouvelle-Écosse et, en compagnie de plusieurs autres officiers loyalistes, il commença d’examiner les possibilités qu’offrait le côté nord de la baie de Fundy. Quand ils arrivèrent dans la vallée de la Saint-Jean, où beaucoup de réfugiés loyalistes avaient déjà dressé des campements, ils surent qu’ils étaient chez eux. L’abondance des ressources naturelles de la vallée, alliée à la grande distance de Halifax, séduisit immédiatement les officiers loyalistes. Et c’est là, en juillet 1783, que Winslow fit la suggestion – provocante – que la région située au nord de la baie de Fundy fût détachée de la Nouvelle-Écosse de façon à devenir une province loyaliste distincte, « et si cela se fai[sait], ajoutait-il, ce sera[it] la plus policée de la terre ».
Par cette suggestion, Winslow se distingue comme le prophète de la future province du Nouveau-Brunswick, et c’est là l’apport le plus remarquable de sa longue carrière. Les éléments constitutifs de cette suggestion n’étaient pas, toutefois, complètement inédits. La nécessité d’une province loyaliste qui servît de refuge aux partisans américains de la Grande-Bretagne ne pouvant retourner dans leurs foyers avait depuis longtemps été reconnue par le gouvernement britannique, et une vaine tentative d’y répondre avait été faite lorsqu’en 1780 on avait baptisé la partie nord du Maine actuel du nom de New Ireland [V. John Caleff]. En outre, la politique visant à réinstaller les troupes loyalistes en Amérique du Nord britannique, régiment par régiment, de façon qu’on pût les rappeler facilement, en cas de besoin, avait d’abord été suggérée par Carleton. Le mérite de Winslow fut de combiner l’idée d’une province loyaliste distincte et le désir de sir Guy de laisser l’organisation militaire loyaliste intacte, et d’appliquer ces idées à un emplacement particulier – la région nord de la Nouvelle-Écosse, avec pour centre la vallée de la Saint-Jean.
Il y avait, sous-jacents à la suggestion de Winslow, un certain nombre de postulats idéologiques que partageaient avec lui beaucoup de ses compagnons loyalistes, et qui furent d’une importance vitale pour le développement du Nouveau-Brunswick. Deux de ces postulats étaient compris dans son vœu que cette province fût « la plus policée de la terre ». D’abord et surtout, ce devait être une province loyaliste, gouvernée par les braves exilés loyalistes, où il n’y aurait pas de concessions pour les Acadiens, les Indiens ou les « vieux habitants » qui vivaient déjà dans la région. Ensuite, ses chefs devraient appartenir à l’élite loyaliste, être des officiers et des gentlemen qu’un passé sans tache et une longue expérience des affaires coloniales rendraient capables de former un gouvernement modèle. De plus, on considérait comme acquise la collaboration active du gouvernement britannique. En nommant de solides Loyalistes aux postes principaux, en apportant son appui à des institutions sociales de première importance comme l’éducation et l’Église d’Angleterre, et en réservant le commerce des Antilles à ses sujets des colonies, la Grande-Bretagne devait jeter les bases économiques et sociales de la nouvelle province. Enfin, Winslow prévoyait avec les États-Unis des rapports fondés sur la concurrence. Il caressait le rêve qu’un jour la crème même de la société américaine, déçue de sa république chancelante et privée de son commerce vital avec les Antilles, se transporterait au nord et viendrait s’établir dans sa province. Ce thème de l’ultime revanche donna lieu à la plus fameuse des prophéties de Winslow (telle qu’elle a été gravée sur le bronze dans l’édifice du Centenaire à Fredericton) :
Oui, par Dieu ! nous ferons l’envie des États américains [...] Quand les habitants des États voisins nous verront agir. Quand ils nous verront jouir d’un gouvernement régulier – sous la protection de la mère patrie – et n’être point grevés d’impôts énormes, et qu’ils compareront leur situation à la nôtre, ne nous envieront-ils pas ? Bien sûr que oui. Et beaucoup parmi leurs citoyens les plus respectables se joindront immédiatement à nous.
Pour atteindre son but de créer une province loyaliste distincte, Winslow fit part de ses propositions et de ses espoirs à de nombreux collègues, en Nouvelle-Écosse et en Grande-Bretagne. Le projet reçut un rapide assentiment parmi les réfugiés frustrés par le manque d’emplois et la difficulté d’obtenir des concessions de terre, et une bataille politique longue – elle dura un an – et compliquée s’ensuivit entre les défenseurs d’une nouvelle province et les partisans de l’intégrité politique de la Nouvelle-Écosse. L’histoire canadienne connaît cette campagne sous le nom de partition movement. Winslow ne fut qu’un des quelques protagonistes de cette bataille, mais un protagoniste important. Sa conquête la plus remarquable fut celle du général de brigade Henry Edward Fox, commandant en chef des forces britanniques à Halifax et frère du puissant homme politique britannique Charles James Fox. En juillet 1783, par l’entremise de ses bons amis George Duncan Ludlow et Ward Chipman*, Winslow fut nommé secrétaire de Fox. Il rencontra le général à Halifax en août. Chipman avait averti sévèrement Winslow : « soyez sérieux, ne vous laissez aller qu’avec prudence à votre penchant de bon vivant », et Winslow, à n’en pas douter, se le tint pour dit. Non seulement Fox devint-il un chaleureux ami pour lui, mais il seconda de ses propres ambitions les plans de Winslow pour de nouveaux établissements loyalistes, au point d’en arriver à solliciter pour lui-même le gouvernement de la province projetée. Parmi les autres alliés de poids que Winslow contribua à faire pencher pour la séparation d’avec la Nouvelle-Écosse, il y eut les Penobscot Associated Loyalists, communauté de marchands de bois du Maine qui avaient immigré en masse à St Andrews afin de rester à l’intérieur du système de navigation britannique [V. William Gallop]. Il y eut également plusieurs chefs influents des groupes de réfugiés loyalistes qui étaient à s’établir le long de la rivière Saint-Jean, comme Amos Botsford, Gilfred Studholme* et George Leonard*, ainsi que William Hazen, le membre le plus éminent parmi les colons de la période préloyaliste.
La deuxième tâche d’importance que réalisa Winslow pendant le partition movement fut de recueillir des renseignements sur les conditions économiques et politiques de l’Amérique du Nord britannique et de les transmettre à Londres. Ces renseignements furent utilisés par ses collègues loyalistes et par leurs partisans pour convaincre le gouvernement impérial du besoin d’une province distincte, certes, mais aussi de sa viabilité. Les arguments politiques qu’ils avancèrent à l’appui de leur cause étaient centrés sur l’incapacité des autorités de Halifax de gouverner les établissements lointains situés de l’autre côté de la baie de Fundy. On insista aussi sur les promesses, faites au temps de la guerre, d’une province loyaliste distincte, de même que sur l’incompatibilité des réfugiés avec les habitants de la Nouvelle-Écosse, dont beaucoup avaient appuyé la Révolution américaine. On passa sous silence le soulagement qu’apporterait une nouvelle province en fournissant des emplois pour quelques-uns des quémandeurs de postes loyalistes qui avaient assiégé Whitehall depuis le début de la guerre, mais cet aspect de la question n’échappa sûrement pas à Londres. Les arguments économiques à l’appui de la séparation d’avec la Nouvelle-Écosse reposaient surtout sur les ressources naturelles de la région. Winslow et ses collègues envoyèrent à Londres des inventaires détaillés des richesses de la colonie proposée, dans les domaines de l’exploitation forestière, des pêches et de l’agriculture. Ces données servirent à convaincre le gouvernement britannique que la région avait une base économique solide et qu’elle pouvait envisager un commerce actif avec les Antilles britanniques.
Mais le partition movement n’alla pas sans rencontrer d’opposition. Le gouverneur Parr et le Conseil de la Nouvelle-Écosse usèrent de leur influence pour dénigrer le besoin d’une province séparée, laquelle rétrécirait leur juridiction politique et représenterait une sérieuse rivale à Londres, où les Loyalistes avaient beaucoup d’amis haut placés. Les fonctionnaires de Halifax, de surcroît, possédaient d’immenses terres désertes dans la vallée de la Saint-Jean et dans la région de Cumberland ; ces terres, ils le savaient, seraient confisquées, advenant qu’un nouveau gouvernement prît en main la région située au nord. La résistance vint aussi de l’intérieur même des territoires de la province projetée. Le long de la Saint-Jean, la majorité des anciens habitants et beaucoup de soldats et de réfugiés loyalistes dissidents se groupèrent autour de l’avocat Elias Hardy* pour s’opposer à la séparation et exprimer leur désir de continuer à faire partie de la Nouvelle-Écosse. Au fond, ces hommes en avaient contre la façon dont Winslow et les autres représentants des Loyalistes s’étaient avantagés, eux et leurs alliés, dans la distribution des terres, et ils ne voulaient pas voir ce groupe exclusif d’officiers installés de façon permanente au pouvoir. Mais, en dépit de cette vive opposition, la campagne organisée par Winslow et ses collègues, appuyés par de puissants amis anglais, se révéla décisive. Le 18 juin 1784, le Conseil privé approuva la création de la province du Nouveau-Brunswick, aux fins expresses de fournir un refuge adéquat à un « grand nombre de loyaux sujets de [Sa] Majesté », et, en septembre de la même année, le grand sceau fut adopté, portant une devise expressive : Spem Reduxit (l’Espoir restauré).
Malheureusement pour Winslow, aucun triomphe personnel ne vint couronner son labeur en faveur de la nouvelle province. Au dernier moment, Fox refusa le poste de gouverneur du Nouveau-Brunswick, et Winslow n’avait aucun autre protecteur de cette taille en Angleterre. À son avis, tous les postes lucratifs allèrent à « un paquet de gros fainéants à la retraite vivant en Angleterre », alors que ceux qui travaillaient effectivement dans les nouveaux établissements devaient se contenter de postes à titres ronflants et de bas salaires. « La prise d’assaut de St James, notait-il aigrement, a eu plus de succès que la prise d’assaut de Saint-Jean. » Néanmoins, les postes obtenus par Winslow au Nouveau-Brunswick étaient prestigieux. Membre du conseil de la province et juge en chef de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments dès le début, il devint sous-officier payeur pour les dépenses fortuites de l’armée en 1785, juge de la Cour inférieure des plaids communs du comté d’York, commissaire de la New England Company en 1791, chef de rassemblement du King’s New Brunswick Regiment, secrétaire de la commission internationale des frontières, en 1796 et 1798, et sous-inspecteur des forêts du roi en 1806. Aussi jouissait-il d’une assez grande influence publique. Pendant ses premières années au Nouveau-Brunswick, il contribua avec beaucoup d’imagination aux affaires publiques, faisant en particulier des suggestions sur les avantages que requéraient les hautes fonctions du gouverneur Thomas Carleton : « Il aura une élégante résidence, une église, une maison [qui sera] le siège du gouvernement, une salle de réunion, et un théâtre s’il le désire. » Ces beaux rêves furent bientôt dissipés par les nécessités économiques de la jeune colonie du Nouveau-Brunswick et par l’état d’endettement dans lequel se trouvait Winslow lui-même. « Funeste pauvreté – voilà un diable incarné », rageait-il en 1786, et, en 1792, il entretint Simcoe de l’incapacité des provinces nouvelles, aux établissements clairsemés, de supporter dans la vie publique des hommes instruits et de sentiments raffinés. Les frustrations de Winslow relatives aux rudes conditions économiques de la région frontalière étaient partagées par beaucoup de membres de l’élite loyaliste du Nouveau-Brunswick, si bien, notait Winslow, que les « gentlemen étaient tous devenus producteurs de pommes de terre – et [que les] cordonniers se prépar[aient] à légiférer ».
Le profond engagement de Winslow dans la vie publique dut par conséquent être relégué au second plan, pendant qu’il consacrait toutes ses énergies à la culture de la terre, de façon à faire vivre sa femme et ses enfants, ses deux sœurs et trois esclaves. Mais il ne perdit jamais confiance dans la province qu’il avait contribué à créer. Pendant les années 1790, il fit deux voyages dans la prospère Nouvelle-Angleterre qui éveillèrent en lui beaucoup de nostalgie, sans changer son cœur. Et sa publication la plus notable, les lettres de Tammany, parues dans la Royal Gazette and New-Brunswick Advertiser de Saint-Jean, en 1802, était une longue dénonciation de ses camarades au cœur lâche qui désertaient le Nouveau-Brunswick pour de plus gras pâturages. Voici comment Winslow traitait ceux qui étaient retournés au sud : « quelques personnages étourdis, excentriques et mécontents [... qui], entrés furtivement aux États-Unis [...], y sont devenus à la lettre des « scieurs de bois et des porteurs d’eau » et [...] sont forcés de considérer les actions les plus méritoires de leur vie comme les fautes les plus atroces qu’ils aient jamais commises ». Ceux qui étaient partis pour le Haut-Canada n’étaient « pas tout à fait aussi coupables », mais avaient agi sous « l’influence du même extraordinaire caprice ».
D’une façon assez ironique, Winslow obtint quelque secours, non point à la suite des services rendus au Nouveau-Brunswick, mais grâce à un contact sans lendemain qui remontait à l’époque de la guerre. En 1804, il fut appelé en Angleterre pour justifier ses comptes comme sous-officier payeur pour les dépenses fortuites de l’armée. Pendant son séjour en Angleterre, son ancien commandant, lord Hugh Percy, devenu duc de Northumberland, fit le nécessaire pour qu’il fût nommé à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Quand il fut effectivement nommé, en 1807, le fait qu’il n’était pas avocat tracassa le barreau de la province et le lieutenant-gouverneur Carleton, mais lui-même apprécia la chance qu’il avait de mettre enfin de l’ordre dans ses affaires. En 1808, Winslow servit quelque temps comme président de la province ; il alla courageusement à l’encontre de ses instructions en licenciant, à temps pour les semences du printemps, la milice qui était sur le point de se révolter. Profondément enracinée, sa rancœur envers les États-Unis refit surface pendant la guerre de 1812 : il pria pour que la Grande-Bretagne donnât finalement aux Américains « le châtiment qu’ils mérit[aient] si largement ». Il mourut en 1815, poursuivi jusqu’à la tombe par ses deux fatalités, les dettes et la goutte. Il laissait sa femme et plusieurs enfants. En 1816, la chambre d’Assemblée du Nouveau-Brunswick accordait £100 à chacune des deux filles célibataires de Winslow, en reconnaissance pour ses « nombreux services » à la province.
La correspondance d’Edward Winslow est la plus importante collection particulière au Canada de documents personnels provenant d’un loyaliste. Tour à tour érudites, passionnées, cinglantes et pleines d’humour, ses lettres décrivent d’une façon vivante l’exode loyaliste vers l’Amérique du Nord britannique, de même qu’elles racontent en détail la vie quotidienne dans les débuts du Nouveau-Brunswick. D’une phrase, Winslow pouvait transpercer un adversaire. Ainsi, Elias Hardy était un « notaire de bas étage », Richard John Uniacke*, « un gros lourdaud d’Irlandais rebelle et insolent », et l’acariâtre Jonathan Odell, « un grand prêtre de l’ordre de Melchisédech ». La verve de Winslow reflétait surtout son enthousiasme débordant de la vie et son profond amour de l’humanité. Il décrit le climat du Nouveau-Brunswick comme ayant « toutes les caractéristiques de la virginité. Il déchaîn[ait] des vents furieux – crachin[ait] quelque peu – mais [tous] continu[aient] de s’en accommoder. » Et la chicanière Assemblée du Nouveau-Brunswick n’était qu’un autre « Lilliput » composé de « membres qui, trois ans plus tôt, ignoraient que la Grande Charte n’était pas un gros pudding ». Quant à lui, Winslow confia : « Si j’étais transformé en instrument de musique [...] je choisirais d’être un violon parce qu’il faudrait quelque adresse et quelque goût pour me jouer. » Winslow fut certainement un instrument fort bien accordé, non pas tant pour défricher la forêt que pour civiliser et éduquer une communauté – ce à quoi il était admirablement préparé.
Une bonne sélection faite dans la correspondance d’Edward Winslow, éditée par William Odber Raymond*, a été publiée sous le titre de Winslow papers, A.D. 1776–1826 (Saint-Jean, N.-B., 1901). Les lettres qu’il écrivit sous le pseudonyme de Tammany ont paru dans la Royal Gazette and New-Brunswick Advertiser (Saint-Jean), le 21 juill. et le 8 sept. 1802. Raymond a aussi édité le texte de Winslow, « A sketch of the province of Nova Scotia, and chiefly of such parts as are settled », N.B. Hist. Soc., Coll., 2 (1899–1905), no 4 : 142–162.
APC, MG 23, D1, sér. 1, 1 : 356–360 ; 4 : 1318–1349, 1362–1367 ; 6 : 7s. ; 10 : 297–299 ; D4 : 10–10b ; GII, 10, vol. 2 : 1035–1042.— APNB, RG 2, RS6.— Musée du N.-B., H. T. Hazen coll., Ward Chipman papers.— PANS, MG 1, 939 : 22 ; 940 : 4.— PRO, CO 188/1–19 ; CO 217/56–59 ; PC 2/129 : 192, 412 ; PRO 30/55 (copies aux APC).— UNBL, MG H2, Edward Winslow, affidavit to loyalist claims commission, 28 oct. 1783 ; fragment of letter, c.1780 ; letters, Winslow à Joseph Chew, c.1797 ; à Ward Chipman, 7 juill. 1783, 27 avril 1784, 25 avril 1785 ; à John Coffin, 4 oct. 1784 ; à Robert Hallowell, 2 mai 1778 ; à George Leonard, 5 oct. 1784 ; à Daniel Lyman, 12 mars 1800 ; à Benjamin Marston, 16 mars 1786 ; à J. G. Simcoe, 7 avril 1792 ; à Gregory Townsend, 17 janv. 1793 ; à Benning Wentworth, 9 juill. 1778 ; à sir John Wentworth, 25 juill. 1807 ; à Edward Winslow Jr, 13 juin 1811 ; Ward Chipman à Winslow, 25 juin 1783, 14 mars 1784 ; H. E. Fox à Winslow, 14 avril 1784 ; E. G. Lutwyche à Winslow, 5 janv. 1807.— William Bradford, Of Plymouth Plantation, 1620–1647, S. E. Morison, édit. (New York, 1952), 86n.— G.-B., Hist.
Ann Gorman Condon, « WINSLOW, EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/winslow_edward_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/winslow_edward_5F.html |
Auteur de l'article: | Ann Gorman Condon |
Titre de l'article: | WINSLOW, EDWARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 15 oct. 2024 |