GLENIE, JAMES, officier, ingénieur militaire, homme d’affaires, homme politique et fonctionnaire, né en 1750 à Fife, Écosse ; au début des années 1780, il épousa Mary Anne Locke, et ils eurent au moins deux fils ; décédé le 23 novembre 1817 à Ebury House, Pimlico (maintenant partie de Londres).
Habitué de la polémique, de quelque côté de l’Atlantique qu’il se trouvât, James Glenie fut un personnage dogmatique et haut en couleur des débuts de l’histoire du Nouveau-Brunswick. Ses capacités intellectuelles et ses talents lui valurent l’appui d’importants protecteurs anglais, tandis que ses attaques incessantes contre Thomas Carleton et l’élite loyaliste contribuèrent à forger une coalition d’opposition qui a été acclamée comme un mouvement de réforme populaire. Il quitta facilement les plus hautes sphères londoniennes pour s’installer dans le comté de Sunbury, où la population vivait péniblement ; il fut parfois un adversaire, à cheval sur les principes, s’opposant à tout plan nuisible aux meilleurs intérêts du public, et parfois un défenseur porté à plaider plus particulièrement pour ses propres intérêts ou pour ceux d’un protecteur.
Fils d’un officier, Glenie entreprit des études de théologie en Écosse, à la St Andrews University, en 1766, mais devint plutôt un excellent mathématicien qui gagna deux prix dans cette discipline en 1769. Pourvu d’une maîtrise ès lettres et fort de l’appui du chancelier de l’université, le comte de Kinnoull, il se décida pour la carrière militaire et fut admis comme cadet à la Royal Military Academy de Woolwich (maintenant partie de Londres). Le 3 novembre 1776, Glenie reçut une commission de lieutenant en second dans le Royal Régiment of Artillery ; il avait comme colonel le vicomte George Townshend, également maître général du Board of Ordnance, qui allait se montrer envers Glenie un protecteur favorable mais quelque peu exigeant. Envoyé à Québec à la fin de 1776 ou en 1777, Glenie servit durant la guerre d’Indépendance américaine et participa aux contre-offensives infructueuses dirigées par John Burgoyne* et Barrimore Matthew St Leger*, mais il donna toute sa mesure sous les ordres du gouverneur Haldimand. À l’été de 1778, Glenie accompagna le lieutenant William Twiss* à Oswegatchie (Ogdensburg, New York) et Cataraqui (Kingston, Ontario) à la recherche d’un emplacement approprié pour un dépôt d’approvisionnements que Haldimand espérait établir à l’extrémité est du lac Ontario. Twiss se décida pour l’île Buck (New York), qu’il proposa de rebaptiser île Carleton, et envoya Glenie rendre compte à Haldimand, exprimant ainsi sa confiance en lui. Haldimand approuva la proposition de construire un poste dans l’île Carleton ; toutefois, dès la mise en route des travaux, Twiss dut partir pour Montréal, et Glenie fut chargé de « surveiller et de diriger l’entreprise en [son] absence ».
À la fin de septembre, Glenie put annoncer qu’un parapet de cinq pieds venait d’être terminé et qu’une caserne destinée à abriter la garnison durant l’hiver suivant était sur le point de l’être. Cependant, des problèmes se posaient déjà. Glenie se plaignit que les soldats de corvée au poste ne savaient pas ce qu’était « du travail bien fait » et il ne tarda pas à se trouver mêlé à une kyrielle de disputes avec le capitaine Thomas Aubrey qui commandait à l’île Carleton. D’autres hommes, notamment le lieutenant Thomas Bunbury, se plaignirent des « durs et mauvais traitements » qu’Aubrey leur faisait subir, mais ce fut Glenie qui reçut un avertissement de la part de Haldimand. Des comptes rendus faisant état de « plaintes et de désaccords » entre Glenie et Aubrey incitèrent Haldimand à écrire à Glenie le jour de Noël cette pensée que ce dernier devait garder à l’esprit : « celui qui commande doit commander en toute chose et être obéi sans hésitation par tous ceux qui sont placés sous ses ordres, car lui seul est responsable ».
Comme les querelles continuaient néanmoins, Haldimand suggéra la possibilité de rappeler Glenie. Twiss convint qu’un rappel serait sage, mais il pensait toujours que Glenie était « l’officier le plus compétent qu’ [il] connaiss[ait] dans la province » pour entreprendre l’arpentage nécessaire de la rive nord du lac Ontario. En mai 1779, il était trop tard pour sauver Glenie. En effet, ce dernier se retrouva aux arrêts et face à un conseil de guerre, car il avait fait circuler une pétition contre Aubrey et était accusé d’avoir « signé un faux reçu ». Autre cause d’embarras pour Haldimand, on avait terriblement besoin des services de Glenie et, à l’automne, on apprit qu’il avait été muté au corps de génie (sa commission de lieutenant en second portait la date du 23 février 1779) et que lord Townshend voulait qu’il retournât en Angleterre. En raison de divers problèmes, il y eut de longs retards avant la tenue du procès de Glenie, et Haldimand estima qu’il serait « hautement incorrect » de lui permettre de retourner au pays avant que cette affaire ne fût réglée.
Pour sa part, Glenie qualifia d’abord les accusations d’Aubrey de « vagues et incertaines », défendit ardemment sa conduite, exposa à grands traits les insultes intolérables qu’il avait patiemment supportées et demanda la permission de s’installer dans la partie est de la colonie « où il [lui] serait plus facile de [s]’occuper entre-temps par l’étude, car rien ne [pouvait] être plus insupportable que l’oisiveté ». En novembre (il se trouvait alors à Québec), il accepta avec diplomatie la décision de Haldimand de ne pas l’autoriser à se rendre en Angleterre et exprima son désir d’être « employé comme le capitaine Twiss l’ordonnera[it], jusqu’à ce que l’affaire entre le capitaine Aubrey et [lui] fût réglée sans inconvénient pour le service ». C’est ainsi que le procès de Glenie devant le conseil de guerre n’eut pas lieu avant l’été de 1780, bien que les accusations eussent été portées contre lui au printemps de 1779 ; dans l’intervalle, il continua d’accomplir son service de façon active et d’être apprécié de ses supérieurs, surtout à Sorel. Alors qu’il se trouvait en butte aux soupçons, Glenie fut l’objet d’un grand honneur en Grande-Bretagne. Francis Maseres* remit en son nom à la Royal Society de Londres deux articles sur les mathématiques, qui lui valurent d’être élu fellow en mars 1779.
En viendrait-on à casser un jeune officier si brillant ? Vraisemblablement non, du moins dans la pensée de lord Townshend, puisque, plusieurs mois avant le procès, celui-ci tenait presque pour acquis qu’il y aurait acquittement : « M. Glenie, comme son affaire se réglera probablement en sa faveur, a reçu l’ordre de rester dans l’état-major du Canada. » Le procès se termina à la fin d’août, et le conseil de guerre, où siégeait le lieutenant-colonel Thomas Carleton, rendit le 24 octobre un verdict qui dut paraître fort surprenant pour certains des partisans de Glenie. On le déclara innocent d’avoir signé un faux reçu, mais « coupable de s’être comporté à maintes reprises de façon malséante pour un officier et un gentleman ». Glenie revint en Angleterre dégradé, sa carrière militaire ayant apparemment pris fin, mais il était porteur d’une lettre de Haldimand destinée à Townshend, où il était décrit comme un « officier du génie plein de promesses ». « Il possède de grandes connaissances et beaucoup d’application, et parce que je crois que ses fautes viennent de son ignorance des règlements de l’armée, je voudrais, par l’entremise de Votre Seigneurie, le recommander pour tout emploi demandant beaucoup d’aptitudes et une grande application, mais où la subordination ne constitue pas la première et la plus nécessaire condition. » Haldimand fit des remarques semblables dans une lettre à lord Amherst*, et une variation sur le même thème fut remise au colonel William Roy, du corps de génie, qu’on pressa d’intervenir pour empêcher la ruine de Glenie. En quelques mois, la décision fut renversée. À la fin de janvier 1781, à cause d’irrégularités commises au cours du procès devant le conseil de guerre et des bons services de Glenie, à la fois avant et après sa mise aux arrêts, le roi, tout en désapprouvant sa conduite envers le capitaine Aubrey, gracia Glenie et le réintégra dans son grade et ses fonctions au corps de génie.
Sa carrière étant sauve, Glenie aurait peut-être dû avancer avec précaution, mais il avait alors des obligations considérables envers ses protecteurs et, à vrai dire, il semblait aimer la polémique. En 1782, le duc de Richmond remplaça Townshend au poste de maître général du Board of Ordnance et ne tarda pas à proposer un plan détaillé des fortifications côtières, dont le coût estimatif était considérable au départ et qui pourtant allait bientôt monter en flèche. Glenie se moqua de ce plan et fut engagé par le secrétaire de Townshend pour écrire un pamphlet qui parut en 1785 sous la signature d’« un officier ». Ses affirmations selon lesquelles les fortifications du duc coûteraient finalement de 40 à 50 millions de livres, assez pour construire une marine entièrement nouvelle, firent de ce pamphlet une dangereuse mise en accusation. Richmond essaya de répondre, mais le Parlement rejeta ses propositions de loi au cours d’un vote en février 1786. Comme on pouvait s’y attendre, Richmond ne devait pas être « satisfait avant d’avoir chassé Glenie du corps [de génie] ».
Entre-temps, Glenie était revenu au service actif en Amérique du Nord et, réaliste, il cherchait de nouvelles sources de revenus afin d’arrondir sa solde ou de la remplacer. À la fin de l’été et au début de l’automne de 1785, il surveilla des équipes de travail du 54e d’infanterie dans la région de la rivière Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick ; par suite d’une expédition en haut de la rivière Oromocto, il soumit un projet de mise en valeur appropriée pour cette partie de la province. Pensant que la région de l’Oromocto « se prêt[ait] admirablement au pâturage et à l’élevage du bétail, dont les effets bénéfiques [étaient] presque instantanés comparativement à ceux qui prov[enaient] de l’agriculture », il proposa, le 4 août, d’importer du bétail, de défricher de 60 à 100 acres de terre avant l’hiver et de commencer à élever du bétail, si Carleton, devenu gouverneur de la province, et le Conseil du Nouveau-Brunswick lui concédaient immédiatement 200 acres. De plus, Glenie demanda l’assurance qu’à l’expiration des restrictions concernant la superficie des concessions de terre, sa concession de 200 acres fût augmentée d’une autre, contiguë à la première et de 1 000 acres au moins, « ce qui [était] la plus petite quantité pour toute personne qui se lan[çait] dans un projet de cette nature ». Le gouverneur et le conseil répondirent froidement avec une offre modérée de 200 acres, mais Glenie, désappointé, la refusa. À la place, il soumit de nouveau son projet en octobre 1785, dans une requête rédigée conjointement avec William Gordon, de la pointe St Anne (Fredericton), William Donaldson et James Gordon, de Saint-Jean, et Alexander Fraser, de Grenade. Encore une fois, les rédacteurs de la pétition insistaient sur les avantages de l’élevage du bétail sur les rives de l’Oromocto et ils promettaient que si on leur accordait une étendue de terre de 5 000 acres, chacun mettrait « pas moins de 20 vaches laitières sur leurs terrains au début de l’été suivant, avec les maisons et les colons nécessaires ». Peu impressionnés, le gouverneur et le conseil n’octroyèrent que ce qui était « conforme aux règlements généraux » et seulement à « ceux des pétitionnaires qui [étaient] dans la province et qui n’ [avaient] encore rien reçu » ; l’offre fut rejetée une fois de plus. Ainsi, même avant que Glenie ne s’installât de façon permanente au Nouveau-Brunswick, Carleton (celui-là même qui faisait partie du conseil de guerre qui l’avait jugé à Québec) et le conseil dominé par les Loyalistes avaient à deux reprises fait échouer ses plans.
Glenie retourna en Angleterre quelque temps après avoir reçu la réponse à sa deuxième requête concernant l’octroi de terres. Son séjour fut cependant de courte durée. En septembre 1787, comme il se rendait compte que l’opposition de Richmond nuirait à sa carrière militaire, il résigna sa commission de lieutenant dans le corps de génie, qu’on lui avait accordée le 15 novembre de l’année précédente. En octobre 1787, Glenie et sa famille arrivèrent au Nouveau-Brunswick à bord du brick Providence ; Glenie revenait dans un pays familier, mais sa femme, Mary Anne Locke, y venait probablement pour la première fois. Glenie s’installa sur une terre à Gooldsborough (près d’Oromocto), dans le comté de Sunbury. Toutefois, les seuls titres de propriété enregistrés à son nom concernent deux concessions ultérieures, une de 235 acres dans le comté de Queens, en 1790, et une autre de 880 acres dans le comté d’York, en 1794. Pendant son séjour à Londres, la firme Blair and Glenie avait été créée pour se lancer dans le commerce des mâts, et c’est grâce à cette entreprise que Glenie espérait faire fortune. Andrew Blair devait obtenir de l’Amirauté des contrats pour l’achat de mâts que Glenie ferait ensuite parvenir à Saint-Jean. En 1790, il possédait déjà un « étang à mâts avec les dépendances, près de Portland Point [Saint-Jean] », ainsi que des étangs à mâts à French Lake, sur l’Oromocto, et juste en bas de Gagetown, sur la rivière Saint-Jean. Mais encore une fois, il s’attira le mécontentement de Carleton et de l’élite loyaliste, dont les plans d’exploitation agricole seraient bouleversés par une production de mâts trop intensive. Pour contrebalancer cette opposition, Glenie bénéficiait de l’amitié et de l’appui de Wentworth, inspecteur général des forêts du roi en Amérique du Nord, qui allait devenir lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse en 1792. Wentworth était toujours prêt à aider la Blair and Glenie à exécuter ses contrats et, quand Glenie lui demanda un permis de coupe de bois en 1790, l’inspecteur général en délivra un rapidement « pour autant d’arbres qu’il sera[it] nécessaire ». Wentworth se montrait très coopératif avec Glenie, et celui-ci voulait bien en retour lui signaler les « coupes [de bois] illégales » et les « contrevenants ». Wentworth intenta promptement des poursuites judiciaires contre ces derniers, parfois avec l’argent que Glenie lui avançait pour faciliter la chose. En ce qui concerne les questions d’affaires et l’administration des ressources de la forêt, les relations entre Glenie et Wentworth étaient très étroites, renforcées sans nul doute par la sympathie qui existait entre eux et le respect qu’ils avaient l’un pour l’autre.
Vu le sort réservé à ses demandes de concessions de terre, l’hostilité envers son entreprise de production de mâts et sa propre confiance en ses capacités et ses relations, on pouvait prédire que Glenie ne tarderait pas à se lancer à fond dans une attaque contre Carleton et ses conseillers loyalistes. À l’occasion d’une élection partielle qui eut lieu en novembre 1789, il fut ravi de voir que « le peuple, spontanément et contrairement à [ses] souhaits, [le] choisit comme député de la circonscription de Sunbury à l’Assemblée ». Il remporta cette victoire, semble-t-il, malgré « tous les stratagèmes, les basses ruses et les mensonges [qui] furent échafaudés et utilisés par la pitoyable cabale du gouverneur des mois auparavant pour empêcher [son élection] ». Selon Glenie, les dirigeants du Nouveau-Brunswick étaient « bigrement alarmés, car ils prév[oyaient] qu’une majorité des membres de la chambre [allait le] suivre et que leurs pratiques infâmes ne ser[aient] pas seulement l’objet d’une enquête, mais qu’elles ser[aient] mises en lumière et découvertes ». Mais il faudra attendre plus d’un an avant que la chambre d’Assemblée ne se réunisse et que Glenie ne puisse lancer son attaque. Dans l’intervalle, il dénicha avec enthousiasme des exemples de « pratiques infâmes » et les utilisa pour souligner les défauts et abus de pouvoir de Carleton et de ses conseillers. À bien y penser, les accusations de Glenie et les noms injurieux qu’il donna – ceux de « juge analphabète à l’esprit dérangé » (Isaac Allan), de « butor hollandais, ignorant et malappris » (le conseiller Christopher Billopp), de « juge en chef ignorant et bègue » (George Duncan Ludlow) et d’« homme sur qui la nature a apposé le sceau de la stupidité » (le loyaliste très en vue Beverley Robinson) représentent quelques exemples pris sur le vif des principaux citoyens du Nouveau-Brunswick – semblent avoir été conçus non pour changer le système, mais tout simplement pour remplacer la coterie au pouvoir par une autre. À la place des « harpies sans scrupules » que l’on nommait, Glenie proposa Jonathan Bliss* ou Daniel Bliss, son propre voisin, comme d’excellents candidats à des postes de juge. Pour combler les vacances au sein du conseil, il suggéra les noms de Phineas Shaw, de William Gordon et de « plusieurs autres gentlemen européens hautement qualifiés qui ne ser[aient] pas des instruments comme les hommes recommandés ».
Glenie était alors loin d’être un tribun du peuple, et son succès électoral dans Sunbury tenait probablement plus au fait qu’il prit comme modèle la façon de faire d’un William Davidson* qu’à des questions débattues ultérieurement, comme celle du pouvoir de l’Assemblée. Davidson avait été élu député de Sunbury à la chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse, puis, en 1785, il avait représenté la circonscription de Northumberland à l’Assemblée du Nouveau-Brunswick. Dans ces deux cas, le fait qu’il était, au moment des élections, le plus important employeur de ces deux circonscriptions l’aida considérablement. L’électorat avait encore probablement cette attitude pleine de déférence à l’époque où Glenie s’installa dans Sunbury avec ses contrats de livraison de mâts ; cette attitude des électeurs, alliée à ses franches déclarations antiloyalistes dans une région où la population était surtout composée de colons d’origine américaine établis avant la guerre d’Indépendance, contribua pour beaucoup à son acceptation. Dès l’ouverture de l’Assemblée, le 5 février 1791, il prit vraiment une part active aux débats et ne tarda pas à manifester une attention soutenue aux besoins de ses électeurs de Sunbury. Quelques jours après, il présenta une requête émanant d’un certain nombre d’habitants de Maugerville qui demandaient que les limites des concessions de terre dans leur canton et dans toute la province fussent clairement définies. Glenie fit bientôt partie de divers comités et s’opposa au projet de Carleton visant à aménager une partie de la Christ Church de Fredericton pour y installer la Cour suprême et l’Assemblée ; il s’éleva aussi contre un projet de loi sur le mariage et le divorce, nettement proanglican, qui laissait de côté les autres confessions. Il participa également à la rédaction du compte rendu d’un comité qui découvrit « de très graves irrégularités et d’importantes dérogations à la loi sur l’impôt» au bureau du trésorier.
À la session de 1792, Glenie joua encore une fois un rôle très actif. Stimulé par une pétition provenant de ses électeurs de Sunbury, dans laquelle ceux-ci demandaient l’adoption d’une loi plus libérale sur le mariage, il déposa une résolution afin de présenter une telle mesure. Selon toutes les apparences, la session se termina avant que cela ne fût fait. À la même époque, il condamnait ceux qui étaient au pouvoir au Nouveau-Brunswick, en particulier Carleton, dans une correspondance privée qu’il entretenait avec au moins un fonctionnaire important du gouvernement britannique. Par suite de la promesse de Glenie « de [lui] envoyer à l’occasion quelques observations touchant cette province », Evan Nepean, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, reçut une accablante condamnation de la politique de Carleton. La ville de Fredericton « avait été choisie de façon très peu judicieuse comme siège du gouvernement », et sa défense était « tout à fait impossible » ; pourtant, on avait déjà dépensé £4 000 pour l’établissement d’une caserne, somme qui « aurait aussi bien pu être jetée dans la rivière ». Glenie rejetait la décision de Carleton d’établir des postes militaires plus en haut de la rivière Saint-Jean, à cause des frais de transport que cela entraînait. Pour lui, « deux petits blockhaus » auraient aussi bien pu faire l’affaire, et à l’argument que les postes étaient nécessaires afin de faciliter le peuplement, Glenie répondait en demandant pourquoi ils étaient construits en territoire américain. Il prétendait, à coup sûr, que c’était « le devoir [de Carleton] de savoir où se trouvait la frontière entre les États-Unis et la province, qu’il avait été envoyé pour gouverner plutôt que pour adopter des mesures qui visaient non seulement à occasionner des frais immédiats à la mère patrie, mais qui étaient particulièrement susceptibles de l’engager par la suite dans des ennuis et des disputes ».
Même le vieil adversaire de Glenie, le duc de Richmond, sûrement sans s’en rendre compte, était d’accord avec l’essentiel de l’analyse militaire de Glenie selon laquelle Fredericton ne devait pas être le centre militaire du Nouveau-Brunswick ; Carleton fut donc forcé d’abandonner certaines de ses prétentions au sujet de Fredericton. D’autres plaintes de Glenie paraissent plus suspectes. Carleton croyait sincèrement à la nécessité de renforcer les revendications du Nouveau-Brunswick concernant des régions qui faisaient l’objet d’une contestation avec les Américains, de construire de solides voies de communication avec Québec et surtout de faciliter la colonisation, grâce à une protection militaire, si cela s’avérait nécessaire. Il est donc difficile d’accepter les accusations de Glenie qui se réduisaient à dire que Carleton était d’une ignorance ruineuse et qu’il cherchait à se faire valoir.
Il est fort possible que certaines des plaintes de Glenie soient reliées au fait que, à la fin de 1791, Wentworth l’ait nommé sous-inspecteur des forêts du roi au Nouveau-Brunswick. Peu après, Carleton vexa Wentworth en l’accusant de décourager le peuplement du Nouveau-Brunswick. C’est le loyaliste Daniel Lyman qui expliqua le mieux les vues de Carleton lorsqu’il affirma : « il faudrait supprimer [...] les réserves délimitées par l’inspecteur général des forêts et mettre fin à cette pratique [...] La plupart des réserves que j’ai vues sont situées dans des endroits favorables à l’agriculture [...] les colons sont tenus à l’écart de grandes étendues de terre couvrant des milles. » La politique de mainmise sur le bois de pin blanc au profit de la couronne ou pour permettre l’enrichissement de certains producteurs de mâts, tels Glenie et William Forsyth, était apparemment en conflit avec l’idée d’une société stable d’agriculteurs caressée par Carleton et les Loyalistes. Si les opinions de Carleton et de Lyman l’emportaient, Glenie risquait de perdre beaucoup, à la fois comme producteur de mâts et comme fonctionnaire. À l’été de 1792, il était affairé à poursuivre en justice les contrevenants, à confisquer le bois coupé illégalement et à essayer d’en couper le plus possible pour lui-même. Par conséquent, si Carleton était discrédité, cela donnerait un élan considérable aux intérêts économiques de Glenie, et l’échec des plans d’expansion militaire du même Carleton et de ses projets de colonisation du nord du Nouveau-Brunswick permettraient peut-être de conserver une autre région pour l’exploitation de ses ressources en bois.
Soit à cause de difficultés qui se produisirent dans son entreprise de production de mâts ou bien à cause de sa détermination à ébranler la réputation de Carleton, Glenie retourna en Angleterre en 1793 ; il avait été réélu à l’Assemblée après sa dissolution en décembre 1792, mais il ne put assister aux sessions de 1793 et 1794. À Londres, il soumit à Nepean ainsi qu’à Henry Dundas, secrétaire d’État à l’Intérieur, des commentaires sérieux sur la politique de défense de Carleton, commentaires qui ne tardèrent pas à déborder le cadre des questions militaires pour blâmer à la fois Carleton et son frère lord Dorchester [Guy Carleton] de bien des problèmes qui se posaient au Nouveau-Brunswick et en Amérique du Nord britannique en général. Glenie avait plus tôt affirmé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir deux régiments réguliers cantonnés au Nouveau-Brunswick ; il s’opposa aussi à la décision visant à permettre à Carleton de lever un régiment du Nouveau-Brunswick pour remplacer les unités régulières, maintenant retirées. Pour Glenie, cette décision aurait comme conséquence une saignée importante dans les ressources limitées en main-d’œuvre dont disposait la colonie, lesquelles diminuaient déjà en raison de la politique à courte vue de Carleton et de ses partisans. Une combinaison des milices provinciales existantes, quelques obusiers à l’embouchure de la rivière Saint-Jean et quelques sloops dans la baie de Fundy, c’était tout ce qu’il fallait. La ligne de postes en haut de la vallée de la Saint-Jean devrait bien sûr passer au second plan, puisque « la ligne naturelle de défense [...] part[ait] de St Andrews ou Passamaquoddy, longe[ait] la baie de Fundy pour aboutir au fort Cumberland [près de Sackville] ». C’étaient, pour la plupart, des commentaires qui méritaient d’être examinés, mais Glenie ne tarda pas à se lancer dans les habituelles accusations d’ignorance et de mauvaise administration qui probablement nuisaient plus à sa thèse qu’elles ne l’aidaient. Selon Glenie, le conseil devait être remanié parce qu’il était « entièrement composé d’Américains (il n’y a[vait] pas d’Européens, bien qu’ils [dussent] toujours être au moins une majorité) ». En outre, Glenie laissait à penser, idée plutôt risible, que le nouveau régiment que levait Carleton serait aussi américain : « C’est évident, le lieutenant-gouverneur et ses officiers supérieurs américains seront dans l’obligation d’introduire des hommes des États-Unis et de mettre des armes entre les mains d’ennemis, contribuant ainsi à la propagation de principes peut-être plus hostiles à la constitution de ce pays que ceux des Français eux-mêmes. » Les Loyalistes étaient donc accusés de déloyauté, mais la famille Carleton était accusée de bien plus grands péchés. Tout comme son frère lord Dorchester « qui a[vait] perdu par la plus impardonnable négligence la totalité du [Canada], à l’exception de Québec » – allusion quelque peu curieuse à l’invasion américaine de 1775–1776 –, Thomas était sur le point de perdre le Nouveau-Brunswick. Glenie se trouvait « inévitablement amené à la conclusion que la famille Carleton [était] condamnée à être la ruine de l’Amérique britannique et pens[ait] que si cela continu[ait] seulement quelques années encore, la couronne de Grande-Bretagne perdra[it] ces provinces à jamais ».
Il est vrai que les Carleton étaient alors mal vus, en particulier par Dundas, mais remplacer un lieutenant-gouverneur en s’appuyant sur les accusations stridentes de Glenie était un geste invraisemblable, à un moment où la défense de la Grande-Bretagne et de l’Empire demandait un esprit de suite plutôt que la discontinuité. En conséquence, les pressions directes que Glenie exerça en Angleterre ne produisirent aucun changement au Nouveau-Brunswick. Et si les attaques de Glenie contre Carleton se révélaient vaines, le sort de son entreprise de production de mâts était encore plus décourageant. À la fin de 1794 et au début de 1795, le gaspillage inutile et la concurrence acharnée qui régnaient dans le commerce des mâts forcèrent Wentworth à presser plusieurs entrepreneurs d’accepter une entente qui donna à la Forsyth and Company plutôt qu’à la Blair and Glenie la mainmise sur ce commerce. Déchargé de ses fonctions commerciales, Glenie conservait son poste de sous-inspecteur et il se lança dans « des poursuites judiciaires au nom de la couronne » avec son habituelle ardeur. Entre-temps, malgré l’absence de Glenie, l’Assemblée n’était pas restée inactive. En 1793 et 1794, elle avait contesté les propositions de Carleton et du conseil sur un certain nombre de questions – dont celles des locaux du Parlement et de la Cour suprême, des périodes de session de cette dernière ainsi que des lieux où ses séances se tiendraient et d’une aide au collège favori de Carleton –, et semblait aller au-devant d’un affrontement. Le moment était propice, et Glenie était prêt.
Durant la session de février et de mars 1795 à l’Assemblée, un désaccord constant se manifesta entre la Chambre basse et le conseil, allié au lieutenant-gouverneur ; à plusieurs reprises, Glenie apparut au centre des escarmouches. Il fut nommé membre d’un comité constitué pour préparer une adresse à Carleton, dans laquelle on lui demandait d’ordonner « que toutes les instructions de Sa Majesté pouvant contribuer à informer la chambre [fussent] soumises à l’Assemblée ». Celle-ci envoya un message au conseil pour attirer son attention sur le projet de loi concernant la fixation des périodes et des lieux de réunion de la Cour suprême, et c’est Glenie qui fut chargé avec Robert Pagan* de porter ce message. Après que le conseil eut rejeté ce projet de loi, un comité fut chargé de rechercher des précédents afin de tenir une conférence avec la Chambre haute, et Glenie fut nommé encore une fois au sein du comité. Il siégea également à divers comités chargés de présenter des projets de loi « pour instaurer une administration équitable de la justice », « pour fixer la procédure des tribunaux » et « pour réglementer et établir le barème des frais [de justice] ». La présentation du Declaratory Bill de Glenie et le rejet par l’Assemblée des dépenses que Carleton voulait faire pour la défense de St Andrews et de Saint-Jean rendirent le conseil de plus en plus intransigeant quant à ses droits et privilèges et quant à ceux du gouverneur. Prévoyant qu’il serait nécessaire de faire part au gouvernement de la métropole de ses doléances, l’Assemblée adjoignit Glenie et d’autres députés à un comité désigné à la session précédente pour correspondre avec William Knox, représentant de la province à Londres. Le conseil rejeta un projet de loi de finances, qui comprenait une affectation de fonds pour le paiement du salaire des députés, et Glenie compta parmi ceux qui furent nommés pour répondre aux objections du conseil. Dans ce dernier cas, l’Assemblée opposa au refus du conseil de solides arguments par lesquels elle revendiquait « le droit exclusif de faire des lois de finances ». L’historienne Ann Gorman Condon qualifie ceux-ci de « réplique complexe et laconique », qu’elle attribue à Elias Hardy*. Néanmoins, Glenie avait beaucoup contribué à créer l’impasse où se trouvaient l’Assemblée et le conseil à la prorogation de la chambre, le 5 mars.
Dès que Carleton eut décidé de tenir des élections en septembre et octobre 1795 pour essayer d’avoir une assemblée plus souple, Glenie ne demanda pas mieux que d’exposer au cours de la campagne électorale les grandes lignes de sa défense active et vigilante des droits de l’Assemblée, et donc de ceux du peuple. Glenie expliqua que le projet de loi concernant les sessions de la Cour suprême avait été mis de l’avant « afin de porter, autant que possible, l’administration de la justice [...] dans tous les comtés et à la portée de chacun ». Et il ajouta : « C’est là, je présume, la véritable raison pour laquelle les juges reçoivent leur salaire. » Il fit remarquer que l’Assemblée avait, à cinq reprises, adopté ce projet de loi, uniquement pour qu’il fût rejeté par le conseil. De plus, lorsqu’il remit lui-même « un message rappelant [au conseil] que c’était un projet de loi largement susceptible de favoriser le bonheur et la commodité des sujets de Sa Majesté dans la province », le conseil ne donna aucune explication satisfaisante de son rejet. Glenie indiqua que le refus de l’Assemblée d’allouer des fonds pour la construction d’un bâtiment destiné au Parlement et à la Cour suprême à Fredericton découlait du jugement de celle-ci selon lequel « la province n’ [était] pas dans une situation pour supporter, sans grands inconvénients pour le peuple, le rassemblement des sommes nécessaires ». De plus, Glenie exprima son opinion, fondée sur sa grande expérience, voulant que le coût des bâtiments aurait été plus élevé qu’on ne l’avait prévu.
Derrière la répugnance de l’Assemblée à approuver des fonds pour la construction d’un collège, se trouvait aussi une certaine inquiétude concernant des dépenses injustifiées ou prématurées. Dans cette colonie « existant à peine », on pouvait difficilement se permettre d’octroyer cette subvention qui, de toute façon, n’était « pas à moitié suffisante ». On devait plutôt accorder une importance particulière à un système d’écoles paroissiales pour répondre d’abord aux besoins locaux et à ceux d’une plus vaste population, car « si grande [fût] l’aversion de certaines personnes pour la propagation générale du savoir dans le peuple, qu’elles juge[aient] dangereuse, elle devrait, selon [Glenie], être le premier objet d’attention de tout État bien gouverné ». Le rejet par l’Assemblée des dépenses destinées à la défense, que Carleton désirait faire dans St Andrews et Saint-Jean, était attribuable au fait que la décision d’engager de tels frais revenait au gouvernement de la métropole. Quant à la question la plus importante, celle du pouvoir de l’Assemblée sur le trésor public, Glenie déclara à ses électeurs que si l’Assemblée avait accepté les réclamations du conseil cela « aurait signifié un abandon complet et immédiat de [leurs] bourses, biens, droits et libertés entre les mains du conseil ». « C’est une proposition à laquelle, ajouta-t-il, je l’espère devant Dieu, aucune chambre d’assemblée ne donnera jamais son consentement. Car il existe une maxime parlementaire, aussi vieille que le Parlement lui-même, qui dit que ceux qui possèdent le droit exclusif de [tout] accorder ont le droit indiscutable de disposer de ce qu’ils accordent. »
Glenie avait présenté d’excellents arguments en faveur d’une assemblée vigilante et active, sensible aux besoins de la majorité écrasante des habitants du Nouveau-Brunswick. Empêcher les dépenses inutiles et excessives, rendre l’instruction et la justice accessibles au peuple, améliorer la situation de l’Assemblée élue et accroître son pouvoir à l’intérieur du système gouvernemental, voilà des questions qui sauraient manifestement intéresser beaucoup de personnes n’appartenant pas à l’élite loyaliste privilégiée. Cependant, Glenie alla encore plus loin, en prévision apparemment d’une éventuelle réfutation de ses arguments, selon laquelle le système parlementaire qu’il envisageait était très différent de celui de la métropole. Pour l’essentiel, il affirmait qu’il fallait adapter le système anglais aux réalités de la colonie. « II est vrai, avoua-t-il, que notre Parlement se compose de trois branches distinctes comme celui de la Grande-Bretagne. » Néanmoins, la chambre des Lords différait beaucoup du conseil et de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick qui, à l’occasion, ne faisaient qu’un, en ce sens que les juges « form[aient] parfois la majorité du Conseil législatif ». Tandis que la chambre des Lords était « un organisme plein de dignité, riche et indépendant », et que ses membres ne pouvaient être destitués que par « une loi du Parlement britannique », les conseillers et les juges du Nouveau-Brunswick « ne dét[enaient] pas leurs sièges héréditairement, ni même en raison de [leur] bonne conduite, mais selon le bon plaisir des fonctionnaires et des ministres de Sa Majesté, et pouv[aient] être destitués à leur gré, sans aucune raison ». Comme la colonie ne possédait pas l’équilibre et l’indépendance plus subtiles de la métropole, les chances de voir un gouvernement arbitraire s’y installer étaient apparemment plus grandes. « Si, par conséquent, on a toujours trouvé nécessaire d’avoir une opposition attentive et vigilante à la chambre des Communes, afin de préserver les droits et libertés du peuple de Grande-Bretagne, elle doit certainement être doublement indispensable ici, où deux branches du Parlement se retrouvent, en grande partie, dans le même plateau de la balance. » Au cours de la campagne électorale de 1795, Glenie était comme réformateur et tribun au meilleur de sa forme. S’élevant au-dessus de la destruction de réputation et des accusations sans fondement, et même, dans une très large mesure, au-dessus de l’amertume et de l’égoïsme personnels qui se cachaient derrière les attaques qu’il portait auparavant contre Carleton et l’élite loyaliste, Glenie avait présenté, avec persuasion, des arguments en faveur des nombreuses actions de l’Assemblée durant la session de 1795 et avait mis le doigt non seulement sur certains des besoins du Nouveau-Brunswick, mais aussi sur les nuances du débat constitutionnel.
Sur cette toile de fond, le Declaratory Bill, présenté par Glenie au cours de la session de 1795 et adopté par l’Assemblée ; mais que le conseil avait rejeté, représentait pour son auteur la clé de l’accroissement du pouvoir de l’Assemblée et de l’émasculation des autres organismes du gouvernement. Pour Glenie, cette mesure était, « de par le but qu’elle visait, indiscutablement la plus importante et la plus salutaire jamais présentée à la chambre ». Dépouillé de différentes clauses au cours du débat, le projet de loi soutenait que les résidents du Nouveau-Brunswick avaient « l’extrême désir de voir la constitution et le gouvernement de ladite province se rapprocher le plus possible de ceux de la mère patrie, dans la mesure où leur condition le permett[ait], et souhait[aient] bénéficier de toutes les lois d’Angleterre et du Parlement britannique applicables à leur situation de colonie, et adoptées avant la période plus récente [ 1750] où les principes fondamentaux de la constitution permettr[aient] de les interpréter comme s’y étendant ». L’année de l’instauration du droit écrit anglais proposée dans le projet de loi était celle de 1750, présumée à tort comme étant la date de l’établissement des Britanniques en Nouvelle-Écosse, plutôt que 1660, année du début de la Restauration anglaise, date finalement choisie par Carleton et ses conseillers au tout début de l’existence du Nouveau-Brunswick. Ainsi, aux termes de ce projet de loi, toutes les lois adoptées par le Parlement britannique avant 1750 devaient s’appliquer au Nouveau-Brunswick, aussi longtemps que la situation de la colonie le permettrait. De même, « aucune loi faite ou adoptée depuis le début de l’an de grâce 1750 ne devra[it] être maintenue, prise ou interprétée comme s’étendant à cette province, sans que cela [fût] expressément signifié dans la loi elle-même, montrant [ainsi] l’intention du Parlement britannique ».
Glenie lui-même, ses ennemis et des érudits comme James Hannay*, George Francis Gilman Stanley et Samuel Delbert Clark ont beaucoup exagéré la portée de ce projet de loi, comme David G. Bell l’a fait remarquer dans un article soigneusement argumenté. Bell précise que le projet de loi n’allait pas effectivement jusqu’à défier l’autorité que le Parlement britannique détenait sur le Nouveau-Brunswick ; il était « loin d’être radical » et, contrairement aux espoirs de Glenie, il n’aurait pas « réduit l’arbitraire judiciaire ». Il aurait probablement encouragé de façon indirecte le mouvement vers un système plus flexible et plus représentatif et vers une Assemblée plus active, en ce sens que la période allant de 1660 à 1750 fut marquée par des améliorations considérables apportées à la jurisprudence anglaise, par l’adoption de lois « qui définissaient et établissaient les principes de la constitution et les libertés du sujet », et par la promulgation de « garanties fondamentales et libertaires comme le Bill of Rights ». Mais Daniel Lyman se trompait certainement quand il disait que le Declaratory Bill allait « plus loin que le premier discours ou déclaration du Congrès américain rassemblé à Philadelphie, lorsqu’ils [les Américains] étaient sur le point de se séparer de la Grande-Bretagne ».
Quoi qu’il en soit, le Declaratory Bill fut dépeint comme une mesure radicale, et son auteur, considéré comme tout aussi radical, s’attira les foudres des Loyalistes. Ainsi que Lyman le déclara : « On sait que ce M. Glenie entretient une correspondance avec certains des membres les plus violents de l’opposition au sein du Parlement britannique – du moins il l’avoue lui-même –, et ses sentiments ou déclarations sont tels qu’ils tendent à la subversion de tout gouvernement de l’Église et de l’État. » Devant cette réaction outragée, vu le caractère limité du projet de loi, on peut se demander quelle fut la contribution de Glenie à la cause des droits de l’Assemblée. Même s’il symbolisait cette cause particulière, sa rhétorique radicale rendait inacceptables beaucoup de ses propositions. Au même moment, d’autres interprètes plus circonspects des privilèges de l’Assemblée pouvaient se décrire comme des modérés loyaux et travailler à atteindre les mêmes buts d’une façon moins éclatante. Ainsi, Elias Hardy, défenseur du contrôle de l’Assemblée sur le trésor, et Amos Botsford, qui ne tarderait pas à devenir l’un des porte-parole d’une réforme modérée, combattirent le Declaratory Bill de Glenie tout en soutenant bon nombre de ses autres objectifs. En bref, les attaques de Glenie précipitèrent l’élargissement de la culture politique loyaliste quelque peu fermée en une structure plus conciliante, où l’on ne pouvait plus réduire sur-le-champ l’opposition au silence, ni l’écarter en la qualifiant de républicanisme déloyal. Ironie du sort, au moment précis où Glenie se trouvait à l’apogée de sa carrière politique, son image d’homme radical ouvrait la voie à un mouvement de réforme plus respectable, guidé par d’autres hommes, et contribuait à son propre déclin.
Cette évolution n’apparut pas aisément aux élections de 1795, puisque les électeurs semblèrent approuver la conduite de Glenie et celle du parti qui défendait les droits de l’Assemblée en élisant une majorité de députés encore plus hostiles aux partisans du gouverneur. Glenie lui-même remporta facilement la victoire dans la circonscription de Sunbury ; il se retrouva en tête du scrutin avec 79 voix, bien que l’un des candidats défaits, qui avait obtenu 22 voix, contestât le résultat. William Hubbard accusa Glenie et son cocandidat, Samuel Denny Street*, d’avoir offert « de la viande, de l’alcool et des divertissements afin d’obtenir les votes des électeurs ». Comme on pouvait s’y attendre, l’Assemblée rejeta les accusations de Hubbard et, par 13 voix contre 8, déclara Glenie et Street légitimement élus. Dans la nouvelle Assemblée, Glenie fut néanmoins beaucoup moins actif qu’à la session précédente. Certes, il présenta de nouveau le projet de loi sur la fixation des heures et des lieux de session de la Cour suprême et siégea aussi à des comités étudiant d’autres projets de loi. De même, il figura au nombre des députés désignés pour correspondre avec William Knox sur la question de la Cour suprême. L’Assemblée adopta une motion très ferme par laquelle elle exigeait que Carleton ordonnât au moins à l’un des juges de la Cour suprême de résider à Saint-Jean, mais Glenie, en dépit de sa compétence en la matière, ne fit pas partie de la délégation de trois députés chargés de présenter cette résolution au lieutenant-gouverneur. De plus, malgré sa participation au comité de l’Assemblée qui s’était réuni avec un comité du conseil au sujet d’un projet de loi sur le revenu, Glenie ne se retrouva pas au premier plan quand ce comité fit son compte rendu à l’Assemblée. Au lieu de cela, c’est Daniel Murray, loyaliste du Massachusetts qui avait voté contre le Declaratory Bill, qui présenta une longue condamnation des actes du conseil se terminant par une retentissante déclaration, selon laquelle les députés étaient « résolus à continuer de défendre les privilèges de la chambre d’Assemblée et l’honneur de leurs électeurs ». Le conseil répondit à cette déclaration de façon cinglante, et c’est encore Murray qui, au nom du comité, expliqua en détail la ferme position de l’Assemblée.
En décembre 1796, le maire et le conseil municipal de Saint-Jean rendirent hommage à Glenie en le nommant citoyen honoraire de la ville. Néanmoins, il essuya une rebuffade ouverte de la part de l’Assemblée lorsque celle-ci se réunit en janvier de l’année suivante. Si les paroles d’un des adversaires de Glenie sont exactes cependant, il n’avait peut-être que trop bien fait son travail, et il n’était pas nécessaire de faire d’autres affirmations énergiques au sujet des droits de l’Assemblée. Edward Winslow porta sur l’Assemblée qui se réunit en 1797 le jugement suivant : « Nous avons ici des collègues qui, il y a trois ans, ignoraient que la Grande Charte n’était pas un gros pudding ; [ils] veulent analyser tous les principes du gouvernement, remonter « à la source de la jurisprudence », fixer les longitudes et les latitudes politiques et établir la frontière entre prérogative et privilège. » Par conséquent, à la suite du sermon que Carleton osa faire aux députés sur les dérogations « à la ligne de conduite toujours suivie par la chambre des Communes britannique, qui seule devait [les] guider, louable intention [qu’ils avaient] si souvent proclamée », un comité fut constitué pour lui répondre. Glenie ne sembla pas trouver assez énergique la réponse qui exhortait le lieutenant-gouverneur à ne pas réclamer de mesures qui « engager[aient] la province dans des embarras et des difficultés pouvant se révéler nuisibles à sa situation financière ». Il présenta deux motions indiquant que les déclarations de Carleton étaient « contraires aux principes fondamentaux de [la] constitution coloniale » et que son affirmation « cherch[ait] manifestement à détruire l’indépendance de cet organisme du Parlement ». L’Assemblée rejeta les deux résolutions. Même après que Glenie eut adouci sa position dans une troisième motion, l’Assemblée la refusa par 17 voix contre 5. L’impasse persistait, mais d’autres leaders de l’Assemblée livraient bataille à leur manière et se dissociaient ainsi de la façon de faire plus caustique de Glenie. Pourtant, ce dernier continuait de voter du côté de la majorité sur des questions importantes comme le rejet de la demande du conseil visant à retirer les dépenses des députés du projet de loi sur le revenu et les finances. Mais déjà, à ce moment-là, même certains des amis et des protecteurs de Glenie, étrangers à la chambre, semblaient hésiter. À la fin de la session, Glenie et John Coffin* décidèrent que leurs différences d’opinion ne pourraient se résoudre que par un duel, d’où Glenie sortit vaincu et blessé superficiellement à la cuisse. Cet incident fit dire à John Wentworth : « au cours d’une conversation que j’ai eue dernièrement avec Son Altesse Royale [Edward Augustus], nous déplorions le récent accident que vous aviez subi et dont les journaux nous informaient ; nous étions tous deux d’accord pour souhaiter que vous remplaciez à jamais la politique par les travaux de la philosophie ou plutôt par ceux de la science, d’où vous retireriez le plus grand bien pour le monde en général et grâce auxquels vous feriez plaisir à tous vos amis. »
Durant la brève session de 1798, qui elle aussi aboutit à une impasse, Glenie se trouva mêlé à l’une des plus grandes manœuvres de l’Assemblée. Même s’il semblait éviter les relations entre la Chambre basse et le conseil ou le lieutenant-gouverneur, Glenie fut recruté pour faire partie du comité chargé de préparer une lettre destinée au duc de Portland, secrétaire d’État à l’Intérieur, où l’on donnait un aperçu de la position de l’Assemblée. Une fois que celle-ci eut approuvé la lettre, le président Amos Botsford l’envoya à Portland à titre de résumé de « l’actuelle situation déplorable de la colonie ». Dans ce document, l’Assemblée soulignait sa loyauté envers le souverain et la constitution britanniques, donnait une brève description de l’impasse où se trouvait le gouvernement, exposait succinctement les problèmes des affectations de fonds et du revenu, ainsi que les défauts de l’appareil judiciaire – toutes des questions dont Portland n’avait que trop entendu parler – et insistait sur la nécessité de donner des instructions au lieutenant-gouverneur pour résoudre ces difficultés. Déjà, à ce moment-là, Portland n’était pas le seul à trouver cette interminable controverse de plus en plus assommante. Au Nouveau-Brunswick, les électeurs commençaient à s’agiter, et avec raison : on n’avait pas voté de crédits depuis les cinq dernières années à cause de la situation sans issue du Parlement, et la province ne pouvait entreprendre de travaux publics sans revenus. En même temps, à mesure que la décennie tirait à sa fin, une certaine prospérité et la conscience de la menace française contre la métropole détournaient l’attention vers d’autres sujets. On fit circuler dans les comtés de Kings et d’York des pétitions qui, par la suite, furent présentées à la session de 1799, pressant l’Assemblée de rétablir « l’harmonie entre les deux organismes du Parlement », par le retrait de la mesure sur le salaire des autres affectations de fonds. La presse insinua même que l’Assemblée était l’instrument d’un groupe de marchands profiteurs, puisque, même si les droits ne pouvaient être perçus sans un projet de loi sur le revenu, il n’y avait eu aucune baisse des prix. Carleton joua aussi un rôle actif en plaçant habilement des extraits de la correspondance de Portland entre les mains de Botsford pour souligner l’impatience grandissante du gouvernement britannique. L’accroissement de la pression eut son effet à la session de 1799, au moment où l’on soumit à la chambre des passages de la correspondance de Portland. Comme Botsford le décrivit, « les principes de l’élaboration des lois y étaient si clairement mis en évidence, et le désir de la chambre si impérieux, que l’on prépara et adopta des projets de loi auxquels le conseil donna son accord ; l’Assemblée ne renonça à aucun point de ces projets de loi, [les députés] se contentèrent de varier le mode, et tous les articles de leurs précédents projets de loi, qui avaient été repoussés, furent alors adoptés ». Tous les conflits avaient été « amicalement réglés », phénomène que Botsford perçut comme une justification de l’Assemblée. Pour Carleton aussi c’était un résultat satisfaisant, en ce sens que l’Assemblée avait mis à part la question des salaires et que le conseil renonçait à « ses objections concernant certaines irrégularités » dans l’espoir « que, par le [...] rétablissement de l’harmonie et de la confiance mutuelle, ils [les membres du conseil] contribueraient de la manière la plus efficace à l’adoption d’une marche à suivre plus régulière dans l’avenir ».
Que pensait James Glenie de tout cela ? Au début, il était resté étrangement silencieux, mais avant la fin de 1800 il avait écrit et publié une satire où il utilisait le Credo pour tourner en dérision, entre autres, le secrétaire provincial Jonathan Odell, « créateur d’officiers de milice et de juges de paix, de toutes les intrigues visibles et invisibles, et fils bien-aimé de Tom [Thomas Carleton] ». De toute évidence, les compromis n’allaient pas assez loin pour Glenie. Une purge de la Chambre haute et le rappel du lieutenant-gouverneur lui donneraient seuls satisfaction. L’ancien Glenie, l’amer et grossier insulteur, refit surface, et les arguments de raison en faveur de réformes judiciaires et constitutionnelles furent oubliés. Son amertume s’accrut sans nul doute lorsqu’il constata que, même à l’Assemblée, dont il avait défendu la cause pendant quelque temps, il ne pouvait plus compter sur l’appui d’une quelconque majorité.
En 1800, l’Assemblée ne siégea pas, et Glenie s’occupa à remplir ses fonctions de sous-inspecteur des forêts, charges qui revêtirent une nouvelle urgence en raison de la situation en Europe. « Il faut bien sûr préserver des mâts et d’autres espars, ainsi que du bois destiné à la construction navale, et se pourvoir immédiatement d’une provision », rappela Wentworth qui continuait de compter sur Glenie et d’avoir confiance en lui comme en un vieil ami. Soit à cause de ses fonctions ou peut-être à cause du désenchantement qu’il pouvait éprouver envers ses collègues de l’Assemblée, Glenie ne se présenta pas quand la chambre se réunit de nouveau en janvier 1801. Il s’arrangea pour être là durant 8 jours à la fin de la session de 32 jours. Comme le registre des présences l’atteste, il fut le moins assidu des députés, à l’exception de deux qui ne vinrent pas du tout aux séances. C’est pour une raison particulière qu’il fut présent le 10 février 1801 : on devait ce jour-là tenter d’adopter une motion de censure contre Carleton. Entre les sessions, le lieutenant-gouverneur avait dépensé des fonds pour la construction d’un bâtiment à Fredericton, qui devait abriter l’Assemblée et la Cour suprême ; pour certains députés, cet acte arbitraire de l’exécutif devait être mis en question. Glenie appuya la motion de Pagan selon laquelle l’action de Carleton était « inconstitutionnelle et transgress[ait] le droit inaliénable de la chambre d’Assemblée d’être à l’origine de toutes les affectations de fonds publics ». L’Assemblée ne se contenta pas de rejeter massivement cette motion de censure par 14 voix contre 5 ; elle adopta ensuite une motion où elle affirmait qu’il fallait un nouveau bâtiment à Fredericton, donnant ainsi raison au lieutenant-gouverneur. Glenie revint à ses charges d’inspection dont il s’acquitta avec la même vigilance, donnant une profusion de conseils d’ordre juridique à Wentworth. Il se tourna vers des projets plus nobles ; il essaya, par exemple, d’obtenir un appui financier pour la réalisation d’une étude sur la possibilité de construire un canal entre la baie de Fundy et le golfe du Saint-Laurent.
Au cours de la session de 1802, Glenie revint cependant pour sa dernière campagne à l’Assemblée, laquelle atteignit son point culminant avec le boycottage des séances. L’objet du litige était de savoir qui allait devenir greffier de la chambre durant la maladie d’Isaac Hedden (Heddon) et après sa mort. Glenie proposa avec succès Samuel Denny Street à titre de greffier par intérim, puis il fit partie d’un comité « pour rechercher des précédents quant à l’autorité, aux pouvoirs et aux privilèges de nommer un greffier ». Manifestement, Glenie et une majorité de députés croyaient que l’Assemblée avait le pouvoir de recommander une nomination au poste de greffier. Après la mort de Hedden, Glenie proposa, encore avec succès, que Street fût recommandé au lieutenant-gouverneur pour occuper ce poste. La réponse de Carleton révéla tout aussi clairement son sentiment selon lequel c’était à la couronne qu’il revenait de faire cette nomination ; il choisit donc Dugald Campbell. Glenie riposta en proposant que la chambre nommât Street, et sa résolution fut adoptée par 11 voix contre 9. Cependant, le conseil ne tarda pas à bloquer le salaire que l’Assemblée essayait de fournir à Street et, bien sûr, appuya Carleton en confirmant la légitimité de la nomination de Campbell. Afin de provoquer l’ajournement de la chambre, Glenie et des députés du même avis que lui ne vinrent plus aux séances, privant ainsi l’Assemblée du quorum ; même quand il n’y eut que huit députés présents, la chambre continua de siéger, en dépit de l’opposition de deux de ces huit députés, Street et Thomas Dixon. On envoya le sergent d’armes informer Glenie que la chambre’. exigeait sa présence aux séances, mais Glenie répondit «qu’il ne les considérait pas comme une assemblée et qu’il ne s’approcherait pas d’eux». C’est ainsi que la session se termina avec une poignée de députés seulement ; Dugald Campbell fut nommé greffier et en reçut le salaire, tandis que Street en remplissait les fonctions. Les électeurs devaient juger de cette question, puisque Carleton annonça qu’il y aurait des élections en octobre 1802. Il s’ensuivit un débat extraordinaire dans les journaux du Nouveau-Brunswick, car les deux parties exposèrent dans les moindres détails la légitimité de leur cause. Les élections elles-mêmes aboutirent à une déroute des adversaires de Carleton. Même dans la circonscription de Sunbury, Glenie et Street furent réélus de justesse, avec 101 et 93 voix respectivement, comparativement à leurs adversaires qui obtinrent 87 et 82 voix ; ces résultats devaient être mis en doute.
On contesta d’abord la validité de l’élection de Street. Après que le shérif du comté eut procédé au second dépouillement des votes de Street et de ceux de son adversaire, Elijah Miles*, il proclama ce dernier élu, décision que l’Assemblée approuva par la suite. Quant à Glenie, on chercha par une autre pétition à lui faire perdre son siège en invoquant l’effet que ses accusations contre le gouvernement avaient eu « sur les esprits et les craintes des électeurs ». On prétendit que Glenie avait parlé des « progrès gigantesques du despotisme tel [...] qu’on n’en a[vait] pas connu depuis l’époque d’Henri VIII, le prince le plus despotique à avoir jamais occupé le trône anglais ». Glenie ne perdit pas son siège, mais il parut évident que sa carrière politique tirait à sa fin lorsqu’il osa rouvrir le débat concernant le poste de greffier. Il présenta à la session de 1803 une motion selon laquelle la chambre devait choisir un greffier. Cette résolution fut défaite par 15 voix contre 8 et, à la place, l’Assemblée adopta une proposition pour préciser que le poste de greffier était « accordé par lettres patentes et que la nomination revenait à la couronne ». Si cela put consoler Glenie, ses attaques avaient ébranlé la réputation du représentant de la couronne, et Carleton se préparait à quitter le Nouveau-Brunswick. Avant le départ du lieutenant-gouverneur en octobre 1803, son conseil fidèle et tout aussi dénigré fit une dernière tentative pour se défendre contre les accusations qu’on lui avait lancées si fréquemment. Dans l’éloge qu’il fit de Carleton, le conseil déclara : « nous avons eu l’honneur, durant de nombreuses années, d’être des témoins intimes de l’intégrité inébranlable et de la pureté désintéressée de votre gouvernement ; et nous considérons que la fidèle déclaration que nous faisons à cette occasion n’est pas seulement une dette attribuable au mérite personnel, mais un document d’importance publique ». Le besoin d’un document de ce genre témoigne de la violence des attaques lancées au cours des années. De plus, le conseil souligna qu’« un égal respect des prérogatives de la couronne et des droits du peuple a[vait] été la règle constante de [son] gouvernement, qui plus tard servira[it] de glorieux exemple à [ses] successeurs ». Ce déploiement d’éloquence n’avait pas pour seul but de sauver les apparences. Il révélait combien Glenie avait profondément blessé la conscience et les prétentions de Carleton et de l’élite loyaliste.
À toutes fins utiles, la carrière politique de Glenie était terminée. Il se consacra alors à ses fonctions de sous-inspecteur qui, cela était à prévoir, allaient devenir plus exigeantes en raison d’une reprise des concessions de terre au Nouveau-Brunswick et de l’exécution de nouveaux contrats pour la marine. Sans l’appui constant de Wentworth, Glenie aurait même perdu ce poste ; avant son retour en Angleterre, Carleton avait suggéré à Wentworth de nommer George Sproule sous-inspecteur des forêts du roi au Nouveau-Brunswick, mais Wentworth ne suivit pas ce conseil. Néanmoins, Glenie n’avait jamais réalisé ses ambitions financières au Nouveau-Brunswick et, en mai 1804, il se préparait activement à partir pour l’Angleterre. Wentworth espérait que ce voyage pût « être prospère et heureux à tous les égards, et que [le] retour [de Glenie] parmi [ses] is se [fit] rapidement et en toute sécurité ». À l’hiver de 1804–1805, après avoir arrangé la nomination de Street au poste de sous-inspecteur des forêts par intérim, James Glenie quitta le Nouveau-Brunswick loyaliste pour ne jamais revenir. Selon un rapport publié en 1817, son départ fut une surprise pour sa propre femme. Le lieutenant-colonel Joseph Gubbins affirma que le « célèbre Glenie » quitta sa province sans assurer les besoins de sa femme ou l’informer de ses intentions. Laissée dans la pauvreté, elle ne put y mettre fin qu’avec l’aide des créanciers de son mari, qui se montrèrent sensibles à son état, et des « colons du voisinage ».
En janvier 1805, Carleton, qui était alors en Angleterre et qui s’inquiétait sans aucun doute, demanda à Edward Winslow : « Qu’est devenu ce digne fils de Bélial, M. Glenie ? J’ai cru comprendre qu’il allait venir au pays cet hiver. » Ce que devint Glenie demeure quelque peu mystérieux, puisqu’on ne sait que peu de chose du reste de sa vie. Grâce à l’intervention du comte de Chatham, Glenie fut nommé, en 1806, « professeur des East India Cadets » et, en 1807, « officier inspecteur du génie dans quelques îles des Antilles ». Mais son goût pour la polémique subsistait. En 1809, il formula des critiques à l’endroit du duc d’York, concernant une enquête parlementaire sur la prétendue vente de commissions militaires par la maîtresse du duc. Ces critiques offensèrent tellement York que Glenie perdit ses deux postes. Il conservait toutefois ses dons de mathématicien (il fit une communication à la Royal Society de Londres en 1811), mais ses efforts pour attirer des étudiants échouèrent dans une large mesure. En conséquence, il mourut dans la pauvreté le 23 novembre 1817, la même année que Carleton, et fut inhumé dans le cimetière de St Martin-in-the-Fields, à Londres. Sa femme, connue de ses voisins sous le nom de lady Glenie, était restée au Nouveau-Brunswick et continua d’habiter le comté de Sunbury jusqu’à sa mort le 26 février 1847. Ils eurent au moins deux fils : l’un (Melville) devint officier et l’autre, ministre anglican. Glenie, qui parfois était très indiscipliné et opposé à l’establishment, apprécia sans doute à sa juste valeur l’ironie de la chose.
La notice nécrologique de Glenie, publiée dans la Free Press de Halifax, puis réimprimée dans le New Brunswick Courier, était élogieuse. On y mentionnait que le duc de Kent respectait le « mérite personnel » de Glenie et ses « facultés intellectuelles supérieures ». On y déclarait aussi que Glenie « s’acquitta de façon particulièrement remarquable de ses fonctions publiques », ayant « un jugement sain conjugué à une grande capacité et à une considérable prévoyance politiques ». En outre, « de nombreuses personnes dans la province sœur » reconnaissaient « la valeur de son conseil et la prudence de ses remontrances ». On se demande si son fils, alors en garnison à Halifax, ne fut pas l’auteur de ce panégyrique. Des historiens whigs, à la recherche des signes précurseurs d’un gouvernement responsable, continuèrent cet éloge, saluant en Glenie « un réformateur des plus progressistes », qui « devança son époque d’un bon demi-siècle ». Plus récemment, William Stewart MacNutt* a essayé de porter sur Glenie un jugement pondéré, faisant remarquer que la réputation de réformateur attribuée à Glenie était « sujette à des restrictions préjudiciables », puisque « beaucoup de ses motifs étaient inspirés par la vengeance et malveillants ». Néanmoins, MacNutt conclut ainsi : « ce fut peut-être lui qui le premier dirigea un mouvement qu’on pourrait, en faisant un effort d’imagination, appeler populaire, en opposition aux partisans de la prérogative royale, et qui le premier utilisa une assemblée populaire comme tribune pour enlever le pouvoir des mains des privilégiés ».
En ce qui concerne la motivation de James Glenie, il devrait maintenant être clair que ses intérêts économiques et une amertume personnelle se trouvaient souvent derrière les attaques qu’il mena contre Carleton et l’élite loyaliste. Pourtant, on doit dire à son honneur qu’il eut l’authentique désir d’être au service de ses électeurs de Sunbury et qu’il se voua véritablement à la cause du changement constitutionnel au Nouveau-Brunswick, même si ce ne fut que pour une brève période. Malheureusement, Glenie n’expliqua jamais avec clarté ni avec suffisamment de profondeur ses propositions et ses principes, du moins selon la documentation dont on dispose aujourd’hui, et il les revêtait souvent d’une rhétorique farouche qui les obscurcissait plus encore qu’elle ne les éclairait. On peut être plus catégorique sur la question de savoir si Glenie « conduisit [jamais] un mouvement » pour enlever le pouvoir aux privilégiés. Le parti qui défendait les droits de l’Assemblée au milieu des années 1790 constituait surtout une vague coalition de ceux qui se sentaient désillusionnés ou dépossédés dans le Nouveau-Brunswick loyaliste de Carleton. Les questions religieuses (les non-conformistes opposés aux anglicans), les questions économiques (les fournisseurs de mâts et les marchands opposés à l’aristocratie terrienne ambitieuse), les divisions géographiques (les comtés de la côte opposés à ceux de l’intérieur), les différences de nationalité (les habitants de l’époque préloyaliste opposés aux Loyalistes, les Écossais opposés aux Anglais, les Européens opposés aux Américains), les rivalités entre les villes (Saint-Jean opposé à Fredericton) et tout simplement les Loyalistes sans pouvoir opposés aux Loyalistes au pouvoir, représentaient certains des éléments qui formaient la politique de la colonie et qui produisirent l’alignement d’un parti défendant les droits de l’Assemblée, lequel s’opposait à un parti fidèle au gouverneur. Mais dire que Glenie dirigeait le parti qui défendait les droits de l’Assemblée ou que ce parti était une faction dirigée par Glenie, c’est beaucoup surestimer son rôle. Il était à prévoir qu’une telle coalition de divers groupes d’intérêts fût continuellement remuée par des changements d’allégeance politique, selon les questions dont on discutait, et elle aurait été en fait presque impossible à diriger. La question des droits de l’Assemblée semblait être la seule constante, partagée à un moment ou l’autre par tous les groupes hostiles à Carleton. Mais même sur cette question, Glenie n’était pas toujours d’accord avec la majorité, ou bien certains députés se dissociaient rapidement de Glenie parce qu’ils ne s’entendaient pas sur les changements à effectuer, que ce fût sur leur ampleur, le moment ou la façon de les faire. En effet, Glenie ne sembla être en faveur du changement de la base vers le haut, c’est-à-dire accroître dans une large mesure le rôle de la Chambre basse, que durant la période de 1795 à 1796. Dès que le conseil et l’Assemblée arrivèrent à un compromis, il revint à sa position précédente d’un changement du haut vers le bas, donc un nouveau gouverneur et un nouveau conseil. Ainsi, en dépit de son image d’homme radical et de ses affirmations concernant les privilèges de l’Assemblée et les droits du peuple, James Glenie fut très loin d’être le leader logique, engagé et influent d’un mouvement de réforme. Ce fut cependant un homme brillant, quoique inégal, et sa seule présence contribua à la légitimation de la dissidence et de l’opposition. De plus, cette présence rappela avec vigueur à Carleton et à l’élite loyaliste que le Nouveau-Brunswick, qu’ils supposaient cohérent et uni en 1784, s’était révélé une société beaucoup plus diverse et pluraliste en 1803, à l’époque où Carleton revint en Angleterre et où Glenie se retira de la politique.
James Glenie est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages de mathématiques, dont The history of gunnery, with a new method of deriving the theory of projectiles in vacuo, from the properties of the square and rhombus (Édimbourg et Londres, 1776) ; The doctrine of universal comparison, or general proportion (Londres, 1789) ; et The antecedental calculus ; or, a geometrical method of reasoning [...] (Londres, 1793). Les deux essais que Francis Maseres soumit à la Royal Soc. of London parurent sous les titres de « Propositions selected from a paper on the division of right lines, surfaces, and solids » et « The general mathematical laws which regulate and extend proportion universally [...] », Philosophical Trans., 66 (1776) : 73–91 et 67 (1777) : 450–457, respectivement. Deux autres articles, « A problem concerning the construction of a triangle, by means of a circle only [...] » et « A letter from James Glenie, esq., to Francis Maseres, esq., containing a demonstration of Sir Isaac Newton’s binomial theorem », furent publiés par la suite dans une collection éditée par Maseres, Scriptores logarithmici ; or a collection of several curious tracts on the nature and construction of logarithms [...] (6 vol., Londres, 1791–1807), 4 : 333–342 et 5 : 205–216. Les articles « A short paper on the principles of the antecedental calculus » et « A geometrical investigation of some curious and interesting properties of the circle » publiés dans les Trans. (Édimbourg) de la Royal Soc. of Edinburgh, 4 (1798), iie part., sect. i : 65–82, et 6 (1812) : 21–69, respectivement, constituent la contribution de Glenie à cette société. Toutefois, Glenie n’est pas l’auteur d’un rapport paru dans le volume 7 (1813) concernant « un garçon né aveugle et sourd », tel que le DNB le rapporte ; de toute évidence, on l’a confondu avec un « M. Glennie, professeur au Marischal Collège, à Aberdeen », qui « répond à quelques questions [...] » sur ce sujet aux pp.16–20.
L’opposition de Glenie à la politique de défense de Richmond se fit sous forme de publications, dont la première, parue sous la signature d’« un officier », s’intitulait A short essay on the modes of defence best adapted to the situation and circumstances of this island ; with an examination of the schemes that have been formed for the purpose of fortifying its principal dockyards on very extensive plans, which are ready to be carried into execution by his grave the Duke of Richmond, now master-general of the ordnance. Cet essai, la réponse de Richmond, An answer to A short essay [...], et la réplique de Glenie, A reply to the Answer [...], furent tous publiés à Londres en 1785. Plus tard, Glenie publia Observations on the Duke of Richmond’s extensive plans of fortification, and the new works he has been carrying on since these were set aside by the House of Commons in 1786 ; by the author of the Short essay (Londres, 1794).
Aux APC, la collection de base en ce qui concerne les débuts de l’histoire du Nouveau-Brunswick porte la cote MG 11, [CO 188] New Brunswick A, 1–26. La carrière militaire de Glenie peut être retracée dans les papiers Haldimand, BL, Add. mss 21709 : 95s., 129–131 ; 21712 : 67s. ; 21714 : 255–258 ; 21715 : 6–9 ; 21720 : 147–149 ; 21722 : 361s. ; 21726 : 209s. ; 21734 : 10s. ; 21741 : 40 ; 21743 : 146s. ; 21764 : 19s. ; 21787 : 6, 14s., 36, 43–45 ; 21788 : 5, 12 ; 21801 : 9s. ; 21814 : 29s., 40–43, 46s., 143–150, 200, 210–212, 257s., 265, 273 ; 21874 : 180s. ; 21877 : 412 (mfm aux APC). Les importants registres de lettres de Wentworth conservés aux PANS, RG 1, 49–54, permettent de reconstituer les relations qu’entretint Glenie avec ce dernier. Les Wentworth papers, MG 1, 939–941, et les Saint John River papers, RG 1, 409 (mfm au Musée du N.-B.), s’avèrent également utiles. On peut trouver une foule de renseignements concernant la carrière politique de Glenie aux APNB dans RG 4, RS24, S6-B25, P14 ; S8-B 17 ; S9-B5, B8, B9, B17, P4 ; S10-B17, P2, P6 ; S11-P3 ; S13-B14, Z9 ; S14-Z1 ; S15-B6, B19 ; S16-B3, B16, P16, P17, Z7. D’autres documents intéressants sont contenus dans RG 7, RS72A, Mary Ann Glenie, 1847 ; et RG 10, RS108, pétition de James Glenie, 3 août 1785 ; Memorial of Glenie et al., 8 oct. 1785. On trouve la liste des concessions de terre qui lui furent accordées dans N.-B., Dept. of Natural Resources, Lands Branch (Fredericton), Index to grants, 1765–1848. La collection fondamentale du PRO est sans contredit CO 188/1–23. Au Musée du N.-B., on trouve quelques pièces intéressantes, un certain nombre de grande valeur, dont SB 39 : 118 ; Colwell coll. ; Glenie family CB ; H. T. Hazen coll., Ward Chipman papers ; et Jarvis papers.
Parmi les sources imprimées, les suivantes furent extrêmement utiles : Annual reg. (Londres), 1809 ; « Creon » : a satire on New Brunswick politics in 1802 », un poème anonyme paru une première fois en 1802, puis édité par T. B. Vincent dans Acadiensis (Fredericton), 3 (1973–1974), no 2 : 80–98 ; Gentleman’s Magazine, juill.-déc. 1817 ; [Joseph Gubbins], Lieutenant Colonel Joseph Gubbins, inspecting field officer of militia : New Brunswick journals of 1811 & 1813, Howard Temperley, édit. (Fredericton, [1980]), 32s. ; Kingston before War of 1812 (Preston) ; N.-B., House of Assembly, Journal, 1788–1789 ; 1791–1799 ; 1801–1803 ; 1805 ; et Winslow papers (Raymond).
Les journaux contemporains utiles comptent le New Brunswick Courier (Saint-Jean), 1818 ; la Royal Gazette (Saint-Jean), 1785–1804 ; et la Saint John Gazette, 1787–1805. On peut consulter avec profit les ouvrages de référence suivants : William Anderson, The Scottish nation ; or the surnames, families, literature, honours, and biographical history of the people of Scotland (3 vol., Édimbourg et Londres, 1869), 2 ; DBC, 4 (biog. de William Davidson et d’Elias Hardy) ; DNB ; et G.-B., WO, Army list, 1777–1787, 1817.
Parmi les études qui contiennent à la fois des renseignements sur Glenie et sur le milieu dans lequel il vécut, mentionnons : S. D. Clark, Movements of political protest in Canada, 1640–1840 (Toronto, 1959) ; John Ehrman, The younger Pitt : the years of acclaim (Londres, 1969) ; Hannay, Hist. of N.B., 1 ; Macmillan, «New men in action », Canadian business hist. (Macmillan), 44–103 ; MacNutt, New Brunswick ; L. M. B. Maxwell, An outline of the history of central New Brunswick to the time of confederation (Sackville, N.-B., 1937) ; Whitworth Porter et al., History of the Corps of Royal Engineers (9 vol. parus, Londres et Chatham, Angl., 1889– ; réimpr. des vol. 1–3, Chatham, 1951–1954), 2 ; Wright, Loyalists of N.B. ; et Graeme Wynn, Timber colony : an historical geography of early nineteenth century New Brunswick (Toronto, 1981). Signalons les intéressants travaux universitaires suivants R. C. Campbell, « Simonds, Hazen and White : a study of a New Brunswick firm in the commercial world of the eighteenth century » (thèse de
Des articles utiles : D. G. Bell, « A note on the reception of English statutes in New Brunswick » et « The reception question and the constitutional crisis of the 1790’s in New Brunswick », Univ. of New Brunswick Law Journal (Saint-Jean), 28 (1979) : 195–201 et 29 (1980) : 157–172 ; « Population patterns in pre-confederation New Brunswick», Graeme Wynn, édit., Acadiensis, 10 (1980–1981), no 2 : 124–138 ; G. F. G. Stanley, « James Glenie, a study in early colonial radicalism », N.S. Hist. Soc., Coll., 25 (1942) : 145–173 ; et Graeme Wynn, « Administration in adversity : the deputy surveyors and control of the New Brunswick crown forest before 1844 », Acadiensis, 7 (1977–1978), no 1 : 49–65. [w. g. c.]
William Gerald Godfrey, « GLENIE, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/glenie_james_5F.html.
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Auteur de l'article: | William Gerald Godfrey |
Titre de l'article: | GLENIE, JAMES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |