Homme courageux, plein de ressources et audacieux, l’Anglais Samuel Denny Street (1752–1830) vécut durant la guerre d’Indépendance américaine des aventures – missions secrètes, batailles désespérées, capture, emprisonnement, déguisement et évasion risquée – qui semblent plus proches de la fiction que de la réalité. Installé en 1783 dans une région qui deviendrait le Nouveau-Brunswick, il devint l’un des avocats les plus réputés de la colonie et fut membre de la chambre d’Assemblée. Il se battit en duel après des allégations selon lesquelles il aurait menti durant un procès type sur la légalité de l’esclavage, et il insista sur le besoin d’un gouvernement élu responsable.
Titre original :   The Ward Chipman Slavery Brief - Bios

Provenance : Lien

STREET, SAMUEL DENNY, officier, avocat, homme politique, fonctionnaire et poète, né le 16 mai 1752 à Southwark (Londres), fils de Thomas Street et d’Ann Lee ; décédé le 11 décembre 1830 à Fredericton.

Samuel Denny Street fit son apprentissage chez un attorney de Londres en 1766 et pratiqua ensuite le droit pendant une brève période avant d’entrer dans la marine royale au début des années 1770. Il se rendit à Boston à bord du Merlin en 1775 et servit sous les ordres du lieutenant général Thomas Gage*. Après avoir été licencié en Nouvelle-Écosse en 1776, il s’enrôla dans les Royal Fencible Americans de Joseph Goreham* et se rendit à Halifax avec le capitaine Gilfred Studholme*. Le 1er mai 1776, il suivit son régiment qui allait tenir garnison au fort Cumberland (près de Sackville, Nouveau-Brunswick) ; l’année suivante, il fut promu lieutenant et aida Studholme à établir le fort Howe à l’embouchure de la Saint-Jean. Le 22 février 1778, pendant qu’il était en poste au fort Cumberland, il épousa Abigail Freeman. Ils allaient avoir 12 enfants.

En 1780, Street avait déjà été muté au fort Howe et, en novembre, sur l’ordre du général de brigade Francis McLean*, il partit en bateau avec six hommes accomplir une mission secrète au port rebelle de Machias (Maine). Il a raconté ses aventures de 1780–1781 chez les rebelles dans un récit remarquable et palpitant qui, par moments, semble plus proche de la fiction que de la réalité. Cependant, à voir la précision des détails qu’offre cette histoire, il n’y a pas lieu de douter de sa véracité. Elle commence lorsque, passant par la baie de Passamaquoddy en revenant de Machias, le navire de Street est pris en chasse par un corsaire rebelle. Constatant qu’ils ne peuvent s’échapper parce que l’ennemi bloque le goulet de la baie, Street et ses hommes tentent de prendre la fuite dans une barque mais ils sont forcés d’accoster dans une petite île. Ils livrent bataille pendant trois heures et repoussent finalement leurs poursuivants à bord de leurs embarcations, non sans avoir capturé le chef rebelle. Street recevra de chaudes félicitations de Studholme et de McLean pour cet exploit.

En avril 1781, Street part pour une autre mission du même genre mais, cette fois, les rebelles s’attendaient à sa venue. Encerclé par un groupe plus nombreux que le sien, il est pris et emmené à Machias mais, en raison de la crainte qu’il leur inspire, les rebelles de l’endroit l’expédient rapidement à Boston, où il est mis à bord d’un navire-prison. Sans attendre, il se prépare à s’évader dans une barque qu’il a l’intention de voler. Cependant, les choses tournent mal et il est repris le lendemain, avec ceux qui l’accompagnaient. Les détenus passent six semaines à la prison municipale avant d’être renvoyés sur le navire cellulaire.

À ce moment, deux prisonniers rebelles assez importants sont offerts contre la libération de Street, mais l’échange est refusé. À peu près en même temps, Street prépare une deuxième évasion mais il est trahi par certains de ses compagnons qui craignent des représailles. Aiguillonné par la frustration, Street décide alors d’agir seul. Une nuit, il s’échappe du navire et nage jusqu’à la rive, où il est recueilli par des loyalistes avec lesquels il avait communiqué auparavant. Déguisé en pêcheur, il quitte le port de Boston et s’embarque sur un navire qui se dirige vers l’est, au fort George (Castine, Maine). De là, il retourne au fort Howe. Son incarcération avait duré environ cinq mois, mais il avait réussi à garder bon moral et à se maintenir en bonne santé. Ses exploits révèlent combien il était courageux, débrouillard et déterminé. Toutefois, comme McLean était mort pendant l’emprisonnement de Street, ce dernier n’eut jamais les promotions qui auraient pu lui échoir, et le reste de son service de guerre se déroula sans incident.

En 1783, Street quitta l’armée avec la demi-solde et fut affecté à des travaux de levé et de tracé à Parrtown et à Carleton (Saint-Jean, Nouveau-Brunswick). Il demanda au gouverneur John Parr* de lui octroyer une grande concession à Burton, sur la rivière Saint-Jean. Il s’y installa et baptisa son domaine Elysian Fields. En février 1785, il fut l’un des premiers à être admis au barreau de la nouvelle province du Nouveau-Brunswick ; il devint d’ailleurs l’un des plus grands avocats de la colonie.

Une carrière haute en couleur

Aux élections générales de 1792, Street tenta sans succès de se faire élire à l’Assemblée ; c’est par cet épisode malheureux que commença sa carrière politique. Toutefois, il fut élu en 1795 avec James Glenie* dans la circonscription de Sunbury et siégea à la chambre jusqu’à ce qu’il soit battu en 1802 par Elijah Miles. Street et Glenie jouèrent un rôle marquant dans la longue bataille que se livraient l’Assemblée élue et le gouvernement nommé (le lieutenant-gouverneur Thomas Carleton* et son conseil) au sujet de leurs prérogatives et droits respectifs. À l’époque, l’atmosphère politique était extrêmement changeante et les emportements étaient fréquents. Pendant cette période, Street se retrouva au centre de deux incidents dramatiques, l’un personnel et l’autre public.

Le 16 janvier 1800, Street provoqua John Murray Bliss en duel parce que celui-ci avait sous-entendu que, le jour même, il avait menti au jury lors d’un procès où tous deux avaient plaidé. Il s’agissait d’un procès-type qui soulevait beaucoup de passions et portait sur le droit de posséder des esclaves. Street et Ward Chipman avaient défendu l’esclave tandis que John Murray Bliss, Thomas Wetmore, Charles Jeffery Peters*, William Botsford* et Jonathan Bliss avaient représenté le maître, Caleb Jones*. Les quatre juges de la Cour suprême, incapables de s’entendre, ne rendirent pas de jugement, mais l’ambiguïté légale qui résulta du procès suffit à diminuer la valeur des esclaves et à freiner l’expansion de la traite. À la fin du procès, peu après huit heures du soir, Street et Bliss se rencontrèrent au palais de justice de Fredericton avec leurs témoins. Ils se placèrent à neuf pas de distance et, une fois le signal donné, firent feu presque en même temps. Aucun des coups ne porta. Street s’empressa de recharger son arme pour tirer de nouveau, mais les témoins purent persuader Bliss de présenter des excuses, que Street finit par accepter.

En 1802, Street fut encore le centre d’attention lorsqu’il fut élu greffier de l’Assemblée par une majorité de députés après la mort de celui qui détenait ce poste. Le lieutenant-gouverneur Carleton refusa de ratifier ce choix, car il avait son propre candidat, Dugald Campbell*. L’Assemblée ne voulut pas reconnaître le protégé du lieutenant-gouverneur et Street demeura greffier jusqu’à la fin de la session. Dans le projet de loi de 1802 sur les crédits, l’Assemblée précisa que Street devait recevoir le salaire du greffier car elle voulait s’assurer que l’argent irait à la bonne personne. Le 3 mars, le conseil retourna le projet de loi en demandant que le nom de Street soit radié. Alors, la plupart des membres du clan de « l’opposition » quittèrent la chambre dans l’espoir que, faute de quorum, la session serait ajournée jusqu’à la fin de l’année. Cependant, le président, Amos Botsford*, rappela la chambre à l’ordre le lendemain et, en dépit de l’absence de quorum, autorisa les députés présents, surtout des « amis du gouverneur », à amender le projet de loi avant l’ajournement pour satisfaire le gouvernement. En mai, Carleton convoqua des élections générales. La campagne, très agitée, fut marquée par une guerre de pamphlets, des lettres acerbes dans les journaux, et une satire en vers intitulée Creon que Street écrivit sur les événements de la dernière session. Creon eut peut-être plus d’effet comme outil de propagande que comme œuvre poétique, mais il s’agit tout de même de l’un des plus intéressants morceaux de poésie satirique sur l’histoire locale, genre qui occupait une bonne place dans la littérature des Maritimes à l’époque coloniale. Finalement, les « amis du gouverneur » remportèrent une victoire écrasante tandis que Street et la plupart des membres de « l’opposition » perdirent leur siège.

En 1803, Street demanda d’être nommé à la Cour suprême, mais il essuya un refus et demeura donc dans son cabinet d’avocat. Six ans plus tard, il fut réélu dans Sunbury, cette fois aux côtés de James Taylor, et siégea sans incident jusqu’à sa défaite en septembre 1816. Cette année-là, on lui refusa encore un poste à la Cour suprême mais, en 1819, le lieutenant-gouverneur George Stracey Smyth le nomma au conseil. En 1821, après que son fils George Frederick* eut tué George Ludlow Wetmore au cours d’un duel, Street parcourut les rues de Fredericton pour arracher les proclamations affichées à son sujet par le coroner William Taylor. Le 20 décembre 1824, sa femme mourut ; six ans plus tard, il rendit l’âme et fut inhumé à ses côtés dans l’Old Burying Ground de Fredericton.

Tout au long de sa carrière politique, malgré le caractère souvent partisan de ses activités, Street semble avoir eu une pensée politique claire et cohérente. À une époque où nombre d’habitants du Nouveau-Brunswick étaient prêts à confier presque tous les pouvoirs au gouverneur et au conseil, il réclama pour l’Assemblée des droits et prérogatives semblables à ceux que la constitution britannique accordait au Parlement, surtout en ce qui concernait le contrôle des finances. Mais, encore ébranlée par les révolutions américaine et française et sentant la menace napoléonienne, la population du Nouveau-Brunswick opta en 1802 pour le semblant de sécurité qu’offrait un régime paternaliste et hiérarchisé où le pouvoir était clairement concentré entre les mains des représentants de la couronne. Pour la plupart des habitants de la province, c’était purement et simplement une question de loyauté ; toute répartition de pouvoirs évoquait le républicanisme. Il faudrait attendre une génération avant que les habitants des Maritimes ne désirent un gouvernement responsable.

Les enfants de Samuel Denny Street furent l’une de ses plus grandes contributions à la vie du Nouveau-Brunswick. Ils étaient 12 et, parmi eux, George Frederick devint juge à la Cour suprême de la province, William Henry et John Ambrose Sharman* furent députés, Samuel Denny Lee fut rector anglican de Woodstock pendant 40 ans et Ann Frances épousa George Duncan Berton, shérif du comté d’York. De plus, les Street élevèrent les trois enfants orphelins du docteur Ambrose Sharman, qui avait servi avec Street dans les Royal Fencible Americans et qui s’était noyé à Burton en 1793. Ann Sharman épousa William Carman et eut pour petit-fils le poète William Bliss Carman*.

Thomas B. Vincent

Le poème satirique de Samuel Denny Street a paru sous le titre de Creon dans la Saint John Gazette and General Advertiser (Saint-Jean, N.-B.), 23 oct., 6–20 nov. 1802. Street a aussi fait publier sous le pseudonyme de Creon une brochure intitulée A statement of facts relative to the proceedings of the House of Assembly on Wednesday the third, and Thursday the fourth of March, 1802, at the close of the last session [...] ([Saint-Jean], 1802).

APNB, MC 1156, VIII.— PANS, MG 1, 144, S. D. Street à Thomas –––, 2 déc. 1781 (transcription) ; MG 100, 235, no 7.— PRO, ADM 36/7909 ; IR 17/46.— Sheffield City Libraries, Arch. Division (Sheffield, Angl.), WWM. BK. P. 1/3293 (transcription aux PANS).— N.-B., House of Assembly, Journal, 1802.— Winslow papers (Raymond).— Hill, Old Burying Ground.— The old graveyard, Fredericton, New Brunswick : epitaphs copied by the York-Sunbury Historical Society, Inc., L. M. Beckwith Maxwell, compil. (Sackville, N.-B., 1938).— Beckwith Maxwell, Hist. of central N.B.— Hannay, Hist. of N.B.— Lawrence, Judges of N.B. (Stockton et Raymond).— MacNutt, New Brunswick.— D. R. Jack, « An affair of honor », Acadiensis (Saint-Jean), 5 (1905) : 173–177.

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Thomas B. Vincent, « STREET, SAMUEL DENNY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/street_samuel_denny_6F.html.

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Auteur de l'article:    Thomas B. Vincent
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    20 nov. 2024