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FANNING, EDMUND, officier, administrateur colonial et agent foncier, né le 24 avril 1739 dans cette partie du canton de Southold, New York, qui s’appelle aujourd’hui Riverhead, fils de James Fanning, capitaine, et de Hannah Smith ; décédé le 28 février 1818 à Londres.
Diplômé du Yale College en 1757, Edmund Fanning alla s’établir à Childsburgh (Hillsborough), dans le comté d’Orange, en Caroline du Nord, où il fut admis au barreau cinq ans plus tard. Il acquit rapidement fonctions et renom en assumant diverses responsabilités dans les années 1760 : colonel de milice, receveur de l’enregistrement, député de la circonscription d’Orange à l’Assemblée et juge de la Cour supérieure. Considéré comme « l’homme le plus instruit de la province », Fanning occupa une place de choix dans les bonnes grâces du gouverneur William Tryon, mais il tut également l’objet d’un tollé général. Le public l’accusait d’être un cumulard importé et un exploiteur du peuple. À preuve, les deux quatrains satiriques suivants, œuvre d’un contemporain :
Quand Fanning à Orange est arrivé,
Il était pâle et exténué,
Portait haillons pour tout vêtement,
Et montait une vieille jument.
Souventes fois ai-je ouï
Que les deux ne valaient pas un louis,
Mais le filou, champion de l’escroquerie,
Porta bientôt pourpoint d’or garni.
En 1768, Fanning était devenu à la fois le principal symbole de la corruption dénoncée par la Regulation, violent mouvement d’opposition populaire provenant de l’arrière-pays et dirigé contre la prépondérance des centres du littoral, ainsi que la principale cible des soulèvements de foule associés au mouvement. Sa demeure fut incendiée à plusieurs reprises, et on le traîna dans les rues de Hillsborough en 1770. Cette humiliation fut l’une des raisons qui amena Tryon à supprimer la Regulation par la force au cours d’une bataille rangée, l’année suivante, au ruisseau Great Alamance.
Quand on envoya Tryon à New York en 1771 pour lui confier le poste de gouverneur, c’est avec grand plaisir que Fanning quitta la Caroline du Nord pour suivre son protecteur à titre de secrétaire privé. Plus tard, la même année, il agit comme juge chargé d’homologuer les testaments dans la ville de New York et, en 1774, il devint arpenteur général de la province. L’University of Oxford lui accorda un doctorat en droit civil le 6 juillet 1774. Lorsque la Révolution américaine éclata, on permit à Fanning de recruter une unité de Loyalistes et d’en prendre le commandement ; connue sous le nom de King’s American Regiment, ou Associated Refugees, elle acquit bientôt une triste notoriété dans les colonies à cause de la férocité déployée lors des combats et de la cruauté des traitements infligés à l’ennemi.
Le mythe d’un Fanning méchant et despotique a été entretenu dans l’histoire américaine (interprétation fort répandue par la publication à Boston, en 1771, d’un ouvrage attribué à Hermon Husbands et intitulé A fan for Fanning, and a touch-stone to Tryon, containing an impartial account of the rise and progress of the so much talked of Regulation in North-Carolina). Ainsi, sa renommée du début ne concorde pas avec les jugements portés sur sa carrière subséquente à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) où, l’a-t-on souvent allégué, il fut un gouverneur velléitaire. Bien entendu, sa réputation aux États-Unis était jusqu’à un certain point imméritée. De nos jours, la plupart des spécialistes s’entendent pour affirmer qu’en Caroline du Nord Fanning fut le bouc émissaire de l’opinion populaire. Ses expériences américaines ne manquèrent cependant pas d’exercer sur lui une profonde influence. À l’île Saint-Jean, il en vint presque à se sentir contraint de rechercher la faveur populaire et de travailler en coulisse, dissimulant ainsi sa véritable position dans des affaires sujettes à controverse. Si certains insulaires contemporains, parmi ses détracteurs, ne virent en lui qu’un être dupe et impuissant, et si des érudits considérèrent par la suite qu’il n’avait fait que suivre le courant, il eut tout de même la situation bien en main pendant presque tout le temps où il fut au pouvoir. La durée même de son mandat, 17 ans, témoigne de l’habileté de sa conduite. La remarque que fit le comte de Selkirk [Douglas] en 1803, selon laquelle Fanning n’avait « pas d’intelligence à revendre », n’est en somme que la simple opinion d’un jeune homme impétueux et énergique au sujet d’un autre plus âgé et plus sage à la veille de la retraite. Elle ne saurait donc être considérée comme un jugement équitable sur la carrière de Fanning.
Après la guerre d’Indépendance américaine, Fanning s’établit en Nouvelle-Écosse où, le 23 septembre 1783, il prêta serment comme lieutenant-gouverneur. Deux ans plus tard, le 30 novembre 1785, il épousa Phoebe Maria Burns (ses ennemis chuchotèrent qu’elle avait été sa cuisinière et sa ménagère), et le couple eut un fils et trois filles. En 1786, Fanning abandonna sa sinécure en Nouvelle-Écosse afin de remplacer Walter Patterson* comme lieutenant-gouverneur de l’île Saint-Jean, laissant ainsi de côté une existence confortable à Halifax pour venir s’établir à Charlottetown dans une « petite maison de location, inachevée et sans confort ». Pour lui, le poste n’était que provisoire, car il espérait remplacer John Parr* à la tête du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Cependant, les mois qui suivirent son arrivée, le 4 novembre, ne furent guère de nature à lui prouver qu’il avait pris une sage décision en acceptant cette charge.
Patterson, le titulaire du poste, tira avantage de l’ambiguïté des termes officiels de la nomination de Fanning – « pendant l’absence du lieutenant-gouverneur Patterson » – pour refuser de céder les sceaux et le gouvernement de l’île avant d’être prêt à la quitter. Rappelé en Grande-Bretagne où il devait faire face à une enquête parce qu’il avait refusé de se soumettre aux ordres lui enjoignant de restituer des lots qu’il avait fait vendre en 1781 alors qu’ils appartenaient déjà à des propriétaires, Patterson cherchait désespérément à gagner du temps pour brouiller les pistes et justifier sa conduite. Lorsque le secrétaire d’État à l’Intérieur, lord Sydney, le démit officiellement de ses fonctions au printemps de 1787, Fanning et John Patterson, le frère de Walter, conclurent une entente selon laquelle la plupart des partisans de ce dernier seraient confirmés dans leurs postes, en particulier au conseil. L’ancien lieutenant-gouverneur resta dans l’île jusqu’en 1788 pour assumer la direction du Board of Résident Proprietors and Agents, organisme composé de ses principaux partisans, lequel prétendait représenter les propriétaires d’une superficie de 302 000 acres et les mandataires d’une superficie additionnelle de 427 000 acres, soit plus de la moitié des terres de l’île Saint-Jean.
Les circonstances forcèrent Fanning à trouver des appuis où il le pouvait. Il orienta ses espoirs dans deux directions. Quelques amis réfugiés loyalistes de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, Robert Gray*, Joseph Robinson et Joseph Aplin, furent invités à venir dans l’île. Ils se virent confier des postes de second plan jusqu’à ce que Fanning put leur trouver une place dans la liste déjà trop remplie des fonctionnaires. Les nouveaux arrivants fournirent au lieutenant-gouverneur un appui moral et agrémentèrent sa compagnie, mais ce dernier avait également besoin d’une aide locale. Inévitablement, il jeta son dévolu sur la faction insulaire qui s’était opposée à Patterson et à sa politique. Peter Stewart, suspendu par Patterson et bientôt réintégré dans ses fonctions de juge en chef par Fanning, était à la tête du groupe composé en grande partie de ses fils, Charles et John* Stewart, ainsi que d’autres parents. Le groupement était puissant et jouissait d’un appui populaire assez considérable dans les régions éloignées. Lors des premières élections de la chambre d’Assemblée, décrétées par Fanning en juillet 1787, les candidats des deux camps opposés (« le groupe de la baie de Richmond », organisé par John Stewart, et « le groupe du capitaine Fletcher », organisé par Alexander Fletcher et composé des partisans de Patterson) se disputèrent l’appui des électeurs au cours du scrutin qui fut tenu pour la première fois à l’extérieur de Charlottetown. Le groupe de la baie de Richmond eut du succès à Princetown (Malpeque) et à St Peters, mais c’est celui de Patterson qui réussit à remporter la majorité des sièges. Cependant, « la confusion et le désordre » dans lesquels se déroula le vote de Charlottetown permirent au shérif de refuser de déclarer la victoire, et d’autres élections furent immédiatement déclenchées. Le corps législatif élu ne donna pas plus de satisfaction à Fanning, qui ne le convoquait que rarement. Ce n’est qu’en 1790 qu’il en arriva à obtenir une assemblée avec laquelle il pouvait composer.
Malgré le départ de Walter Patterson pour la Grande-Bretagne, en 1788, et la destitution l’année suivante du procureur général Phillips Callbeck* (considéré par un grand nombre comme le cerveau du gouvernement précédent), les vieilles hostilités avaient la vie dure. En 1789, John Patterson allégua que Fanning n’avait pas respecté le compromis auquel ils en étaient venus et rendit publics les termes de l’accord, comme preuve à l’appui. De fait, Fanning avait procédé à un remaniement de certaines fonctions pour donner des postes à ses amis loyalistes. De plus, l’activité de la faction Stewart, sérieusement malmenée sous le régime Patterson et animée maintenant d’un désir de vengeance, ne fit qu’attiser l’animosité. Les principales cibles furent les marchands propriétaires John Cambridge*, John Hill* et William Bowley, tous partisans de Patterson. Ils tentaient de mettre sur pied un commerce insulaire qui devait faire des affaires aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Le nom de John Patterson était en quelque façon lié à l’entreprise du côté de New York. En 1789, William Townshend, receveur des douanes et gendre du juge en chef Stewart, confisqua un schooner appartenant à Cambridge et à Bowley, sous prétexte qu’on se servait de ce bateau pour exercer dans l’île un commerce qui faisait partie d’un plan à grande échelle destiné à éviter les droits de douane. De plus, les bureaux de douane engagèrent des poursuites contre eux. Les associés nièrent toute entente délictueuse dans le but de pratiquer un commerce illégal et soutinrent que leurs principaux torts avaient été de continuer à donner leur appui politique aux Patterson et de refuser de partager les bénéfices avec les membres de la faction Stewart. Pendant des années, accusations et contre-accusations se succédèrent, de sorte qu’il est maintenant impossible d’en démêler l’écheveau car, selon les propos mêmes de Townshend, « dans cette île [...] les déclarations sous serment [n’étaient] souvent que trop facilement obtenues ». Au début, Fanning avait essayé de tempérer le zèle que manifestait son subordonné pour empêcher la contrebande, mais il ne s’en retrouva pas moins aux côtés de Townshend, de Peter Stewart et d’Aplin pour répondre à des accusations de malversation et de persécution portées par les marchands devant le Conseil privé, en 1791.
D’abord, Cambridge et ses amis eurent à Londres l’appui d’un grand nombre de propriétaires absentéistes de l’île. Cependant, les marchands s’obstinèrent à dénoncer la partialité politique de leurs adversaires alors que leurs griefs au sujet de la corruption dans les fonctions officielles et du favoritisme sur le plan judiciaire étaient beaucoup plus sérieux et légitimes. Ils ébranlèrent ainsi leur cause. De plus, Fanning avait réussi à gagner l’approbation de plusieurs des principaux propriétaires (en particulier du juge en chef de la Cour de l’Échiquier d’Écosse, James William Montgomery, et du marquis George Townshend), en devenant leur mandataire dans l’île. Grâce à son émissaire personnel, Robert Gray, il parvint à faire pencher l’opinion de la plupart des propriétaires en sa faveur. En 1792, le Conseil privé rejeta les griefs comme dénués de tout fondement. Or, les poursuites eurent entre autres pour résultat d’assombrir l’horizon politique de Fanning au moment même où l’on cherchait un successeur au lieutenant-gouverneur Parr en Nouvelle-Écosse. Ce fut Wentworth qui obtint le poste. Mais, à long terme, la justification de Fanning et de ses fonctionnaires en 1792 eut pour effet de désagréger la faction Patterson dans l’île.
Quant aux marchands, pendant des années, ils se querellèrent devant les tribunaux pour chercher à définir les responsabilités financières de l’échec. De son côté, Fanning finit par accepter qu’il était fort peu probable qu’il obtînt un poste de plus grand prestige et entreprit d’affermir sa position sur le plan personnel et politique dans l’île. Il acheta aux enchères, à rabais, la majeure partie des propriétés foncières de Walter Patterson, alors en faillite, et accrut ses responsabilités de mandataire pour le compte des propriétaires absentéistes. À l’occasion, il eut même la satisfaction d’acculer à la ruine d’anciens partisans de Patterson (ce fut le cas au cours de l’arbitrage du différend qui sépara pendant longtemps Montgomery et son mandataire dans l’île, David Lawson). Apparemment, Fanning commençait à s’habituer à sa demeure de Charlottetown, ce qui lui permit d’écrire en 1794 qu’il possédait de nombreux arbres fruitiers dans « un des plus beaux jardins qu’[il eût] jamais vu », dont la superficie atteignait près de deux acres.
S’il s’était relativement bien tiré de l’affaire du Conseil privé, Fanning n’était pas pour autant à l’abri de toute controverse. Le non-paiement par les propriétaires absentéistes des redevances foncières ainsi que la question de la confiscation de leurs propriétés pour non-exécution des conditions de concession faisaient l’objet d’un grand intérêt public dans l’île. Les propres partisans de Fanning, sous la conduite du clan Stewart, désiraient vivement soit obliger le paiement des redevances (ce qui aiderait à renflouer la liste civile et à augmenter ainsi leurs traitements de fonctionnaires), soit récupérer au bénéfice de la couronne les biens des propriétaires absentéistes afin que les propriétaires locaux (eux-mêmes en bonne partie) puissent en prendre possession. Comme la plupart des habitants et des fonctionnaires nourrissaient la même hostilité envers les propriétaires absentéistes, la question des terres constituait la pierre angulaire de l’établissement d’un gouvernement comprenant des gens issus des diverses classes de la société. Même si, en tant que propriétaire, Fanning, tout comme les Stewart, avait peu d’intérêt pour l’escheat, il mit tous ses efforts à promouvoir la question. Ses expériences antérieures en Caroline du Nord lui avaient démontré les dangers d’une hostilité ouverte à l’opinion publique. Son ambition personnelle d’obtenir une certaine amélioration de sa condition n’était pas non plus étrangère à sa conduite.
Le bruit courut, vers la fin des années 1790, que Fanning et les Stewart avaient prévu pour 1791 une offensive majeure contre les absentéistes, mais que la nécessité d’obtenir l’appui des propriétaires, au cours des poursuites devant le Conseil privé, les avait conduits dans une impasse. Cependant, dès 1795, Fanning se sentit suffisamment en sécurité pour passer à l’action, mais il le fit en toute prudence. Cette année-là, il approuva une loi votée par l’Assemblée visant à remettre les terres entre les mains des résidents. La loi stipulait que tous ceux qui avaient été ou qui seraient par la suite en possession d’une terre pendant une période de sept ans devaient recevoir la confirmation de leur franche-tenure ou de leur tenure à bail. Du reste, en donnant son approbation, Fanning n’insista pas sur la clause de suspension, courante dans la législation de l’île, et selon laquelle la loi n’entrait en vigueur que lorsqu’elle avait reçu l’approbation de la couronne. Les opposants, dont le procureur général Aplin, soutinrent que la loi cherchait à escroquer les propriétaires, car n’importe qui pouvait construire une hutte sur une terre sous un titre frauduleux et, par la suite, revendiquer la propriété de cette terre. Quels que fussent les autres effets de la loi, elle servirait à rendre légitimes les droits de Fanning sur les terres de Patterson.
L’offensive se poursuivit en 1796 avec la publication d’une petite brochure, œuvre de l’ami de Fanning, Joseph Robinson. On y réclamait un plus grand investissement de la part des propriétaires ou la création, pour l’île, d’un tribunal d’escheat nommé par la couronne. L’année suivante, l’Assemblée continua de faire des pressions et nomma un comité afin d’étudier en détail la situation des propriétaires qui, pour la plupart, ne respectaient pas les termes de leurs concessions. Avant de transmettre à Whitehall le rapport muni de son approbation, Fanning fit en sorte que les propriétaires pour lesquels il servait de mandataire dans l’île ne fassent pas l’objet de censures. Dans le cas de Montgomery, qui avait essayé de mettre sa propriété en valeur, cette exemption était légitime. D’un autre côté, les terres de Townshend sur le lot no 56 n’avaient pratiquement fait l’objet d’aucune amélioration. Néanmoins, Fanning allait plus tard se faire gloire auprès de Townshend de ses « tentatives pour que la chambre d’Assemblée [considérât ces terres] entièrement conformes, sous le rapport de leur mise en valeur, aux conditions de la concession, et ainsi qu’elles ne [fussent] pas confisquées pour cause de non-exploitation, ce qui [devait] augmenter considérablement la valeur du lot de [Townshend] ».
Fanning encouragea de près le mouvement pour l’escheat dans l’espoir de gagner la faveur populaire et également dans son intérêt personnel. Mais il omit de prendre en considération deux autres facteurs qui compromirent sa situation. Il faut d’abord mentionner le fait que le système judiciaire de l’île échappait à tout contrôle. Dès le début, Fanning avait, ce qui était bien de lui, esquivé son obligation de réviser les décisions de la Cour suprême, préférant déléguer au conseil ses responsabilités relatives à la chancellerie, pour n’intervenir que dans les cas où il y avait partage des voix. Comme le juge en chef Stewart et les juges adjoints Gray et Robinson étaient également membres du conseil, les recours se faisaient, au dire des critiques de Fanning, en circuit fermé : « du juge en chef et de ses adjoints au juge en chef et à ses adjoints ». Qui plus est, un nombre croissant de litiges portés devant la Cour suprême se rapportaient aux Stewart, principalement au sujet de transactions commerciales personnelles. Étant donné la position de Peter Stewart et le fait que son fils Charles était greffier au tribunal, les plaintes formulées par le procureur général Aplin, par son successeur John Wentworth ainsi que par plusieurs propriétaires à l’endroit du système judiciaire, se révélaient de plus en plus dignes de foi. La corruption et l’inefficacité de la procédure judiciaire devinrent le cheval de bataille des opposants de Fanning ainsi que des défenseurs des propriétaires dans leur lutte contre le gouvernement.
Le capitaine John MacDonald of Glenaladale, fougueux Highlander et l’un des principaux propriétaires résidents, représentait un autre problème épineux. Il ne reculait pas devant la perspective d’affronter l’île entière s’il le fallait et il excellait dans l’art de transformer les moindres ragots et scandales de l’île en mordantes épigrammes destinées à condamner ses dirigeants. Dès 1790, MacDonald avait jugé que les deux gouvernements, celui de Patterson et celui de Fanning, se valaient bien et que le seul changement avait été de remplacer « une audacieuse et manifeste tyrannie par la profonde, outrancière et méprisable ruse d’un Yankee ». C’est vers le milieu des années 1790 que Fear-a-Ghlinne, de son surnom gaélique, prit la tête du mouvement d’opposition au gouvernement Fanning-Stewart. Par la suite, il recruta James Douglas et Aplin dans le petit groupe d’opposants. Aucun de ces hommes n’acceptait les protestations de Fanning qui affirmait n’être pas intervenu dans l’affaire de l’escheat. Ils étaient tout à fait persuadés que non seulement le lieutenant-gouverneur connaissait la situation, mais qu’il influençait également le cours des événements en coulisse. « Personne ne peut échapper à sa malice ainsi qu’au pouvoir qu’il possède de l’assouvir, écrivait Douglas à Montgomery, puisqu’il a à sa discrétion tous les échelons de la justice et de l’administration. » Cette nouvelle opposition à Fanning constituait un double danger, car en plus de jouer un rôle public en défendant les propriétaires absentéistes, elle apportait un plaidoyer en faveur de l’annexion à la Nouvelle-Écosse et offrait ainsi une solution simple et pratique aux problèmes politiques et économiques de l’île.
Fanning s’employa de toutes ses forces à amortir les attaques dirigées contre sa personne et son gouvernement. En 1797, l’Assemblée censura MacDonald à cause d’une lettre qu’il avait adressée au lieutenant-gouverneur, où il l’accusait d’encourager « un parti niveleur » dans la colonie. L’année suivante, Aplin fut démis de ses fonctions de procureur général, à la suite de plaintes formulées par Fanning auprès du gouvernement britannique pour dénoncer le caractère séditieux de ses propos et de sa conduite. De son côté, Douglas était un peu plus difficile à atteindre : il ne participait pas à la vie politique et jouissait de toute la confiance de Montgomery, le plus grand propriétaire absentéiste, dont il était le mandataire. Douglas se vit dans l’obligation de défendre son intégrité comme contrôleur des douanes à la suite des accusations portées à Londres par William Townshend. Cependant, c’est en soulignant à son employeur les dangers d’une annexion qui permettrait aux habitants de la Nouvelle-Écosse, friands de terres nouvelles, d’affronter les propriétaires de l’île, que Fanning réussit à neutraliser d’une façon plus efficace les critiques de Douglas. Fanning parvint donc à affaiblir l’antagonisme dont il était victime, surtout dans l’île, et, dans la mesure où les factions locales opposées trouvèrent dans la question des terres un terrain commun, on peut rendre hommage à sa perspicacité politique et à sa gestion. Incapable d’empêcher les propriétaires britanniques de manifester une extrême méfiance à l’égard du mouvement en faveur de l’escheat, il sut cependant les persuader que lui seul pouvait endiguer le flot de l’hostilité populaire au sujet de la tenure à bail, des locations et de l’absentéisme, qui risquait de submerger le système de propriété. Mieux que tout autre parmi les premiers lieutenants-gouverneurs de l’île, il réussit à maintenir sa crédibilité auprès de tous les groupes dont les intérêts divergents étaient en jeu à l’île.
La question des terres, qui occupa le premier plan pendant la dernière partie du mandat de Fanning, estompa de diverses façons un problème de plus grande envergure, à savoir l’économie sous-développée. Selon les critiques, le lieutenant-gouverneur ne favorisait pas comme il aurait dû la prospérité de l’île, mais c’est probablement à la guerre, entre 1793 et 1801, qu’il faut plutôt imputer la stagnation. En 1804, lorsque Fanning obtint la permission de prendre sa retraite à partir de 1805, espoir qu’il caressait depuis quelques années déjà, l’île était bel et bien sortie du marasme économique pour entrer dans une période de prospérité quasi sans précédent. Le gouvernement britannique lui accorda une pension annuelle de £500 à même les revenus de l’île. Malgré un séjour de quelques mois à Londres en 1805, il se plaisait tellement dans l’île qu’il continua à habiter Charlottetown jusqu’en 1813. Son grand âge le contraignit alors à s’installer en permanence à Londres où il habitait, rue Upper Seymour, à l’époque de son décès. Fanning, qui avait toujours joui des bonnes grâces du ministère de la Guerre et obtenu régulièrement des galons, devint finalement général en avril 1808. Le décès, en 1812, de son fils unique qui avait joint les rangs de l’armée britannique à l’âge de 14 ans, vint assombrir ses dernières années. Ses trois filles, toutes célibataires à sa mort, héritèrent de vastes domaines au Vermont ainsi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard.
Edmund Fanning n’a pas retenu autant l’attention que certains autres gouverneurs loyalistes de l’Amérique du Nord britannique, mais c’est peut-être celui qui connut le plus de. succès. Parmi les premiers administrateurs de l’Île-du-Prince-Édouard, il fut le seul dont la réputation n’eût point été ternie, et il le devait en grande partie à l’attitude prudente et ambiguë qui fut sienne dans la question des terres.
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J. M. Bumsted, « FANNING, EDMUND », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/fanning_edmund_5F.html.
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Auteur de l'article: | J. M. Bumsted |
Titre de l'article: | FANNING, EDMUND |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |