ODELL, WILLIAM FRANKLIN, fonctionnaire, notaire, avocat, arpenteur et homme politique, né le 19 octobre 1774 à Burlington, New Jersey, fils unique du révérend Jonathan Odell*, érudit et poète loyaliste, et d’Anne De Cou ; le 31 décembre 1808, il épousa Elizabeth Newall (Newell), petite-fille de Samuel Cooke, premier rector anglican de Fredericton, et ils eurent quatre fils et quatre filles qui survécurent à l’enfance ; décédé le 25 décembre 1844 à Fredericton.

Issu du milieu des fonctionnaires d’Amérique du Nord britannique, William Franklin Odell fut prénommé en l’honneur de William Franklin, protecteur de son père et dernier gouverneur britannique du New Jersey. Il avait dix ans quand son père devint, en 1784, secrétaire de la nouvelle province du Nouveau-Brunswick où, comme l’a dit l’historien William Stewart MacNutt*, il « passa un quart de siècle à s’acquitter de la plus grande part des affaires gouvernementales et acheva sa vie dans la pauvreté ». Sans doute est-ce la situation financière de Jonathan Odell qui empêcha son fils de fréquenter l’université. Par contre, comme sa famille avait accès aux petites faveurs officielles, celui-ci put entreprendre une carrière dans l’administration publique. Nommé le 16 mars 1793, à l’âge de 18 ans, greffier suppléant de la Cour suprême, il remplaçait temporairement le greffier Colin Campbell. Le poste de greffier, qui n’exigeait pas non plus de formation juridique, lui revint le 19 juillet 1796. Il cumula deux fonctions pour la première fois à compter du 2 février 1802 en devenant greffier du Conseil législatif. Il avait entrepris ses études de droit au cabinet de Ward Chipman* à Saint-Jean à la fin des années 1790 et devint notaire en 1802, attorney en 1804 et membre du barreau en 1806. Ses responsabilités à la Cour suprême furent élargies en novembre 1804 : nommé greffier de la couronne, il s’occupa dès lors d’affaires criminelles.

En 1807, Jonathan Odell, parvenu à l’âge de 70 ans, n’arrivait plus à s’acquitter de sa charge mais, comme l’administration coloniale ne garantissait pas de pension, il ne pouvait s’offrir le luxe d’une retraite. Au risque de nuire à sa propre carrière, William Franklin, en fils dévoué, devait veiller de plus en plus aux affaires courantes du secrétariat provincial. Ses chances d’en récolter le moindre bénéfice à long terme semblaient minces car le ministère des Colonies jugeait « condamnable, en principe », l’idée qu’il succède à son père. C’est le major général Martin Hunter, administrateur du Nouveau-Brunswick, qui dénoua cette pénible situation. Comme il éprouvait pour la famille Odell une admiration teintée d’affection, il demanda, « à titre de faveur personnelle » aussi bien qu’en reconnaissance de la fidélité de Jonathan et des qualifications de son fils, qu’on nomme ce dernier secrétaire de la province. William Franklin assuma officiellement cette fonction en 1812, reçut une commission de secrétaire, registraire et greffier du conseil le 31 mars 1815 et prêta le serment de conseiller le 3 avril suivant.

Odell n’avait rien d’un rond-de-cuir. Amateur de grand air, il avait agi à l’occasion, dans sa jeunesse, à titre d’arpenteur adjoint du gouvernement ; en 1808, il avait arpenté les terres des Indiens de la Miramichi [V. John Julien*]. En 1818, il succéda à Joseph Bouchette au poste d’arpenteur principal de l’équipe britannique qui, en vertu de l’article 5 du traité de Gand (1814), devait délimiter avec les États-Unis la frontière du Nouveau-Brunswick et du Maine. Pendant plus de trois ans, il travailla sous l’autorité de ses amis Ward Chipman père et Ward Chipman* fils qui, en qualité de fondés de pouvoir du gouvernement, tentaient de justifier les revendications de la Grande-Bretagne au sujet de la haute vallée de la rivière Saint-Jean. Leur stratégie consistait à localiser, au sud de la vallée de la rivière Aroostook, des accidents de terrain qui pouvaient vraisemblablement correspondre au terme « angle nord-ouest de la Nouvelle-Écosse », employé dans les traités de Versailles (1783). Pendant les étés de 1818, 1819 et 1820, Odell dirigea des équipes d’arpentage composées d’environ 25 hommes qui voyageaient dans plus d’une douzaine de canots. En 1821, il rédigea un rapport dans lequel une carte montrait une chaîne de collines qui, en direction sud-ouest, allait de la rivière Saint-Jean au mont Mars. Les Américains rétorquèrent que cette carte était inexacte et furent particulièrement choqués de ne pas y trouver, près du Saint-Laurent, la plus grande partie de la chaîne de hautes terres sur laquelle ils fondaient leur réclamation. À son tour, Odell nia l’existence d’une chaîne ininterrompue de hautes terres en s’appuyant sur les travaux que Johann Ludwig Tiarks et d’autres avaient faits dans la région. Les négociations échouèrent peu après mais, pendant les deux décennies suivantes, la connaissance qu’Odell avait du terrain s’avéra plusieurs fois utile aux autorités provinciales dans le règlement des tensions frontalières.

Défenseur de la couronne par tradition familiale et par formation, Odell fut lié de très près à la plupart des administrateurs de la colonie, sauf à George Stracey Smyth* et à sir John Harvey*. Dans ces deux cas, il fut mêlé à des dissensions politiques dans lesquelles de ses amis, d’abord Ward Chipman père puis Thomas Baillie*, étaient les figures centrales de l’opposition au gouvernement. En 1819, pendant le mandat de Smyth, le juge en chef Jonathan Bliss* lui retira son poste de greffier de la Cour suprême pour le confier à son propre fils, Henry Bliss*, ce qui nécessita de toute évidence la connivence du lieutenant-gouverneur. Odell fut en excellents termes avec sir Howard Douglas*, qui domina la scène politique de 1824 à 1829, mais après le départ de celui-ci il fut entraîné dans une lutte de pouvoir aux côtés de Baillie, commissaire des Terres de la couronne et chef d’un groupe appelé plus tard le « parti des fonctionnaires ». Leur principal adversaire était Charles Simonds*, dont les partisans éprouvaient un fort sentiment d’appartenance au Nouveau-Brunswick et favorisaient l’exercice du pouvoir par l’Assemblée. Les « fonctionnaires », d’un provincialisme moins étroit, défendaient la prérogative royale et le principe d’un exécutif puissant. En 1832, le mariage de Baillie, veuf, à la fille d’Odell, Elizabeth, cimenta l’alliance des deux hommes.

Titulaires des postes les plus importants de la colonie après celui de lieutenant-gouverneur, Odell et Baillie inspiraient la jalousie et l’inimitié. Ce fut particulièrement le cas lorsque, en 1832–1833, on scinda le Conseil de la province en deux instances, législative et exécutive, et que, grâce à leur influence auprès du ministère des Colonies, on les nomma doyens du nouvel exécutif, formé de cinq membres. Dans le New-Brunswick Courier, Robert Gowan* les dépeignit sous les traits de deux canailles, les domestiques Wily Oh’Deil et Tommy, qui tentaient d’arracher la direction du « domaine » au squire écossais, homme bien intentionné mais naïf (l’inefficace lieutenant-gouverneur sir Archibald Campbell). Afin de combattre l’influence du Courier, Odell et Baillie financèrent le Morning Chronicle, lancé en 1836 – « trop tard », selon MacNutt, « pour retourner l’opinion publique en faveur de ses commanditaires ».

En 1837, le ministère des Colonies transféra à l’Assemblée l’autorité sur les terres de la couronne, nomma un nouveau lieutenant-gouverneur, sir John Harvey, et plaça le Nouveau-Brunswick à l’avant-garde de l’expérimentation constitutionnelle en autorisant des changements qui mettraient le Conseil exécutif au diapason de l’Assemblée. En retour, l’Assemblée s’engagea à pourvoir aux salaires d’Odell et des autres fonctionnaires nommés par lettres patentes. Odell et Baillie soupçonnaient que Harvey allait à l’encontre de la constitution en convoquant le Parlement peu après son arrivée. Tout comme les autres fonctionnaires impériaux Charles Jeffery Peters, procureur général, et George Frederick Street*, solliciteur général, ils enfreignirent donc le protocole en n’escortant pas le lieutenant-gouverneur à l’ouverture de la session. Ce geste n’empêcha pas le ministère des Colonies de refuser qu’Odell démissionne du Conseil exécutif quand, toujours en 1837, Baillie et Street y furent remplacés par Simonds et Hugh Johnston, hommes politiques qui bénéficiaient de la confiance de l’Assemblée. On jugeait trop indispensable sa connaissance de la province pour qu’on se passe de lui et, pendant quatre ans, il dut travailler avec un lieutenant-gouverneur et des conseillers dont le libéralisme lui répugnait. Au cours de cette période, il fut mêlé à de nouveaux épisodes du litige frontalier avec le Maine. Le règlement de cette question par le traité Webster-Ashburton, en 1842, allégea ses responsabilités mais ne lui apporta guère de contentement, semble-t-il. Son mandat au Conseil exécutif prit fin après les élections de 1842–1843, quand le lieutenant-gouverneur William MacBean George Colebrooke* remania cet organisme.

Des soucis familiaux assombrirent la vieillesse d’Odell. Le changement de la conjoncture politique freinait la carrière de son fils aîné, William Hunter*, que des membres du barreau empêchèrent en 1837 de devenir greffier de la couronne. Le 18 août 1838, Odell en fit officiellement son adjoint au secrétariat de la province, mais la situation n’en devint que plus embarrassante quand, en 1840, le jeune homme déclencha un scandale par sa conduite irréfléchie. La faillite de Baillie en 1839 toucha aussi Odell, puisque sa fille Elizabeth et ses petits-enfants y perdirent leurs biens. Odell mourut en 1844, le jour de Noël.

Bureaucratie, éducation, distinction : voilà ce qu’évoque le nom des Odell dans les débuts du Nouveau-Brunswick. William Franklin passa sa vie professionnelle à produire et à acheminer le flot de parchemins et de documents par lesquels le gouvernement maintenait son appareil et exerçait son pouvoir. Ensemble, son père et lui occupèrent le poste de secrétaire provincial durant 60 ans. Pendant la plus grande partie de cette période, ils furent les plus proches conseillers des lieutenants-gouverneurs et des administrateurs ; on les consulta en presque toutes les matières ; ils rédigèrent les actes de nomination des membres du conseil, greffiers de comté, juges de paix, shérifs, officiers de milice et autres fonctionnaires provinciaux ; ils entretinrent une correspondance avec les autorités locales au nom du lieutenant-gouverneur et du conseil ; ils tinrent les archives du conseil ; ils participèrent à l’octroi des concessions foncières et à l’émission des titres de propriété ; ils s’acquittèrent de tâches spéciales, comme le recensement [V. Henry George Clopper], commandées de temps à autre par le Parlement. Même l’inscription des étudiants au College of New Brunswick (plus tard appelé King’s College), à Fredericton, nécessitait l’émission d’un mandement.

Grâce à la période de prospérité qui s’amorça à peu près au moment où il succéda à son père, Odell gagnait en honoraires – perçus surtout sur les concessions des terres de la couronne et les permis – un revenu qui lui permettait de vivre confortablement et de maintenir au secrétariat de la province un personnel suffisant. Il occupa aussi beaucoup de postes mineurs, soit pour l’argent, soit par souci de son devoir de citoyen, soit peut-être par commodité administrative : officier payeur de la milice (1813), membre du conseil d’administration du College of New Brunswick et du King’s College, secrétaire des commissaires aux redevances (1832), responsable de la lutte anti-incendie à Fredericton (1823), commissaire de la voirie et greffier de la couronne à la Cour de la chancellerie (1839). Dans les archives, il figure sans cesse comme membre de comités formés pour accomplir des tâches pratiques dans des secteurs aussi divers que la construction et les banques.

Tout au long de son existence, William Franklin Odell put compter sur la solidarité de sa famille, qui était très unie et tentait de maintenir dans une colonie isolée l’idéal de l’anglicanisme cosmopolite distingué. Il semble à propos qu’en plein cœur de Fredericton l’Odell Park and Game Refuge, l’ancienne ferme d’Odell, d’une superficie de 300 acres et dont on a préservé une bonne partie de la forêt, entretienne au Nouveau-Brunswick la mémoire de cet amateur de la nature, également courtisan et bureaucrate.

D. Murray Young

APC, MG 23, D1, sér. 1, 53 ; 54 : particulièrement 649–655, 665–670 ; 60 ; MG 24, A3, Vaughan à Douglas, 6 oct. 1827.— APNB, RG 1, RS336, A2, Smyth à Bathurst, 17 avril 1815.— Musée du N.-B., N.B. Hist. Soc. papers, packet 5, no 1 ; Odell family papers, packets 18–19 ; packet 20, items 9, 31 ; packets 21–25.— PRO, CO 188/17 : fos 22–23, 38–39 ; 188/29 : fos 297–298 vo ; 189/11 : 313 ; Goulburn à Odell, 26 févr. 1818.— Royal Gazette (Saint-Jean, N.-B. ; Fredericton), 9 janv. 1809, 11 janv. 1813, 7 janv. 1823, 22 mars 1843, 1er janv. 1845.— Hill, Old Burying Ground.— Lawrence, Judges of N.B. (Stockton et Raymond).— MacNutt, New Brunswick.— W. F. Ganong, « A monograph of the evolution of the boundaries of the province of New Brunswick », SRC Mémoires, 2e sér., 7 (1901), sect. ii : 139–449.— W. D. Hamilton, « Indian lands in New Brunswick : the case of the Little South West Reserve », Acadiensis (Fredericton), 13 (1983–1984), no 2 : 3–28.

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D. Murray Young, « ODELL, WILLIAM FRANKLIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/odell_william_franklin_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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