Sir Wilfrid Laurier se rend compte que les grands principes de son fédéralisme, à savoir le respect de l’autonomie provinciale, des deux cultures fondamentales du pays et de la liberté, sont de nature à engendrer des divisions dans la société canadienne. Par exemple, la question des droits scolaires de la minorité catholique au moment de la création des provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, en 1905, abordée dans sa biographie, permet de prendre la mesure du problème. Initialement, le premier ministre :
[…] souhaitait revenir à la loi fédérale de 1875 qui accordait à la minorité catholique des Territoires le plein droit à des écoles séparées et à l’aide financière requise. Il n’entendait donc pas s’en tenir au statu quo, produit des ordonnances de 1892 et 1901 du gouvernement des Territoires qui avait réduit considérablement les possibilités d’existence même des écoles séparées. Laurier s’obstinait à tenter le grand coup : faire fi, cette fois, du grand principe de la protection des droits provinciaux et mettre l’accent sur l’article 93 de la constitution canadienne qui, jugeait-il, stipulait que les écoles séparées, lorsqu’elles existaient déjà dans une province qui demandait son entrée dans la Confédération, devaient être protégées. Or cette position, il le savait trop bien, défiait beaucoup de monde. Le danger de confrontation était réel.
Et le choc est brutal :
Sur ces bases, Laurier négocia à partir du 5 janvier 1905, puis il manœuvra auprès de Haultain, de Sifton, avide de statu quo, et de ses députés, alors même qu’il manigançait, avec ceux qui partageaient ses idées, un article – qui deviendrait le célèbre article 16 – conforme à ses intentions. Puis, précipitamment, le 21 février, mettant tout le monde devant le fait accompli, il déposa à la Chambre ses décisions formelles. Ce fut la déception chez Haultain, et la joie sans mesure chez la minorité catholique et ses leaders ; la riposte de Sifton, qui croyait à la canadianisation de l’Ouest selon la manière anglo-saxonne centrée sur l’école neutre, fut amère : il démissionna, enflamma avec d’autres l’opinion publique canadienne-anglaise qui se manifesta bruyamment, puis obligea son chef, dans tous ses états, à réécrire avec lui, mais selon ses vues, le fameux article 16. Laurier venait de perdre la bataille de sa clause scolaire. Il avait mal jugé. Les yeux bien fixés sur le pouvoir à conserver, le premier ministre redevint donc l’habile politicien qu’il était. À partir du 22 mars, et pendant près de quatre longs mois, il recula jusqu’au statu quo, en ne proposant que des amendements qualifiés de miettes par les leaders de la minorité. Plusieurs s’en contentèrent, néanmoins, mais pas Henri Bourassa, qui quitta définitivement Laurier pour ameuter le Québec. Pour lui, avec raison, l’épisode des écoles de l’Ouest représentait l’achèvement du cycle d’épreuves des minorités catholiques et françaises hors Québec. Pire, le pays avait probablement raté sa dernière chance de se doter de moyens concrets pour devenir une nation vraiment bilingue et biculturelle.
En d’autres circonstances, l’harmonie nationale ultimement recherchée par Laurier est tributaire des bonnes relations qu’entretient son gouvernement central avec les administrations provinciales. Voici un extrait de la biographie de Lomer Gouin, premier ministre de la province de Québec :
Depuis presque deux décennies, les provinces canadiennes avaient tenté sans succès de convaincre le gouvernement fédéral d’accroître le subside qu’il leur versait annuellement [...] Laurier, cependant, se faisait tirer l’oreille. Une fois devenu premier ministre, Gouin, fort de l’appui des autres provinces, poursuivit inlassablement ses démarches [... Laurier] finit par convoquer une conférence interprovinciale en octobre 1906, où il se rendit à la plupart des demandes des provinces.
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