SELLAR, ROBERT, éditeur et rédacteur en chef, et auteur, né le 1er août 1841 à Glasgow, Écosse, neuvième des dix enfants d’Alexander Sellar, notaire, et d’Isabella Grant ; le 1er juillet 1886, il épousa à Huntingdon, Québec, Mary Watson, et ils eurent quatre fils et une fille ; décédé à cet endroit le 29 novembre 1919.
Dans sa jeunesse, Robert Sellar connut la pauvreté et affronta de dures épreuves par devoir envers sa famille. Pour contribuer au soutien de sa mère, de son jeune frère et de deux de ses sœurs, il quitta l’école dès l’âge de 12 ans, en 1853, parce que son frère Thomas*, plus âgé que lui, émigrait dans le Haut-Canada. En 1854, son père alla rejoindre Thomas. En 1856, Robert et ses protégés. arrivèrent à Toronto, où Thomas, secrétaire à la rédaction du Globe, lui trouva une place d’apprenti typographe. Puis, à cause de la mort de son père en 1860 et des problèmes personnels et financiers de Thomas, la charge de la famille retomba sur ses épaules. En 1863, Robert fut chargé d’aller fonder un journal pour les partisans de George Brown*, député à l’Assemblée législative et rédacteur en chef du Globe, dans une localité isolée du Bas-Canada, Huntingdon. Le 18 septembre, il lançait le premier numéro du Canadian Gleaner.
Sellar se définissait comme un « radical écossais », et défendrait toujours un libéralisme fondé sur des principes chers au xixe siècle, le libre-échange, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État. Dans les années 1850, Brown semblait incarner ces idéaux, mais en 1864, lorsqu’il se prononça en faveur de la Confédération, le Gleaner rompit avec le Parti réformiste pour rallier ses lecteurs contre cette option. Loin d’assimiler les lois et les habitants du Bas-Canada, affirmait Sellar, l’union fédérale créerait une enclave constitutionnelle – la nouvelle province – où régnerait l’exclusivisme franco-catholique. Les citoyens britanno-protestants de cette province deviendraient une minorité et seraient à la merci du pouvoir franco-catholique. Cette campagne fut la première des nombreuses croisades infructueuses menées par Sellar en vue d’intégrer un Québec non confessionnel dans un Canada britannique.
Après la Confédération, Sellar craignit encore davantage que le « virus du sectarisme » se propage dans la province. Dans les années 1870, en même temps que, dans le Gleaner, il s’en prenait à l’ultramontanisme [V. François-Xavier-Anselme Trudel*] et dénonçait la multiplication de ce qui, selon lui, était des incursions du clergé dans les affaires publiques, il fondait la Loyal Reformers’ League, organisme éphémère visant à rassembler les libéraux de la province autour d’un programme anticlérical conçu par lui. Dans les années 1880 et 1890, il mena une lutte implacable contre Honoré Mercier*, premier ministre de la province de 1887 à 1891, qu’il soupçonnait de comploter en vue de créer une théocratie franco-catholique. Par exemple, il joignit sa voix au mouvement de protestation contre le règlement de la question des biens des jésuites en 1888 [V. Mercier] en rédigeant un opuscule intitulé Important letter by a resident of Quebec as to « the disabilities of Protestants in that province », qui fut diffusé deux ans plus tard par l’Equal Rights Association [V. D’Alton McCarthy*]. Dans sa réplique, Mercier traita Sellar d’« apôtre de l’irréligion, de l’apostasie et même de l’athéisme ». L’« idée de nation » canadienne-française, prédisait le Gleaner, ne mourrait pas avec Mercier. Elle continuerait de grandir jusqu’au moment où « il faudra[it] décider encore une fois si la province de Québec restera[it] britannique ».
La thèse de Sellar, attaquée avec beaucoup de véhémence par Mercier, était la suivante : les fermiers protestants étaient délibérément expulsés de la province par le régime catholique des paroisses, des écoles et des dîmes qui, sur le territoire des Cantons-de-l’Est, fonctionnait à l’encontre de lois impériales initiales. Ces préoccupations, d’abord suscitées par les recensements qui montraient la francisation des collectivités rurales de langue anglaise, Sellar les avait déjà exposées dans un long débat éditorial avec le Globe de Toronto au début de 1886 et dans une série d’articles provocants publiés par le Toronto Daily Mail au cours de l’été de la même année. Ses histoires toutes simples sur la vie des pionniers, rassemblées sous le titre de Gleaner tales et publiées en diverses éditions, et son History of the county of Huntingdon, ouvrage plus impressionnant, visaient non seulement à illustrer l’héroïsme des premiers colons de la région, mais aussi à légitimer leur présence au Québec en réfutant l’idée de plus en plus répandue selon laquelle les seuls véritables « enfants du sol » étaient les Canadiens français. Sellar publia lui-même ces deux ouvrages, à ses frais. Il décrirait la vie des pionniers du Canada dans d’autres ouvrages littéraires, dont Hemlock, Morven, The U. S. campaign of 1813 to capture Montreal et The narrative of Gordon Sellar.
Toutefois, le plus lu des ouvrages de Sellar fut The tragedy of Quebec : the expulsion of its Protestant farmers, qu’il imprima dans son atelier en 1907, faute d’avoir trouvé un éditeur commercial. En expliquant à sa manière, à l’intention d’une nouvelle génération de lecteurs, le déclin de la classe des francs-tenanciers de religion protestante au Québec, Sellar espérait mobiliser les Canadiens contre l’instauration du « système de Québec » en Ontario et dans l’Ouest. Bien qu’il n’ait jamais été orangiste, il céda les droits de publication à Horatio Clarence Hocken, l’éditeur d’un organe orangiste, le Sentinel and Orange and Protestant Advocate de Toronto, pour étendre la diffusion de son ouvrage. The tragedy of Quebec devint un instrument puissant aux mains des orangistes de l’Ontario [V. Thomas Simpson Sproule] lorsqu’ils s’opposèrent aux Franco-Ontariens [V. Napoléon-Antoine Belcourt*] au sujet des écoles séparées et bilingues. Trois éditions révisées, parues en 1909, 1910 et 1916, portèrent le total des ventes à plus de 20 000 exemplaires pendant la Première Guerre mondiale, période où l’opinion publique se durcit contre le Québec.
Il y avait un autre thème récurrent dans les éditoriaux de Sellar, thème qu’il traitait aussi en parlant spécifiquement des fermiers anglophones de la province de Québec. C’était le libre-échange et les droits des agriculteurs. Ses théories économiques, puisées dans les enseignements de l’école de Manchester, trouvaient une confirmation dans le comté de Huntingdon, région frontalière qui avait souffert de l’abrogation du traité de réciprocité avec les États-Unis en 1866. Durant des années, les dénonciations de la Politique nationale de sir John Alexander Macdonald* par le Gleaner retentirent dans la vallée de la Châteauguay. En 1897, lorsqu’il prit connaissance du discours du budget, Sellar comprit que le nouveau gouvernement libéral de Wilfrid Laurier maintiendrait un tarif protecteur, et il l’accusa de trahir les fermiers. Des journaux conservateurs de quatre provinces le citèrent, mais les libéraux lui reprochèrent de « poignarder son parti dans le dos ». Non ébranlé par ce reproche, Sellar organisa en 1899 un mouvement de protestation des fermiers dans Huntingdon. En 1905, il provoqua un débat national sur le revenu des agriculteurs en se présentant devant la commission du tarif mise sur pied par le ministre des Finances, William Stevens Fielding*, avec un bilan montrant qu’une ferme moyenne rapportait un bénéfice annuel de moins de un pour cent. En 1910, quand il prit la parole à la Chambre des communes au nom de la délégation du Québec qui prenait part à la marche de protestation des fermiers, on l’acclama comme un héros, et le Weekly Sun de Toronto le surnomma le « vénérable vieillard du mouvement des fermiers ».
La cause d’intérêt local à laquelle Sellar se voua avec le plus de constance fut la tempérance. En 1879, il fonda la Huntingdon Temperance Society. Cependant, comme la prohibition locale lui semblait insuffisante, il ne soutint pas la campagne locale de 1885 en faveur de l’application de la loi Scott ni aucune autre mesure subséquente à part la prohibition nationale.
Si l’on excepte les années 1866–1867, où il travailla comme typographe à Hartford, dans le Connecticut, Sellar dirigea le Gleaner durant près de 57 ans. À cause de ses opinions et de son franc-parler, il connut bien des vicissitudes, dont l’éviction et des voies de fait. Il fut brûlé en effigie, et son chien fut tué par balle. En 1867, il fut lavé d’accusations de vol simple et de cambriolage forgées par des concitoyens qui étaient déterminés à l’empêcher de reprendre possession de l’imprimerie du Gleaner à son retour de la Nouvelle-Angleterre. En 1870, un fénien, après le raid infructueux contre Trout River, mit le feu au bureau du Gleaner, qui fut entièrement détruit. En 1875, le clergé catholique de la province jeta l’interdit sur le journal à cause de la manière dont il rapportait la controverse sur l’inhumation de Joseph Guibord*. Sellar riposta, sans montrer le moindre repentir, en adressant une lettre ouverte à l’évêque de Montréal, Ignace Bourget*. En 1883 et en 1890, des conservateurs de Montréal tentèrent de le ruiner en subventionnant la création de journaux rivaux dans Huntingdon. En 1883, il faillit être condamné pour diffamation à la suite d’une plainte de Hugh Graham*, du Montreal Daily Star. En 1912, après que Joseph-Médard Emard*, l’évêque catholique de Valleyfield, eut ordonné aux fidèles de rompre tout lien avec lui, il rebaptisa son journal Huntingdon Gleaner, retira du cartouche la couronne et la bible, et relança la publication sous la « nouvelle administration » de ses fils.
Le tirage du Gleaner, modeste, continua d’augmenter. Lorsque ses fils partirent pour la guerre, Robert Sellar, malgré son grand âge, reprit la direction du journal. En novembre 1919, une crise d’apoplexie le laissa partiellement paralysé. Il rédigea son dernier éditorial sur son lit de mort. Dessinée par sa femme, sa pierre tombale, au cimetière protestant de Huntingdon, arbore la couronne et la bible qui figuraient auparavant dans le cartouche du Gleaner.
Robert Sellar a été rédacteur en chef du Canadian Gleaner (Huntingdon, Québec), rebaptisé le Huntingdon Gleaner le 4 janvier 1912, pendant la majeure partie de la période comprise entre le 18 septembre 1863 et son décès en 1919. En outre, il a rédigé la lettre intitulée Important letter by a resident of Quebec as to « the disabilities of Protestants in that province » (Toronto, 1890) et réimprimée avec la réponse d’Honoré Mercier, Answer of the Hon. Honoré Mercier to the pamphlet of the Equal Rights Association against the majority of the inhabitants of the province of Quebec (Québec, 1890). Les deux textes ainsi qu’une réplique de Sellar et d’autres documents, ont été publiés sous le titre Letters relative to the rights and present position of the Quebec minority ([Huntingdon, 1890 ?] ; [Québec, 1890]). On trouve une version française des deux premières lettres dans la réponse d’Honoré Mercier, intitulée Réponse de l’hon. Honoré Mercier au pamphlet de l’association des « equal rights » contre la majorité des habitants de la province de Québec (Québec, 1890). En 1886, Sellar a publié le « volume I » de Gleaner tales (Huntingdon), collection de nouvelles qui avaient paru dans son journal. Il a ensuite fait paraître Hemlock : a tale of the War of 1812 (Montréal, 1890), qui avait comme avant-titre Gleaner tales, second series ; cet ouvrage contenait en fait un roman de plus de 200 pages et une nouvelle. The summer of sorrow, Abner’s device, and other stories (Huntingdon, 1895), qui avait comme avant-titre Gleaner tales, part two, comportait une réimpression de tous les textes publiés dans l’édition de 1886 sauf un, ainsi qu’une autre nouvelle. Gleaner tales (Huntingdon, 1895) avait comme avant-titre Gleaner tales, complete edition et comprenait tous les textes parus dans The summer of sorrow et dans Hemlock. À propos de la controverse soulevée par la parution récente de Famine diary : journey to a new world, J. J. Mangan, édit. (Dublin, 1991), qui aurait emprunté beaucoup à la nouvelle de Sellar intitulée « The summer of sorrow », on consultera notre article « Front famine to fraud : the truth about Ireland’s best-selling Famine diary », Matrix (Lennoxville, Québec), 38 (automne 1992) : 5–13 [r. a. h.].
Parmi les autres ouvrages de Sellar, on trouve : The history of the county of Huntingdon and of the seigniories of Chateaugay and Beauharnois from their first settlement to the year 1838 (Huntingdon, 1888) ; The tragedy of Québec : the expulsion of its Protestant farmers (Huntingdon, 1907 ; réimpr., introd. de R. [A.] Hill, Toronto, 1974 ; édit. rév., Toronto, 1909 ; 1910 ; 1916) ; Morven (Huntingdon, 1911) ; The US. campaign of 1813 to capture Montreal ; Crysler, the decisive battle of the War of 1812 (Huntingdon, 1913 ; réimpr., 1914) ; The narrative of Gordon Sellar, who emigrated to Canada in 1825 (Huntingdon, 1915 ; réimpr., Toronto, 1916, sous le titre The true makers of Canada : the narrative [...]) ; et publié avec l’avant-titre Gordon Sellar and the U.S. campaign of 1813 to capture Montreal [...] ; l’édition de 1914 de The U.S. campaign of 1813 y est annexée. Ces ouvrages et d’autres rédigés par Sellar sont énumérés dans le Répertoire de l’ICMH et le National union catalog. On trouve aussi une liste des publications de Sellar dans R. A. Hill, « Robert Sellar and the Huntingdon Gleaner ; the conscience of rural Protestant Québec, 1863–1919 » (thèse de
Robert Andrew Hill, « SELLAR, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sellar_robert_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/sellar_robert_14F.html |
Auteur de l'article: | Robert Andrew Hill |
Titre de l'article: | SELLAR, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |