ASKIN (Erskine), JOHN, trafiquant de fourrures, marchand, fonctionnaire et officier de milice, né en 1739 à Aughnacloy (Irlande du Nord), fils de James Askin, boutiquier, et d’Alice Rea (Rae) ; décédé en 1815 à Sandwich (maintenant partie de Windsor, Ontario).
Une tradition familiale veut que les Askin aient été apparentés à John Erskine, 23e comte de Mar, dont la révolte manquée, en 1715, força certains membres de sa famille à émigrer d’Écosse en Irlande. John Askin vint en Amérique du Nord en 1758 et servit comme cantinier dans l’armée britannique à Albany, dans la colonie de New York. Après la capitulation de la Nouvelle-France, il se lança dans la traite des fourrures de l’Ouest et forma une série de sociétés, dont la plus notable comprenait le major Robert Rogers*. Acculée à la faillite par le soulèvement de Pondiac* en 1763, la firme fut dissoute ; toutefois, Askin n’épongea ses dernières dettes qu’en 1771. Entre-temps, vers le milieu des années 1760, il était allé s’installer à Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan), où il exploita un magasin d’articles de traite, occupa le poste de commissaire de la garnison et s’adonna à l’agriculture. C’est là aussi qu’il noua, avec les trafiquants Isaac Tord, James McGill et Alexander Henry*, ces liens étroits qui devaient jouer un si grand rôle dans ses affaires comme dans sa vie personnelle. Il jeta aussi les bases d’une relation cordiale avec Arent Schuyler DePeyster*, commandant au cours des années 1770, et fut vraisemblablement en bons termes, également, avec les prédécesseurs de ce dernier. Non seulement ces amitiés furent-elles précieuses en elles-mêmes pour Askin, mais elles se révélèrent importantes aussi pour ses intérêts économiques. Les commandants étaient en mesure de réglementer la traite avec les Indiens, d’allouer des espaces sur les navires (les navires privés étaient interdits sur les Grands Lacs pendant et après la Révolution américaine), et d’approuver tacitement les achats illégaux de terres aux Indiens. En 1780, un conflit survenu entre Askin et Patrick Sinclair, qui était arrivé peu auparavant pour prendre le commandement à Michillimakinac, fut peut-être déterminant dans la décision d’Askin de s’établir à Detroit.
En 1781, Askin signa un contrat d’association avec les marchands Robert Hamilton et Richard Cartwright. Il devait s’occuper du commerce (vendre des marchandises destinées aux garnisons et à la traite avec les Indiens, ainsi qu’acheter des fourrures) à Detroit et dans les postes situés plus à l’ouest, pendant que Hamilton et Cartwright géraient les affaires au fort Niagara (près de Youngstown, New York). La firme Todd and McGill devait protéger les intérêts de l’entreprise à Montréal. Lorsque l’association fut dissoute en 1784, elle devait £9 261 à la Todd and McGill. La même année, Askin s’associa à William Robertson, marchand de Detroit, et cette société dura jusqu’en 1787. Entre-temps, en 1786, Askin s’était joint à cinq autres firmes de Detroit au sein de la Miamis Company dans une tentative pour conférer à la traite, au sud des Grands Lacs, l’efficacité et la rentabilité dont jouissait la North West Company. Mais les circonstances n’étaient pas les mêmes. Le gibier diminuait et les Indiens étaient plus ou moins en guerre ouverte contre les Américains [V. Michikinakoua]. Les exportations de fourrures en provenance de Detroit continuèrent de tomber – de 5 000 ballots en 1784 à 1 900 en 1796. En 1789, la Miamis Company avait vécu. Askin était de plus en plus endetté envers ses fournisseurs de Montréal, la Todd and McGill et Alexander Henry. Quoique la situation de ses affaires déclenchât un certain nombre de demandes de paiement, les relations amicales du groupe ne se détériorèrent jamais, et ces marchands, qui comptaient alors parmi les premiers au Canada, continuèrent de protéger Askin contre l’effondrement financier.
Askin était conscient de la situation précaire de la traite des fourrures et il fit beaucoup d’efforts pour trouver d’autres sources de profit. En 1788, les Britanniques ouvrirent les Grands Lacs aux navires privés ; Askin en profita pour se lancer dans le domaine de l’expédition maritime. En 1793, probablement grâce à l’influence de la Todd and McGill, il obtint un contrat de fourniture de blé et de farine à la North West Company. Vendre des approvisionnements à la garnison constituait toujours une opération importante pour un marchand, et, de 1791 à 1795 particulièrement, une autre chance se présenta d’elle-même de vendre au gouvernement : il s’agissait de ravitailler les Indiens qui s’étaient assemblés sur la rivière des Miamis (rivière Maumee) pour résister une dernière fois aux Américains. Askin ne laissa pas passer ces occasions.
Askin semble avoir attaché à ses spéculations foncières une bonne partie de ses espérances de parvenir à la prospérité. Dès 1789, Todd et McGill lui reprochèrent d’avoir immobilisé £8 000 dans des biens fonciers. « C’est plus que tout homme actif dans le domaine des affaires doit soustraire au roulement de son commerce, et dans la partie du pays où votre argent est placé, la jouissance [de ces biens fonciers] est plutôt incertaine », écrivait McGill en lui conseillant de vendre au moins la moitié de ce qu’il possédait. Dans les années 1790, pourtant, Askin s’adonna à la spéculation sur une échelle plus grande encore. En 1794, le gouvernement britannique avait consenti à évacuer les postes situés au sud des Grands Lacs, qu’il avait conservés après le traité de 1783 avec les États-Unis. Beaucoup de résidents britanniques de Detroit essayèrent alors d’accumuler des terres, en les acquérant des Indiens, avant que survînt le transfert du territoire aux autorités américaines. Avec son fils John et Patrick McNiff, entre autres, Askin fit partie d’une société qui acquit une immense étendue de terre le long de la rive sud du lac Érié – ce qu’on appela alors le Cuyahoga Purchase. Il fut aussi mêlé à une tentative pour obtenir les titres de toute la péninsule sud du Michigan. Le gouvernement américain s’opposa à ces projets qui échouèrent l’un et l’autre. Au cours des années, Askin réussit à acquérir de nombreuses propriétés dans le Haut-Canada où il devait résider après 1802. En tant que marchand, il se trouvait dans une situation favorable pour faire l’acquisition de terres contre le paiement de dettes, et ce fut sans doute grâce à ce moyen et grâce à divers achats qu’il réussit à amasser ses propriétés. De 1791 à 1794, il siégea au conseil des terres du district de Western, qui s’occupait de déterminer l’emplacement des terres réclamées comme aussi d’en établir les titres. En 1798, lui ou son fils John fut nommé au sein de la commission des héritiers et légataires, laquelle avait pour rôle d’établir la validité de certains types de réclamation. Ces deux postes leur permettaient d’être bien informés sur les terres susceptibles d’être achetées.
De la Révolution américaine à 1796, Detroit fut sous l’autorité d’un gouvernement militaire, ce qui laissait peu de jeu à la juridiction civile. En 1789, Askin y devint juge de paix et participa, à ce titre, à la mise en vigueur de « règlements tels [...] qu’ils [étaient] généralement appliqués dans l’administration interne des villes de Québec et de Montréal, lesquels contribu[aient] le plus à prévenir les atteintes aux droits du public et à conserver la santé et le bien-être des habitants ». Même si Askin continua de résider à Detroit après que la ville eut été remise aux Américains en 1796, il décida de rester sujet britannique et devint juge de paix du district de Western, dans le Haut-Canada, en 1796.
Au printemps de 1802, Askin alla s’installer à Sandwich, donnant ainsi suite à un projet qu’il caressait depuis quelque temps. Bien qu’une grande partie de ses terres passât à Todd et à McGill en remboursement de ses dettes, ceux-ci lui remirent la propriété nommée Strabane, près de Sandwich, sur laquelle il se fixa, et il travailla pour eux à titre d’agent foncier. Il détint encore, par la suite, de grands domaines fonciers et acquit le sobriquet de comte de Kent. Comme il l’avait fait à ses débuts, il s’intéressa beaucoup à l’agriculture et nota quotidiennement dans son journal les travaux de sa ferme. Il semble avoir vécu très confortablement, car un inventaire de ses biens, établi en 1787, fait état notamment de voitures, de vaisselle d’argent, de meubles d’acajou et d’une bibliothèque bien fournie.
Même si les trois premiers enfants d’Askin, John, Catherine et Madelaine, étaient probablement issus de l’esclave indienne Manette (Mouette), qu’il affranchit en 1766, il ne faisait aucune distinction entre eux et les neuf enfants nés de son mariage avec Marie-Archange Barthe, contracté à Detroit le 21 juin 1772. Ses liens avec les Barthe, famille éminente de l’endroit, lui procurèrent bientôt un parent haut placé. En 1774, en effet, la sœur de sa femme épousa Alexander Grant, officier dans les forces navales sur les Grands Lacs et plus tard membre du Conseil exécutif. John Askin fils devint receveur des douanes à Amherstburg en 1801 et garde-magasin au département des Affaires indiennes à l’île St Joseph, dans le Haut-Canada, en 1807. Les autres enfants d’Askin épousèrent des officiers de l’armée britannique ou des membres de familles influentes de la région. En secondes noces, Catherine épousa le marchand Robert Hamilton. Thérèse se maria avec Thomas McKee, fils d’Alexander McKee*, surintendant général adjoint des Affaires indiennes du Haut-Canada.
La correspondance d’Askin avec ceux de ses enfants qui vivaient loin de lui révèle beaucoup de tendresse et de fierté. Considérant son passé, il écrivait dans son vieil âge : « tous mes enfants [...] continuent de se conduire comme je pourrais le souhaiter, et je pense que Mme Askin et moi avons vécu si longtemps en paix l’un avec l’autre que je ne crains point qu’une rupture survienne dans l’avenir ». Sa bonté n’était pas limitée aux seuls membres de sa famille. En effet, dans une lettre de 1778 écrite de Michillimakinac au trafiquant Charles Paterson, il blâmait ce dernier d’avoir permis qu’un enfant « que tout le monde, sauf [lui], di[sait] être le [sien] » fût vendu aux Outaouais. Askin avait repris l’enfant, et il informa Paterson en ces termes : « il [l’enfant] est à votre service si vous le désirez, sinon je prendrai bien soin de lui jusqu’à ce qu’il puisse gagner son pain ». Avec bon sens et humour à la fois, Askin écrivait à un autre collègue, Sampson Fleming, père depuis peu d’un garçon : « Je vous supplie de ne pas le tuer avec de la maudite médecine [...] Si j’entends encore dire que vous le tripatouillez, et si Mme Fleming me le permet, je descendrai pour vous l’enlever. »
L’attitude d’Askin, dans son rôle de lieutenant-colonel de milice, a également quelque chose de charmant. « Une fois l’an, rapportait-il à DePeyster en 1805, je revêts mes plus beaux vêtements et, à titre de colonel qui commande la milice, [...] je fais tirer une salve en l’honneur du meilleur des rois. Si nous ne faisons pas tous feu au même moment, cela importe peu. En général, la cérémonie se termine en vidant un verre. »
Si éloigné fût-il des centres culturels de son temps, Askin était, dans ses lettres, au diapason des façons de penser rationalistes de son époque. Écrivant à Alexander Henry en 1796, il faisait la remarque suivante : « Je pense que durant les deux heures suivant sa mort un homme en sait plus au sujet de [... la religion] que tous ceux qui lui survivent. En même temps, on ne court certainement aucun risque en se conformant à ce que tout le monde considère comme bien ; et cela est possible pour tous ceux qui sont disposés à être tels. »
Pendant la guerre de 1812, quatre fils, deux gendres et dix petits-fils de John Askin combattirent pour les Britanniques, et un autre de ses gendres pour les Américains. Sa santé déclinant, son fils Charles prit en main la gestion des biens familiaux. Askin mourut à l’âge de 76 ans.
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David R. Farrell, « ASKIN (Erskine), JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/askin_john_5F.html.
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Auteur de l'article: | David R. Farrell |
Titre de l'article: | ASKIN (Erskine), JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |