Titre original :  The Life and Times of Ebenezer Allan by Donovan A. Shilling

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ALLAN (Allen, Allin), EBENEZER, espion et homme d’affaires, né le 17 septembre 1752 dans le canton de Morristown (Morristown, New Jersey) ; décédé le 13 avril 1813 dans le canton de Delaware, Haut-Canada.

Ebenezer Allan vivait peut-être en Pennsylvanie en 1777, année où il décida de s’enrôler dans l’unité loyaliste mise sur pied par le major John Butler*. Comme il était étroitement lié avec les Six-Nations, Allan fut muté au département des Affaires indiennes en 1781. L’année suivante, on l’envoya comme espion loyaliste dans la région de la rivière Genesee, située dans la partie occidentale de la colonie de New York. À son arrivée, il résida quelque temps chez Mary Jemison, la fameuse « femme blanche de la Genesee », qui avait été adoptée dans son enfance par les Tsonnontouans. Au cours de l’hiver de 1782–1783, il partit s’installer dans les environs de ce qui est aujourd’hui Mount Morris, où il devint davantage un fermier et un trafiquant qu’un espion.

Quand le département des Affaires indiennes commença de réduire son personnel à la fin de la guerre d’Indépendance américaine, Allan, qui était devenu lieutenant, fut l’un des officiers licenciés. Ce coup, semble-t-il, l’amena à reconsidérer son allégeance à la cause britannique. Cette nouvelle attitude se traduisit probablement dans la décision qu’il prit à l’été de 1783 de servir d’intermédiaire lors des négociations de paix entre le gouvernement américain et les Six-Nations. Peu après, en décembre 1783, les autorités britanniques l’arrêtèrent et l’emprisonnèrent pour l’empêcher d’assister au conseil qui devait aboutir au traité du fort Stanwix, en octobre 1784. Dans des lettres qu’il adressa au major Robert Mathews, secrétaire du gouverneur Haldimand, Allan se plaignit amèrement de son arrestation et affirma que depuis la fin de la Révolution américaine il avait été traité d’« une manière tout à fait cruelle et inhumaine, volé, dépouillé, pillé, puis incarcéré dans une prison odieuse comme un vulgaire criminel, sans même connaître [son] crime, et être confronté à ceux qui [le] poursuivaient ». Il resta dix mois en prison, tantôt au fort Niagara (près de Youngstown, New York), tantôt à Montréal ou à Cataraqui (Kingston, Ontario).

Relâché à la fin de 1784, Allan retourna dans la vallée de la Genesee, où il reprit ses travaux agricoles et son activité de trafiquant. En 1789, il finissait l’aménagement d’un moulin et d’une scierie aux chutes de la rivière Genesee, devenant ainsi le premier colon blanc à vivre sur l’emplacement de la ville de Rochester. Mais une malheureuse série de disputes avec les autorités américaines au sujet des titres de propriété des terres des Premières Nations l’amenèrent finalement à quitter la région de la Genesee. Il paraît avoir acheté, au début de 1794, de grandes propriétés sur la rive américaine de la rivière de Detroit et du lac Érié, de même qu’une ferme à Petite Côte (maintenant partie de Windsor, Ontario). En mai, avec plusieurs associés, dont son frère Aaron, il adressa une pétition au Conseil exécutif du Haut-Canada, en vue d’obtenir la concession d’un canton sur la rivière Thames, où ils se proposaient de fonder un établissement. Bien que cette requête fût rejetée, Allan, en tant que lieutenant licencié, reçut une concession de 2 000 acres dans le canton de Delaware, récemment arpenté, à quelque 40 milles en amont de Moraviantown, sur la Thames. Le conseil promit en outre d’accorder 200 acres à chaque colon qu’Allan amènerait dans la province.

À l’été de 1794, Allan, sa famille et ses associés devinrent les premiers colons blancs du canton de Delaware. Allan y conduisit ses bestiaux en juillet depuis la vallée de la Genesee, construisit dans l’année un moulin et une scierie près de l’embouchure de l’actuel ruisseau Dingman, et donna peu après de l’expansion à ses entreprises en se lançant dans la fabrication et la vente des spiritueux. Et pourtant, malgré ces débuts de bon augure, la vie d’Allan dans le Haut-Canada se mit bientôt à tourner à l’aigre. Au début des années 1800, à la suite de l’échec de ses douteuses spéculations foncières sur les deux rives du lac Érié, Allan fut très à court de capitaux pour satisfaire des créanciers comme John Askin et Isaac Todd. En 1801, il dut vendre la plupart de ses terres du canton de Delaware à Moses Brigham et à Gideon Tiffany*. Pis encore, à partir de 1798, Allan fut empêtré dans des querelles avec certains de ses voisins, dont Thomas Talbot*, de Port Talbot, et avec plusieurs fonctionnaires du gouvernement. Ses difficultés avec ses voisins tenaient surtout au fait qu’il avait négligé de construire une église sur le lot faisant partie des « réserves du clergé » – ce qu’il était convenu de faire lors de la concession de sa terre en 1794. En 1803, le Conseil exécutif lui accorda une année supplémentaire pour remplir cette obligation ; puis tous les arrêtés en conseil faits en son nom furent alors rescindés. En outre, Allan fut traîné devant les tribunaux à deux reprises au début des années 1800, une fois pour faux et une autre fois pour vol. Acquitté en ces deux occasions, il ne fut cependant pas long à connaître les rigueurs de la loi : en 1804 ou 1805, on le condamna pour un délit inconnu et on l’emprisonna dans la geôle du district, à Turkey Point, d’où il ne sortit qu’au début de 1806.

Les épreuves que subit Allan au cours de ces années et sa longue incarcération dans les prisons britanniques à la fin de la guerre d’Indépendance américaine expliquent probablement pourquoi il devint un sympathisant des Américains après le déclenchement de la guerre de 1812. À la mi-juillet 1812, lorsqu’une patrouille de reconnaissance américaine se dirigea vers l’est jusqu’au canton de Delaware, Allan et un de ses voisins, Simon Zelotes Watson, repartirent pour Sandwich (maintenant partie de Windsor) avec les envahisseurs. Allan retourna ensuite chez lui avec des exemplaires de la proclamation du général de brigade américain William Hull aux habitants du Haut-Canada, puis, avec l’aide d’un autre voisin, Andrew Westbrook*, il s’empressa de faire circuler une pétition demandant à Hull d’envoyer un détachement afin de protéger ceux qui ne voulaient pas prendre les armes contre les Américains. Le commandant britannique Isaac Brock faisait face à une situation alarmante, car sur la frontière ouest de la province les désertions étaient nombreuses, beaucoup de miliciens refusaient de marcher et des villages entiers sollicitaient la protection de Hull. Consterné par « l’état d’apathie de cette partie du pays », Brock donna instructions à Daniel Springer, du canton de Delaware, de mettre sur pied un corps de miliciens et d’intimider les dissidents. En l’espace de quelques jours, Allan fut fait prisonnier et envoyé à Niagara (Niagara-on-the-Lake). Libéré au début de 1813, il mourut dans le canton de Delaware le 13 avril.

Le mépris d’Allan pour les conventions sociales apparaît bien dans sa vie domestique. Durant son séjour dans le canton de Delaware, il fut entouré d’« épouses » et de nombreux enfants. La polygamie, à vrai dire, n’était pas chose nouvelle pour lui car, à l’époque où il habitait la vallée de la Genesee, il avait l’habitude de vivre avec plusieurs femmes simultanément. En 1780, il était déjà marié à Kyen-da-nent, ou Sally, sœur du chef tsonnontouan Captain Bull. Vers 1780, il « épousa » aussi une Blanche, Lucy Chapman, et, plus tard encore, il ajouta une autre Blanche, Mary (Milly) Gregory, à son ménage. Ses « épouses », à l’exception de Sally, et tous ses enfants l’accompagnèrent dans le Haut-Canada.

Un des critiques d’Ebenezer Allan, auteur d’une histoire de Rochester publiée dans les années 1830, le décrivit comme un « limier tory, dont le caractère alliait la lascivité d’un Turc à la soif de sang d’un sauvage ». Et plusieurs autres écrivains américains du xixe siècle partagèrent cet avis. En revanche, de nombreux contemporains d’Allan parlèrent de lui favorablement : John Butler, par exemple, le recommanda au lieutenant-gouverneur Simcoe « comme un loyaliste auquel on pouvait se fier », et John Askin salua en lui « un homme aussi actif et entreprenant que quiconque dans la province, et parfaitement sobre ». En fait, Allan ne fut ni un saint ni un bandit, mais tout simplement un produit de la « frontière » – indépendant, capable et dur au travail, mais d’un caractère emporté, vindicatif et cruel. Parce qu’il vivait proche de la nature et qu’il était mû en premier lieu par l’intérêt personnel, son allégeance à une autorité supérieure n’était jamais bien solide.

Daniel J. Brock

AO, RG 22, ser. 134, 4 : 178s.— APC, RG 1, L1, 22 : 286, 359, 371 ; 23 : 264 ; 29 : 463 ; L3, 1 : A1/43 ; 3 : A4/49, A6/13 ; 4 : A7/6.— BL, Add. mss 21822 : 301–303, 348s.— Middlesex West Land Registry Office (Glencoe, Ontario), Abstract index to deeds, Delaware Township, instruments 6–7, 68 (mfm aux AO, GS 611).— Ontario, Ministry of Citizenship and Culture, Heritage Administration Branch (Toronto), Hist. sect. research files, Middlesex RF.19, Ebenezer Allan.— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank).— De-he-wamis : or, a narrative of the life of Mary Jemison : otherwise called the White Woman [...], J. E. Seaver, édit. (Batavia, N.Y., 1842).— « Grants of crown lands in U.C. », AO Report, 1929 : 57.— John Askin papers (Quaife).— « Minutes of the Court of General Quarter Sessions of the Peace for the London District [...] », AO Report, 1933 : 14, 19s., 22, 25, 27, 33, 62, 84, 86.— « U.C. land book C », AO Report, 1931 : 7.— « U.C. land book D », AO Report, 1931 : 116, 144.— « Founder of Delaware to be commemorated » (communiqué de presse, Ontario, Dept. of Travel and Publicity, Toronto, 16 sept. 1960 ; copie aux AO).— History of the county of Middlesex [...] (Toronto et London, Ontario, 1889 ; réimpr. avec introd. de D. [J.] Brock, Belleville, Ontario, 1972).— M. B. Turpin, « Ebenezer Allan in the Genesee country », Centennial history of Rochester, New York, E. R. Foreman, édit. (4 vol., Rochester, 1931–1934), 2 : 313–338.— E. A. Cruikshank, « A study of disaffection in Upper Canada in 1812–15 », SRC Trans., 3e sér., 6 (1912), sect. ii : 11–65.— F. C. Hamil, « Ebenezer Allan in Canada », OH, 36 (1944) : 83–93.— H. O. Miller, « The notorious Ebenezer Allan », Western Ontario Hist. Notes (London), 5 (1947) : 76–82.

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Daniel J. Brock, « ALLAN (Allen, Allin), EBENEZER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/allan_ebenezer_5F.html.

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Auteur de l'article:    Daniel J. Brock
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    2021
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