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HENRY, ALEXANDER, trafiquant de fourrures, marchand, officier de milice, juge de paix et auteur, né en août 1739, peut-être le troisième fils d’Alexander Henry, marchand de New Brunswick, New Jersey, et d’une prénommée Elizabeth ; décédé le 4 avril 1824 à Montréal.
En 1760, à l’âge de 20 ans, Alexander Henry conduisait trois barques chargées de matériel et de vivres qui suivaient l’avance du major général Jeffery Amherst* le long du lac Ontario en direction de Montréal. Son centre d’activité se trouvait à Albany, dans la colonie de New York, où à titre de marchand il gagnait bien mais dangereusement sa vie en approvisionnant l’armée britannique.
Dès la capitulation de Montréal, le 8 septembre, et l’ouverture du Canada aux commerçants anglais, Henry se rendit à Albany pour acheter des marchandises. Il les vendit au fort William Augustus (à l’est de Prescott, Ontario) et, en janvier 1761, poursuivit sa route vers Montréal. Il rencontra aux Cèdres l’ancien trafiquant de fourrures Jean-Baptiste Leduc, qui le renseigna sur les possibilités de traite à Michillimakinac (Mackinaw City, Michigan) et autour du lac Supérieur. Ayant acheté des provisions à Albany au printemps, Henry retourna à Montréal et obtint du major général Thomas Gage* un permis de traite de fourrures. Il était le deuxième anglophone à le faire, Henry Bostwick l’ayant précédé de quelques jours.
Accompagné de son guide et assistant, Étienne-Charles Campion*, Henry emprunta la rivière des Outaouais, le lac Nipissing et la rivière French, et atteignit Michillimakinac dans les premiers jours de septembre 1761. La Grande-Bretagne et la France étaient toujours en guerre, et les alliés indiens de cette dernière demeuraient hostiles aux Britanniques. Inquiet de l’accueil qui lui serait fait, Henry se déguisa en trafiquant français, mais son stratagème échoua. Un des chefs de guerre des Sauteux de l’endroit, Minweweh*, eut bientôt vent de sa présence et lui rendit visite avec 60 guerriers, « chacun tenant son tomahawk d’une main et son couteau à scalper de l’autre ». Après l’avoir menacé, Minweweh lui offrit son amitié. Henry et les autres trafiquants anglais du poste, Ezekiel Solomons et James Stanley Goddard, furent tout de même soulagés quand des soldats britanniques vinrent enfin prendre possession du fort, jusque-là commandé par Charles-Michel Mouet* de Langlade.
Au cours de l’hiver de 1761–1762 ou du printemps suivant, un chef sauteux secondaire, Wawatam*, adopta Henry comme frère. En mai, celui-ci se rendit à Sault-Sainte-Marie (Sault Ste Marie, Michigan), où il rencontra le trafiquant de fourrures Jean-Baptiste Cadot*. Les bonnes relations que Henry avait su établir tant avec les Français qu’avec les Indiens facilitaient beaucoup ses activités de traite. Un incendie ayant détruit à la fin de décembre le petit fort de Sault-Sainte-Marie, Cadot et Henry conduisirent en février John Jamet*, lieutenant de la garnison, à Michillimakinac, par des chemins très enneigés. De retour à Sault-Sainte-Marie au printemps de 1763, Henry fit la connaissance de sir Robert Davers*, qui faisait une tournée des lacs Supérieur, Michigan et Huron, et il l’accompagna jusqu’à Michillimakinac.
Au printemps de 1763, le chef outaouais de Pondiac* lança les nations indiennes à l’assaut des postes britanniques du Nord-Ouest. Le 2 juin, des guerriers sauteux menés par Madjeckewiss* et Minweweh attaquèrent la garnison britannique de Michillimakinac. Henry se cacha quelque temps dans la maison de Mouet de Langlade, mais il fut découvert et fait prisonnier. Sauvé par le chef Wawatam, il vécut avec la famille de ce dernier pendant près d’un an, l’accompagnant dans ses déplacements saisonniers vers les territoires de chasse ou de pêche. La bande retourna à Michillimakinac, à la fin d’avril 1764, pour échanger ses fourrures. Comme certains Sauteux de la baie Saginaw complotaient d’assassiner Henry, Wawatam lui permit d’aller à Sault-Sainte-Marie pour se placer sous la protection de Cadot. Madjeckewiss s’y rendit ensuite pour tuer Henry, mais Cadot le dissuada de le faire. Apprenant que sir William Johnson* tenait des pourparlers de paix au fort Niagara (près de Youngstown, New York), les Sauteux décidèrent d’y assister et Henry se joignit à eux. Cependant, impatient de retourner à Michillimakinac pour recouvrer ses biens, il accompagna l’expédition du colonel John Bradstreet* de Niagara à Detroit puis se joignit aux troupes du capitaine William Howard, qui reprirent Michillimakinac le 22 septembre.
Au début de 1765, Henry obtint de Howard un permis l’autorisant à faire de la traite dans la région du lac Supérieur et, en juillet, il s’associa avec Cadot. À l’occasion, pendant qu’il traitait avec les Indiens, il représentait Robert Rogers*, nouveau commandant de Michillimakinac. Il se plaindrait par la suite à Johnson de ce que Rogers ne l’avait pas rémunéré pour ce travail. Il passa l’hiver de 1767–1768 à Michipicoten (Michipicoten River, Ontario) et, à l’été, devint un des associés d’Alexander Baxter dans l’entreprise formée pour extraire l’argent du minerai de cuivre sur les rives du lac Supérieur. La société minière construisit pendant l’hiver de 1770–1771, à Sault-Sainte-Marie, un voilier dont elle se servit pour chercher et transporter le cuivre. Cependant, la rareté de la main-d’œuvre et le coût du transport du minerai rendaient l’entreprise déficitaire, et la société fut liquidée en 1774.
Heureusement, Henry n’avait pas abandonné la traite des fourrures. Impatient d’explorer de nouvelles contrées, il se rendit en 1775 avec 4 grands canots et 12 petits dans le territoire situé au nord-ouest du lac Supérieur. Il allait y défier la Hudson’s Bay Company avec Cadot et d’autres trafiquants indépendants, tels Peter Pond*, Joseph* et Thomas Frobisher. Le 14 octobre 1775, le groupe fit halte à Cumberland House (Saskatchewan), où Matthew Cocking* nota son arrivée. En janvier, après avoir établi un poste de traite au lac Beaver (lac Amisk), Henry partit pour le fort des Prairies (Fort-à-la-Corne), sur la Saskatchewan, afin de voir les Prairies. Ayant satisfait sa curiosité et obtenu quelques fourrures des Assiniboines, il retourna au lac Beaver. Il se rendit au fleuve Churchill au début du printemps et y acheta 12 000 autres peaux de castor à des Chipewyans qui allaient probablement faire de la traite à la baie d’Hudson. Il rentra ensuite au lac Beaver, où il rassembla ses fourrures ; certains des derniers ballots furent extorqués à Robert Longmoor*, employé de la Hudson’s Bay Company qui faisait de la traite dans les environs. En juillet, Henry se mit en route pour Montréal, avec un bon chargement de fourrures de première qualité. Il donna au gouverneur, sir Guy Carleton*, une grande carte de la région qu’il avait parcourue dans l’Ouest.
Ébloui par le riche potentiel du Nord-Ouest, Henry s’embarqua pour l’Angleterre à l’automne de 1776 et proposa à la Hudson’s Bay Company de recruter des canoteurs canadiens qui travailleraient pour elle. Porteur d’une lettre d’introduction de l’ancien trafiquant de fourrures Luc de La Corne* à son frère l’abbé Joseph-Marie de La Corne* de Chaptes, il traversa ensuite la Manche pour se rendre en France, où l’abbé le présenta à la jeune reine, Marie-Antoinette.
De retour en Amérique du Nord britannique au printemps de 1777, Henry s’associa à Jean-Baptiste Blondeau et conduisit un canot de traite à Michipicoten. À l’automne, il vendit à Jean-Baptiste Nolin le poste qu’il y possédait. L’année suivante, avec son associé John Chinn, il fit de la traite à Sault-Sainte-Marie en étroite collaboration avec Cadot. À l’automne de 1778 puis de nouveau en 1780, il se rendit en Angleterre. Le 18 octobre 1781, une fois revenu à Montréal après son troisième et dernier voyage en Angleterre, il fit parvenir au naturaliste sir Joseph Banks* un plan détaillé en vue d’une expédition visant à trouver une route terrestre jusqu’au Pacifique.
Henry s’installa à Montréal où il devint marchand général, mais il n’abandonna pas la traite des fourrures, se rendant à l’occasion à Detroit ou à Michillimakinac. En 1784, afin de pouvoir continuer de traiter à ces deux endroits, qui avaient été cédés aux États-Unis par les traités de Versailles l’année précédente, il envisagea sérieusement de s’établir à Schenectady, dans l’état de New York. Toutefois, comme les Britanniques n’évacuaient pas immédiatement les postes de l’Ouest, il demeura à Montréal. Le 11 juin 1785, il épousa une veuve, Julia Ketson. Leur première enfant, Julia, était née en octobre 1780. Entre 1782 et 1786, ils eurent quatre fils : Alexander, William, Robert et John. Au moment de son mariage, Henry était devenu un marchand important. En février 1785, lui-même et 18 autres anciens trafiquants du Nord-Ouest avaient fondé le Beaver Club. Au printemps suivant, Henry connut apparemment de graves difficultés financières, peut-être en raison de l’instabilité économique résultant de la fin de la Révolution américaine et des guerres intertribales qui sévissaient dans la région autour des lacs Supérieur, Huron et Michigan [V. Wahpasha*]. Afin de combler ses pertes, il fit de nouveau de la traite à Michillimakinac de 1785 à 1790. C’est là qu’il représenta au cours de l’été de 1788 la General Company of Lake Superior and the South (connue aussi sous le nom de General Society) au sein d’un conseil d’enquête qui examinait les accusations de mauvais usage d’approvisionnements gouvernementaux portées contre l’interprète Joseph-Louis Ainsse*.
Vers 1785, Henry encouragea un de ses amis de New York, William Edgar, à se lancer dans le commerce des fourrures avec la Chine. Fasciné par les possibilités qu’offrait la côte du Pacifique, il fit part de ses idées, qu’il appelait « mon projet préféré », au marchand new-yorkais John Jacob Astor. Il introduisit celui-ci dans le milieu des trafiquants canadiens et le reçut lors de ses visites annuelles à Montréal. Dans les années 1790, Henry et Astor aidèrent la North West Company à organiser des expéditions de fourrures vers la Chine [V. Simon McTavish*].
Au fil des ans, Henry maintint des liens personnels étroits avec John Askin*. Ils furent mêlés à plusieurs malheureux projets de spéculation foncière dans le nord de l’Ohio au milieu des années 1790. Un de ces projets, connu sous le nom de Cuyahoga Purchase, échoua lorsque les Indiens de l’Ohio, de qui les terres avaient été acquises, refusèrent de faire valoir leurs réclamations foncières au moment du traité de Greenville en 1795, et que les titres obtenus par Henry et ses associés, Askin et Patrick McNiff* notamment, furent jugés nuls. Ce fut un dur coup pour Henry : « Nous avons perdu une fortune d’au moins un million de dollars », dit-il.
Le 14 septembre 1792, Henry obtint avec son neveu Alexander Henry* le jeune, pour une période de six ans, une part dans la North West Company. En 1796, il vendit sa portion à William Hallowell, mais continua d’acheter des fourrures aux trafiquants et de les exporter en Angleterre. Lorsque, cinq ans plus tard, les Français capturèrent l’une de ces cargaisons non assurées, Henry connut de sérieux embarras financiers. Pour se refaire une situation, il devint en 1802 marchand à commission et encanteur avec un associé, William Lindsay. Assailli de problèmes de santé, il se dépensa tout de même beaucoup pour ce travail, qu’il ne trouvait pas satisfaisant. Pourtant, malgré ses revers, il conserva une place solide dans le milieu des affaires montréalais. Il servit comme capitaine dans la milice et, de 1794 à 1821, fut juge de paix. Il recevait chez lui les marchands les plus éminents, signait régulièrement des pétitions et des mémoires et assistait à des fêtes. Il se révélait particulièrement actif dans le Beaver Club, qui fut relancé en 1807 et dont il était le doyen.
Henry sentait toutefois que des hommes nouveaux prenaient en main la traite des fourrures et, en 1809, il écrivait à Askin : « Nous quatre, les vieux amis [James McGill*, Isaac Todd*, Joseph Frobisher et lui-même], sommes les seuls à être encore en vie, tous les nouveaux Nor’ Westers ne sont qu’un groupe de jeunots et de parvenus qui n’étaient pas nés dans notre temps et qui s’imaginent en savoir bien plus sur la traite avec les Indiens que tous ceux qui les ont précédés. » Désireux de faire revivre ses belles années, il écrivit ses mémoires, qu’il publia à New York en 1809. Travels and adventures in Canada and the Indian territories, between the years 1760 and 1776 est devenu un classique du récit d’aventures et est encore considéré comme l’un des ouvrages qui décrit le mieux la vie des Indiens telle qu’elle était à l’époque des voyages de Henry.
Alexander Henry continua de faire du commerce jusque dans les dernières années de sa vie. En 1812, il fut nommé commissaire-priseur dans le district de Montréal. Il avait comme associé son neveu Norman Bethune, qui habitait avec lui au 14 de la rue Saint-Urbain. Homme de taille moyenne, d’un abord facile mais digne, Henry avait été surnommé « le bel Anglais » par les Indiens. Il mourut à Montréal à l’âge de 85 ans, estimé de tous ceux qui l’avaient connu.
Alexander Henry est l’auteur de Travels and adventures in Canada and the Indian territories, between the years 1760 and 1776 (New York, 1809). L’ouvrage a connu plusieurs éditions, dont une éditée par James Bain (Boston, 1901) et une autre éditée et présentée par M. M. Quaife (Chicago, 1921). La première partie de l’ouvrage a été réimprimée sous le titre de Attack at Michilimackinac [...], D. A. Armour, édit. (Mackinac Island, Mich., 1971).
ANQ-M, CE1-63, 11 juin 1785.— APC, MG 19, A2, sér. 1, 3 ; A4 (copies) ; RG 4, B28, 115.— British Museum (Natural History) (Londres), Banks coll., DTC 2 : 39–51 (copie).— Clements Library, Thomas Gage papers.— Mo. Hist. Soc. (St Louis), Chouteau coll.— MTL, North West Company papers, William Edgar papers, Alexander Henry à William Edgar, 11 août 1784–22 oct. 1787 (copies dactylographiées) ; Alfred Sandham coll., Alexander Henry à Forsyth & Taylor, 9 déc. 1786.— Musée McCord, J.-B. Blondeau, account-book ; Beaver Club minute-book, 1807–1827.— « Biographical sketch of the late Alexander Henry, esq. », Canadian Magazine and Literary Repository (Montréal), 2 (janv.–juin 1824) : 289–304, 385–397.— Docs. relating to NWC (Wallace).— Documents relating to the colonial, revolutionary and post-revolutionary history of the state of New Jersey, W. A. Whitehead et al., édit. (42 vol., Newark, N.J., 1880–1949).— John Askin papers (Quaife).— Journals of Samuel Hearne and Philip Turnor, J. B. Tyrrell, édit. (Toronto, 1934 ; réimpr., New York, 1968).— Mich. Pioneer Coll.— The papers of Sir William Johnson, James Sullivan et al., édit. (14 vol., Albany, N.Y., 1921–1965), 4–6, 12.— [Robert] Rogers, « Rogers’s Michillimackinac journal », W. L. Clements, édit., American Antiquarian Soc., Proc. (Worcester, Mass.), nouv. sér., 28 (1918) : 224–273.— Wis., State Hist. Soc., Coll., 3 (1857) : 76–82 ; 19 (1910) : 67–68, 238, 253–254, 280–285, 289–291, 309–310, 336–337, 372–374.— Innis, Fur trade in Canada (1962).— Morton, Hist. of Canadian west (Thomas ; 1973).— K. W. Porter, John Jacob Astor, business man (2 vol., Cambridge, Mass., 1931 ; réimpr., New York, 1966).— J. U. Terrell, Furs by Astor (New York, 1963).— Charles Lart, « Fur trade retums, 1767 », CHR, 3 (1922) : 351–358.
David Arthur Armour, « HENRY, ALEXANDER (1739-1824) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/henry_alexander_1739_1824_6F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/henry_alexander_1739_1824_6F.html |
Auteur de l'article: | David Arthur Armour |
Titre de l'article: | HENRY, ALEXANDER (1739-1824) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
Date de consultation: | 22 déc. 2024 |