HENRY, ALEXANDER, trafiquant de fourrures, explorateur et auteur ; il se noya le 22 mai 1814 dans le fleuve Columbia, au large du fort George (Astoria, Oregon).
On ne possède aucun document sur la naissance et les premières années d’Alexander Henry le jeune. Neveu d’Alexander Henry* l’aîné, il avait d’autres parents engagés dans la traite des fourrures, dont un cousin qui portait le même nom que lui (deuxième fils d’Alexander l’aîné) et ses autres cousins William et Robert* ; son frère Robert était aussi trafiquant. Alexander Henry le jeune est connu pour le copieux journal qu’il commença en 1799 et qui constitue l’une des meilleures sources des débuts du xixe siècle sur la traite des fourrures dans la vaste région allant du lac Supérieur à l’embouchure du Columbia.
Henry commença à trafiquer parmi les Sauteux, dans le département de Lower Red River de la North West Company, en 1791. Par la suite, on ne connaît rien de sa carrière jusqu’à la première entrée qu’il fit dans son journal, à l’automne de 1799, sur la rivière Whitemud (Manitoba). Il passa l’hiver de 1799–1800 dans un poste situé près du fort Dauphin Mountain (Riding Mountain, Manitoba). Il partit de là, au printemps, pour Grand Portage (près de Grand Portage, Minnesota), qui fut jusqu’en 1803 le lieu des rendez-vous annuels de la compagnie. En juillet 1800, il retourna à l’intérieur des terres, se dirigeant vers le sud, à partir du lac Winnipeg, en remontant la rivière Rouge. Passant par le sault à la Biche (St Andrews Rapids, Manitoba), où des Cris et des Assiniboines s’étaient assemblés dans de grands campements en bordure de la région des prairies, Henry rencontra, le 18 août, des Sauteux qui attendaient à l’embouchure de l’Assiniboine et leur troqua du rhum contre de la viande de bison séchée. Bien qu’il y ait déjà eu un missionnaire et une église en ce lieu, il observa qu’on avait fait peu de progrès dans la « civilisation des autochtones », et que leur nombre avait été grandement réduit par la petite vérole. Ceux avec qui il trafiqua avaient grand-peur d’être attaqués par les Sioux venant du sud. Ils avaient creusé des tranchées pour mettre leurs gens en sécurité – mesure qu’adopteraient plus tard les Métis pendant la rébellion du Nord-Ouest de 1885.
Avec un parti de 28 hommes, Henry remonta la rivière Rouge, franchissant le 49e parallèle à l’embouchure de la rivière Pembina, où se trouvait le premier établissement de la North West Company sur la rivière Rouge. Il poursuivit sa route jusqu’à l’embouchure de la rivière Park, près de laquelle il construisit un fort. Ce poste était bien défendu contre toute attaque de la part des Sioux, mais l’hiver se passa sans événement notable. Au printemps de 1801, Henry construisit un nouveau poste, près de ce qui est aujourd’hui Pembina, dans le Dakota du Nord, et il en laissa la direction à Michel Langlois. L’hiver précédent avait permis d’amasser un grand nombre de fourrures dans le département de Lower Red River, et la récolte continuait d’être bonne en dépit de la concurrence tant de la Hudson’s Bay Company que de la New North West Company (appelée parfois la XY Company). Le 30 juin 1801, Henry fut reçu comme associé dans la North West Company, son association commençant avec la saison de traite de 1802. Pendant plusieurs années, Henry trafiqua avec succès à Pembina, menant à chaque année un convoi de traite à Grand Portage d’abord, puis, après 1803, à Kaministiquia (Thunder Bay, Ontario), nouveau lieu de rendez-vous de la compagnie sur le lac Supérieur. Une des entrées de son journal, à cette époque, dépeint le chef de poste et ses hommes qui faisaient ces longs voyages : « Les canots lourdement chargés ont presque éreinté les hommes, [ne leur laissant] qu’une certaine fierté et ambition, naturelle aux hommes du Nord [et qui] les incite à faire tous les efforts dont ils sont capables pour avancer ; mais c’est pour le chef une tâche très désagréable à entreprendre quand il se joint à son propre convoi dans un passage difficile et ennuyeux de la route. On ne dit rien ou presque pendant le jour [...] mais votre tente n’est pas aussitôt dressée, le soir, que chacun vient vous attaquer à tour de rôle. Certains se plaignent de la mauvaise qualité de leur canot, d’autres de sa lourdeur [...] Certains veulent de l’écorce, d’autres de la résine [...] Après avoir prêté l’oreille à leurs nombreuses plaintes et y avoir remédié dans la mesure de vos moyens, vous devez vous occuper des malades et prendre les mesures qui s’imposent. »
En 1806, Henry conduisit un parti de traite et d’exploration dans le bassin de la rivière Missouri. Pendant qu’il visitait les Mandanes, il rencontra le trafiquant Jean-Baptiste Lafrance, de Brandon House (Manitoba). On montra à Henry des drapeaux américains qui avaient été offerts à un chef mandane par les capitaines Meriwether Lewis et William Clark, en route pour le Pacifique. Dans son journal, Henry relève beaucoup de coutumes mandanes et note les traits physiques qui ont été à l’origine de récits apocryphes faisant des membres de cette tribu des descendants de Gallois. Il rencontra aussi des Cheyennes et des Corbeaux, entre autres Indiens. En août 1806, il était de retour à son poste de Pembina.
Deux ans plus tard, Henry laissa Pembina pour la dernière fois, à la suite d’un ordre de la compagnie de se rendre à la rivière Saskatchewan. En route, le 18 août, près de Cumberland House (Saskatchewan), il rencontra David Thompson*, qui faisait sa deuxième expédition au Columbia. Henry hiverna au fort Vermilion (à l’embouchure de la rivière Vermilion, Alberta), et descendit au fort William (nouveau nom de Kaministiquia) l’été suivant. À ce point, Henry donne, dans son journal, un long rapport ethnographique sur les Cris, ajoutant un vocabulaire en cinq langues : anglais, sauteux, cri, esclave et assiniboine. En 1809, il se rendit au fort Augustus (Edmonton) et, ensuite, retourna au fort Vermilion. Il trafiqua dans un lieu qu’il appela New White Earth House (Alberta) en 1810, et hiverna cette année-là plus profondément à l’ouest, à Rocky Mountain House (Alberta). En 1811, il traversa le Great Divide par « le portage Rocky Mountain [col Howse] » pour examiner le bassin dé la rivière maintenant nommée Kootenay. Il trafiqua chez les Peigans, les Salishs et les Sarcis cette année-là et la suivante.
En 1813, la North West Company dépêcha Henry et Alexander Stewart (Stuart), tous deux associés de la compagnie, avec le mandat d’établir la traite à l’embouchure du Columbia, où John Jacob Astor avait installé un dépôt [V. Duncan McDougall]. Ils devaient travailler conjointement avec l’Isaac Todd, envoyé de Londres via le cap Horn, sous escorte de la marine royale, pour évincer les Américains avec lesquels les Britanniques étaient dès lors en guerre. Henry note l’achat, par les Nor’Westers, d’Astoria (qu’ils rebaptisèrent fort George), l’arrivée du Racoon, de la marine royale, les raids indiens et finalement la venue de l’Isaac Todd. Les rapports de ces événements faits par Gabriel Franchère*, Ross Cox* et Alexander Ross* corroborent les récits de Henry. Ce dernier fournit des renseignements utiles sur le chef Comcomly et les Indiens chinooks, et rapporte aussi sa visite au poste, situé le plus à l’ouest, de Lewis et Clark, le fort Clatsop (près d’Astoria), et ses voyages dans les vallées des rivières Cowlitz et Willamette. Le 22 mai 1814, Henry accompagné de Donald McTavish et de cinq marins se dirigeaient, dans une embarcation ouverte, du fort George vers l’Isaac Todd. L’embarcation chavira ; Henry et McTavish se noyèrent.
Pendant les années qu’il passa dans les vastes régions du Nord-Ouest, Henry voyagea du lac Supérieur à l’embouchure du Columbia, vivant pendant de longues périodes dans divers postes avancés et traversant plusieurs fois les montagnes Rocheuses. Son journal est une source importante pour les études tant anthropologiques qu’ethnologiques. Dans l’entrée du 25 février 1803, il écrit : « Maintenant, les Indiens négligent complètement toutes leurs anciennes coutumes et manières de faire, et à quoi d’autre cette dégénérescence peut-elle être attribuée sinon à leurs rapports avec nous [...] S’il survient un meurtre parmi les Sauteux, c’est toujours dans une beuverie, de sorte que nous pouvons dire à la vérité que l’eau-de-vie est la source de tout le mal, même dans le Nord-Ouest. » Certes, Henry était un commerçant avant tout, et il n’avait guère de sympathie pour ses clients. Il les jugeait selon les normes européennes. On en trouve une bonne illustration dans son journal, à la date du 4 mars 1814, où il décrit certaines femmes chinooks qu’il trouva en train de prendre leur bain quotidien à la mer : « Elles étaient parfaitement nues, et ma présence ne troubla pas le moins du monde leurs ébats. Ces dégoûtantes créatures étaient parfaitement calmes, et ne paraissaient pas me remarquer. Bien que prenant, étant nues, différentes postures, elles tenaient leurs cuisses si serrées qu’on ne pouvait rien voir. »
Au début de 1801 (tout a fait contre sa volonté, selon son journal), Alexander Henry avait pris une femme indienne, fille du chef sauteux Liard. Rentrant dans sa chambre après les célébrations du Nouvel An, il découvrit qu’elle s’y était installée : « le diable, rapporte-t-il, n’aurait pas pu la déloger ». On ne sait pas avec certitude combien ils eurent d’enfants, mais son dénombrement du fort Vermilion indique qu’un homme, une femme et trois enfants vivaient dans ses appartements. Son testament, fait le 15 juillet 1813 au fort William, mentionne que les trois fils qu’on lui attribuait étaient nés dans l’Ouest durant les années 1790 ; il y est aussi question de ses trois filles et d’un fils, nés d’une Indienne « qui avait pris l’habitude de vivre avec [lui] depuis 1802 » et qui était la fille de Buffalo, chef sauteux.
Les APC (MG 19, A13) conservent une transcription du journal d’Alexander Henry, faite à partir de l’original par George Coventry* vers 1824. On y trouve aussi un résumé du contenu, dressé, selon toute vraisemblance, par Coventry. Des sections de ce journal ont été publiées en une version remaniée dans New light on early hist. of greater northwest (Coues). Des extraits sont aussi insérés dans « Henry’s Astoria journal », The Oregon country under the Union Jack : a reference book of historical documents for scholars and historians, B. C. Payette, compil. (Montréal, 1961 ; 2e éd., 1962), 1–170, et dans C. N. Bell, « Henry’s journal [...] », Man., Hist. and Scientific Soc., Trans. (Winnipeg), 31 (mai 1888) ; 35 (1889) ; 37 (1889). Voir aussi L. J. Burpee, The search for the western sea : the story of the exploration of north-western America (Londres, 1908 ; nouv. éd., 2 vol., Toronto, 1935).
Barry Morton Gough, « HENRY, ALEXANDER (mort en 1814) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/henry_alexander_1814_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/henry_alexander_1814_5F.html |
Auteur de l'article: | Barry Morton Gough |
Titre de l'article: | HENRY, ALEXANDER (mort en 1814) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |