POLLARD, RICHARD, marchand, fonctionnaire, juge, juge de paix et ministre de l’Église d’Angleterre, né le 1er janvier 1753 à Londres ; décédé le 6 novembre 1824 à Sandwich (Windsor, Ontario).

Issu d’une « famille respectable », Richard Pollard fréquenta une grammar school en Angleterre, puis reçut une formation en droit et en commerce, probablement à titre de clerc dans un cabinet de solicitors. Edward Pollard, qui était le père ou le frère aîné de Richard, s’installa à Niagara (près de Youngstown, New York) dans les années 1760 et Richard lui-même arriva dans la province de Québec au printemps de 1775. Lorsque les Américains envahirent la province en 1775 et 1776 [V. Benedict Arnold* ; Richard Montgomery*], Pollard prit les armes pour repousser les envahisseurs puis, « avec beaucoup de difficulté », il passa à New York et s’embarqua sur un navire en partance pour l’Angleterre. Il arriva à destination à la fin de mai 1776 et demanda immédiatement au gouvernement britannique l’autorisation d’exporter « de la poudre à canon, des armes et des balles » dans la province de Québec, qui en avait un urgent besoin. On ignore si cette permission lui fut accordée ; cependant, en 1777, il était de retour dans la colonie et faisait de la traite avec les Indiens à Cataraqui (Kingston, Ontario) et à Niagara. Il exerçait également dans le domaine juridique â Montréal, où il passait beaucoup de temps. En 1780, il entra dans la franc-maçonnerie en s’inscrivant à la St Peter’s Lodge No. 4 de Montréal. Au cours des six années suivantes, il occupa diverses fonctions au sein de cette association.

En février 1782, Pollard faisait de la traite avec les Indiens à l’établissement britannique de Detroit. L’année suivante, il obtint un permis qui l’autorisait à y poursuivre cette activité en société avec William Mason. En 1784, il avait amassé assez d’argent pour acheter une terre à Petite Côte (Windsor), sur la rive sud de la rivière Detroit, près de l’endroit où se trouve aujourd’hui Amherstburg, en Ontario. En 1787, le marchand Laurent Durocher se plaignit de « la Mackinac Company » (la General Company of Lake Superior and the South), entreprise de traite des fourrures installée à Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan), et de « ce jeune fou de Pollard » qui y était associé.

Contrairement à ce que la remarque de Durocher laisse entendre, Pollard était déjà un personnage important parmi les marchands de Detroit et des environs. Quand le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe* subdivisa le Haut-Canada en comtés, le 16 juillet 1792, Pollard devint shérif de ceux d’Essex et de Kent. Lors des élections qui, en 1792, firent de David William Smith* le député de Suffold and Essex, il fut directeur du scrutin. En septembre 1794, il fut nommé registrateur des comtés d’Essex et de Kent, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort. La même année, cet homme aux multiples talents devint greffier de la Cour de surrogate puis, le 29 août 1801, il abandonna ce poste pour devenir juge au même tribunal ; il allait aussi conserver cette place toute sa vie. De plus, il fut à des moments divers maître de poste, juge de paix, membre du conseil des terres du district de Western et commissaire de l’école de ce district.

Toutes ces fonctions ne firent pas de Pollard un homme riche ; à vrai dire, d’après ses registres commerciaux, il était constamment endetté. Ainsi, ce n’est que le 8 mai 1797 que l’administrateur Peter Russell* et le Conseil exécutif lui allouèrent pour son travail de shérif un salaire annuel de £50 (cours d’Angleterre), rétroactif à 1792. Avant que le territoire de Detroit ne passe aux États-Unis et que les bureaux du gouvernement ne soient transférés à Sandwich en 1796, Pollard avait réussi à acheter ou à obtenir en concession plusieurs autres terres sur la rive sud de la rivière Detroit. Toutefois, ses dettes étaient telles que bientôt, alors même que le prix des terres chutait, il fut forcé de les vendre.

La situation financière de Pollard s’aggrava encore du fait qu’il décida d’assumer des fonctions ecclésiastiques qui lui imposaient les lourdes charges d’un pasteur missionnaire. À la fin des années 1790, Peter Russell et Jacob Mountain, évêque de Québec, cherchaient à nommer « à Sandwich un ministre compétent et avisé » qui combattrait le républicanisme, le méthodisme et les autres menaces à l’ordre public, et qui célébrerait les mariages parmi les nouveaux colons. Pollard était tout indiqué comme candidat au pastorat car, à titre de laïque, il célébrait pour l’Église d’Angleterre des offices à Detroit depuis le début des années 1790 et, à Sandwich, dans l’édifice des bureaux gouvernementaux, depuis 1796. Le juge en chef John Elmsley* écrivit au lieutenant-gouverneur Peter Hunter* que Pollard connaissait le latin, lisait beaucoup et ne semblait « nullement manquer de connaissances dans ces disciplines que doit connaître tout homme qui vit beaucoup dans le monde ». Il serait un curé « très utile » et, même si Mountain estimait que Pollard « manqu[ait] de talent littéraire », Hunter, poursuivait Elmsley, devait lui faire valoir « les autres qualifications qu’il possédait] à un si haut degré ». Certains furent soulagés d’apprendre que Pollard envisageait une nouvelle carrière. Isaac Todd*, marchand montréalais, dit à John Askin* qu’il avait « vingt fois plus de qualités pour être pasteur que shérif ». Quant à Alexander Henry, qui avait longtemps pratiqué la traite avec lui, il était d’avis que Pollard pourrait « être un curé acceptable – n’importe quoi pour gagner honnêtement sa vie ».

Porteur de nombreuses « recommandations très satisfaisantes », Pollard fut ordonné diacre à Québec par l’évêque Mountain le 20 mars 1802 ; deux ans plus tard, le 2 juin 1804, il allait devenir prêtre lors de la première cérémonie d’ordination tenue à la nouvelle cathédrale Holy Trinity de Québec. Après avoir accédé au diaconat, en 1802, Pollard fut nommé aumônier de la garnison d’Amherstburg et ministre résidant de Sandwich. Cette année-là, en revenant à Sandwich, il s’arrêta à Kingston pour rendre visite au révérend John Stuart*, qui fut amusé de voir le nouveau diacre s’empêtrer en tentant de tenir un langage approprié à ses fonctions : « Un juron lui ayant soudainement échappé, il se reprit tout de suite en disant que, même s’il n’était pas encore tout à fait un ecclésiastique, il bénéficiait en quelque sorte d’un régime d’exception jusqu’à ce qu’il devienne curé ; à compter de ce moment, il ne faudrait pas qu’il se permette d’employer des expressions aussi osées. » De retour à Sandwich, Pollard céda son poste de shérif à son ami William Hands ; six ans plus tard, celui-ci devait lui succéder aussi comme registrateur des comtés de Kent, d’Essex et de Suffolk.

Devenu membre du clergé, Pollard tenta par des efforts consciencieux de « jouer convenablement son rôle d’ecclésiastique ». Il œuvrait dans le dénuement et, après avoir été malade, il se plaignit à Askin en 1804 de n’avoir ni marguillier, ni assistant pour donner la communion, ni poêle, et de ne pouvoir non plus engager de domestique à quelque salaire que ce soit. En 1805, il était suffisamment rétabli pour entreprendre des visites missionnaires à Detroit ; il le fit plus ou moins régulièrement jusqu’en 1821, amorçant ainsi un travail qui allait aboutir à la formation du diocèse du Michigan. En 1806, il se mit à recueillir des fonds pour construire l’église St John à Sandwich ; cet édifice en bois rond, qui était la première église située à l’ouest de Niagara (Niagara-on-the-Lake), fut ouvert au culte dès 1807. Jusqu’en 1810, Pollard continua de servir d’aumônier à la garnison d’Amherstburg, et ce à titre gratuit. Comme le voyage coûtait cher et l’obligeait à s’absenter de Sandwich pendant trois jours, il ne pouvait y célébrer des offices qu’une fois par mois et rendre visite aux soldats qu’en cas d’urgence.

La guerre de 1812 fut pour Pollard une période très dure. En septembre 1813, sous le commandement du major général William Henry Harrison, les miliciens du Kentucky incendièrent l’église de Sandwich. À titre d’aumônier, Pollard accompagna les hommes du 41st Foot dans leur retraite le long de la Thames. Fait prisonnier à la bataille de Moraviantown en octobre 1813, il fut bientôt ramené à Sandwich. Il y demeura jusqu’en février 1814, après quoi il fut autorisé par le commandant américain à se rendre à York (Toronto). Il célébra des offices dans une église luthérienne de cette ville ainsi qu’à Ancaster et dans le canton de Barton (Hamilton). Puis, en juin 1814, il prit temporairement la succession de John Langhorn* dans les cantons d’Ernestown et de Fredericksburgh. Dès juin 1815, Pollard était de retour à Sandwich. Son église était toujours en cendres, ses meubles avaient disparu et sa maison n’était pas réparable. En 1816, il reçut de la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts une indemnité de £100 pour pertes « dues à l’incendie et à l’ennemi » ; l’année suivante, la société lui accorda une somme de £50 pour qu’il construise des églises à Sandwich, à Amherstburg, à Chatham et à Colchester. De plus, en 1817, malgré un accès de fièvre, il parcourut 240 milles pour visiter ces endroits, y célébrer des offices, y prêcher et laisser derrière lui des « sermons utiles dans les maisons où [il] séjournait ». Pollard fit pression pour que certaines réserves du clergé soient vendues au profit de la construction de ses nouvelles églises, puis d’un nouveau presbytère, ses paroissiens ayant oublié cet élément dans leur empressement à reconstruire l’église de Sandwich. En partie grâce à de généreuses donations de sa part, les quatre églises ouvrirent leurs portes l’une après l’autre : le 12 décembre 1819, l’église en brique d’Amherstburg ; le 11 juin 1820, l’église St John de Sandwich ; en octobre 1820, celle de Chatham ; puis en janvier 1821, l’église en pierre de Colchester, dont seul l’extérieur était alors terminé. Pollard fit des visites à Amherstburg jusqu’à ce que, en 1822, Romaine Rolph, récemment devenu prêtre, n’ait plus besoin de son assistance. De même, il visitait régulièrement sa nouvelle église de Chatham.

À force de jouer concurremment des rôles aussi divers, Richard Pollard ruina autant sa santé que sa situation financière dont, à sa mort le 6 juin 1824, on découvrit l’imbroglio. Sa belle-sœur Ann Pollard, écrivant d’Angleterre à son exécuteur William Hands, lui exprima combien elle compatissait de le voir aux prises avec la désagréable tâche de régler ce dossier, « dont l’état ne [l’avait] pas surprise ». On garda de Pollard le souvenir d’un homme qui avait manifesté autant de qualités au service du gouvernement colonial que de l’Église, deux institutions qui, dans ce milieu peu formel que constituaient les régions pionnières, étaient étroitement liées. « Il était charitable, aimable et humain envers tous ceux qui lui confiaient leurs chagrins et leurs souffrances. »

Christopher Fergus Headon

L’article d’Archibald Hope Young, « The Revd. Richard Pollard, 1752–1824 », OH, 25 (1929) : 455–480, s’est avéré particulièrement important dans la préparation de cette biographie.

AO, Hiram Walker Hist. Museum coll., 20-108, William Hands corr., Pollard à Hands, 1820 ; Ann Pollard à Hands, 26 janv. 1825 ; C. J. Stewart à Hands, 17 juin 1825 ; 20-135, no 86 ; 20-186 ; 20-245 ; 20-265 ; Hist. plaque descriptions, « St. John’s Anglican Church, Windsor », 12 sept. 1965 ; ms 75, Pollard à John White, 25 oct. 1797 ; ms 606, sér. A : 115–118 ; RG 1, A-I-6 : 1695–1696 ; RG 22, sér. 155.— APC, MG 19, F16 : 19–20 ; RG 1, E3, 13 : 148 ; 60 : 207–208 ; RG 5, A1 : 4370–4372, 5071–5074, 19818–19820, 20613–20614, 21371–21372, 28283–28289, 34736–34777 (mfm aux AO) ; RG 8, I (C sér.), 63 : 86 ; 64 : 67, 96 ; 65 :189.— EEC, General Synod Arch. (Toronto), M73-3, Stuart–Addison letter, 1811.— MTL, John Elmsley letter-book, Elmsley à Peter Hunter, 18 sept. 1801 ; Richard Pollard, commission as registrar of the Surrogate Court of the Western District of U.C., signed by Peter Hunter, 1800 ; W. D. Powell papers, B32 : 52 ; Sir George Prévost papers, « memorial-book », 1.— PRO, CO 388/62, no 81.— St John’s (Sandwich) Anglican Church (Windsor, Ontario), Reg. of baptisms, marriages, and burials, vol. 2 (mfm aux AO).— USPG, C/CAN/folder 441.— Anglican registers, 1787–1814 : Rev. John Langhorn, rector of Ernestown, Upper Canada, C. L. R. Wanamaker et Mildred Parliament Wanamaker, édit. (Kingston, Ontario, 1980).— Canadian Magazine and Literary Repository (Montréal), 3 (juill.–déc. 1824) : 573.— Corr. of Hon. Peter Russell (Cruikshank et Hunter), 2.— John Askin papers (Quaife).— Mich. Pioneer Coll., 10 (1886)–11 (1887) ; 13 (1888).— « Petitions for grants of land, 1792–6 », E. A. Cruikshank, édit., OH, 24 (1927) : 107.— Windsor border region (Lajeunesse).— Detroit Gazette, 12 nov. 1824.— Montreal Gazette, 4 déc. 1824.— Weekly Register (York [Toronto]), 2 déc. 1824 (suppl.).— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology (1967).— « State papers – U.C. », APC Report, 1892 : 289.— John Clarke, « A geographical analysis of colonial settlement in the Western District of Upper Canada, 1788–1850 » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, London, 1970).— R. M. Fuller, Windsor heritage ([Windsor, 1972]).— F. C. Hamil, The valley of the lower Thames, 1640 to 1850 (Toronto, 1951 ; réimpr., Toronto et Buffalo, N.Y., 1973).— Millman, Jacob Mountain.— W. R. Riddell, The legal profession in Upper Canada in its early periods (Toronto, 1916).— The township of Sandwich (past and present) [...], Frederick Neal, édit. (Windsor, 1909), 179–191.— H. P. Westgate, St. John’s Church, Sandwich, Windsor, Ontario, 1802–1952 : the beginnings of the Anglican Church in the Western District ; a goodly heritage (2e éd., [Windsor, 1952]).— Wilson, Enterprises of Robert Hamilton.— R. S. Woods, First centennial of the Anglican Church in the county of Essex, with special reference to the history and work of St. John’s Church, Sandwich (s.l., 1903).— F. H. Armstrong, « The oligarchy of the Western District of Upper Canada, 1788–1841 », SHC Communications hist., 1977 : 87–102.— Francis Cleary, « Notes on the early history of the county of Essex », OH, 6 (1905) : 66–75.— T. R. Millman, « Pioneer clergy of the Diocese of Huron : Richard Pollard », Huron Church News (London, Ontario), 1er mars 1953 :10.

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Christopher Fergus Headon, « POLLARD, RICHARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/pollard_richard_6F.html.

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Auteur de l'article:    Christopher Fergus Headon
Titre de l'article:    POLLARD, RICHARD
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
Date de consultation:    20 nov. 2024