SHEAFFE, sir ROGER HALE, officier et administrateur colonial, né le 15 juillet 1763 à Boston, troisième fils de William Sheaffe, receveur adjoint des douanes, et de Susannah Child ; le 29 janvier 1810, il épousa à Québec Margaret Coffin, fille de John Coffin*, et ils eurent deux fils et quatre filles, qui moururent tous avant leur père ; décédé le 17 juillet 1851 à Édimbourg.

Encore tout jeune, Roger Hale Sheaffe devint le protégé du duc de Northumberland, qui, pendant la guerre d’Indépendance américaine, avait établi son quartier général à Boston dans la pension de famille que dirigeait la veuve Susannah Sheaffe. Le duc envoya d’abord le garçon en mer, puis il le fit entrer au collège militaire de Locke, à Chelsea (Londres), où il fut l’un des camarades de classe de George Prévost*. Par la suite, Northumberland acheta la plupart des brevets de Sheaffe, à commencer par celui d’enseigne dans le 5e d’infanterie, dont il était le colonel, en mai 1778. Après avoir servi en Irlande pendant six ans, Sheaffe arriva à Québec en juillet 1787 avec son régiment, qui fut transféré à Montréal l’année suivante. Le 5e régiment cantonna par la suite à Detroit de 1790 à 1792, puis au fort Niagara (près de Youngstown, New York) jusqu’en 1796 et il retourna alors à Québec. En août 1794, avant la signature du traité Jay, Sheaffe avait été envoyé comme émissaire par le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe* à Sodus, village indien de la rive sud du lac Ontario, où il s’était élevé contre la saisie de certaines terres indiennes par un agent de colonisation, Charles Williamson. Décrit par Simcoe comme un « gentleman de grande sagesse, incapable d’une conduite abusive ou discourtoise », Sheaffe fut promu capitaine en mai 1795.

Lorsque son régiment fut appelé sous les drapeaux, Sheaffe regagna l’Angleterre en septembre 1797 et, trois mois plus tard, il acheta un grade de major dans le 81e d’infanterie. En mars de l’année suivante, il devint lieutenant-colonel, avec le moins d’ancienneté, dans le 49e d’infanterie. À partir de ce moment, sa carrière fut liée à celle d’Isaac Brock*, le lieutenant-colonel qui avait le plus d’ancienneté dans ce régiment. Ils servirent ensemble dans le nord de la Hollande en 1799. L’année suivante, lorsque Brock le laissa à la tête du régiment, qui cantonnait alors dans l’île de Jersey, Sheaffe devint impopulaire auprès de ses hommes. Après avoir participé à la campagne de la Baltique en 1801, les deux officiers reçurent l’ordre de se rendre dans les Canadas en 1802 ; ils arrivèrent au Bas-Canada avec le 49e à la fin de l’été et, au printemps de 1803, ils prirent des postes de commandement dans le Haut-Canada : Brock au quartier général du régiment, à York (Toronto), et Sheaffe avec une aile du régiment au fort George (Niagara-on-the-Lake).

C’est à cet endroit que, pour la première fois, les aptitudes au commandement de Sheaffe furent sérieusement mises en doute. Avec d’autres officiers, en août 1803, il avertit Brock qu’une mutinerie se préparait au fort George, et Brock étouffa rapidement cette menace. Brock estimait que la situation du fort à proximité de la frontière américaine était la principale cause de la tentative de désertion. Toutefois, sachant de quelle façon Sheaffe avait agi dans le passé en tant que commandant, il le critiqua pour avoir adopté une attitude « imprudente et maladroite », surtout en se comportant comme un garde-chiourme, en surmenant ses hommes et en les punissant trop durement pour des fautes sans gravité. Un autre élément qui avait contribué à ce résultat, selon Brock, était le fait qu’il avait rétrogradé « un trop grand nombre de sous-officiers ». Rapportant l’incident dans une lettre au lieutenant-colonel James Green* en 1804, il nota que Sheaffe possédait une « pauvre connaissance du genre humain » et avait beaucoup d’ennemis ; il ne pouvait cependant expliquer cette inimitié que par les sentiments amers qui existaient entre Sheaffe et les hommes qu’il commandait. William Dummer Powell*, et peut-être d’autres amis de Sheaffe, affirmèrent après la guerre de 1812 que l’hostilité latente des années 1803–1804 s’expliquait dans une certaine mesure par le fait que l’origine américaine de Sheaffe faisait douter de sa loyauté ; Powell estimait quant à lui que celle-ci était irréprochable. La conduite de Sheaffe en temps de guerre devait fournir des arguments aussi bien à ses détracteurs qu’à ses amis. En 1808, il obtint le grade de colonel honoraire ; trois ans plus tard, à la suite de sa promotion au rang de major général, il dut abandonner son poste de commandant du 49e et du même coup la moitié au moins de son revenu.

En juillet 1812, peu de temps après que Sheaffe fut revenu d’un voyage en Angleterre, sans fonctions particulières, le lieutenant général sir George Prévost, qui était devenu gouverneur en chef et commandant des forces armées, était impatient de trouver des officiers généraux pour remplir divers postes de commandement en temps de guerre. Il connaissait la condition financière de Sheaffe et il le jugeait tout à fait apte à servir dans le Haut-Canada, où il allait être un « officier important pour le service, en raison de son aptitude au commandement et de sa vaste connaissance de la région ». En plus d’avoir longtemps servi dans la colonie, il avait des contacts utiles avec les élites des milieux sociaux et politiques, surtout grâce à Powell, qui était un pilier du family compact et un ami de longue date de la famille Sheaffe. Sans savoir si les autorités militaires d’Angleterre avaient donné une autre affectation à Sheaffe, Prévost le nomma provisoirement à l’état-major de l’armée dans le Haut-Canada, le plaçant ainsi une nouvelle fois sous le commandement de Brock.

Sheaffe arriva au fort George le 18 août et, comme Brock s’était rendu à Detroit pour repousser l’invasion américaine à la frontière, lui-même se trouva à la tête des troupes cantonnées à la frontière du Niagara. Quelques jours plus tard, il apprit que Prévost avait conclu une trêve avec le major général Henry Dearborn. Ayant été informé de la prise de Detroit par Brock avant que la nouvelle ne parvienne au major général Stephen Van Rensselaer, le commandant américain qui lui faisait face sur la rivière Niagara, Sheaffe s’entendit adroitement avec lui pour ajouter au traité d’armistice une clause interdisant l’envoi de renforts et de provisions aux lacs Supérieur, Michigan et Huron, ce qui signifiait qu’aucun des deux côtés ne pouvait renforcer Detroit. Toutefois, Prévost s’irrita de cette décision, car la trêve n’avait imposé aucune restriction à la circulation des troupes et des vivres, d’un côté ou de l’autre. Il concéda néanmoins à Brock qu’un désaveu du geste de Sheaffe causerait de l’embarras aux Britanniques ; c’est pourquoi aucune mesure ne fut prise à ce sujet.

À la fin d’août, Sheaffe abandonna le commandement à Brock, qui avait regagné la presqu’île du Niagara. L’armistice général se termina le 4 septembre ; Brock et Sheaffe s’occupèrent résolument de renforcer les défenses à la frontière. Tôt le 13 octobre, les Américains attaquèrent à Queenston. Brock arriva en toute hâte du fort George pour prendre le commandement sur le champ de bataille, laissant à Sheaffe le soin de rassembler et d’amener le gros des défenseurs. Lorsque Brock fut tué au cours d’une audacieuse attaque de front, Sheaffe prit la relève et, quittant le fort à la tête de ses troupes, il exécuta un vaste mouvement débordant et se joignit aux Indiens et à un groupe venu de Chippawa sous les ordres du capitaine Richard Bullock, afin d’attaquer le flanc des Américains sur un terrain élevé. Les envahisseurs furent mis en déroute et presque 1 000 d’entre eux furent capturés, tandis que les pertes britanniques étaient insignifiantes. John Beverley Robinson*, alors officier de la milice, nota que le comportement de Sheaffe au combat avait été « calme, bien que résolu et vigoureux ». Il avait effectué une brillante manœuvre et, le 16 janvier 1813, ce succès lui valut l’honneur, bien mérité, d’être élevé au rang de baronnet ; dans la mémoire populaire, toutefois, la victoire appartenait à Brock.

Après la bataille, Sheaffe avait immédiatement arrêté les conditions d’un armistice de trois jours pour permettre aux deux côtés de s’occuper des blessés et des morts, et d’échanger les prisonniers. Mais lorsque, à la demande des Américains, il accepta de prolonger indéfiniment la trêve, Prévost lui reprocha de ne pas en avoir plutôt profité pour traverser la rivière afin de prendre le fort Niagara, et de ne pas avoir obtenu au préalable une autorisation pour ce prolongement de trêve. Un grand nombre de commentateurs du Haut et du Bas-Canada, et notamment la Gazette de Québec, estimèrent que sa clémence avait été un signe de faiblesse et avait profité uniquement aux Américains en leur donnant le temps de se regrouper.

À la mort de Brock, Sheaffe lui avait succédé au poste de commandant militaire du Haut-Canada et comme président et administrateur civil du gouvernement de la province. Il déplaça son quartier général à York et prononça le serment d’office le 20 octobre. Pendant qu’il était en poste, les effets de la guerre se manifestèrent dans toute leur ampleur. Comme Brock avant lui, Sheaffe se préoccupa de la fiabilité et de la loyauté des civils. Le 9 novembre, il forma des commissions pour les non-naturalisés à Niagara (Niagara-on-the-Lake), à York et à Kingston, dans le but d’étudier le cas de tous ceux qui prétendaient être citoyens américains et, par conséquent, être exempts du service militaire [V. Michael Smith*]. En qualité de commandant militaire, Sheaffe avait affaire à une milice faible et à plusieurs services de l’armée inefficaces, en particulier ceux des casernes et du commissariat. Malgré les efforts sérieux et soutenus qu’il fit pour corriger les défauts d’organisation de ces services et la pénurie de fournitures militaires qui en résultait, certains de ses collègues officiers, comme Thomas Evans* et Christopher Myers, savaient que Sheaffe allait être blâmé pour des problèmes hérités de Brock, dont le principal souci avait été l’action plutôt qu’une gestion efficace. En janvier, les premiers signes d’une pénurie de nourriture étaient apparus dans le district de Western, où le colonel Henry Procter* reçut de Prévost, par l’intermédiaire de Sheaffe, l’autorisation d’imposer partiellement la loi martiale pour obliger les fermiers à vendre des produits à l’armée.

Pendant l’hiver de 1812–1813, dont il passa la plus grande partie à la frontière du Niagara (probablement au fort George), Sheaffe ne s’occupa guère des questions civiles parce que sa santé était mauvaise et que la défense militaire lui causait des soucis. L’armistice signé après la bataille de Queenston Heights se termina le 20 novembre. Après qu’une invasion américaine près du fort Erie (Fort Erie, Ontario) eut été vainement tentée le 28 novembre, l’officier qui commandait les troupes britanniques à cet endroit, le lieutenant-colonel Cecil Bisshopp*, se mit à craindre une nouvelle tentative et demanda des renforts. Sheaffe répondit prudemment qu’on ne pouvait envoyer des troupes à un poste aussi lointain, où il était facile de les isoler et de les défaire, et il lui conseilla de se replier sur Chippawa si les Américains attaquaient. Indigné, Bisshopp fit connaître la suggestion de Sheaffe à un conseil d’officiers et ceux-ci s’offensèrent de ce que leur commandant ait approuvé l’idée de la retraite. Même s’il s’agissait en principe d’une stratégie militaire valable, on estima que Sheaffe avait été imprudent de faire une telle suggestion avant que cela ne devienne nécessaire et le bruit ne tarda pas à courir qu’il était un traître. Il perdit du prestige auprès de nombreux officiers de l’armée et de la milice, notamment le capitaine Andrew Gray, sous-quartier-maître général, et auprès d’une partie importante de la population civile ; ce revirement d’opinion inquiéta Prévost.

Pendant tout l’hiver de 1812–1813, Sheaffe poursuivit ses efforts en vue de combler les lacunes en matière de défense dans la province. Une de ses plus grandes préoccupations était la nécessité d’obtenir la suprématie navale sur les Grands Lacs à l’ouverture de la saison de navigation [V. George Benson Hall*]. Il savait bien que le commodore Isaac Chauncey de la marine des États-Unis avait virtuellement acquis la maîtrise du lac Ontario juste avant le gel hivernal. À la mi-décembre, il avait conçu avec d’autres personnes un plan qui visait « à l’amélioration [des] effectifs maritimes » en équipant et en armant de nouveaux navires à Kingston, à York et à Amherstburg. Durant une partie des mois de janvier et février, toutefois, la maladie l’empêcha à ce point de travailler que Prévost ordonna au colonel John Vincent*, l’officier supérieur qui, dans le Haut-Canada, venait immédiatement après lui, de se rendre au fort George et de se tenir prêt à prendre le commandement de la province. En dépit de sa maladie, Sheaffe fut en mesure de seconder la mise sur pied de nouvelles unités, dans le but évident, encore une fois, de raffermir les défenses de la province. Il accueillit favorablement la proposition faite par le colonel William Caldwell* de constituer un corps de rangers semblable aux Butler’s Rangers qui avaient servi pendant la guerre d’Indépendance américaine. En février, Sheaffe défendit la proposition de Caldwell auprès de Prévost. Les Western Rangers, également appelés les Caldwell’s Rangers, furent créés en mars, et il se peut que le crédit en revienne partiellement à Sheaffe.

Sheaffe ouvrit la législature du Haut-Canada le 25 février 1813 et la prorogea le 13 mars. Ce fut la seule session qu’il présida, mais la chambre d’Assemblée accéda à la plupart de ses demandes. Les principales mesures adoptées furent la confirmation que les « billets de l’armée » autorisés par l’Assemblée du Bas-Canada avaient cours dans le Haut-Canada, la permission accordée au lieutenant-gouverneur d’interdire l’exportation du grain ou sa distillation, et l’allocation de rentes annuelles aux miliciens invalides, ainsi qu’aux veuves et aux enfants de ceux qui avaient été tués. Les modifications aux lois de la milice constituaient peut-être les mesures les plus importantes, car elles visaient à accroître l’efficacité de la milice du Haut-Canada, un des objectifs que Prévost avait demandé à Sheaffe de chercher à atteindre, en même temps que l’accroissement de ses effectifs. En vertu de ces modifications, les compagnies de flancs-gardes furent remplacées par des bataillons de milice incorporée qui étaient composés de volontaires enrôlés pour la durée de la guerre. Pour attirer des volontaires, une prime d’engagement en argent fut offerte. Sheaffe revendiqua le mérite de cet encouragement, mais il fut déçu de voir que le montant autorisé par la chambre d’Assemblée n’était que de 8 $. Puisant dans la caisse de l’armée, il augmenta la prime à 18 $ et offrit des concessions de terre aux militaires de tous grades à la fin de leur service. On espérait former ainsi deux ou trois bataillons, mais un seul fut mis sur pied en 1813, et les officiers furent choisis dans les régiments des troupes régulières.

Dans sa conduite de la guerre, Sheaffe refusa toujours de prendre des risques, et cette attitude était conforme à la tactique de Prévost qui entendait mener une guerre défensive consistant essentiellement à tenir Montréal et Québec. En mars 1813, Prévost exhorta Sheaffe à ménager ses énergies « pour un effort prochain » et à montrer un « comportement et [une] obstination compatibles avec la défense, à laquelle [la] puissance actuelle [de son armée] et [ses] préparatifs récents [le] destin[aient] si bien ». Commandant avisé et méthodique, Sheaffe repoussa la proposition faite par John Vincent d’attaquer le fort Niagara ce printemps-là, car les Indiens et les navires n’étaient pas disponibles en nombre suffisant à cette époque. Il chercha à renforcer les défenses d’York, mais ses tentatives furent brusquement interrompues.

Le 26 avril, une flotte américaine apparut à l’ouest de la capitale et, le lendemain, les envahisseurs mirent pied à terre et établirent rapidement une tête de pont. Aux quelque 1 700 soldats de l’armée régulière des États-Unis, appuyés par les canons de 14 navires, Sheaffe ne pouvait opposer qu’environ 700 réguliers et miliciens, et de 50 à 100 Indiens. Une action retardatrice était la seule forme de combat qu’il pouvait livrer ; il eut été inutile de se faire tuer ou capturer, ou encore d’exposer ses troupes à de lourdes pertes. Après un court engagement, il décida de battre en retraite vers l’est, sur Kingston, après avoir détruit un navire en construction, les magasins de la marine et la plus importante poudrière. Le soin de composer avec les Américains fut laissé aux officiers supérieurs de la milice de la ville. C’était une bonne tactique militaire, et la preuve la plus évidente en est peut-être cette réaction du secrétaire d’État américain à la Guerre, John Armstrong : « Nous ne pouvons douter que chaque fois qu’un commandant britannique sera réduit à une action défensive, sa règle de conduite sera celle de Sheaffe : choisir de sauver ses troupes plutôt que sa position, emporter l’amande et ne nous laisser que l’écale. » Malheureusement pour Sheaffe, la position qu’il avait abandonnée était la capitale provinciale, où demeuraient des citoyens aussi influents que John Strachan*, William Allan et William Chewett* ; par leur critique acerbe de la retraite ordonnée par Sheaffe et de sa conduite, ces gens contribuèrent à mettre un terme à sa carrière au Canada. Le débat sur son comportement à York dure encore aujourd’hui.

Le problème de la loyauté des civils s’accrut après la prise d’York par les Américains et pendant les combats qui eurent lieu dans la presqu’île du Niagara en mai et au début de juin, période durant laquelle Sheaffe était encore à Kingston. Prevost, qui avait rejoint Sheaffe à cet endroit en compagnie du commodore sir James Lucas Yeo*, lui avait permis après sa retraite d’imposer la loi martiale si nécessaire afin de soutenir ses troupes et de venir à bout des dissidents [V. Elijah Bentley*]. Sheaffe ne voyait cependant aucun avantage à utiliser la loi martiale et il refusa de recourir à ce pouvoir, affirmant que, à titre de président de la province, il n’avait pas l’autorité constitutionnelle pour le faire.

Lorsque les envahisseurs américains eurent été repoussés dans la presqu’île, Sheaffe se vit retirer par Prevost ses commandements civils et militaires, et il fut remplacé le 19 juin 1813 par le major général Francis de Rottenburg*. Quatre jours plus tôt, les membres du Conseil exécutif « résidant » alors à Kingston, William Dummer Powell, Thomas Scott* et John McGill*, avaient louangé Sheaffe pour sa gestion et pour son rôle à la bataille d’York ; il semble que le général avait encore des amis importants dans le Haut-Canada. Cependant, Prevost était si mécontent de lui qu’il fit savoir à lord Bathurst, secrétaire d’État aux Colonies, que le même Sheaffe avait « perdu la confiance de la province à cause des mesures qu’il avait prises pour la défendre ». De l’avis de William Dummer Powell, qui fut probablement le conseiller le plus proche de Sheaffe dans les affaires civiles, ce dernier « fut sacrifié à l’ignorance et à la jalousie de ceux qui n’avaient pas l’intelligence de comprendre son caractère, où la vérité et l’honneur prédominaient au point de donner à son comportement un air de faiblesse ».

Plus tard, Sheaffe reçut l’ordre de prendre le commandement des troupes dans le district de Montréal, fonction qui comportait peu de responsabilités car aucun combat ne se déroulait dans cette région. En juillet, Prevost le critiqua néanmoins pour son « indifférence » dans l’accomplissement de sa tâche et il exigea de lui un « appui actif ». Sheaffe fut dérouté par cette accusation. La correspondance n’indique pas avec précision de quelle façon il manquait à son devoir, mais Prevost était tout à fait déçu de lui. Bien qu’il se soit montré plus assidu que Brock dans la conduite de la guerre défensive préconisée par Prevost, Sheaffe avait négligé de tenir ce dernier au courant de ses projets et il avait été incapable de le convaincre qu’il suivait ses instructions. Même lorsqu’il fut question de lui retirer son commandement à Montréal, il affirma mollement que Prevost était mal informé, mais il ne fit aucun effort pour combler cette lacune. Le 27 septembre, il fut remplacé par Prevost, qui avait quitté le Haut-Canada pour revenir à Montréal, et il fut mis à la tête des troupes de réserve. Cependant, Prevost avait déjà écrit à Londres au sujet du rappel de Sheaffe. Des ordres à cet effet furent envoyés en août 1814, mais son départ fut retardé jusqu’en novembre.

De retour en Angleterre, Sheaffe et sa famille vécurent à Penzance, puis à Worcester et, en 1817, ils s’établirent à Édimbourg, où Sheaffe passa la plupart des années qui lui restaient. Bien que sa nomination à l’état-major de l’armée, obtenue le 25 mars 1813, ait été par la suite annulée et différée, il fut promu lieutenant général en 1821 et général en 1838. Il était devenu colonel du 36e d’infanterie en 1829.

Soldat de profession, expérimenté, sir Roger Hale Sheaffe essaya de mener la guerre de 1812 dans le Haut-Canada d’une manière conforme à la tactique défensive de sir George Prevost, et cette méthode convenait sans aucun doute à son caractère prudent. Il est donc ironique de constater qu’il ait perdu la confiance de Prevost pour avoir suivi cette directive, et que le nom de Brock, et non pas le sien, soit lié à la seule bataille qu’il ait remportée, grâce à une brillante manœuvre offensive.

Carol M. Whitfield et Wesley B. Turner

Des copies de lettres conservées par sir Roger Hale Sheaffe durant la guerre de 1812 ont été éditées par Frank H. Severance et publiées sous le titre de « Documents relating to the War of 1812 : the letter-bock of Gen. Sir Roger Hale Sheaffe », Buffalo Hist. Soc., Pub. (Buffalo, N.Y.), 17 (1913) : 271–381.

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Carol M. Whitfield et Wesley B. Turner, « SHEAFFE, sir ROGER HALE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sheaffe_roger_hale_8F.html.

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Auteur de l'article:    Carol M. Whitfield et Wesley B. Turner
Titre de l'article:    SHEAFFE, sir ROGER HALE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    20 nov. 2024