Sir Wilfrid Laurier est le seul maître de l’administration, et c’est ainsi qu’il affronte les défis qui se présentent à lui. Il exige de ses ministres et députés une solidarité indéfectible :
Jamais, [Laurier] n’admettrait qu’un ministre ne contrarie ses projets. Il pourrait alors devenir ferme, cassant, prêt à sacrifier ses meilleurs hommes pour ménager ses objectifs, la solidarité ministérielle, l’honnêteté de son gouvernement à laquelle il tiendrait mordicus. Pendant 15 ans à Ottawa, il n’y aura donc qu’un seul maître de l’administration.
Joseph-Israël Tarte, ministre des Travaux publics et lieutenant politique au Québec, s’écarte de cette voie. Il en paye le prix, comme le montre cet extrait de la biographie de Laurier :
Il fallait, en 1902, que Laurier fasse un geste péremptoire pour montrer hors de tout doute qu’il détenait le leadership dans le gouvernement. Concrètement, il devait mettre au pas Joseph-Israël Tarte, son bras droit au Québec, le fameux représentant des conservateurs modérés dans le cabinet qui, pendant que Laurier effectuait son voyage en Europe, à l’été de 1902, avait mené une campagne publique en faveur du renforcement du protectionnisme. Il s’agissait là d’un véritable affront à Laurier. Dès son retour au pays à la mi-octobre, Laurier frappa vite et dur en dépit de l’importance de Tarte au Québec : il l’obligea à démissionner.
Henry Robert Emmerson, ministre des Chemins de fer et Canaux, épuise la patience de Laurier :
Non seulement Emmerson buvait-il, mais il acquit une réputation de coureur de jupons [...] Ses longues et fréquentes absences des Communes suscitaient des critiques ; en 1906, Laurier perdit patience. Il rédigea de sa propre main une promesse qu’Emmerson dut signer. Le document disait que « jamais [...] plus [il ne] toucher[ait] à du vin, à de la bière, à un cocktail ou à quelque boisson alcoolisée » et qu’il donnerait au premier ministre une lettre de démission non datée et signée qui pourrait être utilisée s’il manquait à sa promesse. Sur le document, l’écriture ferme de Laurier est suivie de la signature tremblée d’Emmerson.
Emmerson quitta le cabinet peu de temps après.
Laurier accorde une importance primordiale à la solidarité ministérielle et à l’honnêteté de son administration. Sans avoir été personnellement accusé de malversation, il dirige un gouvernement qui n’est pas à l’abri des scandales et controverses. Les conservateurs attaquent méthodiquement l’intégrité des libéraux :
[Robert Laird] Borden et ses conservateurs [...] s’engagèrent, à partir de 1906, dans la démolition systématique de ce cabinet diminué : jusqu’en 1908, année où elle atteignit son paroxysme, ils menèrent une impitoyable campagne axée sur la corruption profonde des ministres et de leur département. Un slogan s’imposa : « Les femmes, le vin, le trafic d’influence. »
Parmi les cibles privilégiées des conservateurs figure le ministre de la Milice et de la Défense, sir Frederick William Borden :
[E]n 1907, la New Brunswick Cold Storage Company Limited toucha une grosse subvention [...] La compagnie était administrée par un gendre de Borden, mais lui-même en était le principal actionnaire ; en outre, il était un ami intime du ministre de l’Agriculture. Une fois l’affaire connue, il se départit à contrecœur de ses intérêts, du moins officiellement.
Ensuite, pendant les élections de 1908, une coalition de conservateurs et de défenseurs des bonnes mœurs [...] lança une offensive contre Borden. Ils lui reprochaient son favoritisme, ses présumées infidélités conjugales et son goût prétendument immodéré pour l’alcool.
Pressé de mettre un terme à la controverse générale, Laurier cherche à remettre de l’ordre dans les pratiques administratives de son gouvernement, comme en témoigne l’extrait suivant de la biographie de son ministre de l’Agriculture, Sydney Arthur Fisher :
En 1907, l'opposition accusait le gouvernement Laurier de favoritisme et de corruption. Une commission royale d'enquête sur la fonction publique, nommée la même année, révéla de la négligence, de la confusion et des lacunes. Le gouvernement ayant décidé d'agir, Fisher s'occupa l'année suivante de faire adopter la loi qui créait la Commission du service civil. Les commissaires Michel Gordon La Rochelle et Adam Shortt* veilleraient à l'application de cette loi importante, superviseraient les engagements et les promotions, et administreraient les examens.
Malgré des mesures de redressement, Laurier, selon son biographe, ne parvient pas à créer l’effet escompté :
[Laurier] institua des commissions d’enquête qui confirmèrent plusieurs irrégularités, fit adopter des lois telles celle sur le service civil et celle sur les élections qui assainit le financement des partis, mais, sur le fond, sa réaction apparut plutôt tardive, voire timorée. L’étoile du chef et de son parti démoralisé pâlit de cette bien désagréable situation qui laissa perplexes plusieurs Canadiens.
Pour de plus amples informations sur Laurier et son administration, nous vous invitons à consulter les listes de biographies suivantes.