En raison de leur situation géographique, il était inévitable que les provinces atlantiques fussent la première région du Canada à être connue des Européens. Mais quels furent les premiers explorateurs européens de cette région, on ne le saura peut-être jamais avec exactitude. On convient maintenant que l’Amérique du Nord a été « découverte » par les Européens plusieurs siècles avant l’époque de Colomb ; pourtant, jusqu’ici on ne possède pas de preuve concluante des voyages pré-norrois ; et, après les voyages norrois, les preuves s’évanouissent de nouveau, de sorte que, jusqu’à la fin du xve siècle, nous ne possédons que quelques récits légendaires de voyages européens en Amérique.
Au dernier quart du xve siècle, nous arrivons à une période bien différente. L’essor du commerce, les progrès de la science de la navigation et les rivalités internationales, tout indiquait, ainsi que nous le comprenons maintenant, que l’expansion de l’Europe occidentale dans l’Atlantique Nord et la découverte d’une route plus courte vers l’Extrême-Orient étaient sur le point de franchir une étape décisive. Au cours d’une telle étape, la région du golfe du Saint-Laurent et des provinces de l’Atlantique devait forcément devenir une zone critique ; les rivalités internationales et l’activité commerciale et colonisatrice allaient, en effet, s’y concentrer. Même avant les voyages de Colomb, les pêcheurs de l’Europe occidentale connaissaient apparemment les riches pêcheries de l’Atlantique Ouest. Comme l’écrit J. A. Williamson dans The Cabot voyages and Bristol discovery under Henry VII (Londres, 1962) : « Il n’y a pas de doute que dès 1480, sinon plus tôt, les marchands de Bristol entreprenaient des voyages pour découvrir des terres inconnues à l’ouest des Îles britanniques » [V. John Jay et Thomas Croft]. La lettre de John Day, découverte dernièrement, indique qu’ils y réussirent avant le voyage que fit Jean Cabot en 1497 : « On considère comme une certitude que le cap de ladite terre a été trouvé et découvert dans le passé par les hommes de Bristol qui ont trouvé le « Brasil » ainsi que votre Seigneurie le sait bien » (L.-A. Vigneras, The Cape Breton landfall : 1494 or 1497 ; note on a letter from John Day, CHR, XXXVIII (1957) : 228). Les hommes de Bristol dont il est question étaient peut-être Robert Thorne et Hugh Eliot. En tout cas, les voyages de Jean Cabot et sa découverte ou redécouverte de 1497 ont joui d’une large publicité à l’époque, bien que, depuis cette date jusqu’à maintenant, les avis diffèrent sur la route exacte, sur la situation du « pays du Grand Khan » ou de « l’île des Sept Cités » et sur le rôle de son fils Sébastien. Il est maintenant admis que Sébastien arriva plus au nord lors de son voyage de 1508 et, si l’on accepte son compte rendu, on peut en déduire qu’il a traversé le détroit d’Hudson jusqu’à l’embouchure de la baie d’Hudson. Il croyait avoir découvert l’entrée du passage du Nord-Ouest vers Cathay.
Si Jean Cabot peut avoir été le premier à explorer la côte orientale du Canada, il fut bientôt suivi, pendant les premières années du xvie siècle, par d’autres explorateurs audacieux, animés du désir de sonder l’Atlantique Nord et de bénéficier de découvertes vers l’Ouest : parmi eux, João Fernandes, les Corte-Real (Gaspar et Miguel) et, quelques années plus tard, João Alvares Fagundes, tous du Portugal; de France, partit Giovanni da Verrazzano en 1524 ; et, d’Espagne (1524–1525), Estevão Gomes. Du point de vue de l’histoire du Canada, il faut accorder une importance particulière aux voyages de Cartier vers le milieu des années 30 au xvie siècle, non seulement à cause de la place qu’ils occupent dans la suite des tentatives faites pour trouver une voie maritime vers l’Orient, mais parce qu’ils valurent aux Européens leur première relation exacte sur le Canada oriental. C’est à Cartier que revient l’honneur d’avoir découvert l’île Saint-Jean (île du Prince-Édouard), le nord du Nouveau-Brunswick, la péninsule de Gaspé et le majestueux Saint-Laurent qu’il a exploré et cartographié avec méthode. Le récit de ses explorations revêt une grande valeur, par la description minutieuse de la région qu’il vit et des Amérindiens dont il fit la connaissance. « Il ne paraît pas exagéré de dire, écrit W. F. Ganong, que les voyages de Cartier […] fournissent la clé de la cartographie du Golfe pour le reste du siècle » (Cartography of the Gulf of St. Lawrence, Cartier to Champlain, MSRC, VII (1889), sect. ii : 51).
En conséquence, ces marins explorateurs avaient reconnu la côte, du Groenland au Maine, et révélé aux Européens la vaste étendue des régions orientales du Canada. Cependant, leurs voyages ne furent pas plus décisifs, en fait de colonisation, que les découvertes de Cabot. Le milieu nordique opposait des difficultés formidables ; on n’y trouvait pas de sources évidentes de richesses telles que l’or et les pierres précieuses, le tabac et les épices ; bien des années devaient encore se passer avant que la colonisation suscitât un intérêt capable de surmonter ces difficultés.
Le voyage de Cabot avait attiré l’attention des hommes d’autres nations vers les pêcheries situées au delà de l’Islande et que les gens de Bristol cherchaient depuis la dernière décennie du xve siècle. Cabot et ses compagnons, écrivait Raimondo de Soncino dans une lettre au duc de Milan en date du 18 décembre 1497, affirmaient que « la mer y grouille de poisson, qu’on peut prendre non seulement au filet mais dans des paniers lestés d’une pierre pour qu’ils s’enfoncent dans l’eau […] Ces mêmes Anglais […] disent qu’ils pourraient ramener tant de poisson que ce royaume n’aurait plus besoin de l’Islande… » (Williamson, Cabot voyages (1962), 210). Même si les pêches d’Islande gardèrent toute leur importance pour les pêcheurs anglais pendant la première moitié du xvie siècle, la nouvelle de la découverte ne tarda pas à se répandre et alors commencèrent les voyages annuels des Bretons, des Français et des Portugais vers Terre-Neuve, car le poisson faisait toujours l’objet d’une demande constante et très forte en Europe en tant que denrée alimentaire.
Les Bretons vinrent dès 1504, et les Portugais, en 1506. Les Normands Jean Denys et Thomas Aubert firent connaître à leurs compatriotes les pêcheries au large de la péninsule d’Avalon et de Bonavista. Les pêcheurs portugais s’établirent aussi sur la côte de l’Est après 1506. En 1512, un capitaine basque du Cap-Breton reçut la permission de se rendre aux terres neuves et plusieurs Basques y pêchaient sans aucun doute au cours du premier quart du siècle (La Morandière, Histoire de la pêche française de la morue, I : 227s.). Lorsque Cartier poussa sa navigation au delà en 1534, des Bretons fréquentaient le détroit de Belle-Isle. H. A. Innis (The cod fisheries, 25) déduit, de la date de départ des vaisseaux, que la pêche sur les bancs s’établit après les pêches côtières, vers le milieu du xvie siècle.
Il faut noter que la méthode de pêche eut des effets profonds sur l’histoire de la région. Les Français et les Portugais, qui disposaient d’abondants approvisionnements de sel, avaient recours à la méthode de conservation « humide » ou « verte », en vertu de laquelle la morue était jetée, à l’état frais, à fond de cale, où des couches de sel servaient à la conserver. Les Français pouvaient, grâce à cette méthode, exploiter la pêcherie des bancs, tandis que les Anglais, qui, manquant de sel, devaient en acheter aux Portugais, se voyaient limités à la pêche au large de la côte orientale de Terre-Neuve. Pendant le troisième quart du xvie siècle, les Anglais mirent au point une méthode « sèche » de conservation du poisson : la morue était nettoyée, salée légèrement et séchée au soleil. À mesure que les pêches portugaises et espagnoles diminuaient vers la fin du siècle, les Anglais trouvaient un débouché de plus en plus considérable pour leur morue séchée dans les pays méditerranéens. Les pêcheurs basques de France et leurs commanditaires de La Rochelle adoptèrent peu à peu la méthode « sèche » pour alimenter le marché espagnol. L’essor rapide d’un vaste marché domestique incitait Bretons, Normands et Biscayens à exploiter d’autres pêcheries au large des côtes sud, ouest et nord de Terre-Neuve, au large de Gaspé, du Cap-Breton, de la Nouvelle-Écosse et dans le golfe, où l’on trouvait en abondance une morue plus grosse et de qualité supérieure.
En descendant à terre dans ces régions, les pêcheurs entraient en relations avec les Amérindiens désireux de se procurer des marchandises européennes, de sorte que la traite se développa bientôt en tant qu’à-côté avantageux. À Terre-Neuve même, les Blancs avaient peu de rapports avec les Béothuks, qui se réfugièrent dans des coins éloignés de l’île, probablement à cause de persécutions dont ils étaient l’objet. Sur le continent, les relations s’établirent surtout avec les Micmacs et les Malécites qui habitaient le littoral oriental et avec qui les Français devaient avoir les relations les plus fructueuses, faisant en réalité de ces tribus leurs fermes alliés. Parmi les fourrures qu’obtenaient les pêcheurs, les peaux de castor devinrent les plus précieuses après le milieu du siècle, parce que les chapeliers en avaient découvert l’utilité pour la fabrication du feutre. Les pelleteries furent bientôt très recherchées, si bien que, dès 1569, certains pêcheurs français décidaient de faire le voyage du Canada simplement pour se procurer des fourrures. Vers la fin du siècle, la pêche et le commerce des fourrures atteignaient de telles proportions que des groupes de marchands commencèrent à demander des chartes pour s’en assurer le monopole : la France accorda la première de ces chartes à Jacques Noël en 1588. Cependant, il était à peu près impossible de faire respecter les monopoles à cause du grand nombre d’hommes qui voyaient dans le commerce des pelleteries l’occasion de faire rapidement fortune. La rivalité devint si âpre que les marchands en vinrent à établir des postes de traite pour se rapprocher de la source des approvisionnements et se mettre en meilleure posture pour soutenir la concurrence. Le commerce des fourrures donna donc naissance au régime des monopoles qui permit de financer les explorations et la colonisation qui s’ensuivirent.
Toutefois, à Terre-Neuve, à l’inverse du continent, la pêche restait dominante et c’est d’elle que devait venir la colonisation. Comme la pêche « sèche » dépendait davantage des installations permanentes que la pêche « verte » sur les bancs, des hommes commencèrent à rester pour hiverner, pour préparer le bois d’œuvre nécessaire aux constructions et à d’autres installations à terre, et aussi pour protéger les biens laissés sur les lieux. Ainsi que nous l’avons vu, les intérêts anglais se concentraient surtout le long du littoral oriental de la péninsule d’Avalon, où se trouvait Saint-Jean, et l’Angleterre en vint à assumer une sorte de domination sur la région et sur la pêche qu’on y faisait. À la fin du xvie siècle, un élément de nationalisme s’ajouta aux motifs purement commerciaux, comme l’indiquent la prise de possession solennelle de sir Humphrey Gilbert au nom de la reine Élisabeth en 1583 et l’attaque dévastatrice de sir Bernard Drake contre la flotte terre-neuvienne des Espagnols en 1585.
Entre-temps, la France n’avait pu accorder que peu d’attention au Canada. Pendant 60 ans, après les voyages de Cartier, les guerres de religion l’absorbèrent au point qu’elle ne put patronner officiellement des entreprises outre-mer. Marchands et pêcheurs de Bretagne et de Normandie restèrent donc en somme livrés à leurs seules ressources. Cependant, à la fin du siècle, on perçut un certain regain d’intérêt. La tentative malheureuse de Troilus de La Roche de Mesgouez pour établir en 1598 une colonie à l’île de Sable (île de Bourbon) aboutit à un échec absolu ; mais la pacification de la France, triomphe de Henri IV, ouvre une nouvelle période d’exploration et de colonisation françaises dans la région du golfe et du fleuve Saint-Laurent. Comme le roi était trop pauvre pour supporter les frais de telles entreprises, la solution était évidemment d’octroyer une charte stipulant l’aide à la colonisation en retour du droit exclusif à la traite des fourrures. Pierre Du Gua de Monts obtint une telle charte en 1603, à la suite de quoi il établit un fort en 1604 à l’île Sainte-Croix, en Acadie, lequel fut abandonné l’année suivante en faveur d’un nouvel emplacement, celui de Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.). Même si la fondation de Québec en 1608 conduisit les Français à faire porter leur principal effort vers le Saint-Laurent, l’établissement de Port-Royal constitua une étape importante puisqu’il démontrait que les Européens pouvaient vivre toute l’année au Canada. C’est le commencement, non seulement de la colonisation française dans le territoire connu maintenant sous le nom de Canada, mais aussi de l’Acadie française qui est demeurée un élément durable de la culture canadienne jusqu’à nos jours. On peut dire qu’au xviie siècle l’Acadie était une région mal définie ; en gros, on peut affirmer qu’elle comprenait tous les territoires actuels du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Cap-Breton, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la plus grande partie du Maine septentrional et une partie du Québec au sud du Saint-Laurent.
En choisissant l’Acadie pour son entreprise, M. de Monts, qui s’était déjà rendu à Tadoussac sur le bas Saint-Laurent, avait estimé que, située plus au sud que le Saint-Laurent, cette région devait échapper aux grands froids de l’hiver, qu’elle serait peut-être une bonne base de départ pour découvrir la route de l’Asie par l’ouest et qu’elle avait l’avantage d’être à proximité des pêcheries. Tout comme dans la vallée du Saint-Laurent, la colonisation de l’Acadie à ses débuts doit beaucoup aux motifs religieux et à l’appui que l’œuvre missionnaire trouva en France auprès de riches protecteurs. La religion entra donc dans l’écheveau bien mêlé des rivalités dont l’Acadie fut le théâtre au xviie siècle et qui dressaient les Français non seulement contre les Anglais, mais les uns contre les autres, ainsi que nous allons le voir.
L’Angleterre partageait l’intérêt accru à l’égard de la colonisation du Nouveau Monde qui se généralisait au cours des premières années du xviie siècle, intérêt qui se portait aussi bien sur Terre-Neuve que sur la Virginie, mais avec des résultats bien différents dans un cas et dans l’autre. En 1610, la London and Bristol Company reçut une charte de Jacques Ier pour faire la traite et fonder une colonie à Terre-Neuve. La même année, John Guy, de Bristol, établissait une colonie à Cuper’s (Cupids) Cove, à la baie de la Conception, sous le régime de cette charte. La colonie de Guy dura environ 18 ans, mais ne fut pas un grand succès. Ce fut aussi le cas de deux autres tentatives effectuées au cours des quelques années suivantes, notamment celle de sir George Calvert (lord Baltimore) qui établit sa petite colonie à Ferryland mais qui trouva bientôt le climat et les perspectives trop décourageants. Cependant ces difficultés ne constituaient pas les seuls obstacles à la colonisation. Des établissements de pêche se trouvaient déjà dispersés le long du littoral et ils étaient vus d’un bon œil par les armateurs de Londres et de Bristol qui, importateurs du vin des Canaries, souhaitaient en effet développer leurs chargements de vin blanc et de lingots, grâce au poisson qu’ils achèteraient à Terre-Neuve pour l’exporter en Espagne.
Mais ces projets se trouvaient nettement en contradiction avec les intérêts des pêcheurs du pays de l’Ouest, c’est-à-dire des ports du Dorset, du Devon, du Somerset et de Cornouailles, qui, pour reprendre le mot de G. O. Rothney, « désiraient voir autant d’étrangers que possible rivaliser avec les Londoniens pour l’achat de leur produit et ne voulaient pas que les habitants rivalisent pour le vendre » (Newfoundland from international fishery to Canadian province (CHA Booklets, X, Ottawa, 1959), 6). Ils avaient établi leur pêcherie grâce à des voyages annuels et, au début du xviie siècle, ils expédiaient jusqu’à 300 navires et 3 000 pêcheurs à travers l’Atlantique chaque été, tandis qu’ils employaient 20 000 hommes en Angleterre. Leurs opérations de pêche « sèche » exigeaient beaucoup d’espace à terre dans toutes les anses et tous les ports naturels : avec le temps, ils en étaient venus à considérer Terre-Neuve en somme comme leur propriété. « La colonisation officielle amenait avec elle l’administration civile, qui, à son tour, avait pour conséquence l’immigration régulière, la croissance des établissements et la perte, pour les habitants, du monopole de la pêche, comme on l’avait vu en Nouvelle-Angleterre » (G. S. Graham, Britain’s defence of Newfoundland : a survey from the discovery to the present day, CHR, XXIII (1942) : 260–279).
Avec l’esprit nationaliste du xviie siècle allait de pair la croyance, généralement acceptée dans les pays européens intéressés, que la pêche constituait une école de formation de marins. Pendant tout le siècle, les marchands du sud-ouest de l’Angleterre, qui avaient d’immenses intérêts en jeu dans les pêcheries, se servaient de cet argument de façon persuasive au Parlement pour arrêter la colonisation à Terre-Neuve. L’âpre conflit des intérêts empêchait l’établissement du gouvernement civil à Terre-Neuve, non seulement au cours de cette période, mais même jusqu’au début du xixe siècle.
Pendant toute cette longue période d’anarchie gouvernementale, la balance penchait alternativement dans un sens et dans l’autre, mais les colons faisaient les frais de ces vicissitudes, sans être pour cela épargnés par les actes de violence et les effusions de sang qui se répétaient, souvent d’une façon atroce. À tous les autres désordres s’ajoutaient les incursions de pirates, auxquelles se livraient des boucaniers célèbres tels que Peter Easton et sir Henry Mainwaring. Terre-Neuve devint ainsi, pour son malheur, selon le mot si juste d’un écrivain, « la proie de l’infortune historique » (PRO, Acts of P.C., col. ser., 1613–1680, XXIX).
Le 24 janvier 1633/1634 les gens du sud-ouest de l’Angleterre paraissaient avoir remporté une victoire décisive en obtenant, par lettres patentes connues sous le nom de Charte occidentale, un règlement d’une durée indéfinie qui plaçait les colons et le littoral sous leur dépendance. Parmi les pratiques traditionnelles qui recevaient ainsi force de loi se trouvait celle qui reconnaissait en tant qu’amiral d’un port le capitaine du premier navire arrivé au printemps. Les amiraux de la pêche possédaient l’autorité voulue pour faire respecter la Charte occidentale dans leurs ports respectifs de Terre-Neuve. En théorie, on pouvait interjeter appel auprès du maire de l’un ou l’autre des huit ports du sud-ouest de l’Angleterre, mais les maires donnaient toujours raison aux amiraux du Sud-Ouest.
En 1637, l’état extrêmement troublé des affaires se compliqua de la concession en toute propriété de l’ensemble de l’île à sir David Kirke et à ses associés, appuyés par les armateurs des « sack-ship » de Londres, bien qu’il fût précisé qu’il fallait respecter le règlement établi sous le régime de la Charte de l’Ouest. Pendant quelque temps, Kirke, siégeant à Ferryland, donna au littoral en ébullition une brève période de paix ; mais, pendant la Guerre civile, il porta le stigmate de partisan de la monarchie et le triomphe de la cause du Parlement entraîna sa ruine. Arrêté en 1651 et emmené prisonnier en Angleterre, il y mourut en 1654. Le gouvernement du Commonwealth [V. John Treworgie] expédia des commissaires, mais, ni pendant les années 50 du xviie siècle ni au cours de la Restauration, on ne put régler d’une façon durable l’âpre conflit d’intérêts qui se déroulait à Terre-Neuve, et les colons restaient les principales victimes de l’incertitude. De fait, la pression qui s’exerçait pour qu’on les retirât tout à fait de l’île, amorcée sur divers points, s’accrut jusqu’à ce qu’en 1671 un décret du conseil déclarât qu’on mettrait en vigueur le règlement existant depuis les années 30, mais resté lettre morte, qui interdisait à tout colon de vivre à moins de six milles de la côte. En 1675, le commodore du convoi annuel des navires de pêche, sir John Berry, fut chargé de prévenir les Terre-Neuviens que, l’année suivante, on les transporterait soit en Angleterre soit dans les Antilles. À son retour en Angleterre, cependant, Berry, appuyé par des Terre-Neuviens déterminés tels que John Downing et Thomas Oxford, défendit les colons avec tant de vigueur qu’on ne mit jamais en œuvre le plan d’expulsion : une loi adoptée par le Parlement en 1699 améliora même quelque peu la situation des colons.
Au cours de la dernière année du siècle, l’Angleterre se trouvant dans l’impossibilité de faire appliquer ses règlements de douane inspirés du mercantilisme, Terre-Neuve devint le centre d’un remarquable commerce de réexportation et de contrebande effrénées, d’une rive à l’autre de l’Atlantique. « Terre-Neuve constituait une large ouverture dans le mur de l’autarcie nationale que les mercantilistes cherchaient à ériger autour de la métropole et de ses colonies » (Lounsbury, British Fishery at Nfld., 202). La décennie de 1690–1700 se passa néanmoins, ainsi que nous allons le voir, dans l’ombre de la guerre anglo-française qui éclata en 1689.
Pendant ce temps, la situation n’était guère moins orageuse en Acadie, par suite non seulement des luttes entre les Français eux-mêmes, mais aussi des rivalités internationales, surtout entre l’Angleterre et la France. Ces deux pays revendiquaient cette région, l’Angleterre parce qu’elle l’avait découverte la première et la France, du droit du premier occupant. La lutte entre Anglais et Français pour la possession de l’Acadie devait se prolonger jusque pendant le xviiie siècle. Elle commença en 1613 avec la destruction de Port-Royal par le capitaine anglais Samuel Argall. Ce dernier épisode n’eut pas de résultat durable. Port-Royal fut en effet reconstruit et réoccupé par les Français commandés par Charles de Biencourt de Saint-Just et des avant-postes furent établis au cap de Sable, La Hève et Pentagouet, sur la Penobscot.
Cependant, la situation va se modifier lorsque, en 1621, Jacques Ier concède l’Acadie à sir William Alexander, comte de Stirling, sous le nom de Nouvelle-Écosse. En 1624, sir William reçoit l’autorisation de créer, moyennant un droit de chancellerie, des baronnets de Nouvelle-Écosse. En 1629, sous la direction de son fils, sir William Alexander le jeune, on tente de fonder une colonie, dont l’histoire, brève et confuse (où interviennent les Alexander, sir David Kirke, les Saint-Étienne de La Tour, sir James Stewart (lord Ochiltree), Charles Daniel et d’autres), met en lumière la complexité déroutante des rivalités, personnelles et internationales, qui régnaient dans l’Acadie à ses débuts. En 1627, les hostilités éclatèrent entre la France et l’Angleterre et les Anglais s’emparèrent de l’Acadie ainsi que de Québec. Cette cession de l’Acadie à l’Angleterre, la première parmi trois changements de possession qui se produisirent au cours du même siècle, ne devait pas durer. En 1632, l’Acadie, tout comme Québec, revenait à la France et la tentative de colonisation des Alexander prenait fin.
La France décida alors qu’il fallait envoyer des paysans pour coloniser le Nouveau Monde. Les premiers arrivèrent en Acadie avec le gouverneur Isaac de Razilly en 1632. Ils s’établirent à La Hève, mais par la suite allèrent s’installer à Port-Royal. Ces cultivateurs ont été les premiers des Acadiens, peuple solide et vigoureux, que caractérisaient un fort attachement à la terre et une grande fécondité. À mesure que leur nombre croissait, ils se répandaient dans toute l’Acadie pour réaliser une expérience très réussie de colonisation. Cependant, il faut ajouter qu’ils y réussirent en dépit de la négligence de la métropole et de l’hostilité des Anglais qui fondaient de fortes colonies au sud. Ce sont les gentilshommes-aventuriers, les compagnies de traite et cette petite bande de pionniers qui ont lutté pour défendre les intérêts français en Acadie.
Toutefois, la situation frisa l’anarchie pendant un certain nombre d’années. En 1640, l’Acadie était gouvernée par trois hommes : Menou d’Aulnay, Nicolas Denys et Charles de Saint-Étienne de La Tour, qui avaient chacun un territoire à administrer dans lequel chacun possédait le monopole de la traite. La lutte armée éclata entre ces trois hommes en vue de la suprématie, et la colonisation en fut considérablement entravée. À la mort de M. d’Aulnay en 1650, la paix fut rétablie et de nouveaux colons s’établirent sur ces terres. En 1654, un parti d’Anglais commandé par Robert Sedgwick s’empara de toute l’Acadie, à l’exception de l’extrême nord, mais, au cours des 13 années suivantes, les propriétaires anglais Temple et Crowne ne firent aucune tentative véritable pour coloniser l’Acadie. En 1667, le traité de Breda rendait ce territoire à la France.
Dans la région de Terre-Neuve, le début des années 1660 fut marqué par une accentuation notable de la rivalité entre la France et l’Angleterre. On peut attribuer au grand Colbert le mérite d’avoir favorisé la tendance naturelle des Français à l’expansion dans l’Atlantique septentrional, mais c’était en vue d’acquérir la suprématie navale aussi bien que commerciale, conformément à la doctrine du mercantilisme. Les pêcheurs français s’étaient assuré la suprématie sur la côte méridionale de Terre-Neuve pendant de nombreuses années, mais on n’y trouvait que peu de colons établis en permanence. Plaisance (Placentia) fut fortifiée en 1662, sous les ordres de M. Du Perron, pour servir de base sûre aux vastes pêcheries, de port d’escale aux convois venant de Québec ou s’y rendant, et pour protéger les possessions françaises de l’Amérique du Nord. Plaisance, rattachée à la Nouvelle-France pour les fins administratives, devenait un bastion de la puissance et de l’influence françaises et le demeura jusqu’à sa perte définitive aux termes du traité d’Utrecht, en 1713.
Lorsqu’il reprit l’Acadie en 1670, le gouvernement français se préoccupa davantage de mettre en valeur ses établissements acadiens. On remarqua que, si l’on avait réalisé de forts bénéfices avec la traite des fourrures et la pêche, le défrichement de nouvelles terres avait très peu progressé. Cela tenait surtout à ce que les compagnies de commerce se désintéressaient à peu près complètement de la colonisation. Voilà pourquoi on introduisit le régime seigneurial. Les premières seigneuries furent concédées en 1672 à Martin d’Aprendestiguy de Martignon, à Joybert de Soulanges et à Jacques Potier de Saint-Denys. Mais ce régime, sous lequel les meilleurs endroits de l’Acadie devinrent des terres seigneuriales, fut un échec aussi bien pour la culture des terres que pour le peuplement. La plupart des concessionnaires, en effet, ne firent à peu près rien pour mettre leurs biens en valeur. Le fait que le territoire changea plusieurs fois de maître fut une autre entrave à la colonisation.
L’Acadie et Terre-Neuve subirent des incursions de la part des Hollandais pendant la deuxième et la troisième guerres anglo-hollandaises. En 1665, les Hollandais, commandés par de Ruyter, pillèrent les navires et les installations des avant-postes ; ils attaquèrent Saint-Jean l’année suivante et Ferryland en 1673. En 1676, ce fut le tour de Plaisance et la destruction de la flotte française de pêche dans ces parages. De plus, vers la même époque, un navire hollandais, commandé par Jurriaen Aernoutsz, s’empara des forts français de Port-Royal, Penobscot et Jemseg en 1674 et déclara l’Acadie territoire hollandais. En 1678, cependant, les Hollandais avaient disparu de la scène. Suivirent dix années de paix relative, même si continuaient les attaques non autorisées contre les navires et les établissements rivaux.
Au déclenchement de la guerre générale entre la France et l’Angleterre en 1689, le conflit, dans la région du golfe, connut une nouvelle phase qui devait durer avec des intermittences jusqu’au traité d’Utrecht en 1713. À Boston, on élabora rapidement des plans en vue d’une nouvelle attaque contre l’Acadie et, en 1690, sir William Phips partait à la tête d’une expédition qui prit Port-Royal, le goulet de Canseau et La Hève, mais échoua devant Québec. En même temps, les Français s’occupaient activement à réparer et à renforcer les fortifications de Plaisance. Des troupes régulières vinrent grossir la garnison et les établissements anglais de l’île furent attaqués à plusieurs reprises par des corsaires envoyés de Plaisance. Par représailles, un parti anglais tomba sur Plaisance en 1690, y tortura le gouverneur Antoine Parat et en enleva les canons, mais la ville fut rendue aux Français par la suite. Deux ans après, elle fut bombardée par des unités de la marine de guerre anglaise et, les deux années suivantes, Plaisance servit de base d’opérations pour une série d’attaques éclair, au cours desquelles Pierre Le
L’Acadie et Terre-Neuve se trouvaient entraînées dans le conflit qui dressait l’une contre l’autre les deux grandes puissances. La France n’avait pas accepté la mainmise partielle que l’Angleterre avait obtenue sur le territoire de l’Acadie en 1690. Joseph Robinau de Villebon, nommé gouverneur en 1691, réussit à reconquérir toute l’Acadie. Bien plus, de son poste de Naxouat (Nashwaak), il dirigea une vigoureuse contre-offensive au Massachusetts. Les bandes de maraudeurs français et amérindiens qu’il organisa se livrèrent à une série d’incursions sanglantes contre les établissements de la Nouvelle-Angleterre. En 1696, une expédition venue de la Nouvelle-Angleterre et commandée par le colonel Benjamin
Le traité de paix ne réglait que peu de choses : la guerre reprit en 1701. Espagnols, Portugais, Hollandais avaient disparu. L’âpre lutte pour la maîtrise économique et militaire de toute l’Amérique du Nord, de Terre-Neuve aux Antilles, se poursuivrait ; et, au cours de cette lutte, la région atlantique du Canada resterait le centre des tensions et des rivalités, à cause de la grande importance stratégique que lui conférait sa situation géographique de versant oriental du continent.
MacBeath, George. Director, Centennial Centre of Science and Technology, Toronto, Ontario.
George MacBeath, « la Région atlantique », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 (les Presses de l’univ. Laval, 1966 ; éd. corrigée 1986)