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SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR, CHARLES DE (son nom de famille fut peut-être Turgis), commerçant, colonisateur et gouverneur de l’Acadie ; né en 1593, probablement en Champagne, fils de Claude de Saint-Étienne de La Tour et de Marie de Salazar ; mort en 1666.
Le 25 février 1610, Charles partit de Dieppe pour l’Acadie avec son père et un groupe d’hommes dirigés par Jean de Biencourt de Poutrincourt, pour réoccuper l’établissement abandonné de Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.). Au cours des années suivantes, les affaires de l’Acadie furent le plus souvent entre les mains du fils de Poutrincourt, Charles de Biencourt. Ce dernier et La Tour, son lieutenant, étaient des amis intimes.
À la suite de la destruction de Port-Royal par Samuel Argall en 1613, Biencourt et ses hommes durent vivre parmi les Premières Nations durant un certain temps. Ne recevant que peu de ravitaillement ou de renforts de la France, Biencourt et La Tour ne purent reconstruire qu’en partie les bâtiments de Port-Royal. Ils délaissèrent à peu près complètement la colonisation et la culture pour se livrer à la traite des fourrures, commerce lucratif mais plein de risques, qui attirait chaque année des navires nombreux sur les côtes de l’Acadie. Quand Biencourt mourut, en 1623, La Tour lui succéda à la tête de la colonie. Peu après, celui-ci construisit, au cap de Sable, un poste fortifié qu’il nomma le fort Lomeron en l’honneur de David Lomeron qui était son représentant en France. Il s’y livra à la culture et à un commerce important de pelleteries avec les Premières Nations.
Quand, en 1627, il apprit que la guerre avait éclaté entre la France et l’Angleterre, La Tour commença à s’inquiéter de l’avenir. Depuis 20 ans, le gouvernement français ne se préoccupait guère de l’Acadie, la laissant sans défense et sans aide économique. Il ne restait à la France dans ce pays que le fort Lomeron de La Tour. Il comprit qu’il fallait agir sans tarder pour renforcer les défenses afin que l’Acadie restât française. Il écrivit donc à Louis XIII et au cardinal de Richelieu pour leur signaler le manque d’appui et leur apprendre que, exerçant les fonctions d’administrateur en Acadie à titre d’héritier de Biencourt, il avait gardé l’Acadie à la France. Il ajoutait qu’il avait formé une troupe mixte de Français et de membres des Premières Nations dont il s’était servi pour contrecarrer les tentatives des Anglais en vue de se livrer à la traite et à la pêche en Acadie. Il terminait en demandant des approvisionnements et des renforts, ainsi qu’une commission en bonne et due forme qui l’autoriserait à défendre le territoire. Le père de La Tour présenta ces lettres et put, en même temps, donner un rapport complet sur la situation en Acadie.
La demande de ravitaillement et d’hommes fut renvoyée à la nouvelle et puissante association de traite formée en cette année 1627, sous le nom de Compagnie de la Nouvelle-France, dite aussi des Cent-Associés, et autorisée à faire la traite avec les Premières Nations ainsi qu’à accorder des seigneuries pour favoriser la colonisation de la Nouvelle-France. Le printemps suivant, la compagnie dépêchait quatre navires, sous le commandement de Roquemont de Brison, chargés d’approvisionnements pour Québec et le cap de Sable. Trois navires, commandés par Sir David Kirke, qui accompagnaient des vaisseaux transportant William Alexander, le jeune, et ses colons, s’emparèrent des navires français (et de Claude de La Tour). Charles ne reçut donc aucun secours. Lorsque Québec tomba aux mains des Anglais en 1629, il ne resta aux Français, en Nouvelle-France, que le fort Lomeron.
Prisonnier des Anglais, Claude de La Tour épousa leur cause et promit d’y gagner son fils en échange d’une vaste concession de terre en « Nouvelle-Ecosse ». Il partit immédiatement avec deux bâtiments de guerre anglais transportant des colons et des soldats pour l’établissement anglo-écossais de Port-Royal. On fit escale au cap de Sable, et Claude s’empressa de mettre son fils au courant des événements. Il pria avec instance Charles d’abandonner cette dernière possession de la France en Acadie, pour accepter le titre et la généreuse concession de terre que les Anglais lui offraient. Selon le récit de Champlain, le jeune La Tour répondit avec énergie, « souhaitant plutot la mort que de condescendre à une telle meschanceté que de trahir son Roy ».
Ses exhortations restant vaines, Claude recourut à la force. Durant plus de 24 heures, des troupes, qu’il commandait sans doute en personne, attaquèrent le fort Lomeron, mais sans succès. Charles faisait ainsi triompher la cause de la France, tandis que son père, assez gêné, se voyait obligé de suivre les Anglais à Port-Royal.
Peu après, deux navires de la Compagnie de la Nouvelle-France, dépêchés par Jean Tuffet, directeur de la compagnie, arrivent au fort Lomeron chargés d’approvisionnements et de recrues, notamment des artisans et trois récollets. Bernard Marot, chef de l’expédition, apporte des lettres dans lesquelles la compagnie annonce à La Tour sa nomination au nombre des associés, et lui explique qu’on lui envoie vivres, armes et hommes pour lui permettre de construire une habitation là où il le jugera le plus utile. Bientôt, les artisans se mettent à l’œuvre pour agrandir et renforcer le poste du cap de Sable, apparemment rebaptisé fort La Tour (bien que Champlain l’appelle « Fort sainct Louys »). En même temps, Charles s’entretient avec Marot et les récollets de la situation de son père, puis décide de permettre à Claude de rentrer au cap de Sable.
La France recommençant à s’intéresser à l’Acadie, La Tour résolut de bâtir un poste de traite fortifié à l’embouchure de la rivière Saint-Jean, source la plus abondante de fourrures de toute l’Acadie. Il raisonnait que, de cette façon, il déjouerait les desseins que les Anglais pourraient entretenir à l’égard de cette région. La Tour dépêcha immédiatement en France un émissaire, Krainguille, pour demander les hommes et les matériaux nécessaires à la réalisation de son projet. Le 8 février 1631, Louis XIII signa une commission royale ayant pour objet de nommer Charles de La Tour gouverneur et lieutenant général du roi ; elle fut remise à l’intéressé soit par Laurent Ferchaud, soit par Krainguille, qui ramenait les matériaux que La Tour demandait pour son entreprise de Saint-Jean. Une fois le poste construit, on le nomma fort Sainte-Marie, et Jean-Daniel Chaline, un des lieutenants de La Tour, devint commandant de ce premier établissement de la rivière Saint-Jean. Le 18 septembre 1632, un corps de troupe écossais de Port-Royal, sous les ordres du capitaine Andrew Forrester, attaquait le nouveau fort, abattait une grande croix, endommageait la chapelle et pillait les approvisionnements. Peu de mois après, La Tour prenait et pillait le fort anglais de Machias pour bien faire comprendre qu’on ne pouvait attaquer ses postes impunément.
La France recouvra l’Acadie et le Canada à la suite de la signature du traité de Saint-Germain-en-Laye, en 1632. Isaac de Razilly reçut une commission de gouverneur en Acadie et l’ordre d’en prendre possession. Arrivé à La Hève à l’automne de la même année, il obtenait des Écossais la rétrocession de Port-Royal quelques mois plus tard. Comme le pays rentrait sous la dépendance de la France, La Tour passa dans la métropole pour obtenir de la compagnie la délimitation bien nette de son autorité et de celle de Razilly. En vertu de l’accord alors intervenu, Razilly devait exercer son autorité sur La Hève, Port-Royal et la région de la rivière Sainte-Croix. La Tour profita de son séjour en France pour recruter des colons destinés à son poste principal, qu’il transféra au fort Sainte-Marie en 1635. Tout indique que La Tour s’entendait bien avec Razilly et que, sous leur direction, le commerce florissait et que les colons étaient attirés vers la terre. Juste au moment où la situation en Acadie prenait une tournure de plus en plus encourageante, Isaac de Razilly mourut subitement en 1635, et il s’ensuivit une période de confusion et de conflits.
Claude de Rasilly succéda à son frère. Comme il jugeait nécessaire de demeurer en France, il délégua à son cousin, Charles de Menou d’Aulnay, le soin de surveiller les intérêts de la famille Razilly en Acadie. D’Aulnay et La Tour, tous deux hommes énergiques et ambitieux, et dont les commandements en Acadie n’étaient pas nettement départagés, ne tardèrent pas à entrer en lutte. L’histoire de l’Acadie, au cours de la décennie suivante, est surtout faite de ce différend qui dégénéra en conflit armé et paralysa la colonisation. Cette querelle déplorable entre nobles de même religion et de même allégeance eut pour résultat d’obscurcir à un degré étonnant l’histoire de cette période. De plus, les préjugés et les partis pris d’alors et d’aujourd’hui s’interposent comme un écran entre l’historien soucieux d’impartialité et la connaissance exacte des faits. Par bonheur, il reste assez de documentation pour nous permettre de retracer, avec une exactitude suffisante, l’étonnante querelle qui opposa La Tour et d’Aulnay.
En 1636, la Compagnie de la Nouvelle-France accordait à Claude de La Tour un poste de traite à Pentagouet (sur la Penobscot). Probablement bâti vers 1625 par La Tour (père), ce fort avait été pris par les gens de la Nouvelle-Angleterre en 1626, puis repris par d’Aulnay en 1635. La décision de la compagnie semble avoir soulevé la haine de d’Aulnay envers La Tour et la compagnie. D’Aulnay s’adressa directement au roi qui, en 1638, donna Pentagouet à d’Aulnay et tenta sans succès de partager entre eux le territoire situé à l’ouest de Canseau. Dans leur ignorance, les ministres de Louis XIII accordèrent à d’Aulnay le territoire situé au nord de la baie Française (baie de Fundy) mais non le fort Sainte-Marie, et à La Tour la partie péninsulaire de l’Acadie, mais non Port-Royal. Ces décisions ne font qu’aggraver la situation et la lutte se poursuit.
En vertu de dispositions arrêtées par la compagnie quelques années plus tôt, Razilly et La Tour se partageaient les frais et les bénéfices de la traite des fourrures. Cependant, quand La Tour se rendit à Port-Royal en 1640 pour y faire le compte des fourrures et des approvisionnements, on lui refusa la permission d’entrer et il semble qu’il en vînt aux coups avec d’Aulnay. Ce dernier se plaignit au roi de ce qu’il appelait un acte d’agression et il fut chargé de transmettre à La Tour l’ordre de rentrer en France pour expliquer sa conduite. La Tour s’y refusa catégoriquement, sous prétexte que l’ordre avait été obtenu à la suite d’un exposé erroné des faits. Tirant le meilleur avantage possible de ce refus, d’Aulnay put affermir graduellement sa situation à la cour. Le roi lui ayant prescrit de confier le fort La Tour à des « personnages fidèles », il prit le fort et le réduisit en cendres, gardant pour lui-même toutes les marchandises qu’il y trouva.
Quand il apprit que La Tour, privé de marchandises de traite et de ravitaillement venant de France, avait envoyé son lieutenant Nicolas Gargot à Boston pour y demander le droit de pratiquer la traite et y recruter des mercenaires, d’Aulnay se hâta de passer en France pour y accuser La Tour de trahison et d’irrespect envers la couronne en ce qu’il avait refusé de se présenter devant le roi. En août 1642, il rentra en Acadie porteur d’un ordre enjoignant à La Tour de comparaître devant le roi pour répondre à ces graves accusations.
La Tour et sa femme, Françoise Jacquelin, décidèrent qu’il valait mieux que celle-ci passe en France et qu’il reste en Acadie pour protéger ses intérêts. Rendue en France, Mme de La Tour obtint du vice-amiral l’autorisation pour la Compagnie de la Nouvelle-France d’envoyer un navire chargé de soldats et d’approvisionnements pour son mari. Parti en avril 1643, ce navire constata, à son arrivée dans la baie Française, que d’Aulnay avait établi le blocus du poste de Saint-Jean à l’aide de trois vaisseaux. Comme le navire de ravitaillement ne pouvait passer, La Tour réussit à s’y rendre à la faveur des ténèbres et à persuader le commandant de le mener à Boston. Là, La Tour fit voir l’autorisation que lui avait accordée le vice-amiral de France de recevoir des approvisionnements que d’Aulnay empêchait illégalement de passer et il obtint la permission de s’assurer une aide privée. En hypothéquant ses biens en faveur du major général Edward Gibbons de Boston, il put affréter quatre navires et engager un certain nombre de soldats.
Apercevant cette flotte dans la baie Française, d’Aulnay s’enfuit à Port-Royal, où La Tour le poursuivit pour réclamer le dédommagement des pertes qu’il avait subies, mais d’Aulnay refusa de négocier. La Tour attaque alors à la tête d’une troupe composée de ses propres hommes et d’un groupe de 30 volontaires anglais ; il bat les forces de d’Aulnay et brûle le moulin. Ce dernier ne tarde pas à porter plainte auprès du roi, accusant La Tour de rébellion pure et simple et de trahison pour s’être allié aux Anglais en vue de chasser les Français de l’Acadie. En conséquence, La Tour tombe dans le discrédit le plus complet auprès de la cour. Peu après, quand Mme de La Tour se rend de nouveau en France afin d’obtenir le ravitaillement dont son mari a un besoin désespéré, on lui refuse même la permission de quitter le pays, et elle doit fuir en Angleterre sous un déguisement.
Ayant gagné toute la faveur du roi, d’Aulnay engage des soldats, achète un bâtiment de guerre et des munitions, puis se rend à Port-Royal en septembre 1644. Vers la même époque, il signe un traité de paix avec les Anglais de Boston. On ne saurait douter que lui-même, tout comme La Tour, s’était livré au commerce avec les gens de la Nouvelle-Angleterre qui préféraient traiter avec La Tour mais qui s’efforçaient de se montrer impartiaux à cause de la crainte que leur inspirait d’Aulnay. Ce dernier dépêcha alors un agent à Boston pour y demander de l’aide dans sa lutte contre La Tour. On lui refusa cette aide, pour lui conseiller au contraire de faire la paix avec son rival. Ce conseil tomba dans l’oreille d’un sourd. Victorieux à la cour, il était bien décidé à l’être aussi sur le territoire acadien.
Au début de février 1645, La Tour étant absent de Saint-Jean, d’Aulnay attaqua le fort Sainte-Marie, mais fut repoussé avec de lourdes pertes. En avril, il apprenait par des déserteurs que La Tour se trouvait encore à Boston en quête de vivres et de marchandises de traite. D’Aulnay résolut d’attaquer de nouveau. Cette fois, il fut victorieux, mais plus par la ruse que par la force des armes. La nouvelle de la prise de son fort et de la mort de sa femme parvint à La Tour alors qu’il préparait à Boston son expédition de secours.
L’année suivante, Charles se rendit à Québec où le gouverneur Huault de Montmagny le reçut chaleureusement et lui offrit l’hospitalité au château Saint-Louis. Pendant les quatre années suivantes, il s’occupa activement de la traite, aida les Jésuites à poursuivre leur œuvre missionnaire et, au moins en une occasion, se battit avec les Hurons (Hurons-Wendats) contre les Iroquois (Haudenosaunee). Quand on apprit à Québec la mort de d’Aulnay, survenue en 1650, La Tour décida enfin de passer en France pour se justifier. Il y demanda une enquête sur sa conduite ainsi que sur les fautes que lui-même et la Compagnie de la Nouvelle-France pouvaient reprocher à d’Aulnay. On lui accorda cette enquête, à la suite de laquelle La Tour recouvra la faveur du roi : on rejetait sur d’Aulnay la responsabilité des luttes sanglantes qui avaient opposé les deux hommes.
La Tour, ayant recouvré ses biens et son brevet de gouverneur, réunit plusieurs familles de colons, notamment celle de son ami d’enfance, Philippe Mius d’Entremont, puis mit à la voile pour Port-Royal à l’été de 1653. Rentré en Acadie, il présenta à Mme d’Aulnay [V. Jeanne Motin] un ordre du roi qui lui rendait le fort de Saint-Jean. Ils étaient, lui et elle, fort endettés et désiraient vivement mettre un terme à la rivalité désastreuse de leurs factions. Aussi Mme d’Aulnay agréa-t-elle la demande en mariage que lui présenta La Tour. Plus tard, le même été, Emmanuel Le Borgne, à qui la succession d’Aulnay devait plus de 200 000#, arriva à Port-Royal pour demander le remboursement de cette dette. Constatant l’absence de La Tour, qui se trouvait au fort Sainte-Marie, il en profita pour emporter toutes les pelleteries qu’il put trouver. L’année suivante, Le Borgne s’efforça de saisir le fort de Saint-Jean, mais il échouera parce que La Tour avait été averti par Nicolas Denys.
Le 14 juillet 1654, une expédition anglaise dépêchée par Oliver Cromwell sous les ordres du major Robert Sedgwick entrait dans le port de Saint-Jean et sommait La Tour de se rendre. N’ayant que quelques canons, presque pas de munitions et ne pouvant opposer que 70 hommes aux 500 de l’ennemi, La Tour dut se plier à cette sommation. Fait prisonnier et emmené en Angleterre, il ne put voir Cromwell qu’en 1656. Il demanda qu’on lui rende ses biens, pour la raison que la paix régnait entre l’Angleterre et la France au moment où il était tombé aux mains des Anglais. Cromwell rejeta cette requête, consentant seulement à reconnaître les droits de La Tour comme baronnet de la Nouvelle-Écosse, titre hérité de son père, et cela à la condition qu’il prête serment de fidélité à l’Angleterre et acquitte les sommes qu’il devait aux marchands de Boston et les frais de la garnison que John Leverett maintenait à Saint-Jean. Découragé par la tournure des événements et abattu à la pensée des créanciers français qui les attendaient, lui et sa femme, La Tour accepta ces conditions. (Il n’est pas sans intérêt de noter qu’en 1700, le roi de France admit facilement qu’il comprenait les motifs de ce geste puisqu’il reconnut alors les droits des enfants de La Tour sur l’Acadie.) Pour réunir les 15 000# dont il avait besoin, La Tour s’associa avec William Crowne et Thomas Temple.
Peu de temps après, soit en septembre 1656, probablement parce qu’il détestait l’accord que les Anglais lui avaient imposé, il vend ses droits à ses deux associés, ne conservant qu’une faible proportion des bénéfices. Temple assume le commandement du fort de Saint-Jean, et Crowne, celui de Pentagouet. Il semble que La Tour se soit retiré avec sa femme au cap de Sable, où il mourut en 1666. En tout, il était demeuré 56 ans en Acadie, et c’est son nom qui domine durant la plus grande partie de cette période.
Charles de La Tour s’était marié trois fois. Le premier mariage, avec une jeune Micmaque dont on ignore le nom, avait été bénit en 1626. Il avait eu, de cette union, trois filles, dont deux entrèrent en religion et la troisième, Jeanne, épousa Martin d’Aprendestiguy de Martignon. Le deuxième mariage de La Tour, avec la vaillante Françoise Jacquelin, eut lieu à Port-Royal en 1640. Ils eurent un enfant qui, apparemment, mourut en bas âge. La Tour épousa sa troisième femme, Jeanne Motin, veuve de d’Aulnay, à Port-Royal en 1653. Ils eurent cinq enfants.
On ne saurait guère douter que La Tour resta fidèle à sa patrie jusqu’en 1656. Il est vrai qu’il eut, avant cette date, des rapports avec les Anglais, mais ce fut en temps de paix et d’une façon qui était courante à l’époque. Il est incontestable que La Tour aurait préféré recevoir de France les marchandises dont il avait besoin, mais les agissements de son rival eurent justement pour résultat de le forcer à s’adresser à Boston pour y trouver son ravitaillement. En fait, si on considère qu’il n’était pas soutenu par le gouvernement, trop souvent indifférent et peu prévoyant, on peut dire qu’il se donna beaucoup de mal pour maintenir la présence de la France en Acadie, bien qu’il ne fût qu’un trafiquant comme tel et pas autrement intéressé à la colonisation.
Quant à ses luttes ruineuses avec d’Aulnay, on admet généralement que La Tour fut le premier à user de violence, mais on n’en a aucune preuve. Eût-il consenti à se concilier cet ennemi vindicatif, ce conflit fratricide n’aurait peut-être pas pris une telle ampleur.
Charles de La Tour, qui semble devoir rester un personnage controversé, était ambitieux. Doué d’une grande intelligence et d’une forte volonté, il avait confiance dans son propre jugement. Chef né, il avait le don précieux de savoir se faire des amis et d’inspirer confiance par son intégrité. Ses relations avec la cour de France, avec Montmagny, les marchands de Boston et la veuve de d’Aulnay, sinon d’Aulnay lui-même, témoignent d’une habileté diplomatique peu commune, et encore plus étonnante chez un homme élevé dès sa jeunesse dans un pays aux conditions inhospitalières. Les pages de l’histoire d’Acadie tirent de sa présence une richesse supplémentaire.
ACM, B. 187, f.19.— AE, Mém. et doc., Amérique, 8.— AN, Minutier, XV : 31 ; XX : 156 ; LXVI : 28.— BN, mss, Fr. 18 593, f.373, NAF 9 281 (Margry), ff.69–129.— « Mass. Archives. »— Champlain, Œuvres (Biggar).— Charlevoix, Histoire de la N.-F.— Coll. de manuscrits relatifs à la Nouv.-France, II : 351–380, passim.— Denys, Description and natural history (Ganong).— Factum (1614).— Mémoires des commissaires, I : xiii, xxvi, xxxvii, 46–48, 71, 80–82, 84, 97, 106, 151 ; II : 276, 279s., 286–289, 493, 511 ; IV : 86, 126, 162s., 180, 224ss, 232–239, 241, 263, 305, 333, 443, 451, 499 ; et Memorials of the English and French commissaries, I : 17, 41, 43, 118, 120, 145–147, 155–157, 168, 176, 206, 337, 361, 369, 488, 525, 570, 576–579, 709, 727.— PRO, CSP, Col., 1574–1660 (V. « Delatour ») ; 1661–68 (V. « St. Stephen ») ; 1669–74 ; 1697–98 (V. « Delatour »).— Suffolk deeds, I : 6–10, 75s. ; III : 265, 268, 272, 276.— Winthrop’s journal (Hosmer) dans Original narratives (Jameson).— René Baudry, Charles d’Aulnay et la Compagnie de la Nouvelle-France, RHAF, XI (1957–58) : 218–241.— J. B. Brebner, New England’s outpost : Acadia before the conquest of Canada (New York, 1927).— Couillard-Després, Saint-Étienne de La Tour.— Huguet, Poutrincourt.— Émile Lauvrière, Deux traîtres d’Acadie et leur victime : les Latour père et fils et Charles d’Aulnay (Paris et Montréal, 1932).— Edmund Slafter, Sir William Alexander and American colonization (Boston, 1873).
Bibliographie de la version modifiée :
Arch. nationales (Paris, Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine), MC/ET/CXIII/8.— Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Québec, P1000, S3, D1881.— S. A. White, Dictionnaire généalogique des familles acadiennes (2 vol. parus, Moncton, N.-B., 1999– ), 2 : 1433.
George MacBeath, « SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR (Turgis), CHARLES DE (1593–1666) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/saint_etienne_de_la_tour_charles_de_1593_1666_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/saint_etienne_de_la_tour_charles_de_1593_1666_1F.html |
Auteur de l'article: | George MacBeath |
Titre de l'article: | SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR (Turgis), CHARLES DE (1593–1666) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |