BIENCOURT DE SAINT-JUST, CHARLES DE, baron, vice-amiral de l’Acadie et successeur de son père au poste de commandant de l’établissement de Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.), né en 1591 ou 1592 en Champagne, mort en 1623 ou 1624 à Port-Royal.
Charles de Biencourt était le fils aîné de Jean de Biencourt de Poutrincourt et de Claude Pajot. On ne possède aucun document relatif aux premières années et à l’éducation de Charles de Biencourt, bien que des écrivains contemporains le présentent comme un jeune homme bien supérieur à son âge pour le caractère et l’intelligence.
Biencourt partit avec son père, à bord du Jonas, de La Rochelle le 13 mai 1606, pour le deuxième voyage de Poutrincourt à la Nouvelle-France. On dit qu’il apprit rapidement les dialectes indiens et qu’il fut d’un grand secours pour la construction de bâtiments et les préparatifs de la culture.
En 1607, Poutrincourt apprenait que le monopole de Du Gua de Monts était annulé et qu’il n’était plus possible de maintenir l’établissement de Port-Royal parce que la plupart des ouvriers du fort étaient à la solde de la compagnie de M. de Monts. Le cœur lourd, Poutrincourt, son fils et les autres colons rentrèrent en France. Au début d’octobre 1607, ils jetaient l’ancre en rade de Saint-Malo.
Ce ne fut qu’au printemps de 1610 que Poutrincourt, avec le jeune Biencourt, put retourner en Acadie. Ils étaient accompagnés de l’abbé Fléché, prêtre qui, espérait le sieur de Poutrincourt, pourrait démontrer à la cour que les deux jésuites qu’ils avaient laissés en France n’étaient pas nécessaires au bien-être spirituel de la colonie. La connaissance des langues indiennes que possédait Charles de Biencourt fut d’une grande utilité à l’abbé Fléché pour catéchiser les indigènes.
Peu après, Biencourt recevait de son père le commandement d’un vaisseau chargé de fourrures destinées à la France, avec mission de présenter au roi une pétition en vue de certains privilèges de traite. Il devait présenter aussi des extraits du registre des baptêmes afin de bien montrer que, conformément aux désirs de la reine ou de ses dames, la mission faisait l’objet d’efforts constants. Avant d’arriver en France, Biencourt apprenait, par des pêcheurs du Grand Banc, l’assassinat de Henri IV.
À Paris, Biencourt présenta sa pétition, la liste des baptêmes et un article de Lescarbot sur les conversions à Marie de Médicis qui avait été nommée régente et qui exprima sa satisfaction des résultats de la mission et lui assura que le feu roi avait eu à cœur l’intérêt de la colonie de Port-Royal. Selon Lescarbot, il apprit en même temps par les Jésuites que Henri IV leur avait accordé 2 000# par an pour l’établissement de leur société en Acadie.
Pendant son séjour en France en 1611, Charles de Biencourt accepta le poste de vice-amiral des mers de la Nouvelle-France. Il reçut aussi des lettres d’encouragement du jeune roi Louis XIII, de la reine Marie et de la marquise de Guercheville qui désiraient que lui-même et son père poursuivent la conversion des Indiens de l’Acadie. À cet égard, ils insistèrent pour qu’il emmenât avec lui à son retour en Acadie les jésuites Pierre Biard et Énemond Massé.
Biencourt s’entendit avec deux marchands huguenots de Dieppe, Du Jardin et Du Quesne (Duchesne, d’après Champlain), qui convinrent d’équiper un navire et de fournir des provisions pour l’Acadie en retour d’une part des futurs bénéfices de la pêche et de la traite des fourrures. Apprenant quels passagers supplémentaires devaient s’embarquer, ces marchands refusèrent de participer le moins du monde à une entreprise dans laquelle des Jésuites se trouvaient mêlés. Le meurtre de Henri IV avait agité huguenots aussi bien que catholiques, et certains croyaient que le crime avait été ourdi par les Jésuites. En dépit d’ordres de la reine, les marchands ne voulurent pas céder. Le père Biard prévint le père Coton, ami et conseiller de Mme de Guercheville, de la décision des marchands. Grâce aux efforts de cette dame, on fit une souscription de plus de 3 800# pour racheter la part d’intérêt des marchands dans l’entreprise de Port-Royal. En vertu de l’entente alors signée, les Jésuites devaient partager avec Jean de Poutrincourt et Thomas Robin de Coulogne les bénéfices de la traite. Cet accord commercial servit plus tard à appuyer les accusations d’après lesquelles les membres de la société s’intéressaient au commerce autant qu’au travail de missionnaire (V. Huguet, Poutrincourt, 350–351).
Biencourt, accompagné des pères Biard et Massé, mit enfin à la voile à Dieppe avec 36 colons le 26 janvier 1611, à bord de la Grâce-de-Dieu. Le voyage dura quatre mois, pendant lesquels on épuisa presque complètement les provisions destinées au secours de Port-Royal. Les colons à demi morts de faim avaient espéré recevoir de l’aide à l’arrivée du navire et leur déception fut grande. La situation empira quand la dissension se mit entre les Jésuites et Poutrincourt au sujet de leurs attributions respectives.
A la fin de juin, Jean de Poutrincourt décida de rentrer en France pour obtenir une aide nouvelle. Il emmenait avec lui une cargaison de fourrures dont la vente, espérait-il, lui permettrait de s’approvisionner. Avant de partir, il plaça la colonie de Port-Royal sous le commandement de son fils.
Ce jeune homme devait faire face à de nombreuses responsabilités à titre de gouverneur par intérim de la colonie, pour imposer son autorité aux pêcheurs et trafiquants qui se rendaient sur la côte, de même qu’aux missionnaires, qui ignoraient naturellement les coutumes et le langage des Indiens et à qui manquait, dans leurs rapports avec les indigènes, l’expérience des colons établis depuis quelque temps.
Cet automne-là, la maladie du chef indien Membertou entraîna le premier désaccord sérieux entre Biencourt et les missionnaires. Membertou, premier converti de la colonie, avait beaucoup d’importance aux yeux des Français à cause de son pouvoir et de son prestige auprès des Indiens. Se sachant à la veille de mourir, le vieux chef demanda et obtint les derniers sacrements de l’Église. Il fit alors promettre à Biencourt de l’inhumer avec ses gens à lui. Mais le père Biard ne voulut pas autoriser un tel enterrement parce que le cimetière indien n’avait pas été consacré. Biencourt proposa de bénir ce lieu, mais, comme, à la suite de ce geste, des païens se seraient trouvés enterrés en terre chrétienne, Biard refusa encore. Cette affaire causa beaucoup de tiraillements et, à la fin, Membertou céda quand on lui apprit que les prêtres ne réciteraient pas de prières sur sa tombe. Charlevoix* écrit : « On lui fit des obseques telles qu’on auroit pû les faire au Commandant même ».
Biencourt se consacra surtout au commerce. Pendant l’année 1609, la traite des fourrures était redevenue libre pour la marine marchande française comme avant l’octroi de monopoles, mais il semble que la concession du roi à Poutrincourt lui accordât le droit de prélever la quinte, ou cinquième, sur les navires français visitant les parages de Port-Royal. Avec son titre de vice-amiral des mers de Nouvelle-France, Biencourt possédait le pouvoir vaguement défini de « commander à toutes manières de gens et de visiter leurs vaisseaux ». Biencourt tenta d’exercer ce pouvoir. Mais il n’avait pas assez de soldats pour imposer son autorité, de sorte qu’il ne pouvait exercer sa surveillance que sur une partie relativement minime de la traite et de la pêche. Il fit également des voyages le long de la côte. Lors d’une de ces expéditions, il découvrit un fort anglais qui avait été abandonné par la Virginia Company en 1609. Dans le but d’annuler les revendications des Anglais, Biencourt installa les armes de France sur l’endroit le plus proéminent du fort et, ensuite, s’en retourna à Port-Royal.
Les ennuis de Biencourt augmentèrent quand, en janvier 1612, le navire du capitaine L’Abbé, portant le peu de provisions que Poutrincourt avait pu réunir, jeta l’ancre à Port-Royal. À bord, se trouvait le jésuite Gilbert Du Thet, venu en Acadie à titre de représentant et administrateur de Mme de Guercheville. L’agent de Poutrincourt, Imbert-Sandrier, était aussi à bord. Les querelles qui s’ensuivirent gagnèrent toute la colonie et jetèrent le trouble chez les indigènes qui ne savaient plus à quelle faction faire confiance.
Biencourt ne voulut pas permettre aux Jésuites de quitter Port-Royal pour se consacrer à leur œuvre de missionnaires dans d’autres parties de l’Acadie, craignant qu’ils n’intriguent contre lui. Biard défia alors l’autorité de Biencourt en envoyant secrètement Massé de l’autre côté de la baie Française (baie de Fundy) évangéliser les Etchemins (Malécites). À son retour, les trois jésuites tentèrent encore de partir pour la France, mais Biencourt les en empêcha, déclarant que, puisque la reine lui avait ordonné, contre sa volonté, de les amener à Port-Royal, il lui faudrait un contre-ordre de la cour pour les laisser partir. Les Jésuites finirent par monter secrètement à bord du navire, mais, l’apprenant, Biencourt arrêta le capitaine et fit descendre les missionnaires, sur quoi Biard annonça qu’il excommunierait quiconque les toucherait. Lorsqu’on voulut les mettre à terre, le père Biard excommunia Biencourt et le commandant L’Abbé du navire. Finalement, les religieux débarquèrent, mais refusèrent de rendre aucun autre service à la colonie. Des lettres de Biencourt à son père et de Biard aux supérieurs de son ordre et à Mme de Guercheville partirent pour la France ; chacun, il va sans dire, racontait ces incidents de façon à présenter sa conduite sous le jour le plus favorable.
Ces événements semblent démontrer à l’évidence que, ainsi que l’indique un récit contemporain anonyme publié dans Purchas, Biencourt était alors un jeune homme de plus de courage que de circonspection. En déclarant l’impression que Biencourt avait faite sur lui avant ces événements, Biard dit qu’il imitait les « vertus et belles qualitez de son père, tous deux zelés au service de Dieu. » Le jugement d’Huguet paraît raisonnable, vu que Biencourt n’avait alors que 20 ou 21 ans : « Avec sa précoce expérience, Biencourt ne sut pas conserver – quand il fut livré à ses propres inspirations – ce tact et cette mesure qui distinguaient le Vice-Roy. Il lui manquait, dans ces traversées difficiles, le prestige de l’âge, l’autorité que donne tout un long passé d’honneur et de services rendus à la patrie. »
Du Thet réussit à s’échapper de la colonie peu après, à bord d’un bateau de pêche. De retour en France, il se plaignit à Mme de Guercheville des erreurs de jugement de Biencourt, de sa mauvaise organisation et de la façon dont il avait traité les jésuites. Mme de Guercheville commença à dresser ses plans en vue de retirer les Jésuites de Port-Royal et de fonder une nouvelle colonie qui éclipserait Port-Royal en importance. Le 12 mars 1613, un petit vaisseau de cent tonneaux, commandé par René Le Coq de La Saussaye, prenait la mer à Honfleur, ayant à son bord des prêtres, des colons, des chevaux, des chèvres et tout ce qui était nécessaire à un nouvel établissement.
Ayant exploré la côté, La Saussaye jetait l’ancre à Port-Royal et, constatant l’absence de Biencourt, montra à Louis Hébert l’ordre de la reine autorisant Biard et Massé à partir. Il prit à son bord les deux jésuites, puis fit voile vers le Sud, pour aller s’ancrer dans un havre du côté oriental de l’île des Monts-Déserts (Mount Desert Island), lieu de la résidence d’Asticou. Les pères débarquèrent, élevèrent une croix et donnèrent le nom de Saint-Sauveur à leur nouveau foyer. C’est là que, par la suite, le capitaine Samuel Argall les trouva et les fit prisonniers.
En novembre, Argall attaqua aussi l’établissement sans défense de Port-Royal en l’absence de Biencourt. Après avoir confisqué tout ce qu’il pouvait emporter, il mit le feu aux bâtiments ainsi qu’à la plus grande partie des récoltes et il laissa l’endroit en ruine. Les récits diffèrent quant aux raisons qu’avait Argall d’attaquer Port-Royal. Biencourt lui-même attribuait l’attaque au père Biard, qui avait été capturé par Argall à Saint-Sauveur et qui se trouvait à bord de son navire quand il attaqua Port-Royal. Cependant, d’après le témoignage qu’il rendit au cours de son procès à Londres en 1614, le capitaine Argall avait reçu l’ordre d’empêcher les Français d’établir un pied-à-terre en Amérique du Nord. Il avait passé l’automne et l’hiver précédents à Jamestown à préparer l’expédition contre les établissements français du Nord. Pour sa défense, le père Biard déclara qu’il avait refusé d’aider Argall à trouver Port-Royal et que c’est un Indien, pris à bord par Argall, qui lui avait montré la route.
Biencourt rentra à Port-Royal avant le départ d’Argall et, d’après le récit sans confirmation qui paraît dans Purchas, il aurait offert d’entrer au service des Anglais, demandant qu’on lui remette le père Biard « avec l’intention de le pendre ». D’après Champlain, un Français anonyme de Port-Royal aurait demandé, dans un discours, l’exécution de Biard.
Le 27 mars 1614, Poutrincourt rentrait enfin à Port-Royal pour trouver l’établissement en grande partie en ruines. Un moulin avait échappé à la destruction, ainsi qu’un très petit nombre de bestiaux, de porcs, d’armes, et des céréales. Biencourt et ses hommes avaient passé un hiver affreux, vivant de racines et de lichen. Poutrincourt transporta la plupart des olons en France. Quelques-uns décidèrent de rester avec Biencourt. Poutrincourt céda à son fils tous ses biens en Acadie.
Au cours des quelques années suivantes, Charles de Biencourt édifia une affaire apparemment lucrative de pêche et de traite des fourrures en association avec des armateurs de La Rochelle, Jean Macain et Samuel Georges. Pendant cette période, David Lomeron lui servit de représentant commercial en France. Malgré l’activité croissante des trafiquants français, anglais et hollandais dans cette région, le commerce était profitable et Biencourt captura quelques navires rivaux. De 1614 à 1617, les affaires devinrent si bonnes le long de la côte que des vaisseaux de La Rochelle rendaient visite à Biencourt chaque printemps. Biggar dit que, d’après les calculs du capitaine John Smith, les Français recueillirent 25 000 peaux en 1616. Pendant cette période, Biencourt intenta de nombreux procès à des trafiquants interlopes qui opéraient dans la région placée sous son autorité.
En septembre 1618, Biencourt demanda en vain au maire et aux échevins de Paris d’établir un poste fortifié à Port-Royal et ailleurs sur les côtes, en faisant valoir l’importance qu’il y avait a protéger contre les Anglais la pêche et la traite des fourrures, dont Paris tirait tant de bénéfices. Il ajoutait que les Français dépendraient bientôt et entièrement des Anglais et il prétendait qu’il suffirait que la France aide les colons pendant deux ans pour qu’ils en arrivent à se suffire. À maintes reprises, il devait se plaindre de la négligence où la France laissait Port-Royal, alors que la Nouvelle-Angleterre se développait rapidement. Si l’on songe que ses demandes restèrent sans effet, on doit en conclure que Charles de Biencourt accomplit une oeuvre remarquable en maintenant l’établissement et en repoussant les ingérences des Anglais dans cette région.
La traite se ralentit en Acadie entre 1618 et 1623. Laissé à l’abandon et ne recevant de nouvelles recrues que lorsqu’il arrivait à des marins de déserter, Port-Royal tombait peu à peu en ruines. On raconte que, pendant ses dernières années, Biencourt vivait de plus en plus parmi les indigènes.
Charles de Biencourt mourut en 1623 ou 1624. Une lettre de Charles de Saint-Étienne de La Tour à Louis XIII, en date du 25 juillet 1627, rapporte que Biencourt « est mort depuis quatre ans », mais un passage des Voyages de Champlain a convaincu certains historiens de fixer à 1624 l’année de sa mort. Charles de La Tour se trouvait auprès de lui au moment de sa mort. Lauvrière, entre autres, répète l’accusation que La Tour empoisonna Biencourt, mais un descendant de ce dernier, le marquis de Biencourt, dans une lettre de 1847, déclare : « Aucun document n’existe pour corroborer cette version ». Couillard Després écrit que Biencourt « laissa ses biens à l’un de ses plus fidèles amis, son parent Charles de La Tour ».
Charles de Biencourt partageait avec son père un désir sincère de fonder un établissement qui se suffirait à lui-même grâce à l’agriculture. Sans la rivalité ruineuse des Jésuites et la destruction qui suivit l’attaque d’Argall, et même en ne recevant de la couronne qu’une aide insignifiante pour établir la colonie, les Poutrincourt, père et fils, auraient laissé derrière eux une oeuvre vraiment remarquable. Même ainsi, ils ont fourni la preuve que les Européens pouvaient vivre en Acadie au moyen des ressources du sol, et ce qu’ils ont accompli à cet égard devait se révéler fort utile pour les plans subséquents de colonisation.
V. la bibliographie de Jean de Biencourt.— V. aussi : Mémoires des commissaires, I : 140, 143 ; Memorials of the English and French commissaries, I : 197, 199.— Couillard-Després, Saint-Étienne de La Tour.— Émile Lauvrière, La tragédie d’un peuple : histoire du peuple acadien de ses origines à nos jours (2 vol., Paris, 1922 ; nouvelle éd. revisée, 1924).— Mass. Hist. Soc. Coll., 4th ser., IX (1871) : 45s.— W. O. Sawtelle, Sir Samuel Argall, the first Englishman at Mount Desert, Sprague’s J. of Maine Hist., XII, no 4 (1924) : 201ss.
en collaboration avec Huia G. Ryder, « BIENCOURT DE SAINT-JUST, CHARLES DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/biencourt_de_saint_just_charles_de_1F.html.
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Auteur de l'article: | en collaboration avec Huia G. Ryder |
Titre de l'article: | BIENCOURT DE SAINT-JUST, CHARLES DE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |