Titre original :  Lewis Thomas Drummond., BM1,S5,P0596

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DRUMMOND, LEWIS THOMAS, avocat, homme politique et juge, né le 28 mai 1813 à Coleraine (Irlande du Nord), fils de Lewis Drummond, décédé le 24 novembre 1882 à Montréal.

Fils d’un éminent avocat irlandais, Lewis Thomas Drummond immigra au Bas-Canada en 1825 avec sa mère, qui était veuve. Après des études au séminaire de Nicolet, il s’initia au droit à Montréal, dans le cabinet de Charles Dewey Day, avocat tory très en vue, et fut admis en 1836 au Barreau du Bas-Canada. Drummond s’établit à son compte à Montréal, où il se fit rapidement connaître grâce à son habile défense des rebelles du Bas-Canada en 1838. Drummond était aussi bon orateur en français qu’en anglais – Joseph-Édouard Cauchon devait dire de lui qu’il alliait la richesse d’imagination irlandaise à la froide raison allemande – ce qui l’amena à la politique dès 1840, année où il devint partisan des réformistes que dirigeait Louis-Hippolyte La Fontaine*. En septembre 1842, le gouverneur sir Charles Bagot* choisi La Fontaine pour diriger le gouvernement de la province du Canada et ce dernier confia à son bras droit, Drummond, la tâche de distribuer les faveurs politiques à Montréal. Aux élections municipales de décembre 1842, tenues en vue du renouvellement du conseil municipal nommé par lord Sydenham [Thomson*], le parti de La Fontaine se retrouva avec une majorité de deux députés, mais Drummond subit pour sa part la défaite.

Dans le but d’obtenir le gouvernement responsable, La Fontaine chercha à unir ses forces à celles des réformistes du Haut-Canada, dirigés par Robert Baldwin*, mais sa stratégie politique se heurta à des difficultés après le remplacement de Bagot en mars 1843 par sir Charles Theophilus Metcalfe*. En novembre de la même année, La Fontaine et les membres du cabinet, à l’exception de Dominick Daly*, démissionnèrent en bloc à la suite de sérieux désaccords avec Metcalfe, et Montréal devint un terrain d’essai pour la participation du Bas-Canada à la lutte politique en vue de l’obtention du gouvernement responsable. Une faction dirigée par Denis-Benjamin Viger* et Denis-Benjamin Papineau* appuya Metcalfe, parce qu’il lui semblait que les intérêts canadiens-français seraient mieux servis en faisant confiance à un gouverneur bienveillant et large d’esprit, qui prendrait des décisions fondées sur une distinction claire entre les désirs des majorités parlementaires du Bas et du Haut-Canada, plutôt qu’en concluant une alliance avec les réformistes du Haut-Canada.

Des deux côtés, on considérait l’élection partielle d’avril 1844 à Montréal comme un prélude aux élections générales prévues pour plus tard dans l’année. Drummond se présenta comme candidat de La Fontaine, tandis que les partisans de Viger se joignirent au représentant tory, William Molson*, perdant ainsi beaucoup de l’attrait qu’ils exerçaient en tant qu’autonomistes et nationalistes. Lors de cette élection, qui fut marquée par des actes de violence, Drummond et son organisateur Francis Hincks réussirent à unir deux groupes rivaux, les Canadiens français et les ouvriers irlandais travaillant au canal de Lachine et dans le port, se servant de ces derniers pour intimider les partisans du candidat adverse dans les bureaux de vote. Drummond remporta la victoire par une forte majorité.

Le parti de La Fontaine triompha facilement aux élections générales de 1844, mais, ironie du sort, Drummond perdit son siège à Montréal, en partie parce que les ouvriers irlandais du canal s’étaient vendus aux tories. Cauchon lui trouva un siège non disputé dans Portneuf, près de Québec, et Drummond continua de faire campagne auprès des Irlandais de Montréal dans l’intérêt de son parti. Drummond, qui avait été nommé à une commission chargée d’enquêter sur les émeutes des ouvriers du canal de Lachine, défendit à l’Assemblée la cause des travailleurs irlandais poussés, selon lui, à la violence par l’oppression de leurs employeurs. Néanmoins, il donna son appui à la mobilisation d’une troupe de policiers à cheval pour maintenir l’ordre sur les chantiers de travaux publics et soutint que, puisque les ouvriers du canal n’avaient pas de biens à protéger, ils ne devaient pas porter d’armes. De plus, lorsqu’il demanda d’indemniser les rebelles bas-canadiens amnistiés de 1837–1838 qui avaient subi des pertes matérielles, il fit valoir qu’ils ne s’étaient pas rendu compte de la portée de leurs actes lors de ce qui avait été reconnu comme un soulèvement armé injustifié. Il est clair que son identification culturelle et religieuse à ces groupes (sans doute renforcée par l’opportunisme politique) ne s’accompagnait d’aucune tendance radicale. En fait, Drummond s’allia en 1842 à l’élite traditionnelle canadienne-française en épousant à Saint-Marc Josephte-Elmire, fille aînée et héritière de Pierre-Dominique Debartzch*, seigneur et ancien conseiller législatif et exécutif.

Drummond devint aussi un favori des membres de la hiérarchie catholique. Pour aider à contrebalancer l’influence de son rival Viger au palais épiscopal, Drummond défendit en 1846 les prétentions de l’Église aux biens des jésuites et, en 1852, il contribua de façon décisive à vaincre l’opposition venant du Haut-Canada à la reconnaissance juridique du collège jésuite Sainte-Marie à Montréal. (Les fils de Drummond, Lewis et Charles, fréquentèrent le collège et entrèrent par la suite dans l’ordre des jésuites.) À la même époque, Drummond se fit aussi le défenseur enthousiaste du commerce et de l’industrie. Ayant déjà investi dans des propriétés immobilières de valeur à Montréal, il devint, en 1842, l’un des trois membres du conseil d’administration de la Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal, qui était considérée par les Canadiens français comme un pas vers leur participation à la prospérité retrouvée. Trois ans plus tard, il acheta des actions de la Société de navigation de la rivière Richelieu, qui prit de l’expansion pour devenir, dans les années 1850, une importante entreprise de navigation sur le Saint-Laurent [V. Jacques-Félix Sincennes*]. En 1847, il devint l’un des actionnaires de la Compagnie du chemin à lisses du Saint-Laurent et de l’Atlantique et participa à la fondation de la Garden River Mining Company. À la fin des années 1850, il fut président de la Compagnie du chemin de fer de Stanstead, Shefford et Chambly, et, finalement, en 1859, l’un des fondateurs de la Compagnie du télégraphe des deux mondes. Même si Drummond se retrouva parfois dans une situation financière difficile, il fut au moins un modeste membre de l’élite du milieu des affaires montréalais.

Jusqu’à un certain point, Drummond incarna l’alliance de l’après-rébellion entre les nationalistes canadiens-français, qui devinrent les « bleus », et le milieu des affaires anglophone. Mais il ne s’adaptait pas tout à fait à aucun des deux groupes et il ne fut pas non plus capable de rassembler des partisans irlandais sous la même bannière, ce qui peut expliquer pourquoi il ne représenta jamais plus une circonscription montréalaise après 1844. En 1848, Baldwin et La Fontaine reprirent le pouvoir et Drummond fut élu dans Shefford, comté isolé, protestant et anglophone des Cantons de l’Est. Il continua pourtant à se charger de la distribution des faveurs politiques à Montréal. Nommé solliciteur général du Bas-Canada, mais sans occuper de siège au cabinet, le 7 juin 1848, il utilisa sans merci son pouvoir de dispensateur de faveurs pour déposséder des annexionnistes de Montréal et des Cantons de l’Est de leurs charges publiques. Son inquiétude face à l’expansion du mouvement annexionniste devint si grande qu’il préconisa l’envoi d’autres troupes britanniques au Canada et la mobilisation d’une troupe de policiers à cheval pour renforcer l’autorité des magistrats locaux.

Toutefois, Drummond n’avait pas en fait oublié ses principes libéraux car, après la résorption de la crise annexionniste en 1850, il joua un rôle clé dans la réforme du régime de la tenure des terres du Bas-Canada, dont le besoin se faisait sentir depuis longtemps. En 1850, il entra en conflit avec La Fontaine en prônant la sécularisation des « réserves » du clergé et il travailla à des projets de loi visant à réformer les institutions municipales et la construction des routes, de même que le régime seigneurial. Selon la législation existante, les censitaires pouvaient volontairement passer à la franche tenure, mais ils devaient dédommager les seigneurs pour la perte de leurs redevances et services. Bien qu’étant lui-même, par sa femme, un seigneur, Drummond, devenu procureur général du Bas-Canada dans le gouvernement de Hincks et d’Augustin-Norbert Morin*, formé en octobre 1851, proposa en 1852 un projet de loi ayant pour but de limiter certains privilèges seigneuriaux et de fixer un plafond pour les cens et rentes qui augmentaient constamment. Les seigneurs auraient ainsi été indemnisés à même les fonds publics de certaines de leurs pertes. Le milieu des affaires anglophone objecta que la réduction des redevances non seulement diminuerait considérablement la valeur de leurs seigneuries, mais perpétuerait un régime qui nuisait au commerce et à l’industrie en supprimant ce qui pouvait inciter les censitaires à opter pour la franche tenure. L’Assemblée adopta le projet de loi de Drummond mais le Conseil législatif le rejeta en mai 1853. En septembre 1854, le gouvernement Hincks-Morin fut remplacé par celui de Morin et de sir Allan Napier MacNab* et, plus tard cette année-là, Drummond, toujours procureur général, ainsi que ses collègues canadiens-français furent forcés par suite de pressions venant du Haut-Canada d’adopter d’importants amendements au projet de loi.

Les nouvelles dispositions modifièrent de fond en comble le projet de loi de Drummond en abolissant la tenure seigneuriale, alors qu’elles faisaient peu pour améliorer la situation financière des habitants. Au lieu d’être réduits, comme cela avait d’abord été proposé, les cens et rentes et les droits casuels alors en vigueur (dont une commission fixerait la valeur dans chaque seigneurie) devinrent la base sur laquelle on établirait le prix qu’un ancien censitaire devrait payer à son seigneur pour acquérir la pleine propriété de sa ferme. Comme la grande majorité des censitaires n’avaient pas les moyens d’acquitter une telle somme, ils payèrent plutôt la rente constituée, soit les frais d’intérêt annuel sur la valeur de leur propriété, demeurant ainsi fondamentalement dans le même état d’assujettissement qu’auparavant. Les véritables bénéficiaires de la loi de 1854 furent les entrepreneurs du Bas-Canada : en tant qu’anciens seigneurs, ils continuèrent à toucher une rente égale à l’ancienne, et un fonds d’indemnisation du gouvernement les dédommagea de la perte des lods et ventes (droit d’un douzième du prix de vente exigé au bénéfice du seigneur lorsque la ferme d’un censitaire changeait de mains) ; en tant que capitalistes, il leur était désormais plus facile de spéculer sur les terres, d’avoir la mainmise sur les réserves forestières et de construire des moulins hydrauliques sur les anciennes seigneuries.

L’incapacité de Drummond de faire réformer le régime seigneurial comme il l’aurait aimé eut pour lui des conséquences politiques inévitables. N’ayant pas réussi à aider les censitaires, il ne pouvait plus se présenter comme un « ami du peuple » ni, d’autre part, s’attribuer le mérite de l’adoption de la loi dans les milieux d’affaires anglophones qui, finalement, en bénéficièrent. Il s’aliéna davantage la communauté anglo-protestante en 1853, après que les autorités municipales de Montréal et son propre bureau de procureur général se révélèrent incapables de réprimer une émeute de catholiques qui protestaient contre la présence de l’ex-barnabite italien Alessandro Gavazzi. John Alexander Macdonald* put donc facilement faire échec à la velléité de Drummond de diriger le gouvernement avec lui en mai 1856 ; il fit plutôt appel à Étienne-Paschal Taché*. Après que Drummond eut mis à exécution sa menace de résigner ses fonctions de procureur général, Macdonald et Taché le remplacèrent tout simplement par George-Étienne Cartier*. Le mécontentement de Drummond envers le parti bleu s’accrut tellement qu’en 1858 il changea d’allégeance et devint procureur général du Bas-Canada dans l’éphémère gouvernement de George Brown* et d’Antoine-Aimé Dorion*. À cette époque, les doléances des électeurs de sa circonscription de Shefford relatives, par exemple, au fait qu’il n’avait pas obtenu le statut de district judiciaire pour la région, avaient culminé dans une pressante demande d’être représentés par un résidant des Cantons de l’Est. Drummond fut défait dans Shefford par Asa Belknap Foster* en août 1858 et dut aller se présenter dans Lotbinière.

Pendant les années qui suivirent, passées dans l’opposition au gouvernement de Macdonald et de Cartier, la forte identification de Drummond au Bas-Canada le mit parfois en conflit avec Brown, le puissant chef des réformistes. En 1859, par exemple, Drummond fut le porte-parole de 12 réformistes du Bas-Canada qui exprimèrent leur indignation face à la bruyante attaque de Brown contre le projet de loi de Cartier visant à affecter des revenus communs additionnels au dédommagement des seigneurs. Cependant, en dépit d’un froid grandissant entre les deux ailes du parti réformiste, Drummond ne voulut jamais préconiser un retour à un statut séparé pour les deux sections de la province du Canada. Au contraire, il se fit le défenseur de leur fédération.

En 1862, Drummond fut en mesure d’appuyer un gouvernement plus en accord avec sa philosophie politique modérée, soit celui de John Sandfield Macdonald* et de Louis-Victor Sicotte. Toutefois, en mai 1863, il accepta de se joindre à Dorion et à ses collègues « rouges » pour remplacer Sicotte et ses partisans modérés ; Drummond succédait ainsi à Thomas D’Arcy McGee* à titre de représentant des Irlandais. Il dut cependant démissionner comme ministre des Travaux publics à la suite de son incapacité de remporter deux élections partielles tenues dans Rouville, qu’il avait représenté depuis 1861. Cette défaite marqua la fin de sa carrière politique. En mars 1864, le gouvernement de Macdonald et de Dorion nomma Drummond à un poste qu’il convoitait depuis longtemps, celui de juge puîné de la Cour du banc de la reine. Après une carrière juridique remarquable, la mauvaise santé de Drummond le força à prendre sa retraite en 1873. Par la suite, il joua un rôle actif dans la Société de Saint-Vincent-de-Paul, jusqu’à ce qu’une bronchite chronique l’emportât en 1882.

J. I. Little

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J. I. Little, « DRUMMOND, LEWIS THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/drummond_lewis_thomas_11F.html.

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Auteur de l'article:    J. I. Little
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
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