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DUNKIN, CHRISTOPHER, avocat, homme politique et juge, né à Walworth (maintenant partie de Londres), le 25 septembre 1812, fils de l’honorable Summerhays Dunkin et de Martha Hemming, décédé à Knowlton, Québec, le 6 janvier 1881.
Issu d’une famille aisée d’Angleterre, Christopher Dunkin reçut une bonne instruction. De 1829 à 1831, il étudia successivement aux universités de Londres et de Glasgow. À la suite du remariage de sa mère avec Jonathan Barber, médecin et professeur de littérature demeurant dans l’état du Massachusetts, Dunkin vint aux États-Unis et poursuivit ses études jusqu’en 1833 à la Harvard University, Cambridge, Massachusetts, avant d’y être nommé tuteur de grec et de latin. Tout au long de ces années, les cours de latin, de grec, de mathématiques et de logique avaient développé sa grande intelligence et surtout sa capacité de raisonnement, atouts majeurs de sa personnalité. Il démissionna en 1835 et épousa Mary Barber, une des filles de Jonathan Barber. Les intérêts professionnels de ce dernier se partageaient de plus en plus entre le Massachusetts et le Bas-Canada et peuvent avoir influencé la décision de Dunkin de s’installer dans la métropole canadienne, en 1837 ; on peut cependant supposer que son ambition et ses sentiments tories l’incitèrent à immigrer à Montréal, en pleine période d’effervescence patriotique. Rédacteur du Morning Courier (Montréal) de mai 1837 à juin 1838, Dunkin se dirigea vers l’administration publique après cette expérience journalistique. Il occupa le poste de secrétaire de la commission d’éducation, instituée en 1838 [V. sir Arthur William Buller*], puis de la commission du service postal [V. Thomas Allen Stayner*], avant de devenir secrétaire provincial adjoint pour le Bas-Canada, du 1er janvier 1842 au 19 mai 1847. Il traversa sans difficulté les ministères de William Henry Draper* et celui de Robert Baldwin* et de Louis-Hippolyte La Fontaine*. Pendant ce temps, il entreprit des études en droit avec Alexander Buchanan* puis avec Francis Godschall Johnson*, et il reçut sa commission d’avocat en 1846.
S’associant à William Collis Meredith et à Strachan Bethune, Dunkin commença de pratiquer sa nouvelle profession à Montréal avant de poursuivre sa carrière dans les Cantons de l’Est, une région qui offrait de grandes possibilités d’enrichissement en raison de son essor économique et de la rareté d’avocats doués. À la fondation du St Francis College, de Richmond, en 1854, Dunkin fut nommé procureur attitré pour négocier une affiliation avec le McGill College. Ce poste lui permit de siéger au conseil de ces établissements puis, en 1859, il devint membre du conseil de l’Instruction publique.
Dunkin s’attira également une bonne réputation par sa brillante Address at the bar of the Legislative Assembly of Canada [...], publiée à Québec en 1853, et par sa défense de 35 seigneurs devant le tribunal spécial formé en 1855 pour juger les réclamations qui suivirent la loi de 1854 sur le régime seigneurial [V. Lewis Thomas Drummond]. Utilisant une documentation fouillée, il présenta une argumentation solide et logique ; il tenta de démontrer par de longues explications historiques que les seigneurs exerçaient un droit de propriété absolu sur leurs domaines et qu’ils pouvaient légitimement réclamer des indemnités égales à la valeur marchande de ces domaines. Dunkin se hissa bien vite au rang des grands avocats en défendant, avec succès, cette cause difficile ; il retira des gages élevés qui lui permirent de financer des entreprises futures.
À l’instar de nombreux avocats éminents qui réussissaient dans leur profession, Dunkin s’était lancé en politique. Il avait échoué dans sa première tentative en 1844, dans le comté de Drummond, mais il réussit à se faire élire à titre de conservateur dans Drummond et Arthabaska en 1857, battant ainsi Jean-Baptiste-Éric Dorion*. Il conserva ce siège jusqu’en 1861. De 1862 à 1867, il fut député de Brome puis représenta ce comté aux niveaux provincial et fédéral jusqu’en 1871. Son succès à se faire élire devait tenir plus de l’organisation et du sens tactique que de la chaleur et de l’imagination. Il semble s’être fait une réputation de froideur, de suffisance et d’inflexibilité. Ainsi, il parraina la loi de 1864 sur la tempérance, appelée justement loi Dunkin. On ignore si Dunkin présenta cette législation coercitive par conviction morale ou par simple opportunisme politique puisque les pétitions, pour exiger un contrôle sévère de la vente des boissons alcoolisées, étaient très nombreuses à cette époque ; il y en eut même autant qu’au moment de l’opposition à la confédération. Nourrissant sans doute l’ambition de devenir ministre sous un nouveau gouvernement, il fut le seul conservateur anglophone du Bas-Canada à voter contre le gouvernement de sir Étienne-Paschal Taché* et de John Alexander Macdonald*, le 14 juin 1864, provoquant la chute de celui-ci, et précipitant la crise qui amena la confédération.
Dunkin se fit remarquer à l’occasion des débats sur la confédération, en 1865, en prononçant, selon plusieurs de ses contemporains, le meilleur discours – indiscutablement le plus long et le plus fouillé – contre la confédération. Il exprimait des doutes sur le fonctionnement éventuel de ce système, tout en le qualifiant de mauvais mélange des constitutions britannique et américaine ; il s’opposait principalement aux faibles garanties d’une représentation provinciale équitable au niveau du sénat canadien et à l’établissement du système des partis politiques. Bien que député du comté de Brome, il exprima très peu les craintes ressenties à la veille de la confédération par la minorité protestante du Bas-Canada en matière d’éducation et resta silencieux lors du retrait, en 1866, du projet de loi présenté par Hector-Louis Langevin*. Ce projet de loi, s’il avait été accepté, aurait accordé aux protestants du Bas-Canada le droit d’administrer indépendamment leurs écoles.
En 1867, Joseph-Édouard Cauchon, appelé à former le premier gouvernement de la province de Québec, offrit un poste à Dunkin. Voulant regagner sa crédibilité auprès de ses électeurs anglophones et s’inspirant des conseils du député de Sherbrooke au fédéral, Alexander Tilloch Galt*, Dunkin se dit prêt à accepter cette proposition moyennant la reprise, en session parlementaire, du projet de Langevin sur l’éducation. Ancien adversaire de ce projet, Cauchon ne pouvait se rendre à cette demande ; Dunkin refusa alors le portefeuille offert. Se rendant compte qu’il ne pourrait obtenir la collaboration de députés anglophones, Cauchon n’eut d’autre choix que de démissionner.
À la suite de l’échec de Cauchon, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau forma le premier gouvernement du Québec. Ayant œuvré ensemble au sein du conseil de l’Instruction publique, Dunkin et Chauveau se connaissaient bien. Comme ce dernier avait la réputation d’être plus ouvert aux difficultés des anglophones, les négociations furent plus faciles. Dunkin devait être secrétaire provincial, mais après diverses tractations entre les membres du nouveau gouvernement il remplaça Gédéon Ouimet* comme trésorier provincial. Rien ne le préparait à ce poste, sauf sa capacité de travail et son sens du détail. Sa nomination inaugurait pour plus d’un siècle, au Québec, une sorte de tradition politique consistant à nommer un anglophone au poste de trésorier provincial.
Dunkin s’attaqua donc à la triple tâche de créer son ministère, de préparer le premier budget de la province et de négocier le partage de la dette de l’ancienne province du Canada avec l’Ontario. Il s’acquitta fort bien de la première partie de sa tâche ; en effet, il parvint à réunir en un seul ministère l’administration des dépenses et celle des recettes, corrigeant ainsi la situation de dédoublement qui prévalait sous l’Union. Par contre, il échoua dans ses tentatives de trouver une solution rapide au problème complexe du partage de la dette [V. Pierre-Joseph-Olivier Chauveau], ce qui eut pour effet de compromettre ses projets budgétaires. Il s’aliéna en même temps la confiance des milieux d’affaires qui lui reprochèrent son manque d’expérience dans le domaine de l’administration financière. En outre, il ne réussit jamais à concilier son rôle de représentant des protestants au sein du gouvernement et celui de principal responsable de la santé financière de la province. On s’attendait, dans la communauté protestante, qu’il agisse comme gardien et même fasse pression sur ses collègues francophones en vue d’obtenir la loi devant assurer aux protestants une situation privilégiée dans le domaine de l’éducation. II ne parvint pas à satisfaire l’opinion publique anglophone, qui alla même jusqu’à l’accuser de collaboration et d’asservissement face à la majorité francophone. D’ailleurs, la Gazette et l’Evening Star, de Montréal, le conspuèrent.
En tant que ministre, Dunkin eut cependant une vision québécoise de la nouvelle constitution et de la politique. Il défendit, dès son premier discours sur le budget en 1868, la thèse de l’égalité des pouvoirs provinciaux et fédéraux, et la nécessité de faire intervenir l’État provincial pour encourager le développement économique du Québec. Il recula sur la question de l’autonomie lors de la présentation de son budget en 1869 ; il dut alors reconnaître la dépendance financière des provinces à l’égard du gouvernement fédéral, qui absorbait la presque totalité des revenus publics. Mais son attitude lui valut quand même d’être considéré comme un fidèle représentant du Québec par le journal l’Événement, de Québec. On retrouve quelquefois dans les journaux l’expression « Chauveau-Dunkin », comme on disait auparavant le ministère Macdonald-Cartier [George-Étienne Cartier*], ce qui en dit long sur le rôle qu’il exerçait dans ce gouvernement et sur la cible qu’il pouvait constituer pour les journaux d’opposition.
Se trouvant dans une situation d’impuissance en tant que trésorier provincial et ayant perdu sa crédibilité auprès des milieux d’affaires québécois, Dunkin accepta de passer au sein du gouvernement central, en 1869, tout en conservant son poste de député provincial. En remaniant, cette année-là, son ministère, sir John Alexander Macdonald cherchait un représentant anglo-québécois des Cantons de l’Est pour pallier les départs de John Rose et de Galt ; ce dernier avait été mis à l’écart depuis la faillite de la Commercial Bank of Canada, de Kingston. Le choix de Macdonald, semble-t-il, se porta d’abord sur John Henry Pope, brasseur d’affaires, qui succédera d’ailleurs à Dunkin en 1871, mais, devant le refus de celui-ci, il entreprit des négociations qui amenèrent finalement Dunkin au département de l’Agriculture, le 16 novembre 1869. Cette nomination ne surprend pas puisque Dunkin connaissait bien l’agriculture. Sa grande propriété, sise à Knowlton sur les rives du lac Brome, couvrait une superficie de 316 acres et était évaluée à $10 000 en 1871. C’était une exploitation industrielle, organisée comme une usine et dirigée comme telle. Les rapports de l’exposition agricole du comté de Brome mentionnent que Dunkin méritait souvent les premiers prix en raison de la qualité de son bétail. Il semble avoir été un ministre compétent en matière d’agriculture. Le 25 octobre 1871, il quitta la politique pour devenir juge de la Cour supérieure du Québec, pour le district de Bedford.
Plusieurs raisons incitèrent Dunkin à démissionner de son poste. Tout d’abord, à cause de son mauvais état de santé, il avait de plus en plus de difficulté à assumer ses fonctions politiques et administratives. Dès 1869, il déclarait à ses électeurs qu’il était dans l’incapacité de remplir de nouveau un double mandat et qu’il continuerait, tout au plus, de les représenter à Ottawa. En outre, un fort courant d’opposition commençait à se manifester dans le comté de Brome ; il était donc plus prudent pour Dunkin de se retirer de la scène politique et d’accepter cette nomination de juge, avant le déclenchement d’élections générales.
Comme son passé de brillant avocat le présageait (il était devenu conseiller de la reine en 1867), Dunkin s’avéra un bon juge et ses décisions furent généralement bien acceptées. Pratiquant sa profession avec un certain conservatisme, il ne laissa pas de précédents juridiques. Jusqu’à la fin de sa vie il continua de s’occuper de son exploitation agricole et de veiller à ses intérêts dans la Compagnie du chemin de fer de jonction des comtés du Sud-Est. Il mourut en janvier 1881 dans sa résidence de Knowlton.
En plus de ses vastes connaissances, Dunkin semble avoir eu de grandes qualités intellectuelles ; on aurait pu s’attendre à ce qu’il s’illustre davantage au sein de la politique québécoise ou canadienne. Peut-être ne donna-t-il pas sa pleine mesure ? Peut-être lui manqua-t-il une certaine imagination dans l’exercice du pouvoir ? Quoi qu’il en soit, il n’imposa jamais son autorité avec autant de vigueur que Pope. On ne le redouta jamais comme Cauchon même si Dunkin contribua à lui barrer la route en 1867 ; enfin, il ne réussit pas à adopter une attitude politique indépendante comparable à celle de Galt. Il apporta toutefois, en dépit du fait qu’il lutta toute sa vie contre un mauvais état de santé, une contribution importante dans le domaine de l’administration publique.
Christopher Dunkin est l’auteur de : Address at the bar of the Legislative Assembly of Canada, delivered on the 11th and 14th March, 1853, on behalf of certain proprietors of seigniories in Lower Canada [...] (Québec, 1853) ; Address [...] before the Legislative Assembly of Canada, on behalf of certain seigniors, petitioners of the honorable house against a bill introduced by the Hon. Mr. Attorney General Drummond [...] ([Québec, 1853]) ; Case (in part) of the seigniors of Lower Canada, submitted to the judges of the Court of Queen’s Bench and of the Superior Court for Lower Canada [...] (Montréal, 1855) ; Chronological list or index of grants in fief and royal gratifications of grants in fief, made in New France to the time of its session to the British crown in 1760 (Québec, 1853) ; et de ... Speech delivered in the Legislative Assembly [...] during the debate on the subject of the confederation of the British North American provinces (Québec, 1865).
Brome County Hist. Soc. Arch. (Knowlton, Québec), Christopher Dunkin papers.— Canada, prov. du, Parl., Débats parl. sur la confédération.— Débats de l’Assemblée législative (M. Hamelin), [I].— Advertiser and Eastern Townships Sentinel (Waterloo, Québec), 1864–1869.— Evening Star, 27 oct. 1869.— Gazette, oct.–nov. 1869.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 10 janv. 1881.— Morning Chronicle (Québec), 16 juin 1864.— Canadian biog. dict., II : 64–66.— Dent, Canadian portrait gallery, IV : 209–211.— Political appointments, 1841–65 (J.-O. Coté).— P.-G. Roy, Les juges de la prov. de Québec, 191.— Désilets, Hector-Louis Langevin.— André Labarrère-Paulé, Les instituteurs laïques au Canada français, 1836–1900 (Québec, 1965).
Pierre Corbeil, « DUNKIN, CHRISTOPHER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dunkin_christopher_11F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dunkin_christopher_11F.html |
Auteur de l'article: | Pierre Corbeil |
Titre de l'article: | DUNKIN, CHRISTOPHER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |