BAGOT, sir CHARLES, administrateur colonial, né le 23 septembre 1781 à Blithfield Hall, Angleterre, deuxième fils survivant de William Bagot, 1er baron Bagot, et d’Elizabeth Louisa St John, fille aînée de John St John, 2e vicomte St John ; décédé le 19 mai 1843 à Kingston, Haut-Canada.

Charles Bagot était issu de familles de l’aristocratie anglaise dont l’origine remontait à la conquête normande. Aussi fréquenta-t-il des établissements distingués, la Rugby School et le Christ Church College d’Oxford. En 1801, on l’admit à la Lincoln’s Inn mais, comme il n’aimait pas le droit, il ne termina pas son année. De retour à Oxford, il obtint en 1804 une maîtrise ès arts. Le 22 juillet 1806, il épousa Mary Charlotte Anne Wellesley-Pole, fille de William Wellesley-Pole, futur comte de Mornington, et nièce d’Arthur Wellesley, futur duc de Wellington. Le couple allait avoir quatre fils et six filles.

En 1807, Bagot entra au Parlement à titre de député de Castle Rising, bourg pourri qu’administrait son oncle Richard Howard. Protégé du secrétaire d’État aux Affaires étrangères, George Canning, il devint sous-secrétaire de ce ministère en août de la même année. À la fin du mandat de son mentor, en 1809, il se trouva sans poste. En outre, il ne siégeait plus au Parlement, car en 1807 il avait accepté l’intendance des Chiltern Hundreds, fiction légale qui lui permettait de quitter les Communes pour une charge de fonctionnaire. Cependant, ses liens avec Canning s’étaient mués en une chaleureuse amitié qui, ajoutée à ses nombreuses relations familiales, devait lui ouvrir une prestigieuse carrière diplomatique.

Bagot devint ministre plénipotentiaire en France le 11 juillet 1814, mais son affectation n’était que temporaire, et Wellington le remplaça dans le courant de l’été. Sa carrière diplomatique s’amorça vraiment le 31 juillet 1815, date où il devint plénipotentiaire et envoyé extraordinaire aux États-Unis. C’était une charge difficile, car la guerre de 1812 avait laissé des rancunes dans le cœur des Américains et engendré des problèmes complexes. Même si Bagot avait seulement 34 ans et peu d’expérience de la diplomatie, il s’acquitta de ses responsabilités avec tact et compréhension, gagna le respect et l’amitié du gouvernement américain et devint un personnage très apprécié à Washington.

Bagot se révéla en outre un habile négociateur et laissa son nom à l’accord Rush-Bagot sur la réduction des forces navales sur les Grands Lacs et le lac Champlain. Élaborée en 1816 avec le secrétaire d’État américain James Monroe, l’entente fut confirmée par un échange de notes diplomatiques entre Bagot et le nouveau secrétaire d’État, Richard Rush, les 28 et 29 avril 1817, puis ratifiée par le Sénat américain. Elle stipulait que les vaisseaux de guerre qui manœuvraient sur les Grands Lacs et le lac Champlain ne devaient pas jauger plus de 100 tonneaux, et que chacune des parties n’avait droit qu’à un bâtiment de ce genre sur les lacs Champlain et Ontario et à deux bâtiments au maximum sur les autres lacs. De plus, Bagot participa aux négociations sur les pêches et sur la frontière à partir du lac des Bois jusqu’au Pacifique. Ces questions qui faisaient l’objet de plusieurs litiges avec le gouvernement américain furent finalement réglées à Londres par la convention anglo-américaine de 1818. Rentré en Angleterre l’année suivante, Bagot reçut le 20 mai 1820, en vue du couronnement de George IV, la grand-croix de l’ordre du Bain. Son rôle dans la solution des problèmes frontaliers qui touchaient l’Amérique du Nord britannique ne s’acheva cependant pas en même temps que son mandat à Washington. Ambassadeur en Russie de 1820 à 1824, il prit part à la négociation du traité anglo-russe qui, en 1825, donna au territoire de ce qui est aujourd’hui l’Alaska les frontières qu’il conserverait pendant 75 ans.

À l’automne de 1824, Bagot devint ambassadeur à La Haye, où le roi Guillaume Ier des Pays-Bas tentait, en vain allait-il s’avérer, d’unifier la Hollande et la Belgique par le droit, la langue et la religion. Il put y observer les problèmes inhérents à la coexistence de deux cultures dans un même État et prit part aux pourparlers qui devaient mener en 1831 à l’indépendance de la Belgique.

Que Bagot se soit vu offrir en 1828 le poste de gouverneur général de l’Inde montre à quel point sa réputation était solide. Il refusa cependant cette distinction et, dans les dix années qui suivirent son départ de La Haye en 1831, on ne lui confia qu’une brève mission, soit à Vienne en 1835. Lorsque sir Robert Peel redevint premier ministre en septembre 1841, Bagot accepta de succéder à lord Sydenham [Thomson] au poste de gouverneur en chef de la nouvelle province du Canada, alors en proie à une crise politique. Cette nomination était judicieuse car en dépit de sa faible expérience parlementaire, Bagot avait la personnalité et le jugement qu’exigeaient les affaires coloniales. En outre, sa connaissance des États-Unis était un atout précieux puisque, encore une fois, certains groupements américains manifestaient d’agressives visées expansionnistes qui faisaient craindre une rupture des relations anglo-américaines. D’ailleurs, comme Peel l’expliqua en réponse à une lettre de Charles Buller sur le choix d’un bon candidat, « le sentiment que [Bagot] était l’un des plus populaires ambassadeurs jamais accrédités auprès des États-Unis » compta pour beaucoup dans sa désignation. Nommé le 27 septembre 1841, Bagot arriva à Kingston, la capitale du Canada, le 10 janvier 1842 et entra en fonction deux jours plus tard.

Par suite des rébellions de 1837–1838, le ministère des Colonies avait décidé d’harmoniser les relations entre l’exécutif et le législatif afin de satisfaire la chambre d’Assemblée sans pour autant céder aux réformistes, qui réclamaient un gouvernement responsable. Toutefois, cette ligne de conduite était de plus en plus difficile à suivre à cause de la formidable opposition que constituaient désormais, ensemble, les réformistes francophones et anglophones de la province. Sydenham avait formé tant bien que mal un Conseil exécutif et gagné la paix avec l’Assemblée en offrant des adoucissements qui transcendaient les divisions de parti mais, à mesure que ses promesses avaient tourné court, les tendances partisanes avaient commencé à resurgir.

Conformément à la stratégie d’assimilation que proposait lord Durham [Lambton], Sydenham avait pris des mesures pour faire du Bas-Canada un territoire essentiellement britannique. Bagot devait maintenir cette stratégie mais, selon les instructions du ministère des Colonies, il lui fallait aussi tenter d’amener les Canadiens à accepter l’union du Bas et du Haut-Canada. À titre de nouveau gouverneur, il eut la sagesse de s’entourer de conseillers qui connaissaient mieux que lui la colonie. Parmi eux se trouvaient Thomas William Clinton Murdoch, qui était déjà secrétaire civil sous Sydenham et connaissait bien les aspirations et revendications des Canadiens, de même que sir Richard Downes Jackson, qui avait administré la province après la mort de Sydenham et commencé à confier d’importantes charges publiques à des Canadiens dans le but de faire accepter l’Union à leurs compatriotes. Bagot suivit l’exemple de Jackson en nommant à plusieurs postes de l’appareil gouvernemental et judiciaire d’éminents Canadiens, tel Jean-Baptiste Meilleur*, un catholique qui devint surintendant adjoint de l’Éducation dans le Bas-Canada. En outre, il suspendit la proclamation d’un décret que le Conseil spécial du Bas-Canada avait adopté en 1837 dans le but d’introduire la common law dans les tribunaux. Ces gestes, il le savait, rassureraient les Canadiens quant à la préservation de leurs systèmes éducatif et judiciaire. Il se rendit ensuite à Montréal et à Québec, où sa courtoisie, son âge et son charme, tout comme son aisance à s’exprimer en français, l’aidèrent grandement à gagner la faveur des Canadiens.

Dans le Haut-Canada, Bagot prit à cœur son rôle de chancelier d’office du King’s College de Toronto. Il mit fin, par ses pressions, aux atermoiements qui retardaient depuis longtemps l’ouverture de l’établissement [V. John Strachan*], se démena pour trouver de bons professeurs dans les colonies et en Grande-Bretagne [V. Henry Holmes Croft*] et posa la pierre angulaire le 21 avril 1842.

Au début de l’été, dans l’espoir de renforcer son Conseil exécutif, Bagot nomma Francis Hincks* inspecteur général des comptes publics. Il comptait que Hincks lui assurerait l’appui des réformistes modérés et que Henry Sherwood*, assermenté solliciteur général à la fin de juillet, rallierait les tories à son gouvernement. Mais il fut déçu. Dès la fin de l’été, il devint manifeste que le Conseil exécutif ne parviendrait qu’à grand-peine, et encore, à conserver la confiance de l’Assemblée au cours de la session qui s’ouvrirait en septembre. Bagot se rendit donc à l’avis de conseillers exécutifs modérés, tels William Henry Draper* et Samuel Bealey Harrison*, selon qui le cabinet avait besoin du soutien du bloc francophone. Le 10 septembre 1842, il convoqua Louis-Hippolyte La Fontaine* pour discuter des conditions de son appui à l’Assemblée. Le leader réformiste canadien consulta son allié Robert Baldwin*, le partisan le plus ouvert du gouvernement responsable chez les réformistes haut-canadiens, et revint le lendemain en exigeant quatre places au conseil, dont une pour Baldwin. Bagot, qui souhaitait éviter toute concession susceptible de mener au gouvernement responsable, répondit qu’il accepterait Baldwin à condition que celui-ci « se considère admis grâce au parti canadien-français », et non à titre de leader des réformistes haut-canadiens. En outre, il offrit moins de sièges que n’en exigeait La Fontaine, ce qui causa la rupture des pourparlers. Pendant une réunion du Conseil exécutif le 12 septembre, Draper, de crainte que cette impasse ne favorise une alliance des adversaires tories et canadiens de l’Union, offrit de démissionner et indiqua que l’on pourrait demander à d’autres conseillers de faire de même si cela était de nature à faciliter les négociations de Bagot. Il menaça le gouverneur de recourir aux démissions massives s’il ne suivait pas son avis. Le lendemain, Bagot offrit à La Fontaine les quatre sièges exigés, mais eut la surprise de se voir opposer un refus.

Bagot soupçonnait que ce refus découlait d’une consultation de La Fontaine avec Baldwin et visait délibérément à le contraindre à reconstituer complètement le Conseil exécutif en fonction de l’allégeance réformiste. Ses craintes semblèrent se confirmer lorsque, plus tard dans la journée, Baldwin présenta à l’Assemblée une motion de censure et réclama encore une fois le gouvernement responsable, ce que Bagot était décidé à empêcher. Comme il espérait que les députés de l’arrière-ban forceraient la chambre à accepter un compromis, il fit connaître à l’Assemblée, par l’intermédiaire de Draper, sa deuxième offre à La Fontaine. Au terme d’un vif débat, les leaders réformistes cédèrent effectivement à la pression de leurs partisans et acceptèrent l’offre de Bagot. Reprises le 14 septembre, les négociations, cette fois, aboutirent. Le nouveau Conseil exécutif comprit finalement La Fontaine et ses partisans Augustin-Norbert Morin* et Thomas Cushing Aylwin* ; Baldwin et son partisan James Edward Small* ; les réformistes modérés Harrison, Hincks et John Henry Dunn* ; le tory Robert Baldwin Sullivan* ainsi que les indépendants Hamilton Hartley Killaly* et Dominick Daly*. Grâce à son habileté et à son prestige personnel, Bagot avait préservé le principe de l’harmonie et, comme on n’avait pas formé le nouvel exécutif en fonction d’un seul parti, le gouvernement responsable semblait écarté. Pourtant, il écrivait dans une lettre au secrétaire d’État aux Colonies : « que le principe du gouvernement responsable soit ouvertement reconnu ou ne soit que tacitement accepté, en pratique il existe ».

À Londres, les concessions de Bagot et le tollé général alimenté par l’opposition, qui prétendait qu’on avait abandonné le gouvernement du Canada à des ultra-radicaux et à d’anciens rebelles qui rompraient bientôt le lien impérial, alarmèrent Peel. Cependant, Murdoch, de retour en Angleterre, prit la défense de Bagot, et le cabinet finit par reconnaître la sagesse de ce que ce dernier avait appelé sa « grande mesure ».

Bagot établit une collaboration fructueuse et amicale avec La Fontaine et Baldwin, mais les tensions des premiers mois de son mandat avaient, semble-t-il, été trop dures pour lui. Déjà, avant son arrivée au Canada, sa santé était chancelante. À la fin de l’automne, il souffrait de plusieurs maux et, trop faible pour jouer un rôle de premier plan dans les affaires publiques, il laissa une bonne part de responsabilités à La Fontaine et à Baldwin. Le secrétaire d’État aux Colonies accepta sa démission en janvier 1843. Son successeur, sir Charles Theophilus Metcalfe, entra en fonction le 30 mars. À ce moment, Bagot était trop malade pour rentrer en Angleterre. Il mourut à la résidence du gouverneur, Alwington House, moins de deux mois plus tard.

La « grande mesure » de sir Charles Bagot demeure la principale réalisation de son bref mandat et démontre qu’il pouvait avoir un sens aigu des manœuvres parlementaires et une autorité ferme. Premier homme d’État britannique à faire entrer des Canadiens dans le gouvernement de leur pays, il a posé un jalon décisif dans l’histoire constitutionnelle du Canada. Quant aux problèmes américains dont il était censé s’occuper, ils s’étaient déjà estompés grâce au traité Webster-Ashburton, signé en août 1842. Néanmoins, c’est Bagot qui, ce mois-là, conseilla aux Britanniques de mettre fin au litige sur le territoire de l’Oregon avant que la colonisation américaine n’ait affaibli leur position. Il ne vécut pas assez longtemps pour voir son conseil suivi en 1845 mais, pour cette raison et pour son apport antérieur aux négociations sur les frontières de l’Amérique du Nord britannique, son nom appartient certainement à la longue histoire de la « frontière sans défense ».

Jacques Monet

APC, MG 11, [CO 42] Q ; MG 24, A13 ; B14 ; RG 8, I (C sér.).— MTRL, Robert Baldwin papers.— Egerton Ryerson, Some remarks upon Sir Charles Bagot’s Canadian government (Kingston, Ontario, 1843).— Statutes, treaties and documents of the Canadian constitution, 1713–1929, W. P. M. Kennedy, édit. (2e éd., Toronto, 1930).— Burke’s peerage (1890).— DNB. J. M. S. Careless, The union of the Canadas : the growth of Canadian institutions, 1841–1857 (Toronto, 1967).— G. P. de T. Glazebrook, Sir Charles Bagot in Canada : a study in British colonial government (Oxford, Angl., 1929).— Monet, Last cannon shot (Toronto, 1969).— Paul Knaplund, « The Buller-Peel correspondence regarding Canada », CHR, 8 (1927) : 41–50.— J. L. Morison, « Sir Charles Bagot : an incident in Canadian parliamentary history », Queen’s Quarterly (Kingston), 20 (1912) : 1–22.— W. O. Mulligan, « Sir Charles Bagot and Canadian boundary questions », SHC Report, 1936 : 40–52.

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Jacques Monet, « BAGOT, sir CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bagot_charles_7F.html.

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Auteur de l'article:    Jacques Monet
Titre de l'article:    BAGOT, sir CHARLES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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